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DU DROIT A LA MOBILITE DES AFRICAINS.- Mangoné NIANG *

Publié le, 25 novembre 2010 par Manngoné NIANG


Jorge Luis Borgès est probablement tenu pour un des plus grands écrivains du monde. Pourtant, le conteur argentin, aujourd’hui disparu, est l’auteur d’une formule qui nous fait douter, le sachant déjà mal-voyant, de sa clairvoyance intérieure. « L’Afrique », a-t-il dit dans une interview parue autrefois sur les colonnes du journal « Le Monde », « peut disparaître sans que personne ne s’en rende compte ».

On pourrait lui objecter, et certains n’ont pas manqué de le faire, que l’énorme éclaboussure que provoquerait une telle immersion continentale suffirait à anéantir le reste de la planète. Cette déclaration, énoncée jadis en pleine période d’afro-pessimisme, serait aujourd’hui perçue comme les propos d’un esprit dérangé. De plus, experts, stratèges et hommes politiques de tout poil se précipiteraient pour apporter un démenti cinglant au dernier délire d’un conteur d’histoires. En effet, on ne peut imaginer, dans le temps présent, que l’Afrique disparaisse, corps et biens, laissant le reste du monde orphelin de ses perspectives de développement industriel et agricole ; du moins, peut-on l’imaginer en partie, avec les biens préservés et les corps ensevelis car tout porte à croire, selon les perceptions dominantes, que l’Afrique utile, c’est l’Afrique sans les Africains.

Tous les pays du monde sont souverains et chaque pays est libre de pratiquer sa propre politique de restriction de visas à l’entrée de ses frontières. Il est vrai également que l’immigration est un redoutable problème, d’autant qu’elle met en face d’un pôle développé un pôle qui ne l’est pas ou l’est moins, enfermé dans une historicité violente et d’aménagement démocratique avec les reculs et les avancées propres à cette gouvernance relativement équilibrée. Il est vrai aussi qu’avec les nouveaux périls sans frontières, le contrôle de la mobilité demeure absolument indispensable pour assurer la sécurité humaine. Là où se pose véritablement la difficulté, c’est qu’on assiste de plus en plus à une surenchère dans l’absurde – ou, ce que nous sommes déjà nombreux à penser, à une stratégie délibérée – à la place de solutions rationnelles, efficaces et réellement opératoires. Là où la difficulté s’emmêle avec elle même, c’est lorsque ces restrictions ne visent ni les immigrés illégaux ou les réfugiés économiques ou politiques ni les immigrants sélectionnés et choisis, mais les agents les plus dynamiques des sociétés africaines, ceux qui ne s’exilent pas, ceux qui portent sur leurs épaules l’espérance africaine ou qui sont, par leurs talents et leurs responsabilités, dans la dynamique des échanges internationaux – ou, comme on voudra, dans la mondialisation – et qui n’ont pas l’Europe au bout de la semelle.

Si la mondialisation actuelle se définit essentiellement par la vitesse de l’évolution technologique et le déplacement des biens et des acteurs, et si l’action de ceux-ci tend à « rapprocher davantage les individus, les économies ou les cultures : les missionnaires qui veulent convertir, les médecins qui veulent guérir, les scientifiques qui veulent faire avancer la connaissance, les chefs d’entreprise qui veulent développer des marchés, les financiers qui veulent placer leurs capitaux, les Etats puissants qui veulent élargir leur influence » (1), n’assistons-nous pas encore là, sur la nouvelle carte du destin qu’on nous propose, à un jeu aux dés pipés comme par le passé ? Si on refuse à un universitaire, à un écrivain ou à un homme d’affaires un visa touristique ou de transit, ne faudrait-il pas au moins lui en donner la raison ? Si on donne un visa à un universitaire, un écrivain ou à un homme d’affaires, pourquoi le lui délivrer après l’événement auquel il doit assister ? Cette situation ne concerne pas seulement les Africains à qui on refuse un visa, elle pèse – et c’est là toute la perfidie de l’opération – sur ceux-là mêmes à qui on veut bien délivrer un visa, comme une garantie de surveillance et de bonne tenue par la suite. On aimerait bien savoir, en raison de la transparence à laquelle on nous invite constamment, ce que recouvre cette bonne tenue…
Les gouvernements africains n’ont cessé d’évoquer ce problème sans obtenir manifestement de résultat notable. Pire, les tracas auxquels ont souvent droit certains hauts fonctionnaires et représentants de ces gouvernements, pourtant détenteurs de documents diplomatiques, notamment dans les aéroports en Europe, font souvent la chronique des journaux ou de la rumeur populaire. De nombreux Africains, et même des non-Africains, se demandent pourquoi des gouvernements souverains acceptent-ils d’être ainsi traités. Assiste-t-on au retour des vieilles peurs spengleriennes auxquelles l’Occident nous a habitués ? Ou mène-t-on simplement une sorte de guerre sourde à l’Afrique pour la maintenir dans une posture dont elle ne veut plus et l’évacuer hors monde ?

L’Afrique est en face de l’Europe (2); l’Europe est à quelques encablures de la pointe Nord de l’Afrique : les deux continents ne sont séparés que par deux ou trois dizaines de kilomètres. Une politique de containment n’est ni possible ni envisageable à long terme. Proximité géographique renforcée, pour le meilleur et pour le pire, par des liens historiques. Après tout, nous étions bien tranquilles dans notre coin, plongés dans notre historicité interne, quand ils ont débarqué, foulant tout sur leur passage. Depuis, notre monde a changé, le leur aussi, on dirait qu’ils ont sacrément mal à l’accepter et à le comprendre. En vérité, les préjugés, les retards sur le mouvement de l’histoire et les hypocrisies récurrentes ne sont pas du côté où généralement on pense, par médias embarqués, qu’ils se logent. On continue toujours d’en rire dans les salons privés des capitales africaines pour ne pas rater le prochain visa vers le reste du monde via l’Europe…

Adorable mondialisation ! Voici qu’en un tournemain expert l’Afrique découvre que l’Europe n’est plus vraiment le centre de la planète ; qu’elle n’est plus, pour en donner un exemple, l’un des leaders de la recherche scientifique (ainsi que vient de l’attester, il y a trois semaines environ, un rapport de l’UNESCO) et que le monde est devenu multipolaire ; voici que l’Afrique découvre que, du chaos, on peut rebondir et émerger (nul n’a encore vraiment dit comment la notion d’émergence sonne agréablement aux oreilles africaines : elle résume, à elle seule, tous les rapports entre l’Afrique et les territoires alentour !) ; voici enfin que l’Afrique découvre que, par ses immensités (géographiques, minières, agricoles, démographiques et mythiques), elle a plus que d’autres des fenêtres ouvertes sur les Orients longtemps masqués à notre innocence protégée. Et se découvre, du même coup, l’enjeu réel autour de la mobilité africaine : on veut nous couper les ailes pour nous clouer au sol, le meilleur moyen de nous clouer le bec, de nous empêcher de nous recentrer sur les humanités par notre humanité, d’annihiler, par ce que nous valons avec nos matières premières dans le poids du développement international, toute volonté de faire de l’Afrique un pôle incontournable du monde. Cet objectif à courte vue est en butte au moins contre trois obstacles majeurs. La mobilité des Africains est d’abord déterminée en grande partie par un héritage ancien à l’origine de l’histoire même du peuplement du continent. Un rapport du PNUD, à la suite de nombreuses études et de données statistiques, indique bien que les Africains circulent davantage à l’intérieur du continent qu’entre l’Afrique et d’autres continents (3). En second lieu : les avancées de l’éducation. Savoir, c’est croiser des savoirs, ce qui ouvre toujours le regard au-delà des horizons barbelés, des murs en briques et des frontières politiques. C’est un des fondements de la recherche scientifique. L’évolution démocratique intervient, en troisième lieu, en parallèle avec celle du droit international. L’écart entre ce qu’on fait et ce qu’on dit ou écrit va devenir de plus en plus difficile à vivre pour tout donneur de leçons patenté. S’y ajoute, de surcroît, un obstacle qui englobe tous les autres : la volonté ferme, clairement exprimée en Afrique, de ne pas se faire avoir sur le marché de dupes des rapports internationaux. En 1867, Victor Hugo annonçait l’apparition d’une nation qui « ne s’appellera point la France : elle s’appellera l’Europe au vingtième siècle, et aux siècles suivants, plus transfigurée encore, elle s’appellera l’Humanité » (4). Au vingtunième siècle, l’Afrique, réveillée de ses traumatismes et de ses courbatures historiques, semble avoir repris son destin en main, avec la conscience nette de comprendre ce qu’elle veut et ce qu’elle ne veut plus. Ce ne sont pas ses seules élites qui désormais en décident, c’est l’ensemble de ses populations.
Elle entend désormais, comme l’écrit un de ses illustres penseurs, « planter un nouveau décor, inventer un nouveau scénario et dresser un nouveau casting pour une nouvelle pièce plus digne de l’être humain » (5). Les rapports entre l’Afrique et le reste du monde ne passeront pas par le manque de vision roublard d’un vieil écrivain enfermé dans les fantasmagories obliques et décalées de la sénescence mais par la plénitude de sens d’un poète visionnaire prophétisant, dès le siècle tumultueux de fer et de feu, la réconciliation des esprits et des humanités.

•=472;M. Niang est un ancien fonctionnaire international. Il est aujourd’hui consultant à Dakar.

Notes.
1. J. Lesourne, « Démythifier la mondialisation » in Claude Bébéar (éd.) :
Le courage de réformer, Editions Odile Jacob, Paris 2002, p. 308
2. Pour reprendre le titre d’un ouvrage récemment paru. Cf. V. Hugeux :
L’Afrique en face, Editions Armand Colin, Paris 2010
3. Cf. Rapport Mondial sur le Développement Humain 2009. Lever les barrières :
Mobilité et développement humain, voir site : http://hdr.undp.org.
4. Cité par Thierry de Montbrial, « Vers l’Europe « nation extraordinaire », in Claude Bébéar (éd.) : op. cité, p. 357.
5. J. Ki-Zerbo, A quand l’Afrique. Entretien avec René Holenstein, Editions de l’Aube/Editions d’En Bas, Lausanne 2004 (col. « poche essai »), p. 19