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 La nouvelle loi allemande qui oblige les sociétés de médias sociaux à retirer les propos à caractère haineux et d’autres contenus illégaux risque d’aboutir à une censure non justifiée et d’une portée excessive, et devrait donc être rapidement abrogée, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. En forçant les entreprises à pratiquer la censure au nom du gouvernement, la loi établit un dangereux précédent pour les gouvernements d’autres pays qui chercheraient à restreindre la liberté d’expression sur Internet.

« Les gouvernements et le public ont raison de sinquiéter de la prolifération de contenus illégaux ou abusifs, mais cette nouvelle loi allemande est fondamentalement défectueuse », a déclaré Wenzel Michalski, directeur de Human Rights Watch en Allemagne. « Formulée de façon vague, dune portée excessive, elle transforme les entreprises privées en censeurs trop zélés, soucieux déviter les fortes amendes, tout en privant les utilisateurs de tout contrôle judiciaire ou droit de recours. »

Le 30 juin 2017, le Parlement a approuvé la 
loi d’application du droit aux réseaux sociaux, (Netzwerkdurchsetzungsgesetz, soit en forme abrégée « NetzDG »), qui est entrée pleinement en vigueur le 1er janvier 2018.

La loi exige que les grandes plateformes de médias sociaux, comme Facebook, Instagram, Twitter et YouTube, retirent rapidement leur « contenu illégal » tel que défini dans 22 dispositions du 
code pénal, allant de la simple insulte à fonctionnaire jusqu’aux menaces de violences réelles. Risquant des amendes allant jusqu’à 50 millions d’euros, les sociétés sont déjà en train de retirer certains contenus pour se conformer à la loi.

Au moins trois pays – la Russie, Singapour et les Philippines – ont explicitement cité la loi allemande comme exemple positif alors qu’ils envisagent ou proposent eux aussi des législations pour retirer le contenu « illégal » d’Internet. Le projet de loi qu’examine actuellement la Douma pourrait s’appliquer non seulement aux grandes plateformes de médias sociaux mais également aux services de messagerie.

Or deux aspects principaux de la loi violent l’obligation de l’Allemagne de respecter la liberté d’expression, a déclaré Human Rights Watch. Premièrement, la loi attribue aux entreprises qui hébergent les contenus de tiers la lourde tâche de déterminer si les propos des utilisateurs violent la loi, dans des conditions qui incitent à supprimer dans la foulée des propos probablement légaux. Même pour les tribunaux, il est parfois difficile d’émettre de tels jugements, qui exigent une connaissance nuancée du contexte, de la culture et du droit. Confrontées aux délais très courts accordés pour examiner les éléments et au risque de payer de fortes amendes, les sociétés sont peu enclines à pécher par excès de respect de la liberté d’expression.

Deuxièmement, la loi ne prévoit pas de contrôle ou de recours judiciaire au cas où la décision trop prudente d’une entreprise priverait une personne de son droit à s’exprimer ou à s’informer. De cette façon, les grandes plateformes d’expression sur Internet deviennent des zones où personne n’a de comptes à rendre, où la pression gouvernementale poussant à la censure échappe à tout contrôle judiciaire.

En même temps, les entreprises de médias sociaux opérant en Allemagne et ailleurs ont des responsabilités envers leurs utilisateurs sur le plan des droits humains. Elles devraient prendre des mesures pour les protéger des abus d’autrui, a déclaré Human Rights Watch. Elles ont notamment le devoir de préciser dans leurs contrats d’utilisation quels contenus elles interdiront, de prévoir un mécanisme pour signaler les contenus problématiques, d’investir dans les ressources adéquates pour mener des vérifications avec l’expertise régionale et linguistique adaptée et d’offrir un processus de recours aux utilisateurs qui pensent que leur contenu a été bloqué ou retiré sans motif valable. Les menaces de violence, les atteintes à la vie privée et les harcèlements graves, souvent dirigés contre les femmes et les minorités, peuvent chasser les personnes d’Internet ou aboutir à des attaques physiques.

Les critiques visant la nouvelle loi se sont intensifiées au cours des six dernières semaines, suite au blocage de certains contenus d’utilisateurs connus ou à la suspension temporaire de leurs comptes, même si ces mesures découlaient davantage de violations des règles d’utilisation de la société que de la loi NetzDG.

Parmi ces utilisateurs dont les propos ont été censurés, soit en vertu de la NetzDG soit parce qu’ils violaient les conditions d’utilisation de l’entreprise, on trouve une 
dirigeante du parti d’extrême-droite Alternative pour l’Allemagne, un magazine satirique et une artiste de rue politisée. Mais les éléments publiés par beaucoup d’autres personnalités moins célèbres ont également été bloqués ou retirés sans justification, a déclaré Human Rights Watch, que ce soit à cause de la NetzDG ou d’une violation des règles s’appliquant aux utilisateurs.

Quatre partis politiques majeurs sont désormais opposés à la loi : 
La Gauche (Die Linke), qui a voté contre cette loi ; le Parti libéral-démocrate (FDP) et l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), qui n’étaient pas encore représentés au Parlement lors de son adoption ; et Les Verts (Die Grünen), qui se sont abstenus lors du vote au Parlement. Un haut responsable de l’Union chrétienne-sociale (CDU), qui faisait partie du gouvernement ayant proposé la loi, s’est récemment prononcé contre celle-ci.

La chancelière Angela Merkel a défendu la nécessité de réglementer Internet tout en déclarant qu’il était « possible qu’il faille modifier » la loi. L’accord pour former un nouveau gouvernement de coalition que son parti, l’Union chrétienne-démocrate, a passé avec l’Union chrétienne-sociale et le Parti social-démocrate, rendu public le 7 février, qualifie la loi NetzDG d’« étape juste et importante » mais annonce que le gouvernement évaluera des moyens de la « développer davantage ».

De nombreuses organisations qui défendent les droits humains et la liberté des médias se sont opposées à la loi dès la première version du texte. La 
Global Network Initiative, une coalition d’organisations non gouvernementales, d’universitaires, d’investisseurs et d’entreprises qui défend la liberté d’expression et la vie privée sur Internet, a déclaré qu’avec cette loi, « les décisions [sur la liberté dexpression] seraient externalisées » vers des sociétés privées. Dans une lettre ouverte à huit commissaires européens, un groupe de six associations de la société civile et du monde de l’entreprise a déclaré que la loi brimerait la liberté d’expression sur Internet en incitant les sociétés à retirer les contenus qu’on leur signalait. L’organisation Article 19, qui défend la liberté d’expression, a publié une critique de la loi d’un point de vue juridique, qui conclut qu’elle « portera gravement atteinte à la liberté dexpression en Allemagne » et qu’elle « montre déjà dangereusement lexemple à dautres pays ».

Le rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté d’opinion et d’expression, David Kaye, 
a déclaré que le projet de loi contredisait les normes internationales en matière de droits humains. Le gouvernement allemand a défendu la loi, citant des changements par rapport à la première mouture que Kaye avait examinée, comme la plus grande flexibilité des délais accordés pour supprimer les éléments ou l’introduction d’un organe autorisé pour examiner les cas complexes. Par contre, elle n’a pas répondu à la préoccupation principale de Kaye : le fait que la nouvelle loi mette entre les mains de sociétés privées la responsabilité de réglementer l’exercice de la liberté d’expression.

« Avec la loi NetzDG, lAllemagne a brimé la liberté dexpression au niveau national tout en établissant un précédent inquiétant pour dautres pays désireux dentraver lexpression artistique, la critique sociale, lactivisme politique ou le journalisme en ligne indépendant », a conclu Wenzel Michalski. « Obliger des entreprises à agir comme censeurs pour le gouvernement est problématique dans un État démocratique et très néfaste dans les pays où létat de droit est déjà incertain. »