Compte Utilisateur
Audios
Souscription
Le groupe
Directeur de publication
· Elh Gorgui W NDOYE
Rédacteur en chef
· Elh Gorgui W NDOYE
Comité de Rédaction
·
El hadji
DIOUF
·
Papa Djadji Guèye
·
Responsable Informatique
· Alassane DIOP
Responsable Gestion
· Cécile QUAN
Webmaster
· REDACTION
Contact
Salle de Presse
N0 1 Box 35
8, Avenue de la
Paix Palais des Nations Unies
1211- Genève 10 Genève Suisse.
Téléphones
+41 22 917 37 89
+41 76 446 86 04
Service
Téléphone
· Suisse:
+41(22)917 37-89
+41(76)446-86-04
Ou envoyez un courriel à Info@ContinentPremier.com
Autres Liens
Allocution de M. Nicolas SARKOZY, Président de la République, prononcée à l'Université de Dakar.
Dakar, Sénégal, le 26 juillet 2007
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi de remercier d'abord le gouvernement et le peuple
sénégalais de leur accueil si chaleureux. Permettez-moi de remercier l'université de Dakar qui me permet pour la première
fois de m'adresser à l'élite de la jeunesse africaine en tant que Président de la République française.
Je suis venu vous parler avec la franchise et la sincérité que l'on doit à des amis que l'on aime et que l'on
respecte. J'aime l'Afrique, je respecte et j'aime les Africains.
Entre le Sénégal et la France,
l'histoire a tissé les liens d'une amitié que nul ne peut défaire. Cette amitié est forte et sincère. C'est pour cela que
j'ai souhaité adresser, de Dakar, le salut fraternel de la France à l'Afrique toute entière.
Je veux, ce soir,
m'adresser à tous les Africains qui sont si différents les uns des autres, qui n'ont pas la même langue, qui n'ont pas
la même religion, qui n'ont pas les mêmes coutumes, qui n'ont pas la même culture, qui n'ont pas la même histoire et qui
pourtant se reconnaissent les uns les autres comme des Africains. Là réside le premier mystère de l'Afrique.
Oui, je veux m'adresser à tous les habitants de ce continent meurtri, et, en particulier, aux jeunes, à vous qui vous êtes
tant battus les uns contre les autres et souvent tant haïs, qui parfois vous combattez et vous haïssez encore mais qui
pourtant vous reconnaissez comme frères, frères dans la souffrance, frères dans l'humiliation, frères dans la révolte,
frères dans l'espérance, frères dans le sentiment que vous éprouvez d'une destinée commune, frères à travers cette foi
mystérieuse qui vous rattache à la terre africaine, foi qui se transmet de génération en génération et que l'exil lui-même
ne peut effacer.
Je ne suis pas venu, jeunes d'Afrique, pour pleurer avec vous sur les malheurs de
l'Afrique. Car l'Afrique n'a pas besoin de mes pleurs.
Je ne suis pas venu, jeunes d'Afrique,
pour m'apitoyer sur votre sort parce que votre sort est d'abord entre vos mains. Que feriez-vous, fière jeunesse
africaine de ma pitié ?
Je ne suis pas venu effacer le passé car le passé ne s'efface pas.
Je ne suis pas venu nier les fautes ni les crimes car il y a eu des fautes et il y a eu des crimes.
Il y a eu la traite négrière, il y a eu l'esclavage, les hommes, les femmes, les enfants achetés et
vendus comme des marchandises. Et ce crime ne fut pas seulement un crime contre les Africains, ce fut un crime contre
l'homme, ce fut un crime contre l'humanité toute entière.
Et l'homme noir qui éternellement «
entend de la cale monter les malédictions enchaînées, les hoquettements des mourants, le bruit de l'un d'entre eux qu'on
jette à la mer ». Cet homme noir qui ne peut s'empêcher de se répéter sans fin « Et ce pays cria pendant des siècles que
nous sommes des bêtes brutes ». Cet homme noir, je veux le dire ici à Dakar, a le visage de tous les hommes du monde.
Cette souffrance de l'homme noir, je ne parle pas de l'homme au sens du sexe, je parle de l'homme au
sens de l'être humain et bien sûr de la femme et de l'homme dans son acceptation générale. Cette souffrance de l'homme
noir, c'est la souffrance de tous les hommes. Cette blessure ouverte dans l'âme de l'homme noir est une blessure ouverte
dans l'âme de tous les hommes.
Mais nul ne peut demander aux générations d'aujourd'hui d'expier ce crime
perpétré par les générations passées. Nul ne peut demander aux fils de se repentir des fautes de leurs pères.
Jeunes d'Afrique, je ne suis pas venu vous parler de repentance. Je suis venu vous dire que je ressens la
traite et l'esclavage comme des crimes envers l'humanité. Je suis venu vous dire que votre déchirure et votre souffrance
sont les nôtres et sont donc les miennes.
Je suis venu vous proposer de regarder ensemble, Africains
et Français, au-delà de cette déchirure et au-delà de cette souffrance.
Je suis venu vous proposer,
jeunes d'Afrique, non d'oublier cette déchirure et cette souffrance qui ne peuvent pas être oubliées, mais de les
dépasser.
Je suis venu vous proposer, jeunes d'Afrique, non de ressasser ensemble le passé mais
d'en tirer ensemble les leçons afin de regarder ensemble l'avenir.
Je suis venu, jeunes d'Afrique,
regarder en face avec vous notre histoire commune.
L'Afrique a sa part de responsabilité dans son
propre malheur. On s'est entretué en Afrique au moins autant qu'en Europe. Mais il est vrai que jadis, les Européens sont
venus en Afrique en conquérants. Ils ont pris la terre de vos ancêtres. Ils ont banni les dieux, les langues, les croyances,
les coutumes de vos pères. Ils ont dit à vos pères ce qu'ils devaient penser, ce qu'ils devaient croire, ce qu'ils
devaient faire. Ils ont coupé vos pères de leur passé, ils leur ont arraché leur âme et leurs racines. Ils ont désenchanté
l'Afrique.
Ils ont eu tort.
Ils n'ont pas vu la profondeur et la richesse
de l'âme africaine. Ils ont cru qu'ils étaient supérieurs, qu'ils étaient plus avancés, qu'ils étaient le progrès,
qu'ils étaient la civilisation.
Ils ont eu tort.
Ils ont voulu convertir
l'homme africain, ils ont voulu le façonner à leur image, ils ont cru qu'ils avaient tous les droits, ils ont cru qu'ils
étaient tout puissants, plus puissants que les dieux de l'Afrique, plus puissants que l'âme africaine, plus puissants que
les liens sacrés que les hommes avaient tissés patiemment pendant des millénaires avec le ciel et la terre d'Afrique, plus
puissants que les mystères qui venaient du fond des âges.
Ils ont eu tort.
Ils ont abîmé un art de vivre. Ils ont abîmé un imaginaire merveilleux. Ils ont abîmé une sagesse ancestrale.
Ils
ont eu tort.
Ils ont créé une angoisse, un mal de vivre. Ils ont nourri la haine. Ils ont rendu plus
difficile l'ouverture aux autres, l'échange, le partage parce que pour s'ouvrir, pour échanger, pour partager, il faut
être assuré de son identité, de ses valeurs, de ses convictions. Face au colonisateur, le colonisé avait fini par ne plus
avoir confiance en lui, par ne plus savoir qui il était, par se laisser gagner par la peur de l'autre, par la crainte de
l'avenir.
Le colonisateur est venu, il a pris, il s'est servi, il a exploité, il a pillé des
ressources, des richesses qui ne lui appartenaient pas. Il a dépouillé le colonisé de sa personnalité, de sa liberté, de sa
terre, du fruit de son travail.
Il a pris mais je veux dire avec respect qu'il a aussi donné. Il a
construit des ponts, des routes, des hôpitaux, des dispensaires, des écoles. Il a rendu fécondes des terres vierges, il a
donné sa peine, son travail, son savoir. Je veux le dire ici, tous les colons n'étaient pas des voleurs, tous les colons
n'étaient pas des exploiteurs.
Il y avait parmi eux des hommes mauvais mais il y avait aussi des
hommes de bonne volonté, des hommes qui croyaient remplir une mission civilisatrice, des hommes qui croyaient faire le
bien. Ils se trompaient mais certains étaient sincères. Ils croyaient donner la liberté, ils créaient l'aliénation. Ils
croyaient briser les chaînes de l'obscurantisme, de la superstition, de la servitude. Ils forgeaient des chaînes bien plus
lourdes, ils imposaient une servitude plus pesante, car c'étaient les esprits, c'étaient les âmes qui étaient asservis.
Ils croyaient donner l'amour sans voir qu'ils semaient la révolte et la haine.
La colonisation
n'est pas responsable de toutes les difficultés actuelles de l'Afrique. Elle n'est pas responsable des guerres sanglantes
que se font les Africains entre eux. Elle n'est pas responsable des génocides. Elle n'est pas responsable des dictateurs.
Elle n'est pas responsable du fanatisme. Elle n'est pas responsable de la corruption, de la prévarication. Elle n'est pas
responsable des gaspillages et de la pollution.
Mais la colonisation fut une grande faute qui fut
payée par l'amertume et la souffrance de ceux qui avaient cru tout donner et qui ne comprenaient pas pourquoi on leur en
voulait autant.
La colonisation fut une grande faute qui détruisit chez le colonisé l'estime de soi
et fit naître dans son cœur cette haine de soi qui débouche toujours sur la haine des autres.
La
colonisation fut une grande faute mais de cette grande faute est né l'embryon d'une destinée commune. Et cette idée me
tient particulièrement à cœur.
La colonisation fut une faute qui a changé le destin de l'Europe et
le destin de l'Afrique et qui les a mêlés. Et ce destin commun a été scellé par le sang des Africains qui sont venus
mourir dans les guerres européennes.
Et la France n'oublie pas ce sang africain versé pour sa
liberté.
Nul ne peut faire comme si rien n'était arrivé.
Nul ne peut faire
comme si cette faute n'avait pas été commise.
Nul ne peut faire comme si cette histoire n'avait pas
eu lieu.
Pour le meilleur comme pour le pire, la colonisation a transformé l'homme africain et
l'homme européen.
Jeunes d'Afrique, vous êtes les héritiers des plus vieilles traditions
africaines et vous êtes les héritiers de tout ce que l'Occident a déposé dans le cœur et dans l'âme de l'Afrique.
Jeunes d'Afrique, la civilisation européenne a eu tort de se croire supérieure à celle de vos ancêtres,
mais désormais la civilisation européenne vous appartient aussi.
Jeunes d'Afrique, ne cédez pas à
la tentation de la pureté parce qu'elle est une maladie, une maladie de l'intelligence, et qui est ce qu'il y a de plus
dangereux au monde.
Jeunes d'Afrique, ne vous coupez pas de ce qui vous enrichit, ne vous amputez
pas d'une part de vous-même. La pureté est un enfermement, la pureté est une intolérance. La pureté est un fantasme qui
conduit au fanatisme.
Je veux vous dire, jeunes d'Afrique, que le drame de l'Afrique n'est pas
dans une prétendue infériorité de son art, sa pensée, de sa culture. Car, pour ce qui est de l'art, de la pensée et de la
culture, c'est l'Occident qui s'est mis à l'école de l'Afrique.
L'art moderne doit presque
tout à l'Afrique. L'influence de l'Afrique a contribué à changer non seulement l'idée de la beauté, non seulement le
sens du rythme, de la musique, de la danse, mais même dit Senghor, la manière de marcher ou de rire du monde du XXème
siècle.
Je veux donc dire, à la jeunesse d'Afrique, que le drame de l'Afrique ne vient pas de ce
que l'âme africaine serait imperméable à la logique et à la raison. Car l'homme africain est aussi logique et raisonnable
que l'homme européen.
C'est en puisant dans l'imaginaire africain que vous ont légué vos ancêtres,
c'est en puisant dans les contes, dans les proverbes, dans les mythologies, dans les rites, dans ces formes qui, depuis
l'aube des temps, se transmettent et s'enrichissent de génération en génération que vous trouverez l'imagination et la
force de vous inventer un avenir qui vous soit propre, un avenir singulier qui ne ressemblera à aucun autre, où vous vous
sentirez enfin libres, libres, jeunes d'Afrique d'être vous-mêmes, libres de décider par vous-mêmes.
Je suis venu vous dire que vous n'avez pas à avoir honte des valeurs de la civilisation africaine, qu'elles ne
vous tirent pas vers le bas mais vers le haut, qu'elles sont un antidote au matérialisme et à l'individualisme qui
asservissent l'homme moderne, qu'elles sont le plus précieux des héritages face à la déshumanisation et à l'aplatissement
du monde.
Je suis venu vous dire que l'homme moderne qui éprouve le besoin de se réconcilier avec
la nature a beaucoup à apprendre de l'homme africain qui vit en symbiose avec la nature depuis des millénaires.
Je suis venu vous dire que cette déchirure entre ces deux parts de vous-mêmes est votre plus grande force, et
votre plus grande faiblesse selon que vous vous efforcerez ou non d'en faire la synthèse.
Mais je
suis aussi venu vous dire qu'il y a en vous, jeunes d'Afrique, deux héritages, deux sagesses, deux traditions qui se sont
longtemps combattues : celle de l'Afrique et celle de l'Europe.
Je suis venu vous dire que cette
part africaine et cette part européenne de vous-mêmes forment votre identité déchirée.
Je ne suis
pas venu, jeunes d'Afrique, vous donner des leçons.
Je ne suis pas venu vous faire la morale.
Mais je suis venu vous dire que la part d'Europe qui est en vous est le fruit d'un grand péché
d'orgueil de l'Occident mais que cette part d'Europe en vous n'est pas indigne.
Car elle est
l'appel de la liberté, de l'émancipation et de la justice et de l'égalité entre les femmes et les hommes.
Car
elle est l'appel à la raison et à la conscience universelles.
Le drame de l'Afrique, c'est que
l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les
saisons, dont l'idéal de vie est d'être en harmonie avec la nature, ne connaît que l'éternel recommencement du temps
rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles.
Dans cet imaginaire où tout
recommence toujours, il n'y a de place ni pour l'aventure humaine, ni pour l'idée de progrès.
Dans cet univers où la nature commande tout, l'homme échappe à l'angoisse de l'histoire qui tenaille l'homme moderne
mais l'homme reste immobile au milieu d'un ordre immuable où tout semble être écrit d'avance.
Jamais l'homme ne s'élance vers l'avenir. Jamais il ne lui vient à l'idée de sortir de la répétition pour s'inventer un
destin.
Le problème de l'Afrique et permettez à un ami de l'Afrique de le dire, il est là. Le défi
de l'Afrique, c'est d'entrer davantage dans l'histoire. C'est de puiser en elle l'énergie, la force, l'envie, la
volonté d'écouter et d'épouser sa propre histoire.
Le problème de l'Afrique, c'est de cesser de
toujours répéter, de toujours ressasser, de se libérer du mythe de l'éternel retour, c'est de prendre conscience que
l'âge d'or qu'elle ne cesse de regretter, ne reviendra pas pour la raison qu'il n'a jamais existé.
Le problème de l'Afrique, c'est qu'elle vit trop le présent dans la nostalgie du paradis perdu de l'enfance.
Le problème de l'Afrique, c'est que trop souvent elle juge le présent par rapport à une pureté des
origines totalement imaginaire et que personne ne peut espérer ressusciter.
Le problème de
l'Afrique, ce n'est pas de s'inventer un passé plus ou moins mythique pour s'aider à supporter le présent mais de
s'inventer un avenir avec des moyens qui lui soient propres.
Le problème de l'Afrique, ce n'est
pas de se préparer au retour du malheur, comme si celui-ci devait indéfiniment se répéter, mais de vouloir se donner les
moyens de conjurer le malheur, car l'Afrique a le droit au bonheur comme tous les autres continents du monde.
Le problème de l'Afrique, c'est de rester fidèle à elle-même sans rester immobile.
Le
défi de l'Afrique, c'est d'apprendre à regarder son accession à l'universel non comme un reniement de ce qu'elle est
mais comme un accomplissement.
Le défi de l'Afrique, c'est d'apprendre à se sentir l'héritière de
tout ce qu'il y a d'universel dans toutes les civilisations humaines.
C'est de s'approprier les
droits de l'homme, la démocratie, la liberté, l'égalité, la justice comme l'héritage commun de toutes les civilisations
et de tous les hommes.
C'est de s'approprier la science et la technique modernes comme le produit
de toute l'intelligence humaine.
Le défi de l'Afrique est celui de toutes les civilisations, de
toutes les cultures, de tous les peuples qui veulent garder leur identité sans s'enfermer parce qu'ils savent que
l'enfermement est mortel.
Les civilisations sont grandes à la mesure de leur participation au grand
métissage de l'esprit humain.
La faiblesse de l'Afrique qui a connu sur son sol tant de
civilisations brillantes, ce fut longtemps de ne pas participer assez à ce grand métissage. Elle a payé cher, l'Afrique,
ce désengagement du monde qui l'a rendue si vulnérable. Mais, de ses malheurs, l'Afrique a tiré une force nouvelle en se
métissant à son tour. Ce métissage, quelles que fussent les conditions douloureuses de son avènement, est la vraie force et
la vraie chance de l'Afrique au moment où émerge la première civilisation mondiale.
La civilisation
musulmane, la chrétienté, la colonisation, au-delà des crimes et des fautes qui furent commises en leur nom et qui ne sont
pas excusables, ont ouvert les cœurs et les mentalités africaines à l'universel et à l'histoire.
Ne vous laissez pas, jeunes d'Afrique, voler votre avenir par ceux qui ne savent opposer à l'intolérance que
l'intolérance, au racisme que le racisme.
Ne vous laissez pas, jeunes d'Afrique, voler votre avenir
par ceux qui veulent vous exproprier d'une histoire qui vous appartient aussi parce qu'elle fut l'histoire douloureuse
de vos parents, de vos grands-parents et de vos aïeux.
N'écoutez pas, jeunes d'Afrique, ceux qui
veulent faire sortir l'Afrique de l'histoire au nom de la tradition parce qu'une Afrique ou plus rien ne changerait
serait de nouveau condamnée à la servitude.
N'écoutez pas, jeunes d'Afrique, ceux qui veulent vous
empêcher de prendre votre part dans l'aventure humaine, parce que sans vous, jeunes d'Afrique qui êtes la jeunesse du
monde, l'aventure humaine sera moins belle.
N'écoutez pas jeunes d'Afrique, ceux qui veulent vous
déraciner, vous priver de votre identité, faire table rase de tout ce qui est africain, de toute la mystique, la
religiosité, la sensibilité, la mentalité africaine, parce que pour échanger il faut avoir quelque chose à donner, parce que
pour parler aux autres, il faut avoir quelque chose à leur dire.
Ecoutez plutôt, jeunes d'Afrique,
la grande voix du Président Senghor qui chercha toute sa vie à réconcilier les héritages et les cultures au croisement
desquels les hasards et les tragédies de l'histoire avaient placé l'Afrique.
Il disait, lui
l'enfant de Joal, qui avait été bercé par les rhapsodies des griots, il disait : « nous sommes des métis culturels, et si
nous sentons en nègres, nous nous exprimons en français, parce que le français est une langue à vocation universelle, que
notre message s'adresse aussi aux Français et aux autres hommes ».
Il disait aussi : « le français
nous a fait don de ses mots abstraits -si rares dans nos langues maternelles. Chez nous les mots sont naturellement nimbés
d'un halo de sève et de sang ; les mots du français eux rayonnent de mille feux, comme des diamants. Des fusées qui
éclairent notre nuit ».
Ainsi parlait Léopold Senghor qui fait honneur à tout ce que l'humanité
comprend d'intelligence. Ce grand poète et ce grand Africain voulait que l'Afrique se mit à parler à toute l'humanité et
lui écrivait en français des poèmes pour tous les hommes.
Ces poèmes étaient des chants qui
parlaient, à tous les hommes, d'êtres fabuleux qui gardent des fontaines, chantent dans les rivières et qui se cachent
dans les arbres.
Des poèmes qui leur faisaient entendre les voix des morts du village et des
ancêtres.
Des poèmes qui faisaient traverser des forêts de symboles et remonter jusqu'aux sources
de la mémoire ancestrale que chaque peuple garde au fond de sa conscience comme l'adulte garde au fond de la sienne le
souvenir du bonheur de l'enfance.
Car chaque peuple a connu ce temps de l'éternel présent, où il cherchait non
à dominer l'univers mais à vivre en harmonie avec l'univers. Temps de la sensation, de l'instinct, de l'intuition.
Temps du mystère et de l'initiation. Temps mystique où le sacré était partout, où tout était signes et correspondances.
C'est le temps des magiciens, des sorciers et des chamanes. Le temps de la parole qui était grande, parce qu'elle se
respecte et se répète de génération en génération, et transmet, de siècle en siècle, des légendes aussi anciennes que les
dieux.
L'Afrique a fait se ressouvenir à tous les peuples de la terre qu'ils avaient partagé la
même enfance. L'Afrique en a réveillé les joies simples, les bonheurs éphémères et ce besoin, ce besoin auquel je crois
moi-même tant, ce besoin de croire plutôt que de comprendre, ce besoin de ressentir plutôt que de raisonner, ce besoin
d'être en harmonie plutôt que d'être en conquête.
Ceux qui jugent la culture africaine arriérée,
ceux qui tiennent les Africains pour de grands enfants, tous ceux-là ont oublié que la Grèce antique qui nous a tant appris
sur l'usage de la raison avait aussi ses sorciers, ses devins, ses cultes à mystères, ses sociétés secrètes, ses bois
sacrés et sa mythologie qui venait du fond des âges et dans laquelle nous puisons encore, aujourd'hui, un inestimable
trésor de sagesse humaine.
L'Afrique qui a aussi ses grands poèmes dramatiques et ses légendes
tragiques, en écoutant Sophocle, a entendu une voix plus familière qu'elle ne l'aurait crû et l'Occident a reconnu dans
l'art africain des formes de beauté qui avaient jadis été les siennes et qu'il éprouvait le besoin de ressusciter.
Alors entendez, jeunes d'Afrique, combien Rimbaud est africain quand il met des couleurs sur les
voyelles comme tes ancêtres en mettaient sur leurs masques, « masque noir, masque rouge, masque blanc–et-noir ».
Ouvrez les yeux, jeunes d'Afrique, et ne regardez plus, comme l'ont fait trop souvent vos aînés, la
civilisation mondiale comme une menace pour votre identité mais la civilisation mondiale comme quelque chose qui vous
appartient aussi.
Dès lors que vous reconnaîtrez dans la sagesse universelle une part de la sagesse que vous
tenez de vos pères et que vous aurez la volonté de la faire fructifier, alors commencera ce que j'appelle de mes vœux, la
Renaissance africaine.
Dès lors que vous proclamerez que l'homme africain n'est pas voué à un
destin qui serait fatalement tragique et que, partout en Afrique, il ne saurait y avoir d'autre but que le bonheur, alors
commencera la Renaissance africaine.
Dès lors que vous, jeunes d'Afrique, vous déclarerez qu'il ne
saurait y avoir d'autres finalités pour une politique africaine que l'unité de l'Afrique et l'unité du genre humain,
alors commencera la Renaissance africaine.
Dès lors que vous regarderez bien en face la réalité de
l'Afrique et que vous la prendrez à bras le corps, alors commencera la Renaissance africaine. Car le problème de
l'Afrique, c'est qu'elle est devenue un mythe que chacun reconstruit pour les besoins de sa cause.
Et ce mythe empêche de regarder en face la réalité de l'Afrique.
La réalité de l'Afrique, c'est
une démographie trop forte pour une croissance économique trop faible.
La réalité de l'Afrique, c'est encore
trop de famine, trop de misère.
La réalité de l'Afrique, c'est la rareté qui suscite la violence.
La réalité de l'Afrique, c'est le développement qui ne va pas assez vite, c'est l'agriculture
qui ne produit pas assez, c'est le manque de routes, c'est le manque d'écoles, c'est le manque d'hôpitaux.
La réalité de l'Afrique, c'est un grand gaspillage d'énergie, de courage, de talents, d'intelligence.
La réalité de l'Afrique, c'est celle d'un grand continent qui a tout pour réussir et qui ne réussit
pas parce qu'il n'arrive pas à se libérer de ses mythes.
La Renaissance dont l'Afrique a besoin,
vous seuls, Jeunes d'Afrique, vous pouvez l'accomplir parce que vous seuls en aurez la force.
Cette Renaissance, je suis venu vous la proposer. Je suis venu vous la proposer pour que nous l'accomplissions ensemble
parce que de la Renaissance de l'Afrique dépend pour une large part la Renaissance de l'Europe et la Renaissance du
monde.
Je sais l'envie de partir qu'éprouvent un si grand nombre d'entre vous confrontés aux
difficultés de l'Afrique.
Je sais la tentation de l'exil qui pousse tant de jeunes Africains à
aller chercher ailleurs ce qu'ils ne trouvent pas ici pour faire vivre leur famille.
Je sais ce
qu'il faut de volonté, ce qu'il faut de courage pour tenter cette aventure, pour quitter sa patrie, la terre où l'on est
né, où l'on a grandi, pour laisser derrière soi les lieux familiers où l'on a été heureux, l'amour d'une mère, d'un
père ou d'un frère et cette solidarité, cette chaleur, cet esprit communautaire qui sont si forts en Afrique.
Je sais ce qu'il faut de force d'âme pour affronter le dépaysement, l'éloignement, la solitude.
Je sais ce que la plupart d'entre eux doivent affronter comme épreuves, comme difficultés, comme risques.
Je sais qu'ils iront parfois jusqu'à risquer leur vie pour aller jusqu'au bout de ce qu'ils croient être leur
rêve.
Mais je sais que rien ne les retiendra.
Car rien ne retient jamais la
jeunesse quand elle se croit portée par ses rêves.
Je ne crois pas que la jeunesse africaine ne soit
poussée à partir que pour fuir la misère.
Je crois que la jeunesse africaine s'en va parce que,
comme toutes les jeunesses, elle veut conquérir le monde.
Comme toutes les jeunesses, elle a le goût
de l'aventure et du grand large.
Elle veut aller voir comment on vit, comment on pense, comment on
travaille, comment on étudie ailleurs.
L'Afrique n'accomplira pas sa Renaissance en coupant les
ailes de sa jeunesse. Mais l'Afrique a besoin de sa jeunesse.
La Renaissance de l'Afrique
commencera en apprenant à la jeunesse africaine à vivre avec le monde, non à le refuser.
La jeunesse
africaine doit avoir le sentiment que le monde lui appartient comme à toutes les jeunesses de la terre.
La jeunesse africaine doit avoir le sentiment que tout deviendra possible comme tout semblait possible aux hommes de
la Renaissance.
Alors, je sais bien que la jeunesse africaine, ne doit pas être la seule jeunesse du
monde assignée à résidence. Elle ne peut pas être la seule jeunesse du monde qui n'a le choix qu'entre la clandestinité et
le repliement sur soi.
Elle doit pouvoir acquérir, hors d'Afrique la compétence et le savoir
qu'elle ne trouverait pas chez elle.
Mais elle doit aussi à la terre africaine de mettre à son service les
talents qu'elle aura développés. Il faut revenir bâtir l'Afrique ; il faut lui apporter le savoir, la compétence le
dynamisme de ses cadres. Il faut mettre un terme au pillage des élites africaines dont l'Afrique a besoin pour se
développer.
Ce que veut la jeunesse africaine c'est de ne pas être à la merci des passeurs sans
scrupules qui jouent avec votre vie.
Ce que veut la jeunesse d'Afrique, c'est que sa dignité soit
préservée.
C'est pouvoir faire des études, c'est pouvoir travailler, c'est pouvoir vivre
décemment. C'est au fond, ce que veut toute l'Afrique. L'Afrique ne veut pas de la charité. L'Afrique ne veut pas
d'aide. L'Afrique ne veut pas de passe-droit.
Ce que veut l'Afrique et ce qu'il faut lui donner,
c'est la solidarité, la compréhension et le respect.
Ce que veut l'Afrique, ce n'est pas que
l'on prenne son avenir en main, ce n'est pas que l'on pense à sa place, ce n'est pas que l'on décide à sa place.
Ce que veut l'Afrique est ce que veut la France, c'est la coopération, c'est l'association, c'est
le partenariat entre des nations égales en droits et en devoirs.
Jeunesse africaine, vous voulez la démocratie,
vous voulez la liberté, vous voulez la justice, vous voulez le Droit ? C'est à vous d'en décider. La France ne décidera
pas à votre place. Mais si vous choisissez la démocratie, la liberté, la justice et le Droit, alors la France s'associera
à vous pour les construire.
Jeunes d'Afrique, la mondialisation telle qu'elle se fait ne vous plaît
pas. L'Afrique a payé trop cher le mirage du collectivisme et du progressisme pour céder à celui du laisser-faire.
Jeunes d'Afrique vous croyez que le libre échange est bénéfique mais que ce n'est pas une religion.
Vous croyez que la concurrence est un moyen mais que ce n'est pas une fin en soi. Vous ne croyez pas au laisser-faire. Vous
savez qu'à être trop naïve, l'Afrique serait condamnée à devenir la proie des prédateurs du monde entier. Et cela vous ne
le voulez pas. Vous voulez une autre mondialisation, avec plus d'humanité, avec plus de justice, avec plus de règles.
Je suis venu vous dire que la France la veut aussi. Elle veut se battre avec l'Europe, elle veut se battre avec
l'Afrique, elle veut se battre avec tous ceux, qui dans le monde, veulent changer la mondialisation. Si l'Afrique, la
France et l'Europe le veulent ensemble, alors nous réussirons. Mais nous ne pouvons pas exprimer une volonté à votre
place.
Jeunes d'Afrique, vous voulez le développement, vous voulez la croissance, vous voulez la
hausse du niveau de vie.
Mais le voulez-vous vraiment ? Voulez-vous que cessent l'arbitraire, la
corruption, la violence ? Voulez-vous que la propriété soit respectée, que l'argent soit investi au lieu d'être détourné ?
Voulez-vous que l'État se remette à faire son métier, qu'il soit allégé des bureaucraties qui l'étouffent, qu'il soit
libéré du parasitisme, du clientélisme, que son autorité soit restaurée, qu'il domine les féodalités, qu'il domine les
corporatismes ? Voulez-vous que partout règne l'État de droit qui permet à chacun de savoir raisonnablement ce qu'il peut
attendre des autres ?
Si vous le voulez, alors la France sera à vos côtés pour l'exiger, mais
personne ne le voudra à votre place.
Voulez-vous qu'il n'y ait plus de famine sur la terre africaine ? Voulez-
vous que, sur la terre africaine, il n'y ait plus jamais un seul enfant qui meure de faim ? Alors cherchez
l'autosuffisance alimentaire. Alors développez les cultures vivrières. L'Afrique a d'abord besoin de produire pour se
nourrir. Si c'est ce que vous voulez, jeunes d'Afrique, vous tenez entre vos mains l'avenir de l'Afrique, et la France
travaillera avec vous pour bâtir cet avenir.
Vous voulez lutter contre la pollution ? Vous voulez que
le développement soit durable ? Vous voulez que les générations actuelles ne vivent plus au détriment des générations
futures ? Vous voulez que chacun paye le véritable coût de ce qu'il consomme ? Vous voulez développer les technologies
propres ? C'est à vous de le décider. Mais si vous le décidez, la France sera à vos côtés.
Vous
voulez la paix sur le continent africain ? Vous voulez la sécurité collective ? Vous voulez le règlement pacifique des
conflits ? Vous voulez mettre fin au cycle infernal de la vengeance et de la haine ? C'est à vous, mes amis africains, de
le décider . Et si vous le décidez, la France sera à vos côtés, comme une amie indéfectible, mais la France ne peut pas
vouloir à la place de la jeunesse d'Afrique.
Vous voulez l'unité africaine ? La France le souhaite aussi.
Parce que la France souhaite l'unité de l'Afrique, car l'unité de l'Afrique rendra l'Afrique aux
Africains.
Ce que veut faire la France avec l'Afrique, c'est regarder en face les réalités. C'est
faire la politique des réalités et non plus la politique des mythes.
Ce que la France veut faire
avec l'Afrique, c'est le co-développement, c'est-à-dire le développement partagé.
La France veut
avec l'Afrique des projets communs, des pôles de compétitivité communs, des universités communes, des laboratoires communs.
Ce que la France veut faire avec l'Afrique, c'est élaborer une stratégie commune dans la
mondialisation.
Ce que la France veut faire avec l'Afrique, c'est une politique d'immigration
négociée ensemble, décidée ensemble pour que la jeunesse africaine puisse être accueillie en France et dans toute l'Europe
avec dignité et avec respect.
Ce que la France veut faire avec l'Afrique, c'est une alliance de la
jeunesse française et de la jeunesse africaine pour que le monde de demain soit un monde meilleur.
Ce que veut faire la France avec l'Afrique, c'est préparer l'avènement de l'Eurafrique, ce grand destin commun qui
attend l'Europe et l'Afrique.
A ceux qui, en Afrique, regardent avec méfiance ce grand projet de
l'Union Méditerranéenne que la France a proposé à tous les pays riverains de la Méditerranée, je veux dire que, dans
l'esprit de la France, il ne s'agit nullement de mettre à l'écart l'Afrique, qui s'étend au sud du Sahara mais, qu'au
contraire, il s'agit de faire de cette Union le pivot de l'Eurafrique, la première étape du plus grand rêve de paix et de
prospérité qu'Européens et Africains sont capables de concevoir ensemble.
Alors, mes
chers Amis, alors seulement, l'enfant noir de Camara Laye, à genoux dans le silence de la nuit africaine, saura et
comprendra qu'il peut lever la tête et regarder avec confiance l'avenir. Et cet enfant noir de Camara Laye, il sentira
réconciliées en lui les deux parts de lui-même. Et il se sentira enfin un homme comme tous les autres hommes de l'humanité.
Je vous remercie. |
Nous lire dans
· FaceBook
Tweet· Twitter