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Dénoncer le Statut de Rome nuit à la justice internationale pour tous
Par Adama DIENG, Secrétaire général adjoint de l’ONU
et Conseiller spécial pour la prévention du génocide,
ancien Greffier du Tribunal pénal international pour le Rwanda
Le mois de juillet 2017 marquera le quinzième anniversaire de l’entrée en vigueur du Statut de Rome portant création de la Cour pénale internationale. Son adoption a été précédée de nombreuses années de longs et laborieux efforts diplomatiques menés sur le plan régional et international, qui ont permis de faire admettre l’importance de créer une cour pénale internationale permanente capable de juger les crimes les plus graves : génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Le processus qui a conduit à l’entrée en vigueur du Statut en juillet 2002 a été le plus court de toute l’histoire de la ratification de traités, ce qui non seulement témoigne de la volonté de la communauté internationale de combattre l’impunité mais montre également avec force que lorsque l’humanité décide de s’unir au service d’une cause commune, même les obstacles apparemment infranchissables peuvent être surmontés.
La négociation et l’adoption du Statut de Rome demeurent l’une des plus importantes réalisations du siècle dernier en matière de lutte contre l’impunité. Depuis l’adoption du Statut, plus de la moitié des États de la planète sont devenus membres de la Cour. Trente-quatre États parties sont africains, ce qui constitue le plus grand groupe régional à ce jour.
La forte acceptation de la Cour en Afrique témoigne à notre avis de l’adhésion inébranlable des États africains aux idéaux et promesses dont le Statut de Rome est porteur. L’Afrique a tout lieu d’être fière de la création de la Cour, considérée à juste titre comme le début d’un nouveau chapitre de la lutte contre l’impunité et un moyen de tenir responsables de leurs actes ceux qui ont trop longtemps méprisé la vie et la dignité de leur population.
La Cour était également envisagée comme une institution destinée à compléter les systèmes judiciaires nationaux. On pensait que la Cour pourrait contribuer de façon positive à la transformation politique, sociale et économique en renforçant l’état de droit et le respect des libertés et droits fondamentaux du peuple africain. Le fait que la plupart des affaires concernant l’Afrique portées devant la Cour l’ont été par des États africains eux-mêmes le confirme. Cinq des dix enquêtes en cours ont été ouvertes à la suite de la saisine de la Cour par les pays africains concernés.
Nous pensons que les idéaux et les valeurs qui ont présidé à la création de la Cour n’ont rien perdu de leur pertinence, quinze ans après l’entrée en vigueur du Statut de Rome. Toutefois, en dépit de ces réalisations, la Cour est de plus en plus menacée. Le Burundi, l’Afrique du Sud et la Gambie ont tous trois annoncé leur intention de se retirer de la Cour. D’autres États ont menacé de le faire si certaines conditions n’étaient pas remplies. Ces pays reprochent principalement à la Cour de manquer d’équité dans ses décisions en matière de poursuites judiciaires, qui, aux yeux de certains, visent de façon disproportionnée des dirigeants africains. L’adhésion aux institutions internationales et la signature de traités internationaux sont certes des décisions relevant de la souveraineté de chaque État, mais il est utile de chercher à comprendre pourquoi les pays qui étaient hier à l’avant-garde de la lutte contre l’impunité s’en détournent aujourd’hui. Il convient d’engager un franc dialogue entre toutes les parties prenantes, en particulier entre les États membres et la Cour, afin de définir quelles sont les préoccupations légitimes de chacune et d’y répondre. Cela permettra de renforcer la confiance mutuelle et la coopération, ainsi que la capacité de la Cour de s’acquitter du mandat qui lui a été confié dans le Statut de Rome.
Il importe de rappeler que la création de la Cour résultait de la volonté mondiale de protéger les victimes lorsque les mécanismes judiciaires nationaux n’avaient pas les moyens, la volonté ou la compétence nécessaires pour poursuivre les responsables des crimes les plus graves. Rien n’indique que les discussions sur le retrait se sont accompagnées d’une évolution positive de la situation des droits de l’homme ou d’une volonté accrue des gouvernements de promouvoir l’application du principe de responsabilité, qui auraient pu justifier ce retrait. Il n’existe pas non plus de mécanisme judiciaire solide au niveau régional qui soit à même de poursuivre les personnes accusées de violations graves du droit international humanitaire et des droits de l’homme à la place de la Cour, lui retirant sa raison d’être. Les retraits pourraient laisser un vide juridique désastreux, qui nuirait à la capacité des victimes d’obtenir réparation pour violations graves de leurs droits fondamentaux.
Le Statut de Rome portant création de la Cour est une avancée mondiale et ses pratiques évoluent. La Cour doit cependant être prête et disposée à écouter les préoccupations de ceux au service desquels elle compte être. Les principaux organes de la Cour (la présidence, le Bureau du Procureur et le Greffe) devraient collectivement et activement chercher à dialoguer avec les parties étatiques et non étatiques, la société civile et les victimes, afin d’examiner comment la Cour peut aider les victimes tout en servant les intérêts légitimes de ses membres. Autrement dit, la Cour devrait s’efforcer de gagner la confiance des États membres, ainsi que des victimes.
Malheureusement, les États qui souhaitent dénoncer le Statut de Rome n’ont pour ainsi dire rien fait pour se plaindre aux instances compétentes, telles que l’Assemblée des États parties. Cela aurait pourtant été l’occasion d’engager un dialogue ouvert et franc, et d’examiner comment faire en sorte que la Cour puisse véritablement faire face aux défis qu’elle a vocation à relever. Le dialogue et l’incitation à mener des réformes devraient servir les intérêts de toutes les parties prenantes de la Cour.
Alors que des atrocités continuent d’être commises en Syrie, au Yémen, en Iraq, au Soudan du Sud et ailleurs, ce n’est pas le moment de renoncer à la Cour. Les États membres et les membres non étatiques devraient au contraire réaffirmer leur volonté de renforcer le Statut de Rome et de veiller à ce que les auteurs de ces crimes atroces soient tenus de rendre compte de leurs actes.
Nous savons que les rouages de la justice internationale sont extrêmement lents et imparfaits. Témoin des horreurs commises au Rwanda, en ex-Yougoslavie, en Sierra Leone et ailleurs, et étroitement associé à l’administration de la justice internationale au Tribunal pénal international pour le Rwanda, je sais hélas ce qu’il advient lorsque l’action de la communauté internationale fragilise l’administration de la justice internationale.
Dans l’intérêt des victimes qui ont subi et continuent de subir des horreurs sans nom, se retirer de la Cour n’est pas une option. Ne pas en être membre ne règle rien non plus. Au lieu de fragiliser la Cour en refusant de la soutenir et de coopérer, les États parties aussi bien que les parties non étatiques devraient unir leurs efforts pour faire de la Cour une institution solide et efficace qui réponde aux objectifs de ses fondateurs, à savoir administrer la justice pénale internationale en toute impartialité, contribuer à la lutte contre l’impunité et promouvoir le respect de l’état de droit et des droits de l’homme. Nous devons aux victimes de ces crimes atroces de renforcer la Cour pénale internationale, pas de l’affaiblir, et de réaffirmer notre attachement au Statut de Rome et notre détermination à « mettre un terme à l’impunité des auteurs de ces crimes et à concourir ainsi à la prévention de nouveaux crimes ».
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