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Discrimination à l’embauche : lorsque le nom porte la poisse au salon des compétences
Par Papa Diadji Gueye
S’appeler Karamokho ou Seynabou est-ce la carte d’identité au royaume des cancres ou des indolents dans le monde occidental ? La rhétorique de la nullité et de l’incompétence dans le milieu professionnel a-t-elle pris une nouvelle forme dans les entreprises françaises et suisses? Au vu des données fournies par le BIT (Bureau International du Travail) dans son rapport rendu public le 14 mars dernier ainsi que des conclusions de l’étude réalisée par l’Institut de pédagogie curative de l’université de Fribourg et publiée le 13 mars, nous sommes tentés de répondre à l’affirmative. |
La première étude a montré qu’ à compétences égales, les employeurs jettent leur dévolu sur le candidat à un poste, de couleur blanche. Savant calcul, hasard ou déveine? Dans tous les cas, le choix semble décontenancer quatre postulants sur cinq en France, qui voient leurs dossiers rejetés suite à leur réaction à des offres d’emploi. Le système suisse de formation duale impose aux jeunes apprentis un temps de pratique minimal. L’offre de postes de stage étant toujours supérieure à la demande, les entreprises formatrices se livrent à un certain tri qui semble gouverné non point tant par les résultats scolaires, donc les capacités ou aptitudes des élèves que par leur origine.
Pourtant la fortune éditoriale des politiques et initiatives d’aide à l’emploi des jeunes a gagné le champ de l’INTEGRATION. Ce mot est devenu l’instrument de mesure de la pertinence des discours. Les interventions des Etats sont multiples et insistantes. Elles adhèrent à la pratique séduisante royalement traduite par « la recherche de grands équilibres, l’homogénéisation de la société à partir du centre », pour citer le sociologue Robert Castel. Les interventions visent l’accès de tous à une formation de qualité, la dilution des inégalités de chances dans la pérennité des mécanismes de l’équité et de la parité et, partant, une meilleure répartition des chances d’accès à l’emploi ainsi qu’à des conditions salariales correctes. Entreprise peut-être un tantinet idéaliste, car au carrefour mouvant du politique, de l’économique, du social et de l’éthique, la légalité et l’injonction des dirigeants se heurtent à la pratique.
La discrimination positive perçue à ses débuts comme étant une bouffée d’oxygène qui sauverait les jeunes victimes du sectarisme des employeurs est loin de faire mouche en France. Nombreux sont les candidats à l’emploi trahis par l’indiscrétion d’un nom différent parce que d’origine étrangère. Le diplôme et l’expérience professionnelle, bref l’employabilité ne font pas recette. Arguments très peu recevables pour convaincre. Il faut plutôt s’appeler monsieur Durand ou madame Garnier. Pas d’entretien pour un nommé Karamokho ou une nommée Seynabou. De l’étude du BIT, nous apprenons que pour neuf cas sur dix, la discrimination est faite avant un quelconque entretien. Le nom suffit-il sans doute pour attester de l’impertinence du dossier du candidat !
L’expertise française n’est pas au bout de ses nobles idées pour dévoyer les stratagèmes. L’introduction des CV anonymes ( testée à Genève sans résultat probant) devait ôter toute chance de sélection définie par l’origine du sujet. Mais la formule, quoiqu’alléchante, se brise sous les feux de l’imminence de l’entretien d’embauche : un face-à-face qui donne toute la possibilité de faire volte-face.
L’entretien dévoile une couleur de peau et, éventuellement, un accent plus ou moins ponctué selon la durée d’établissement dans le pays hôte. Mais l’accent, informe-t-il sur la compétence linguistique du locuteur ? Certaines offres d’emploi portent la restriction suivante : « Inutile de postuler si vous n’êtes pas de langue maternelle française ! ». Une telle estampille laisse libre cours à une autocensure de la part des candidats à l’emploi qui, de guerre lasse, abandonnent toute tentative : « A quoi sert-il de perdre son temps à postuler si c’est pour être rejeté ? », disent-ils souvent. Il ne semble donc pas inconvenant de se demander quelle différence il y a entre langue maternelle et langue officielle. Cette dernière est plus regardante du mot juste, de la grammaire, de la syntaxe, de la ponctuation, donc de toutes les règles qui permettent de parler un « français voltairien » expurgé de toutes les fioritures du langage de la rue.
La lutte pour transcender les clichés qui attribuent une couleur au comportement, à l’expression ou au talent demeure actuelle aujourd’hui plus que jamais. Et si l’on reconsidérait ces clichés pour forcer l’effet Pygmalion, du nom de ce sculpteur grec qui finit par épouser sa propre production devenue créature vivante, selon la mythologie ? C’est dire que le regard positif porté sur l’autre peut même le façonner en idéal.
La Civilisation de l’Universel, brandie par Léopold Sédar Senghor, gage de la richesse des peuples ne peut s’opérer que dans l’adhésion des individus aux politiques collectives tournées vers la rencontre et l’échange. La différence est source de richesse, pourvu qu’on en fasse un usage judicieux, donc au service d’un idéal commun. La discrimination prive de talents.
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