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Trois villes en ruines d'époque médiévale ont été découvertes en Éthiopie en janvier dernier dans le cadre de la mission de prospection Gendebelo/Nora I(1) coordonnée par le Centre Français des Études Éthiopiennes(2) à Addis Abeba dirigé par François-Xavier Fauvelle, chargé de recherche au CNRS(3).
Ces villes disparues sont probablement le premier témoignage matériel du royaume de Shoa, un important royaume musulman connu par les textes pour avoir dominé la région entre le 10ème et le 16ème siècle et que personne ne savait encore localiser sur une carte. Celui-ci contrôlait l'une des plus importantes voies commerciales de l'époque, entre les hauts plateaux chrétiens d'Éthiopie et les ports musulmans de la mer Rouge et du golfe d'Aden.

Situées sur l'escarpement de la vallée du Rift dans une zone(4) aujourd'hui livrée aux broussailles les plus épaisses, à environ 1300 mètres d'altitude, les villes médiévales d'Asbäri, de Mäsal et de Nora livrent mosquées, quartiers d'habitation, murailles et des bâtiments présentant encore parfois des élévations de plusieurs mètres. La région, majoritairement musulmane, est aujourd'hui habitée par des populations pratiquant l'élevage et l'agriculture et qui se disputent ce territoire. Les hauteurs où sont situés les sites anciens montrent des traces d'agriculture en terrasse mais sont à l'heure actuelle des zones de pâturage.
ASBÄRI
Les ruines de la ville d'Asbäri occupent un vaste éperon rocheux sur le pourtour est d'une muraille. Le site se présente comme un petit plateau d'une altitude moyenne de 1240 mètres. L'élément le plus visible est la vaste mosquée en ruine, relativement bien conservée qui semble être, dans l'état actuel des connaissances, l'une des plus vastes connues sur le territoire éthiopien. Plusieurs inscriptions arabes ont été repérées sur le mur intérieur et extérieur. Outre la grande mosquée, plusieurs autres bâtiments cultuels avec mihrab(5), de petites mosquées ou zawiya sont également repérables sur le site. Un cimetière de plusieurs hectares et regroupant des centaines de tombes longe tout le flanc nord de la colline où se situe la mosquée avec deux murs d'enceinte qui en délimitent l'extrémité est et nord. A l'ouest du site, un mur rectiligne orienté nord-sud, de deux mètres d'épaisseur et d'une élévation d'au moins un mètre, barre entièrement l'accès depuis le plateau sur 4 kilomètres de longueur. Entre ce mur et le site proprement dit, une vaste zone, aujourd'hui reconquise par la végétation arbustive, présente des restes de terrassement et pourrait avoir été, à l'époque d'Asbäri ou postérieurement à sa ruine, le site d'implantation d'une population d'agriculteurs. Les ruines de cette ancienne cité présentent un aspect généralement clairsemé mais certaines zones de plus grande densité laissent deviner un habitat plus serré et, parfois, à proximité de la muraille, l'apparence de rues ou du moins de voies d'accès. Les restes de murs visibles présentent une faible élévation, et les structures ne sont le plus souvent repérables qu'aux tells(6) qu'elles ont formés. Au moins deux longs murs continus, convergents vers la mosquée, semblent délimiter des quartiers.
MÄSAL
Sur la même ligne de reliefs où se dressent les sites d'Asbäri au nord et de Wassiso-Nora au Sud, on trouve un ensemble significatif d'au moins trois sites musulmans médiévaux, caractérisés par la présence de mosquées ou d'oratoires, parfois entourés de murailles d'enceinte, et de plusieurs très vastes cimetières anciens comptant plusieurs milliers de tombes. Un abondant matériel (tessons, outils en obsidienne) parsème la surface des sites. Les nécropoles livrent également des tumulus(7) d'une période plus ancienne, probablement du haut Moyen Age(8), période qui n'est jusqu'à présent pas documentée pour l'Éthiopie. Les tombes sont généralement non inscrites, mais l'une d'elles, déjà partiellement décrite, s'est révélée tout à fait exceptionnelle : formée d'une pierre monolithe, elle porte sur ses quatre faces des cartouches avec des étoiles de Salomon et des inscriptions en arabe révélant son caractère de tombe royale.
NORA
Le site de Nora est localisé sur un éperon rocheux. De nombreuses ruines, présentant parfois une élévation d'un à deux mètres, révèlent un habitat urbain dense ainsi qu'un réseau de ruelles livrant des restes de pavement. Les bâtiments d'habitation sont distinctivement de plan quadrangulaire, réminiscence des habitations traditionnelles. L'organisation des espaces d'habitat et des espaces emmurés formant des cours est pour le reste difficilement lisible. Les rues en paliers aménagés sont d'autant plus apparentes sur leurs segments situés au pourtour de la zone urbanisée, à proximité immédiate de la muraille, ouvrant sur des portes. Certaines de ces rues sont longées de part et d'autre de murs dans le même appareil que les ruines d'habitations. La muraille est aménagée en gros blocs sur la ligne de rupture de pente. Plusieurs ruines circulaires, restes de structures défensives, sont disposées le long du périmètre intérieur de la ville. La mosquée principale présente encore des élévations murales de 4 à 5 mètres. Un tertre situé non loin de là, livre des centaines de sépultures musulmanes. Sur l'ensemble du site les archéologues ont retrouvé en très grand nombre des outils
d'obsidienne, généralement des grattoirs ou des nucleus(9), ainsi que des tessons de céramique. Celle-ci est particulièrement abondante sur un grand tell situé à environ 200 mètres au nord-est de la mosquée, en périphérie de la nécropole. Sa localisation, sa morphologie et l'hypothèse d'un reste de parement à la base, ainsi que l'abondance de céramique, fait penser à un tumulus. Au moins trois autres tumulus ont été identifiés dans l'enceinte de la ville, tous à proximité de la nécropole. L'un deux, démonté, laisse visible la cella(10) formée d'une dalle horizontale perpendiculaire à la pente sur deux murs de blocs latéraux, figure typique des monuments funéraires médiévaux d'autres régions de la Corne de l'Afrique.
Etant donné la taille et la concentration de ces villes, elles correspondent probablement à l'une ou l'autre des cités musulmanes mentionnées dans cette région par les sources écrites musulmanes, mais qui avaient jusqu'à présent défié historiens et archéologues. On peut faire l'hypothèse que ces sites urbains, peut-être fondés à des époques différentes, ont été contemporains à un moment donné, vraisemblablement lors du rayonnement du royaume de l'Ifat au 14ème et au début du 15ème siècle. Mais rien n'empêche aussi que ces cités, avant de rentrer dans l'orbite politique de l'Ifat, n'aient pas constitué auparavant le cœur du royaume du Shoa musulman. C'est en tout cas l'hypothèse qu'émettent les chercheurs(11) et qui fera l'objet de recherches plus approfondies lors de prochaines missions : la mission Gendebelo/Nora II destinée à poursuivre le diagnostic du site de Nora et de ses abords (matériel lithique, système de terrassements...) et Gendebelo/Nora III destinée à effectuer le relevé topographique complet des éléments visibles du site de Nora. En 2008, la mission Gendebelo/Nora IV aura pour but d'entamer la fouille du site de Nora.
Notes
:
1) Cette mission a été financée par le CNRS, le CFEE et par le Programme ANR "CornAfrique".

2) (CFEE)

3) Au Centre d'Études des Mondes Africains (Université Paris I /CNRS/Ecole Pratique des hautes études/Université Aix-Marseille 1).

4) La zone où sont localisés les sites découverts est située à environ 45 km au sud-est de la ville de Choa Robit (région de l'Ifat). Il s'agit d'une région de reliefs nord-sud (entre 1250 et 1300 m d'altitude), sur une longueur de 11 km environ, qui termine un palier intermédiaire du Rift avant la descente vers le fleuve Awash.

5) Mihrab : niche pratiquée dans la muraille d'une mosquée et orientée vers la Mecque.

6) Colline artificielle, tertre ou tumulus formé par des ruines.

7) Tertre artificiel, amas de terre, de pierres, élevé au dessus d'une tombe.

8) 7ème- 15ème siècle après J-C.

9) Noyau de silex ou autre roche dure dont on extrait des éclats, des lames à l'époque préhistorique.

10) Lieu du temple (grec ou romain) où était conservée la statue du dieu.

11) L'Equipe est composée de : Bertrand Hirsch (Professeur d'histoire, Université Paris 1/CEMAF/CNRS), Laurent Bruxelles (géomorphologue, INRAP), Chalachew Mesfin (archéologue, ARCCH), Amélie Chekroun (doctorante en histoire (CEMAF/CNRS/Université de Paris 1), Deresse Ayenatchew (doctorant en histoire (CEMAF/CNRS/Université Paris 1), avec la participation de Manfred Kropp (Institut Oriental de Beyrouth) pour le déchiffrement et l'analyse des inscriptions épigraphiques arabes.