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LE VIEUX NEGRE ET LA MEDAILLE
Par Abibou Diallo, Responsable Desk Afrique
Dans l'histoire contemporaine française, très peu de place a, jusqu'à présent, été réservé au rôle des troupes coloniales (africaines et asiatiques), durant les deux guerres mondiales. La mention de ces troupes dans les livres scolaires et d'histoire tient une part congrue, voire inexistante dans bien des ouvrages dits " officiels ". Il est vrai que la construction d'une histoire officielle nationale est souvent largement sélective et la France n'échappe pas à la règle. Bien des pages sombres de l'histoire récente française (colonisation, politique des travaux forcés, gouvernement de Vichy, déportation des juifs, guerre d'Algérie…) ont pendant longtemps été victime d'une amnésie collective et étatique. Le " devoir de mémoire " (terme très à la mode dans les médias hexagonaux) est remplacé dans ces cas là par le " devoir de l'oubli " : cachez-nous ces événements que nous ne saurions voir !
Y'a bon banania, disaient-ils…
On dit que les clichés ont la vie dure ! L'image des combattants africains, particulièrement des tirailleurs sénégalais, a été associée par un bon nombre de coloniaux et jusqu'à présent, à celui de l'affiche publicitaire des années 20, du noir hilare, les lèvres rouges, les yeux globuleux, coiffé d'un chéchia rouge et proclamant dans un mauvais français " petit nègre ", " y'a bon banania ". Construire une image plus paternaliste et dévalorisant relèverait, sans doute aujourd'hui, de l'exploit ! Et pourtant, la participation des africains fut sans conteste décisive avec le corps des tirailleurs sénégalais……..
Le corps des Tirailleurs sénégalais a été créé en 1857 par Louis Faidherbe, gouverneur général de l'Afrique de l'Ouest Française. Les tirailleurs étaient loin d'être tous sénégalais. Ils venaient de l'ensemble des colonies françaises d'Afrique. En 1914, on comptait 14.000 Tirailleurs sénégalais en Afrique de l'Ouest et 15.000 à l'extérieur, principalement au Maroc.
En octobre 1915, près de 30.000 nouveaux conscrits et volontaires avaient renforcé les troupes déployées en France. Un décret du 9 octobre 1915 ordonnait la mobilisation des Africains de plus de 18 ans et un bonus de 200 francs pour les volontaires. 51.000 Africains supplémentaires furent ainsi recrutés jusqu'en 1916. En 1917, 17 bataillons de Tirailleurs étaient engagés à la Bataille de la Somme. 120.000 Africains servaient alors dans les forces françaises. Manquant cruellement de réserves, la France fit un effort désespéré pour recruter 50.000 hommes supplémentaires.
Près de 600 000 soldats indigènes ont été directement engagés sur tous les fronts ( en France, dans les Balkans, en Palestine, en Afrique noire ), placés sous le commandement de sous-officiers et d'officiers presque exclusivement blancs ;
- Près de 57 000 d'entre eux ont été tués.
- Plus de 14 000 ont été portés disparus.
Si l'on compte ceux qui sont morts de maladies ou qui ont été décimés par la rigueur du climat en hiver, on peut estimer qu'environ 80 000 soldats indigènes n'ont pas survécu à la 1ère guerre mondiale. L'impôt du sang a été chèrement payé !
Durant la seconde guerre mondiale aussi, beaucoup de soldats africains moururent au nom de la défense de la liberté contre la peste brune. L'un des événements les plus importants fut sans doute le débarquement en Provence, célébré en France le 15 août dernier. En effet, contrairement au débarquement en Normandie, celui de Provence a donné l'occasion aux français de s'illustrer, appuyés par des " soldats indigènes ". Sur les 450.000 hommes de l'opération Dragoon, environ 200.000 étaient français dont une moitié de Maghrébins et d'Africains. Les tirailleurs sénégalais, les tabors marocains et les tirailleurs algériens ont largement participé à la libération de Toulon et de Marseille. A l'époque, ils étaient plus de 170 000 dans cette armée d'Afrique, soit 40% de l'effectif total. Entre 1942 et 1945, 40 000 furent tués, 72 000 blessés. Le " devoir de reconnaissance " dont les anciens combattants africains pouvaient raisonnablement s'attendre reste noyé sous une avalanche d'injustices que le gouvernement français cautionne. Les soldats de l'empire français continuent d'être considérés comme de seconde catégorie. Et derrière les jeux diplomatiques et les célébrations de façade, peu de choses risquent vraiment de changer. Le problème lancinant de la pension des " anciens combattants indigènes " en est l'exemple type.
L'injustice continue
Le 26 décembre 1959, à l'aube des indépendances, la loi dite de "cristallisation" gèle les pensions des militaires des anciennes colonies françaises. Depuis, l'écart n'a cessé de se creuser entre eux et leurs frères d'armes français. Aujourd'hui, alors que la retraite annuelle du combattant s'élève en France à 417 euros, elle est divisée par deux pour un ancien combattant de Djibouti, par quatre pour un Sénégalais et par douze pour un Marocain. Des plaintes sont déposées, en vain ;jusqu'à ce qu'en novembre 2001, le Conseil d'Etat français rende l'arrêt Diop, du nom d'un ancien sergent-chef sénégalais. L'inégalité de traitement entre anciens soldats français et étrangers est alors qualifiée de "discrimination fondée sur la nationalité" et précise également que des dédommagements doivent être versés de manière rétroactive. . Au printemps 2004, les pensions et les retraites sont donc revalorisées de… 20%. Au Sénégal, cela fait 15 euros de plus par mois.
Après le gouvernement Jospin, peu pressé de faire appliquer l'arrêt, l'équipe Raffarin reprend le dossier et joue la stratégie de la montre avec les anciens combattants. La France attend la disparition des derniers survivants pour enterrer définitivement le problème ?
La commémoration du 60eme anniversaire du débarquement
en Provence n'a servi encore une fois qu'à rejouer une scène du
vieux nègre et de la médaille…
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