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Déontologie : L'anonymat des sources.
Par Pierre GANZ
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Une information crédible est une information qui décrit, met en scène, cite des individus qui ont un nom, et un statut ou une fonction. Mais de plus en plus les colonnes des journaux sont remplies de propos sans locuteur identifié, d'informations de source tenue secrète, d'affirmations de voix sans nom. Le recours à l'anonymat des sources peut être une nécessité absolue. Il peut aussi être un excès ou une facilité qui desservent l'information.
Soyons clair : il y a des zones où le simple fait de parler à un journaliste peut conduire en prison ou à la mort. Beaucoup d’informations ne seraient jamais publiées si les journalistes ne préservaient pas le secret de leurs sources. Notamment celles dont la publication est lourde de conséquences sur le fonctionnement des pouvoirs économiques et politiques. Les risques professionnels et trop souvent physiques qu'encourent leurs informateurs justifient donc pleinement que des journalistes taisent leurs sources. La liberté de la presse ne serait pas sans secret des sources, que la Cour Européenne des Droits de l'Homme a qualifié dans plusieurs arrêts de "pierre angulaire" de cette liberté.
Mais force est de constater que l'anonymat n'est parfois par justifié, qu’il devient une facilité, parfois une mode. Et qu’il a aussi ses inconvénients. Le plus évident est le risque de manipulation et de désinformation. Sous couvert d'anonymat, il est plus facile de raconter n'importe quoi à un journaliste : si le mensonge est éventé, c'est lui qui sera cloué au pilori, par son auteur demeuré dans l'ombre. La technique est utilisée par des dirigeants pour lancer des ballons d'essai sur des projets de réformes, ou pour dénigrer perfidement leurs adversaires. Bien sûr, le propos est toujours subtilement construit, avec assez de vraisemblance pour que le journaliste accroche, et assez de sous-entendus pour qu'il se range à l'idée de taire sa source. C'est le domaine des "indiscrets", des "exclusifs" qui fleurissent dans les pages de journaux fort respectables. Cela peut avoir un sens. Cela peut parfois justifier l’anonymat. Mais en tout cas, jamais un sentiment, une interprétation, une opinion, ne doivent être publiées de source anonyme. Ce sont les mots de quelqu'un, dont la publication n'a d'intérêt que si ce quelqu'un est identifié.
Lorsqu'un interlocuteur donne des éléments qui constituent un fait, le journaliste doit d'abord se demander quelles sont les motivations de son informateur, si cette "révélation" sert ses intérêts économiques, politiques, personnels, et si sa publication est réellement d'intérêt public. Se poser ces deux questions permet déjà d'éliminer bien des informations anonymes. Il est dans tous les cas indispensable de ne pas se contenter de cette source anonyme. Il faut bien évidemment vérifier l'information ainsi recueillie, chercher à la recouper auprès d'autres sources qui ne seront peut être pas anonymes, et toujours permettre à quelqu'un mis en cause par ces révélations de répliquer.
L’anonymat demandé ne résiste pas forcément à une discussion franche avec le journaliste. Celui-ci, sauf dans les cas de risques graves évidents, doit essayer de convaincre sa source de lever sa demande d'anonymat. Il peut arguer que l'information anonyme pourrait ne pas être publiée et qu'il vaut mieux être nommé qu'ignoré. Il peut plaider qu'une information portée par un individu identifié a beaucoup plus de chance de retenir l'attention du public. Mais si cette discussion conclut pour de bonnes raisons au maintien de l’anonymat, « on » ne suffit pas. Il faut donner une existence, crédibiliser cette source anonyme en la mettant en situation : parler par exemple d'un "chercheur d'un grand institut" ou d'un "cadre de l'industrie chimique" dans une enquête sur la pollution nourries de citations anonymes.
Les choses sont un peu différentes selon que le journaliste a sollicité la personne qui finalement demande à ne pas être citée nommément, ou que son interlocuteur lui a spontanément livré une information. Dans ce cas, l'insistance du demandeur d'anonymat à voir son histoire reprise doit mettre la puce à l'oreille : plus il insiste, plus il y a de raison de lever cet anonymat. On peut aussi considérer que les puissants ne doivent pas être protégés par l'anonymat. Assumer publiquement leurs propos est une contre partie de leur pouvoir.
Par contre, il peut être justifié de conserver l'anonymat de témoins qui parlent de leurs expériences personnelles, par exemple de leur maladie, ou de leur passé délictueux. De même lorsqu'il s'agit de personnes vulnérables, fragiles, dont la situation peut encore être aggravée par la publicité d'un article. Souvent, pour conserver une densité humaine au récit et pour faciliter la lecture, l'anonymat prend la forme d'un pseudonyme, d'un prénom ou de simples initiales. Mais là aussi, il y a des exemples où échanger avec le rédacteur a finalement conduit des témoins à choisir d'être cités, pour crédibiliser leurs propos, pour assumer ce qu'ils sont.
Le recours à l'anonymat ne peut être une décision portée par un journaliste isolé. Son employeur doit savoir de qui il s'agit, ne serait ce que parce qu’il sera au côté du journaliste en cas de procès. La charte éthique du New York Times précise qu'un chef de service ou un rédacteur en chef doit connaître l'identité de la source cachée au public. D'autres journaux imposent même que la hiérarchie approuve les citations sans auteur identifié. Toutes ces règles reviennent à provoquer un échange avec le journaliste au cours duquel il devra justifier son choix de préserver l'anonymat. Il faut enfin toujours informer le lecteur du recours à l’anonymat et expliquer ses raisons
Le mieux est d'éviter de dépendre de sources anonymes. Dans sa nouvelle Charte de déontologie, l’AFP propose que "l'utilisation de sources anonymes doit être l'exception et non la règle". Et récemment le Times de Londres a appelé à ses rédacteurs à ne s'y résoudre "qu'en dernier recours pour les situations pour laquelle The Times ne pourrait pas publier les informations qu'il estime digne d'intérêt et fiables". On ne saurait mieux dire.
Source : Bulletin de l’UPF
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