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Rencontré au cours d'une table-ronde organisée en Italie à l'invitation de COSA, avant la sortie de son roman Kaveena, Boubacar Boris Diop, écrivain majeur de l'Afrique noire, l'une des plus belles intelligences littéraires francophones et wolofophones de notre siècle, déclarait à propos de ce dernier livre: " J´ai voulu rappeler l'omniprésence de l'Etat francais, parfois à travers des réseaux mafieux dans la vie politique de ses anciennes colonies d'Afrique noire. " Kaveena relate en effet l'histoire d'une amitié criminelle entre un homme politique africain et son mentor occidental. Même s'il s'agit d'une fiction romanesque - l'ensemble de l'histoire est imaginaire - l'auteur reste fidèle dans le détail à la réalité historique.

BREF FLASH-BACK HISTORIQUE...

A la conférence de Brazzaville, le Général de Gaulle convenait avec ses amis africains que : " Les fins de l'oeuvre de civilisation accomplie par la France dans les colonies écartent toute idée d'autonomie, toute possibilité d'évolution hors du bloc français de l'Empire" et " la Constitution éventuelle, même lointaine, de self - governments dans les colonies est à écarter". Comment dès lors s'étonner que le système mis en place à l'époque reste basée de nos jours encore sur un épouvantable cynisme ? De Gaulle est agacé par Sékou Touré qui ose demander l'indépendance de la Guinée: "Ce Sékou Touré, quel orgueilleux !" lui fait dire Georges Chaffard dans les Carnets secrets de la décolonisation. Sylvanius Olympio du Togo ( celui qui voulait faire de son pays la Suisse de l'Afrique) est assassiné, de Gaulle s'en fout et déclare pour "expliquer les raisons" de son élimination: " Ce Sylvanus Olympio était matois. Il voulait jouer au plus fin. C'était un homme d'Unilever. Il s'appuyait sur les Anglais. Il avait grandi dans l'opposition en France. Une fois arrivé au pouvoir contre nous, il avait affecté de ne pas vouloir d'accord avec nous. Puis, voyant que ça lui était difficile de se maintenir sans notre aide, il a voulu un accord, mais sans en avoir l'air. Il lui fallait tromper tout le monde. Naturellement, il a été puni par où il a péché". Ces propos sont rapportés par une voix éminemment autorisée en la matiére, Jacques Foccart, dans son ouvrage d'entretiens Foccart parle vol II, p. 153 cité par Gilles Labarthe dans son Togo, de l'esclavage au libéralisme mafieux, p. 40 ( Agone 2005). Le patriote camerounais Félix Moumié est liquidé par empoisonnement à Genève par la France parce que comme le dit Pierre Mesmer: " Il ne voulait pas rentrer dans le rang" ( Voir le film assassinat de Félix Moumié du réalisateur suisse Frank Garbely - 2005 Triluna Film AG - Aïe Productions SA).

Il n'y a pas que les crimes politiques. Le fameux référendum du 28 septembre 1958 qu'organise Paris dans les colonies et départements français a été entaché de fraudes et de manipulations gigantesques, dénoncées à l'époque par "Le Christian".

Est-ce tout ? Non. Une fois l'indépendance accordée dans des conditions suspectes, il fallait veiller à isoler les peuples africains les uns des autres. De Gaulle torpille la Fédération du Mali en jouant, entre autres, sur la rivalité entre Senghor et Boigny. Unie de force sous le joug francais, une bonne partie de l´Afrique est ainsi sciemment balkanisée...

Frantz Fanon donne à tous ces scandales un sens, en écrivant dans Les Damnés de la terre: " Quand on réfléchit aux efforts qui ont été déployés pour réaliser l'aliénation culturelle si caractéristique de l'époque coloniale, on comprend que rien n'a été fait au hasard et que le résultat global recherché par la domination coloniale était bien de convaincre les indigènes que le colonialisme devait les arracher à la nuit. Le résultat, consciemment poursuivi par le colonialisme, était d'enfoncer dans la tête des indigènes que le départ du colon signifierait pour eux retour à la barbarie, encanaillement, animalisation".

Dans les pays africains soi-disant souverains, le ministère francais de la Coopération dépêche des assistants techniques. Ce sont des gens sans réelle qualification mais leur médiocrité ne les empêche pas d'être quatre fois mieux payés qu'en France. Ils constituent ce que Cheikh Anta Diop nommait "le gouvernement parallèle des assistants techniques", car ce sont eux qui tiennent tous les leviers de décision. Certains d'entre eux étaient à la fois des barbouzes, des industriels ou des mentors politiques. Dans le roman, Pierre Castaneda tient tout un pays supposé indépendant, à commencer par son chef d'Etat.

Ce dernier, qui meurt au début du livre, se nomme Nikiema et sa relation avec Castaneda est au centre du roman à la fois limpide et complexe de Boubacar Boris DIOP. Industriel riche et influent, le Français avait, dès l'époque coloniale, préparé le défunt à son futur rôle de Père de la Nation. Mais s'il l'a aidé à se battre contre le colonialisme, c'était pour en faire un fantoche et préserver, l'indépendance venue, les intérêts de sa compagnie et ceux de l'ex-métropole.

Tout leur sera permis dans le meilleur des Royaumes nègres possibles: massacres, tortures et pillages. Les deux amis n'ont jamais reculé devant rien pour parvenir à leurs fins. Ils ont de même éliminé tous les leaders qui - à l'instar de Um Nyobé, Lumumba ou Cabral - avaient une autre vision de l'avenir du continent.

Puis, vint Kaveena : la césure.

Nikiema n'éprouve aucun remords au souvenir de ses crimes innommables. Il en est pourtant un, un seul, qu'il s'obstine à nier. C'est le meurtre rituel de Kaveena, une enfant de six ans, enlevée, violée et découpée en petits morceaux. Tout un pays en état de choc veut savoir qui du président ou de son mentor est l'assassin de Kaveena. Aucun des deux hommes au passé criminel pourtant chargé ne veut avoir sur la conscience cette tache de sang-là. Castaneda, héritier des Lumières, n'imagine pas un instant que son nom puisse être mêlé à une barbarie si " typiquement africaine. " Pour le fugitif, l'innocence est surtout un enjeu personnel : Kaveena est la fille unique de son amante secrète, Mumbi Awele.

Boubacar Boris Diop dit avoir songé à intituler ce septième roman Le pacte de sang. Il s'agit de celui qui continue à lier des hommes politiques africains et français pour le plus grand malheur de nos peuples. De fait, cette fiction est construite autour de cette donnée politique centrale, manifeste et pourtant si souvent niée.
En dépit du souci de rester au plus de la réalité sociale, Kaveena est une histoire peuplée par les émotions et les doutes d'êtres de chair et de sang. Fidèle à sa manière, l'auteur de Murambi le livre des ossements (Stock 2000) et de Doomi Golo (Papyrus 2000), questionne sans relâche la condition humaine à travers les épreuves du continent noir.

Signalons enfin que Boubacar Boris Diop a contribué par un texte très remarqué à l'ouvrage Négrophobie (Les Arènes, 2005).

Par El Hadji Gorgui Wade NDOYE
KAVEENA,
Editeur: Philippe REY
280 pages
Prix de vente TTC : 19 €
Parution : 2 mars 2006