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Le transport public genevois : modèle d’intégration, version réduite, des étrangers
Papa Diadji Gueye
Existe-t-il des sièges pour « gens de couleur » et des
sièges pour « gens transparents et incolores » dans les bus de transport en commun à
Genève ? L’observation du comportement des passagers dans les bus TPG (Transport Public Genevois) semble
traduire une distance imperturbable entre les africains et les indigènes, ce qui soumet à rude épreuve
les politiques d’intégration préconisées par les autorités. Que peuvent bien valoir les
lois protectrices et les normes sociales au sanctuaire de la dissidence lorsque les prescriptions fédérales ne
sont pas retranscrites en acte et adoptées par la population locale ?
L’Afrique du Sud
d’avant 1994 a ployé sous la circulation des autocars de transport en commun avec un espace pour blancs et un
espace pour noirs. Au pays de l’Oncle Sam d’avant 1954, particulièrement dans les Etats du sud, un
phénomène analogue a scandé le quotidien d’une population mixte pendant des lustres. Aurait-on
voyagé dans le temps pour atterrir sur une Genève internationale devenue sans pigmentation ? Il
semblerait qu’à l’heure où l’Internet, la photo numérique, le téléphone
sans fil et l’ordinateur portable sont devenus vieux jeu, le dialogue des cultures et la révolution
civilisationnelle ne soient encore qu’utopie. Pour se déplacer en bus TPG les africains ne cessent
d’assister au spectacle inavouable de la mise au ban par une bonne part des nationaux et d’une prudence
injustifiée, lorsqu’ils prennent place sur des sièges conçus pour plusieurs. Sont-ils pour autant
mal fagotés et épouvantables, revêches et patibulaires inspirant dégout par instinct ?
C’est comme si on avait affaire à des rase-mottes à l’haleine fétide, des
chiens enragés à l’esthétique dégarnie, des vermines balafrées à
l’allure suspecte, des gougnafiers entravés en mal de mobilité, des sacripants miteux à
l’exhalaison pestilentielle, des créatures hideuses à la plastique douteuse…
Pourtant, reconnaît Jérôme, originaire du Congo, « je suis très souvent en costard
pour me rendre au travail, et je choisis exprès de me mettre près de la fenêtre pour laisser
l’accès libre, mais ils ont quand même beaucoup de peine à s’asseoir sur le même
siège que moi ». Il semble que quelque guindé que l’on soit, drapé dans son
costume de grand couturier au cachet Yves Saint-Laurent, ou dans sa robe moulante aux effluves Christian Dior, la
personne dite « de couleur » apparaît peu recommandable dans l’espace TPG.
On
aurait compris qu’après une longue journée, assis sur sa chaise au bureau, on ait envie de se
dégourdir un peu les jambes en restant debout pendant le trajet en bus, « mais lorsqu’une place se
libère ailleurs, on les voit se précipiter pour s’installer », atteste Fatima, une
ressortissante de Guinée.
Cette parodie de peur que ferait poindre l’homme noir sur
la population suisse ne semble pas concerner toutes les couches de la population. La jeunesse ne paraît montrer aucune
retenue vis-à-vis des autres à l’apparence différente : « les adolescents
n’hésitent jamais quand il faut occuper des sièges à côté des personnes noires, par
contre je dois préciser que certaines personnes âgées, n’ayant nul autre choix, car affaiblies
par l’âge, se mettent parfois à l’extrême bout du siège et nous tournent ainsi
le dos » bémolise Julien, originaire de Côte d’Ivoire.
Il ressort de cette
remarque que l’impossibilité de trouver une solution alternative incite certains nationaux à accepter la
courtoisie pour s’asseoir sur les sièges au même titre que les africains, mais tout ceci se fait
sur le qui-vive, c’est-à-dire tout en établissant une certaine distance entre soi et l’autre,
jetant de temps à autre, un regard furtif, une situation d’alerte maximale, comme pour dire qu’au moindre
danger venant de l’autre, je me sauve.
D’une telle note il sied de tirer deux
enseignements : le premier concerne la perception énergiquement erronée que l’étranger et le
dangereux, c’est l’africain car il est le plus ostensible. Les autres nationalités, parce que moins
colorées, se diluent dans un assemble dépigmenté, affranchies qu’elles sont par une
morphologie et une anatomie moins visibles, ce qui fait qu’on ne les perçoit pas comme des
étrangers : tziganes, français, allemands, portugais, américains… sont à peine
distinctifs.
Le deuxième touche aux invites des politiques intégrationnistes. On assimile
généralement l’intégration à la participation des étrangers aux tissus politique,
économique et socioculturel. Elle perd toutefois sa pertinence lorsqu’elle ne se limite qu’à une
tentative d’adhésion des étrangers au commerce communautaire. Elle ne peut passer outre la
volonté de partage des biens publics et l’acceptation de l’autre par les indigènes. Serge Feld et
Altay Manço (20028) ne disent pas autre chose quand ils affirment que « l’intégration
sociale n’est pas un objectif que l’on pourrait fixer pour les seuls immigrés ». Celle
-ci aura toujours un long chemin à parcourir dans ce duel au néon dans un monde en quête de
références et de justice sociale, lorsque l’accessibilité aux institutions locales à
travers une rupture de la volonté d’ancrage imperturbable des nationaux aux ferments de la vie politique
économique et socioculturelle n’est pas rendue évidente. Les lois protectrices et les discours
assimilateurs ne révèlent-ils pas une efficacité douteuse lorsqu’ils ne sont pas mis en
application par la population locale ? L’action intégrationniste, pour être réelle, se doit
d’émaner aussi bien des étrangers que des nationaux. Elle ne peut nullement être une
résolution unilatérale, à moins de se réduire à sa simple version revue,
érodée et amochée.
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