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Par Alioune NDIAYE, Diplômé de l’Institut Universitaires des Hautes Etudes Internationales de Genève.

E mail : ndiayea9@hei.unige.ch

L’intervention de la Chine dans la crise du Darfour n’a pas à mon humble avis fait l’objet de toute l’attention et de toute l’étude qu’il faut au niveau africain. Dans la plupart des cas, on s’est contenté dans une péroraison quasi-mimétique, de reprendre les arguments « droit-de-l-hommistes» des puissances occidentales dont les intérêts dans cette affaire sont asymétriques avec ceux des Etats africains.

Il ne s’agit point dans cet article d’accepter ce qui est entrain de se passer dans ce coin meurtri du continent, ni de remettre en question les principes à la base des droits de l’Homme et du droit humanitaire qui ont besoin d’être respectés en Afrique plus que nulle part ailleurs, mais de faire une lecture de l’intervention chinoise dans la crise du Darfour, en ne prenant en compte que les intérêts à long terme du continent, tant il est vrai que l’Occident nous présente la Chine sous le prisme déformant des atteintes aux droits de l’homme et des produits dangereux, sans nous laisser nous forger notre propre opinion.

Cet article, dans une perspective purement néo-réaliste, occulte à dessein le caractère tragique du conflit du Darfour, pour essayer dans la froideur qui caractérise le plus les acteurs des relations internationales, de tirer pour l’Afrique les leçons de cette crise. Cette dernière pourrait entrainer une révolution copernicienne dans les relations internationales de par la nature et la portée de l’intervention chinoise.

L’exception du Darfour ou la rupture du « Consensus de Berlin »

La situation du Darfour a ceci d’exceptionnel, qu’elle est l’une des rares crises mettant en cause un Etat africain et qui fait l’objet de dissidences au niveau des membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU. En effet, les questions africaines ont souvent été marquées par une unanimité mécanique entre les puissances occidentales ayant un siège permanent au Conseil de Sécurité. A l’exception de quelques incursions des Etats-Unis dans des dossiers africains, qui n’avaient qu’un caractère occasionnel, les questions africaines s’expédiaient avec une relative aisance.

Cela procède de ce qu’on peut appeler le « consensus de Berlin », en référence au congrès qui porte le même nom qui a été convoqué par Bismarck pour régler les rivalités des puissances coloniales en Afrique. Même si le contexte historique n’est plus le même, avec l’indépendance « officielle » des Etats africains, il faut noter que l’esprit qui guide les puissances occidentales du Conseil de sécurité n’a pas changé. Il s’agit de ne pas gêner les intérêts de l’une d’entre elles, dans le cadre des dossiers africains. Malgré une politique en faveur de la décolonisation, les Etats-Unis ont en quelque sorte adhéré au consensus. Cette situation a été favorisée par la Guerre Froide, qui mettait les américains dans une obligation de solidarité aux puissances coloniales pour la stabilité du camp occidental. Ce n’est pas d’ailleurs un hasard, si les plus grands conflits d’intérêts mettant au prise les Etats-Unis et les puissances coloniales en Afrique, ont commencé à se faire jour après la chute du Mur de Berlin. Le meilleur exemple est la rivalité franco-américaine dans les Grands Lacs, avec la volonté des USA d’ériger un « Tutsi empire » anglophone et pro-américain, contre le soutien des français aux Hutu.

Le consensus de Berlin s’est révélé particulièrement opérant dans le cadre du Conseil sur les questions africaines, où il y avait une « convergence de vues et d’intérêts », souvent au détriment du continent. Pour les autres dossiers, les divergences occidentales se manifestaient au grand jour. La question de l’Irak a par exemple donné lieu à de sérieuses empoignades entre puissances occidentales du Conseil.

Face à ce qu’on peut considérer comme un désintérêt ou du moins, un engagement moindre sur les questions africaines, de la part des autres membres permanents du Conseil, le « Consensus de Berlin » ne pouvait que fonctionner à merveille, au détriment du continent dont les intérêts étaient laissés entre les mains de ses pires prédateurs. Dans une situation pareille, les intérêts de l’Afrique ne pouvaient point être préservés.

Le veto de la Chine sur les résolutions concernant le Darfour, marque la fin de l’emprise du

Consensus de Berlin sur les affaires africaines dans le cadre du conseil de sécurité. Il peut et doit être perçu par les africains comme un appel du pied pour une prise en charge de leurs intérêts au niveau du Conseil. De ce point de vue, il n’est pas sans rappeler le veto des Etats-Unis sur toutes les résolutions concernant Israël, faisant dire à certains spécialistes des relations internationales que l’Etat hébreu est de fait un membre permanent du Conseil, car même s il n’y siège pas il y trouve un fervent défenseur de ses intérêts.

On aurait facilement imaginé, sans cette position de la Chine avec quelle facilité, les résolutions contre le Soudan, qui au demeurant mérite une sanction, passeraient comme celles sur la Côte d’Ivoire. La facilité avec laquelle on expédie les affaires africaines au niveau du Conseil procède donc de ce consensus entre ses principaux acteurs occidentaux, du désintérêt de la Russie de l’Afrique depuis la fin de la Guerre Froide et des ambitions encore embryonnaires de la Chine dans le continent.

Dès lors, ce signal fort envoyé par la Chine à l’Afrique devrait avoir le répondant qu’il faut, car il n’est ni plus ni moins qu’un « grand bond » en Afrique.

Le grand bond de la Chine en Afrique

Comme l’ensemble des pays communistes, la Chine a beaucoup soutenu les mouvements de lutte contre la décolonisation, ainsi que les Etats africains nouvellement indépendants. Le soutien à la décolonisation était logique et procédait d’une conception idéologique commune à toutes les déclinaisons du communisme, et qui voyait la colonisation comme la forme ultime du capitalisme. Pour Lénine il y avait un lien structurel entre les deux. « Le capitalisme arrivé à un stade de développement où s’est affirmée la domination des monopoles et du capital financier, où l’exportation des capitaux a acquis une importance de premier plan, où le partage du monde a commencé entre les trusts internationaux et où s’est achevé le partage de tout le territoire du globe entre les plus grands pays capitalistes. »1

Le soutien aux pays africains nouvellement indépendants quant à lui était le fruit de la guerre froide avec la volonté de chacun des blocs d’élargir sa sphère d’influence. La Chine a essayé, au même titre que l’URSS, de prendre le contrôle des mouvements et partis communistes dans le monde. Ceci donnera d’ailleurs lieu à de véritables rivalités entre 1959 et 1976 dans le cadre de ce qu’on appelle la rupture sino-soviétique. Ces rivalités se sont fait sentir en Afrique, notamment en Ethiopie et en Somalie.

La Chine a financé et soutenu beaucoup de mouvements qui se sont créés en réaction au renversement de dirigeants politiques qui avaient, plus ou moins, une certaine proximité idéologique avec elle. Quoi de plus éloquent comme exemple que cette confession pour le moins déroutante de Mao à Mobutu, qui est rapportée dans le livre Mao l’histoire inconnue 2?

« Ah, Président, si vous saviez l’argent que j’ai dépensé pour vous faire renverser ! Et les sommes que j’ai investies pour vous faire assassiner ! »

A travers les programmes de coopération qui ont permis la réalisation de différentes infrastructures, la Chine entendait d’une part contrer l’avancée des pays capitalistes et des anciennes puissances coloniales et d’autre part isoler diplomatiquement Taiwan pour favoriser la politique de la « Chine unique ».

L’offensive chinoise que nous appelons ici le Grand Bond en Afrique, et dont la meilleure illustration est le sommet Chine-Afrique dont la 3eme édition s’est tenue du 3 au 5 novembre 2006, s’inscrit dans une rupture par rapport au paradigme précédent. Ce dernier était plus basé sur la réaction aux puissances dites impérialistes, que sur une stratégie claire visant à s’ouvrir des opportunités économiques et commerciales. Le grand bond en Afrique s’explique par des raisons économiques et diplomatiques.

Les raisons économiques tiennent au fait que la Chine ayant à construire une économie forte, a d’énormes besoins en matières premières dont l’Afrique est une grande pourvoyeuse. Ce faisant, elle se doit de mettre les pieds dans le continent pour trouver les ressources naturelles qui lui permettent de satisfaire l’incroyable demande de son économie. Rien que pour le pétrole en guise d’exemple, Pékin est le 2eme consommateur mondial juste après les Etats-Unis et a englouti, rien que pour l’année 2003, 7% du pétrole brut dans le monde, malgré les 3.4 millions de barils qu’elle produit par jour et qui font d’elle le 5eme producteur mondial à égalité avec l’Iran et la Norvège.3

Mais le marché africain constitue aussi un véritable débouché pour l’économie chinoise qui est basée sur une production différenciée et modulable en fonction du marché ciblé. C’est ainsi qu’on peut y retrouver aussi bien des entreprises de haute technologie, que des industries manufacturières dont les produits peuvent aisément s’imposer en Afrique.

D’autre part, Pékin en se donnant de nouvelles ambitions diplomatiques, qui se nourrissent de ses formidables résultats économiques (10.4 % en 2006 et 9.9 % sur les 20 dernières années)4, a pris conscience de la nécessité d’étendre l’horizon de sa politique extérieure en se créant de nouvelles zones d’influence. La Chine a pris conscience qu’elle ne pourra devenir une véritable puissance diplomatique que si elle est présente dans toutes les parties du globe, y compris l’Afrique.

C’est de cette relation dialectique entre le diplomatique et l’économique que se nourrissent les ambitions de Pékin, et elle entend jouer à fond ces deux cartes pour « tirer partie de l’Afrique », n’en déplaisent à ceux qui y faisaient jusque la pluie et le beau temps. Il est évident d’ailleurs que ces derniers vont déployer une véritable « grande muraille » pour contrer l’avancement de Pékin.




La « Grande Muraille » de l’Occident contre l’avancée de la Chine en Afrique

Est-il besoin de dire que cette offensive chinoise en terre africaine ne fait pas que des heureux ? Il est évident que les puissances occidentales qui profitaient du consensus de Berlin, et qui s’appropriaient les richesses du continent africain ne voient pas d’un bon œil, et ils ont dressé une « grande muraille » devant la Chine pour l’empêcher de menacer leur position monopolistique. En visitant la Chine quelques mois avant la fin de son dernier mandat Jacques Chirac affirmait avec tout le sens de la formule qu’on lui connait « La Chine est de plus en plus sensible aux problèmes internationaux. On l’a vu par sa présence de plus en plus importante et souhaitable en Afrique »5. Pour celui qui comprend la phraséologie chiraquienne, il s’agit bien là plus d’un constat diplomatiquement correct pour s’ouvrir quelques contrats juteux que de l’expression de son intime conviction. En réalité la Chine dérange au plus haut point par sa pénétration en Afrique. Ayant quadruplé au cours des cinq dernières années ces échanges avec le continent, Pékin occupe aujourd’hui le deuxième rang de ses partenaires commerciaux, juste derrière la France.

Il est souvent reproché à Pékin d’être peu regardant par rapport à la nature des régimes politiques dans les pays avec lesquels il entretient des relations commerciales, ce qui freinerait l’avancée de la démocratie en Afrique. Une telle idée a un présupposé paternaliste qui voudrait que la démocratie soit imposée de l’extérieur au continent; or en voyant ce qui est advenu du discours de la Baule, l’on se rend facilement compte des limites d’une telle conception. En effet les donneurs de leçons se révèlent souvent être les meilleurs amis des régimes dictatoriaux.

La Chine ne pourra pas imposer la démocratie en Afrique pas plus que la France, les Etats-Unis n’ont pu le faire.

Mais les arguments contre la Chine peuvent aller très loin jusqu'à même friser le ridicule, c’est ainsi que, dans certains pays occidentaux, on s’est offusqué de la présence du Zimbabwe et du Soudan lors du dernier sommet Chine-Afrique comme si, dans les autres rencontres internationales comme le sommet France-Afrique, on y retrouvait que des dirigeants « recommandables ».

Le nouveau président français a été encore plus explicite dans son discours lors de la conférence des Ambassadeurs à l’Elysée, le 27 août 2007. La Chine, disait-il, engagée dans la plus impressionnante renaissance de l’histoire de l’humanité, transforme sa quête insatiable de matières premières en stratégies de contrôle, notamment en Afrique.

Même l’ex Directeur de la Banque mondiale Paul Wolfowitz s’y est lancé dans une interview accordé au journal les Echos en demandant à la Chine de « respecter les normes » en Afrique notamment en matière de corruption.

C’est dire que l’avancée de Pékin dans le continent noir ne se fera pas sans obstacle de la part de ceux qui en détiennent jusque là un monopole sur les richesses. Mais dans un monde largement dominé par des Etats qui ont souscrit entièrement au paradigme néo-réaliste, l’Afrique ne devrait pas être la seule exception. La sauvegarde des intérêts nationaux, devrait être le seul moteur qui guide les Etats africains dans le cadre de leurs relations avec les autres Etats. Dès lors, la Chine devrait faire l’objet d’une attention particulière en ce sens qu’ils ont, pour la première fois, la possibilité d’instaurer des rapports sinon équilibrés, en tout cas moins asymétriques avec une puissance mondiale. Ce n’est pas être naïf que de croire à cette possibilité qui a été avancée de manière claire et nette dans le livre blanc sur la politique africaine de la Chine qui a été publiée en janvier 2006 dans le quel on peut lire : « la Chine œuvre à établir et développer un nouveau partenariat stratégique marqué par l’égalité et la confiance mutuelle sur le plan social et politique, la coopération dans un esprit gagnant-gagnant sur le plan économique ».

Cependant, le choix d’une coopération accrue avec la Chine à elle seule ne suffit pas, encore faut-il que celle-ci se fasse en prenant bien le soin de séparer ce qui nous est utile de ce qui est préjudiciable.

Bien Choisir entre le « Yin» et le « Yang »

Les relations internationales sont marquées par des acteurs qui n’agissent qu’en fonction de leurs intérêts. Cette vérité on ne la dira jamais assez. Dès lors, les Etats africains ne doivent pas se fier qu’aux déclarations chinoises de bonnes intentions. Il est évident que dans cette relation naissante, les Etats africains se devront d’identifier leurs intérêts pour agir conséquemment, et d’arrêter certaines dérives chinoises.

Sur le plan économique, avec l’agressivité de leur politique commerciale basée sur des prix concurrentiels à travers un yuan très bas et des coûts de production maitrisés, il y a des risques qui pèsent sur les petites et moyennes entreprises africaines. La production locale pourrait céder le pas face à ce géant industriel entrainant une hausse des importations et une augmentation du déficit de la balance commerciale. L’Afrique du Sud a dans ce sens introduit auprès de l’OMC, plusieurs actions antidumping contre la Chine, qu’elle juge responsable de la multiplication par dix du déficit de sa balance commerciale en six ans.6

Une des solutions à ce problème serait de favoriser des joint-ventures sino-africaines qui permettront de lutter contre cette menace de désindustrialisation, et de contribuer à des transferts de technologie dans des domaines comme l’agriculture et les industries manufacturières entre autres.

Sur le plan militaire, la Chine joue un rôle certain dans la multiplication des armes légères qui posent un réel problème de sécurité dans le continent. La Chine a ouvert trois usines de fabrication d’armes légères au Soudan, et des usines de fabrication de munitions au Mali et au Zimbabwe. C’est en Afrique qu’elle teste une partie de son matériel militaire comme les avions K8 qu’on retrouve en Namibie, au Soudan et au Zimbabwe.7

Accroitre la coopération avec Pékin est devenue aujourd’hui pour les Etats africains une nécessité stratégique. Cependant, cette coopération devrait se garder de tomber dans certaines dérives militaro-commerciales qui ne feront qu’accroitre l’insécurité et l’instabilité dans le continent noir. La coopération sino-africaine devrait être tournée, vers un modèle gagnant-gagnant, qui met l’accent sur l’augmentation des échanges commerciaux dans les deux sens, et aider à l’industrialisation de l’Afrique à travers des transferts de technologie. Mais il est évident que cela ne se fera pas de soi-même. Les Etats africains doivent pouvoir un tant soit peu imprimer leur marque à cette coopération bilatérale, mais ils ne pourront le faire qu’en étant unis et solidaires, ce qui on en convient tous, est un autre débat.