
Dakar- (Sénégal)- LeWomen’s Investment Club (WIC) présidé par Fatou Niang Ndiaye a organisé les 13 et 14 novembre 2025, à l’hôtel Azalaï de Dakar, la troisième édition de son Forum de l’Investissement au Féminin. Placée sous le thème « Entreprendre au Féminin à l’ère de l’Intelligence Artificielle », cette rencontre ambitieuse, qui attendait près de 1600 participantes et participants, a reuni entrepreneures, investisseurs, institutions financières et experts panafricains. Au programme : keynotes, panels spécialisés sur l’IA, le climat, des ateliers (pitch, formalisation, développement personnel), des sessions de réseautage et un marketplace proposant des produits artisanaux de qualité. Ce forum, pensé comme un véritable carrefour d’échanges entre acteurs de l’écosystème, vise à renforcer l’accès des femmes entrepreneures africaines au financement, tout en leur donnant les compétences techniques et stratégiques pour monter en puissance. (Entretien avec Ouma Sani, Manager du WIC).
Pourquoi avoir créé le Forum de l’Investissement au Féminin ? Quel besoin urgent du Sénégal répond il aujourd’hui ?
« L’idée de lancer ce forum est née d’un constat : malgré les progrès, les femmes entrepreneures peinent encore à accéder à des financements, mais pas seulement. Nous voulions un espace où les investisseurs financiers ( banques, fonds, business angels ) et les entrepreneures se rencontrent, pas seulement pour parler d’argent, mais pour construire des ponts. Car lever des fonds, ce n’est pas qu’une question de capital : c’est aussi une affaire de compétences, de confiance en soi, de posture entrepreneuriale. Au fil de nos réflexions, nous avons compris qu’il fallait aller au-delà des conférences traditionnelles; le forum devait être multiforme, sur deux jours, pour traiter de l’investissement, bien sûr, mais aussi du développement personnel, des soft skills, de l’assistance technique. Même si l’événement concerne majoritairement des femmes (environ 80 % de participantes ) nous avons voulu rester inclusifs : l’entrepreneuriat n’est pas genré, et les thématiques que nous abordons concernent tous les acteurs économiques. L’ambition est de faire du WIC un carrefour panafricain, où l’on bâtit un écosystème plus inclusif, plus équitable, et où les femmes ne sont plus seulement des bénéficiaires, mais des actrices majeures du développement économique ».
Quelle est la singularité du WIC Sénégal par rapport aux autres manifestations dédiées aux entrepreneures africaines ?
« Ce qui distingue le WIC, c’est clairement son axe investissement et levée de fonds, plus qu’un simple forum d’entrepreneuriat féminin. Beaucoup d’événements se concentrent sur l’entrepreneuriat dans sa globalité : on parle de leadership, de création d’entreprise, mais rarement de financement à grande échelle. Nous, nous avons voulu combler une fracture : celle entre les structures d’accompagnement (mentorat, formation) et les structures financières (banques, fonds). Trop souvent, ces deux mondes ne se parlent pas. Il existe une sorte de vitre entre elles ; les investisseurs ne comprennent pas toujours les réalités du terrain entrepreneurial, et les entrepreneures ne savent pas comment traduire leur projet en levée de fonds viable. Le WIC vise à faire tomber ce mur : réunir autour de la même table des investisseurs locaux et internationaux, des banques, des business women, pour qu’ensemble, on constate les défis communs, on partage, et surtout, qu’on trouve des solutions concrètes pour bâtir un système plus inclusif ».
Quels sont, selon vous, les obstacles les plus critiques que rencontrent les femmes entrepreneuses quand elles cherchent à obtenir des financements ?
« Il y a plusieurs niveaux de blocage. Des freins personnels / psychologiques ; pour beaucoup de femmes, l’argent reste un sujet tabou. Elles minimisent les risques, hésitent à se projeter, attendent souvent une validation extérieure avant d’agir. On voit moins d’audace, moins de confiance. Résultat : elles demandent moins, se valorisent moins, alors qu’un homme peut être plus affirmatif, oser demander plus, même sans forcément plus de compétence. Puis les Compétences entrepreneuriales ; pour lever des fonds, il faut plus qu’une bonne idée ; il faut une posture d’« entrepreneure championne », c’est-à-dire quelqu’un qui bâtit une véritable entreprise scalable, pas seulement un projet pour « survivre » ou « faire vivre sa famille ». C’est là que notre accompagnement est essentiel.Nous travaillons sur les compétences techniques, mais aussi sur les soft skills, la confiance, la posture. Autre freins, les mécanismes financiers inadaptés ; les banques demandent des garanties, souvent des terres ou des biens que les femmes n’ont pas. Plus encore, il existe des biais de genre : certains prêteurs perçoivent les entreprises détenues par des femmes comme étant moins ambitieuses, moins susceptibles de croître, et donc les rejettent ou leur offrent des conditions plus défavorables. Et enfin, la méconnaissance mutuelle ; les investisseurs ne connaissent pas toujours bien les réalités des entrepreneures féminines, et vice versa. Nous devons donc non seulement former les femmes, mais aussi sensibiliser les institutions financières pour qu’elles adaptent leurs produits et leurs services aux réalités concrètes des femmes entrepreneures ».
En quoi cette nouvelle édition, avec un focus sur l’IA, ouvre-t-elle de nouvelles opportunités pour les entrepreneuses sénégalaises et africaines ?
« L’intelligence artificielle (IA) n’est pas qu’un mot à la mode. c’est aujourd’hui une réalité concrète dans notre vie quotidienne, et un puissant levier d’innovation, même pour des petites entreprises. Nous avons constaté que beaucoup de femmes entrepreneures se sentent exclues de la tech parce qu’elles croient qu’il faut être ingénieure ou designer pour l’utiliser ; mais ce n’est plus vrai. Grâce à l’IA, une entrepreneure peut créer des visuels, rédiger du contenu, organiser ses données, faire du marketing, sans être une experte technique : des outils simples, accessibles, peuvent tout changer. Notre but, pendant le forum, est de démontrer que l’IA peut être démocratisée, et que les femmes peuvent l’intégrer dans leurs process pour gagner en efficacité, en crédibilité, en productivité. Nous voulons également montrer comment capitaliser sur l’IA : pas seulement pour automatiser, mais pour renforcer son business, pour rédiger des dossiers de financement plus solides, mieux se présenter aux investisseurs, et finalement lever des fonds plus facilement ».
Quel rôle la diaspora peut-elle jouer pour accélérer l’investissement au féminin ? Quels ponts souhaitez-vous bâtir grâce à ce forum ?

« La diaspora joue un rôle essentiel. Au Sénégal, environ 30 % des membres du WIC ne résident pas dans le pays ( c’est dire l’engagement de la diaspora) . Ces femmes, souvent bien introduites, bien formées et bien capitalisées, veulent réinvestir dans l’écosystème local ; elles recherchent des véhicules transparents, solides, pour le faire. Le forum est une occasion de bâtir ces ponts, de leur présenter des opportunités d’investissement sécurisées, de leur permettre de se connecter avec des entrepreneures prometteuses, de coinvestir via des mécanismes adaptés. Nous voulons que la diaspora dispose d’un cadre fiable pour réinjecter son capital dans des entreprises féminines, mais aussi pour participer activement à la croissance économique locale ».
Dans dix ans, quel impact souhaitez-vous que ce forum laisse sur l’écosystème de l’entrepreneuriat féminin au Sénégal ?
« Dans dix ans, mon rêve, c’est que le WIC soit implanté dans dix pays en Afrique, avec des forums nationaux tournants, des réseaux d’entrepreneures et d’investisseuses très forts, et des mécanismes financiers inclusifs bien ancrés. Je veux que le WIC devienne un réseau de championnes entrepreneuriales : des femmes qui entreprennent à grande échelle, qui exportent, qui innovent. Je souhaite aussi que les partenaires financiers évoluent ; qu’ils adaptent leurs produits aux besoins des entrepreneures, qu’ils investissent davantage dans le capital féminin. Mais au delà de l’investissement, je veux un plaidoyer durable : un écosystème économique dans lequel les femmes ne sont plus des exceptions, mais des actrices structurantes, où elles participent aux décisions stratégiques, où leur voix compte autant que celle des hommes. Nous sommes déjà en discussions très avancées avec plusieurs pays : le Bénin (avec WeFund), le Rwanda, la Tunisie, le Maroc, le Nigeria… L’idée, c’est d’essaimer ce modèle WIC, de construire un réseau panafricain solide ».
Quel serait, selon vous, le grand succès que ce forum doit laisser dans le paysage économique sénégalais ?
« Le plus grand succès, ce serait de dédramatiser l’acte de lever des fonds, de casser les tabous qui entourent la finance et la levée de capital. Que chaque entrepreneure, quelle que soit son origine, sa formation, sa taille d’entreprise, puisse lever des fonds sur la base de son mérite, de son projet, de son ambition, et non sur des critères biaisés. J’aimerais que ce forum contribue à décloisonner l’écosystème : que les investisseurs, les banquiers, les entrepreneures, les institutions, arrêtent de naviguer en silos, et construisent ensemble un système inclusif, durable, où les femmes sont au cœur des décisions stratégiques ».
Propos recueillis par Pauline Carbo (Correspondance particulière pour ContinentPremier.Com)