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Pr Souleymane Bachir Diagne (Columbia University) : « la création d’une monnaie ouest-africaine nous rendra plus forts. »
Dans la deuxième partie des confidences avec le Pr Bachir Diagne rencontré à Washington et à Genève, le philosophe porte le manteau de l’historien et donne quelques pistes sur les raisons de la dislocation de la Fédération du Mali, il donne aussi l’exégèse de la critique de Boris Diop sur « la trahison des élites africaines ». Diagne plonge dans l’économie et soutient qu’une monnaie ouest-africaine est nécessaire pour le développement de la sous région et au delà. Renvoyant dos à dos l’afro pessimisme et l’afro optimisme, il prône la prise des responsabilités individuelles et collectives qui se mesure à l’aune du courage, de l’honnêteté et du travail. (Entretiens)
Dislocation de la Fédération du Mali
… Pour la Fédération du Mali, disons d’emblée que cette dernière était condamnée. On était en face de replis successifs. Le Sénégal avait insisté sur le fait que l’Afrique de l’Ouest ne devait pas être balkanisée. Pierre Messmer lors de l’hommage rendu à la mémoire de Senghor rappelait les moments de la décolonisation sur une question relative à son opposition au maintien de l’AOF (Afrique occidentale française), il répondait que “l’AOF était constituée pour la France et je ne pense pas qu’elle était véritablement une chose que les Africains pouvaient eux-mêmes maintenir”.
C’est à dire que la France avait décidé à un moment donné que ce qui était bien pour elle ne l’était pas pour nous. L’idée était de décoloniser territoire par territoire. Certes il y a donc la responsabilité de la France mais il s’est trouvé des leaders à courte vue pour accompagner la France dans son idée.
Le Président Houphouët Boigny était un des relais de cette politique de la territorialisation de nos indépendances. Là encore on peut se dire qu’est ce que les choses auraient été si nous avions conservé l’AOF et si l’indépendance avait été acquise dans ce cadre.
Le maintien de l’AOF étant raté, on s’est replié sur le concept du Conseil de l’Entente: Sénégal, Mali, Guinée, Togo, Bénin. La Côte d’Ivoire a pu convaincre les autres d’en sortir. Il ne restait plus que notre tête à tête avec le Mali qui a duré le temps que cela a duré mais c’était condamné, quoi qu’il en soit car finalement la machine à décoloniser territoire par territoire s’est mise en route. La dislocation de la Fédération du Mali était inévitable. Maintenant c’est à nous de renverser les choses.
Récemment sur TV5, le président Abdou Diouf qui a fait son dernier mandat à la tête de l’OIF (organisation internationale de la Francophonie) disait que « le rêve des gens de sa génération était de reconstituer les fédérations de faire en sorte que l’Afrique soit une ensemble de 5 fédérations », ces fameuses régions de développement pour arriver à une confédération.
Voilà un rêve qui nous est offert, qui est donc offert aux jeunes générations et c’est un rêve que nous avons la responsabilité d’essayer de rendre réel.
Les Africains victimes de leurs élites
Interpellé sur les propos de l’écrivain Boubacar Boris Diop qui croit savoir que l’Afrique est victime de ses élites notamment intellectuelles, le philosophe sénégalais a tenté une explication à ce réquisitoire de son ami écrivain. “ Boris a une exigence très forte pour ce qui est de la responsabilité des intellectuels et je crois qu’il a raison lorsqu’il estime que les intellectuels ont une mission à remplir.
Le dire ne va pas non plus de soi car qui leur a confié cette mission? Mais si vous réfléchissez au regard des circonstances qui font qu’on a une voix qui porte, à ce moment là, il est de votre responsabilité de ne point vous dérober dès lors qu’il y a un problème qui se pose. Il est infiniment plus aisé et plus simple pour un intellectuel dont le travail est un travail d’écriture et de paroles ou d’enseignement de se replier sur ses propres travaux, ses livres et ses articles, de rester dans son propre coin parce qu’à ce moment là, vous n’avez de critique de personne. Si vous vous mêlez de certaines choses dont certains estiment qu’elles leur appartiennent, là vous êtes sûr de ne plus faire l’unanimité du tout. Cependant, il est de votre responsabilité (Ndlr de l’intellectuel) de faire des choses dont vous n’avez aucune envie simplement parce que vous estimez que vous ne devez pas vous dérober. C’est cela que Boris voudrait insuffler aux intellectuels et c’est pour cela qu’il a dit que nous étions victimes de nos intellectuels.”
Sortir de la parité CFA –EURO ?
L’un des avantages comparatifs que nous pouvons avoir c’est le prix de notre main d’oeuvre. Si nous produisons X à tel prix dans le prix de X notre main d’oeuvre entre. Si un autre pays produit la même chose, le prix de la main d’oeuvre dans le pays y entre également. Nous surenchérissons sur notre main d’oeuvre parce que l’euro par exemple est sur évalué. Nous nous retrouvons avec un travail plus cher que ceux qui sont avec nous dans la compétition internationale non pas de notre propre fait mais du fait que la monnaie européenne est extrêmement élevée. Il nous faut reprendre l’initiative.
Il nous faut avoir la maîtrise de ce levier monétaire. Rappelez vous la dévaluation de sinistre mémoire: personne parmi les présidents réunis à l’Hôtel Méridien Président ne voulait prendre la responsabilité de dire nous dévaluons. Il a fallu une personne extérieure pour venir sur les télévisions africaines et nous apprendre que cette monnaie dont nous pouvions encore penser qu’elle était la nôtre allait être dévaluée! Vous ne pouvez avoir un phénomène aussi important que ce phénomène de dépossession.
Cependant les pays ne doivent pas également avoir des humeurs ou des émotions, sortir de la zone euro en claquant la porte comme la Guinée l’avait fait à un moment donné de même que le Mali n’est pas notre manière de faire. Nous avons une manière plus calme et réfléchie et notre diplomatie du reste fonctionne de cette manière, c’est à dire regarder les choses à plus long terme.
Nous avons aujourd’hui un plan où il est question que les pays de l’UEMOA attendent que nos amis des pays Anglophones arrivent au stade de la construction d’une monnaie unique pour que les deux monnaies uniques aillent ensemble vers la création d’une monnaie ouest-africaine. C’est le moment donc d’essayer de créer une monnaie ouest-africaine qui nous rendra plus forts. Ainsi nous ne nous précipiterons pas.
En matière de politique monétaire nous prendrons les choses en mains pour peser de tout notre poids à la fois économique et diplomatique. Partir de la zone euro en bon ordre parce que nous sommes unis semble la voie la plus sage et celle qu’il faudra suivre.
Ne pas couper avec notre identité francophone
Il faut que nous soyons riches de notre pluralisme. La France pour le meilleur et pour le pire fait aussi partie de nous, désormais ! Et sa langue et sa culture sont partie intégrante de qui nous sommes. Nous n’avons pas le droit de nous couper de qui nous sommes. Nous avons le devoir en revanche de multiplier qui nous sommes. Le Prophète de l’Islam Paix et Salut sur lui a dit la chose suivante : « Autant de langues tu parles autant d’hommes tu vaux ». Lorsque nous avons la possibilité d’être riches d’un pluralisme identitaire, il faut que nous ne nous coupions de rien. En revanche, il faut que nous ayons la maîtrise profonde de cette identité, c’est à dire, l’organisation des identités multiples que nous sommes. En définitive, nous sommes un peuple Finistère, eh bien, il est de notre responsabilité à nous de l’organiser et non à quelque pays que ce soit de l’organiser pour nous, de l’extérieur.
Le rêve est –il permis ?
La difficulté de réunir tout le monde autour de l’essentiel est une réelle difficulté mais il ne faut jamais abandonner. Contre les rigidités et les corporatismes, il faut toujours garder le cap se dire qu’il faut toujours continuer à reformer. Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage disait le poète. Il faut donc cent fois sur le métier, remettre son ouvrage puisque de toute façon l’avenir est à ce prix.
Propos rassemblés par El Hadji Gorgui Wade NDOYE, directeur des publications
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