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L’Impunité au Soudan du Sud doit être urgemment combattue

Publié le, 13 août 2015 par M. Adama DIENG

Par Adama Dieng

Secrétaire général adjoint des Nations Unies/

Conseiller Spécial du Secrétaire général pour la Prévention du génocide

 Les forces alliées aux deux principales parties au conflit qui secoue le Soudan du Sud, le Président Salva Kiir et M. Riek Machar continuent à infliger douleur, souffrances et désespoir au peuple du Soudan du Sud à cause de leur refus de prendre les mesures nécessaires pour mettre un terme à la guerre civile.  Depuis le début des affrontements en décembre 2013, les forces gouvernementales tout comme celles de la rébellion sont présumées avoir commis de graves violations des droits de l’homme et du droit humanitaire international en perpétrant notamment des exécutions extrajudiciaires, des viols collectifs, des actes de torture, des détentions arbitraires, des pillages et des déplacements forcés de population, et auraient attaqué des personnes et des sites protégés, y compris des membres du personnel et des biens des Nations Unies.  En juin cette année, les Nations Unies ont fait état de la perpétration par des forces gouvernementales d’attaques odieuses contre des civils dans l’État d’Unité, y compris des viols collectifs de femmes et de jeunes filles, dont certaines auraient été brulées vives. La sauvagerie et la cruauté des ces attaques dépassent l’imagination.  Des milliers de civils ont été tués à ce jour ; plus d’un million et demi de personnes ont été déplacées ; et environ sept cent mille personnes ont cherché refuge dans les pays voisins.  Eu égard à leur caractère généralisé et systématique certaines des attaques perpétrés contre des civils, pourraient être constitutives de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, et les personnes qui en sont responsables devraient être mises en demeure d’en répondre.

Alors que le peuple du Soudan du Sud continue à constituer la partie de la population qui souffle le plus du conflit, ses dirigeants participent à des séries de négociations incessantes qui les amènent à aller et venir entre le Soudan du Sud, Addis Ababa (Éthiopie) et Dar es Salam (Tanzanie).  Ces négociations n’ont jusqu’ici produit aucun résultat sérieux ou atténué de quelque manière que ce soit les souffrances des Soudanais du Sud.  Les combats se poursuivent sans relâche, de même que les violations et les abus imputables aux deux parties.  Et ce, en dépit des efforts soutenus que déploient l’Autorité intergouvernementale sur le développement (IGAD), le Chama Cha Mapinduzi, le parti au pouvoir en Tanzanie, et l’African National Congress (ANC), le parti au pouvoir en Afrique du Sud.  Il y a lieu de nous poser la question de savoir si la vie des Soudanais du Sud compte réellement pour Salva Kiir et Riek Machar, ou pour leurs voisins, les dirigeants régionaux, ou pour le reste du monde. 

Je fais partie des personnes chez lesquelles la création le 7 mars 2014 d’une Commission d’enquête de l’Union africaine sur le Soudan du Sud, la première du genre à être établie depuis la naissance de l’Union africaine, avait fait naître de grands espoirs.  La Commission avait pour mission d’entreprendre des enquêtes sur les allégations de violations de droits de l’homme commises durant le conflit, d’en apprécier les causes profondes et, chose plus importante encore, de formuler des recommandations sur l’obligation de rendre compte, la réconciliation et les moyens à mettre en œuvre pour dissuader et empêcher la recrudescence des violations à l’avenir.  Olusegun Obasanjo, éminent homme d’état du Nigéria et ancien Président de ce pays a été désigné pour diriger la Commission. 

C’est avec des sentiments mitigés que la création de la Commission a été accueillie.  Certains y ont vu une manière de faire obstacle à l’ouverture d’une enquête des Nations Unies qui aurait pu recommander la traduction en justice des dirigeants responsables de crimes commis au Soudan du Sud.  Personnellement, j’étais ravi de voir que pour une fois, l’Union africaine avait démontré sa volonté de s’attaquer à l’impunité qui trop souvent a accompagné les actes de violence perpétrés sur le continent africain.  Je considérais qu’une enquête réussie enverrait un message fort visant à faire savoir que cet Organisme régional ne soustrairait pas du bras de la justice les dirigeants politiques responsables de crimes commis contre leur peuple.  Dans l’article que j’ai publié le 9 avril 2014 à l’effet de faire écho à l’initiative de l’Union africaine, j’avais également lancé une mise en garde visant à faire savoir que le monde garderait les yeux ouverts pour voir si l’Union africaine tiendrait sa promesse.  Près d’un an après la finalisation de sa mission, et six mois après que la Commission d’enquête eut soumis son rapport au Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine (CPSUA) la seule réaction qui s’observe de la part de celui-ci est un silence assourdissant. Le CPSUA a jusqu’ici évité de discuter les conclusions de la Commission lesquelles n’ont pas été rendues public.  Aucune action n’a été entreprise en vue de la mise en œuvre de ses recommandations.

Quand j’ai rencontré le Président Kiir et M. Reik Macha au Soudan du Sud en avril 2014, tous deux avaient déclaré leur engagement en faveur du respect du principe de la reddition des comptes et avaient promis que les personnes responsables des atrocités commises seraient traduites en justice. Ils avaient tous deux affirmé qu’ils appuieraient l’inclusion de mesures visant à faire respecter le principe de la reddition des comptes dans un accord de paix global.  De fait, dans l’accord initial signé en janvier 2015, ils s’étaient engagés à mettre en place un mécanisme judiciaire destiné à juger les personnes qui avaient commis des atrocités.

 Cela étant, comment peut-on expliquer le fait que le rapport de la Commission d’enquête ait été bloqué? Ce serait une erreur de croire qu’une paix durable, la réconciliation et l’apaisement des tensions au niveau national pourront se réaliser au Soudan du Sud sans que l’obligation de rendre compte qui s’impose à tous ne s’applique sous une forme ou une autre au regard des crimes commis. L’amnistie n’est pas envisageable. Au demeurant, les personnes qui s’opposent à l’application du principe de la reddition des comptes pourraient être considérées comme encourageant indirectement les atrocités commises au Soudan du Sud, en en protégeant les auteurs.

Le mantra « Solutions africaines aux problèmes africains » sonne creux s’il n’est pas appuyé par l’action.  L’Afrique doit défendre son peuple.  Les dirigeants qui se retournent contre leur propre peuple et leur infligent le type de souffrances dont nous avons été témoins au Soudan du Sud n’ont pas l’intégrité morale pour jouer le rôle de responsables.

J’exhorte le Sommet de l’Union africaine dont la tenue est prévue au début du mois d’août 2015 de prendre la décision idoine, c’est-à-dire de rendre public le rapport de la Commission d’enquête et de mettre en œuvre ses recommandations.  Méconnaître la nécessité de rendre justice ne contribuera aucunement à résoudre le conflit qui déchire le Soudan du Sud.  Il nous faut mettre fin au cycle de l’impunité qui est en train d’alimenter le conflit.  Faute de cela, nous trahirons le peuple du Soudan du Sud, et nous nous déroberons une fois de plus devant la responsabilité que nous avons de protéger nos populations contre le génocide et les crimes de guerre, les purifications ethniques et les crimes contre l’humanité.