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L'excision au pilori
Interview swissinfo: Christian Raaflaub
(Traduction de l’allemand: Isabelle Eichenberger)
|
Une enquête de l’UNICEF auprès de spécialistes suisses
– gynécologues, sages-femmes - révèle que 29% d’entre eux ont déjà eu
affaire à une femme excisée. |
Le développement démographique et l’augmentation
des flux migratoires font que l’Europe et la Suisse sont de plus en plus
touchées par ces pratiques d’un autre âge.
Une étude de la section suisse de l’UNICEF, le
Fonds des Nations Unies pour l’enfance, révèle cette réalité
effrayante: 518 des quelque 1800 spécialistes consultés ont déjà
eu affaire à une femme excisée.
swissinfo: Elsbeth Müller, que se cache-t-il derrière ces chiffres?
Elsbeth Müller: Les résultats de l’enquête nous permettent
d’estimer que quelque 7000 femmes vivant en Suisse sont excisées.
swissinfo: Comment les spécialistes consultés ont-ils
été confrontés à cette réalité?
E. M.: On constate que de plus en plus de femmes demandent aux gynécologues
et aux sages-femmes où faire exciser leurs enfants en Suisse.
Beaucoup de ces spécialistes connaissent des jeunes
filles qui ont été excisées ou qui vont l’être.
Ce chiffre a augmenté, ce qui nous a beaucoup surpris.
swissinfo: Quelles sont les nationalités et les groupes d’âge
les plus touchés?
E. M.: En Suisse, ce sont surtout des Somaliennes, des Ethiopiennes et des Erythréennes
qui sont concernées. De nombreuses personnes en provenance de ces pays
vivent en Suisse.
La majorité ont entre 19 et 34 ans, car elles sont en
âge de procréer et vont consulter des gynécologues et des
sages-femmes.
swissinfo: Que représente une excision pour la personne qui la
subit?
E. M.: L’excision est une intervention douloureuse, une atteinte physique
et psychique à l’intégrité des femmes et des petites
filles.
Mais, bien sûr, cela va beaucoup plus loin. Les femmes excisées souffrent toute leur vie. Elles ont des infections urinaires et, de plus en plus, des problèmes de fistules et de menstruation.
En outre, l’ablation du clitoris réduit fortement
toute sensation lors d’activités sexuelles. Souvent, l’accouchement,
qui peut durer beaucoup plus longtemps, provoque la mort de l’enfant ou
même de la mère.
swissinfo: Et qu’en est-il dans les autres pays d’Europe?
E. M.: Il est difficile d’établir des comparaisons. Nos collègues
allemands sont en train d’organiser une enquête analogue.
Mais le problème a pris de l’importance partout
depuis environ cinq ans. Tous les pays sont concernés, parce qu’ils
sont tous touchés par les flux migratoires. Et parce que, entre-temps,
le nombre de femmes en provenance de ces pays a augmenté.
swissinfo: Quelles mesures concrètes l’UNICEF va-t-il prendre?
E. M.: Sur le plan international, il s’est prononcé très
clairement en faveur d’une tolérance zéro. Nous allons tout
faire pour que la mutilation des fillettes soit interdite et punie dans tous
les pays.
Nous voulons faire un travail d’explication et d’information, afin de faire prendre conscience aux gens de la gravité des conséquences de l’excision. Il règne en effet une immense ignorance à ce sujet.
Nous proposons aussi un programme de dédommagement aux exciseuses afin de les encourager à changer de métier.
En Suisse aussi, il faut clarifier les choses. Mais il faut
aussi, sur le plan juridique, définir des sanctions contre les gens qui,
ici, procèdent à des excisions ou s’en rendent complices.
swissinfo: Quelles sont les mesures à prendre en Suisse sur le
plan médical?
E. M.: Le personnel médical doit être informé de la problématique
et de ses conséquences. Savoir ce qui relève de l’identité
culturelle et ce qui relève des droits de l’homme.
Il faut aussi donner une base légale au personnel médical. Avec d’autres organisations, nous sommes en train de le faire.
En répondant à des questions du genre ‘Où
m’adresser, quand et comment suis-je punissable par la loi?’ Mais
aussi: ‘Comment puis-je aider? Que puis-je faire si je sais qu’une
jeune fille va être excisée? Puis-je être libéré
du secret médical‘? Toutes ces informations sont importantes pour
les médecins et les sages-femmes.
swissinfo: Et sur le plan juridique, que préconisez-vous?
E. M.: En Suisse, l’excision des filles est punie par la loi. Cela vaut
pour les personnes qui pratiquent l’opération comme pour les parents.
De même lorsque la fillette est emmenée dans un autre pays pour
se faire exciser, pour autant que ce soit un pays ou l’excision est interdite.
swissinfo: Une famille qui va en Somalie ne peut donc pas être
poursuivie?
E. M.: A l’heure actuelle, la complicité n’est pas poursuivie.
Mais, bien entendu, il faudrait que, là aussi, on puisse examiner la
situation du point de vue légal.
swissinfo: L’excision se pratique surtout au nom de la religion…
E. M.: L’excision n’est exigée par aucune religion, je tiens
à le préciser. Il existe certaines indications que les deux sont
liées, surtout chez les fanatiques religieux.
Pourtant, c’est beaucoup plus une tradition séculaire
qui est à l’origine de l’excision, pour des raisons sociales,
sociologiques ou sanitaires.
swissinfo: Et qu’en est-il du point de vue des droits de l’homme?
E. M.: La mutilation des petites filles est une atteinte aux droits des enfants
et des hommes. Chaque enfant a droit au respect de son intégrité
corporelle. Si on s’attaque à son corps au risque de provoquer
sa mort, cette tradition ne peut se justifier par des critères d’ordre
culturel.
Hormis la Somalie et les Etats-Unis, tous les Etats membres de l’ONU ont signé la Convention des droits de l’enfant. Il est donc du devoir de chaque pays de faire en sorte que les enfants vivant sur son territoire soient protégés de l’excision.
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