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JEUNES ET FEMMES EN AFRIQUE, FRANCOPHONIE ET DÉVELOPPEMENT
Le Sénégal a abrité le XVe sommet de la Francophonie les 29 et 30 novembre 2014. Le thème principal portait sur « Femmes et Jeunes en Francophonie : vecteurs de paix, acteurs de développement ».
À ce grand rendez-vous de la Francophonie dédiée aux Femmes et aux Jeunes, nous voudrions, en tant qu’éducatrice, femme africaine francophone et militante de la Francophonie, amener notre contribution en réfléchissant sur le thème : "Jeunes et Femmes en Afrique, Francophonie et Développement"
Il serait tout simplement plus correct, aujourd’hui, de parler de Femme tout court et de Francophonie, parce que tout naturellement, la Francophonie, qui, étymologiquement désigne la Langue française «est une femme. Et cette femme est si belle, si fière, si modeste, si hardie, si touchante, si voluptueuse, si chaste, si noble, si familière, si folle, si sage, qu’on l’aime de toute son âme et qu’on est jamais tenté de lui être infidèle» (Anatole France, Propos, 1921)
Après donc ce témoignage et avant d’entrer dans le vif du sujet, nous voudrions élucider la problématique de la cohabitation du français et des langues africaines. En effet, à première vue, dans de nombreux pays africains francophones, le français et les langues africaines ne sont pas toujours dans les meilleurs termes. Pourtant décideurs, parents d'élèves, élèves, enseignants s’accordent à reconnaître l'impérieuse nécessité de mettre en place des systèmes éducatifs bilingues ou multilingues performants. Plusieurs études réalisées ont déjà pu mettre en relief la très nette amélioration des performances des élèves dans les contextes scolaires bilingues, même si, dans de trop nombreux cas, les outils méthodologiques font encore parfois défaut.
Vous en conviendrez avec moi que, bien au-delà de sa mission étroitement didactique, l’École doit assurer la formation de citoyens enracinés dans leur culture, par le biais des langues nationales, et ouverts au monde extérieur, par le biais du français, d’où une répartition statutaire à instaurer entre langue « officielle » (pour le français) et langues « nationales », tout en faisant de l’apprentissage des langues nationales un facteur d’intégration. Ce type d’argumentaire n’a malheureusement pas toujours été suivi
de textes officiels précis ni, encore moins, de mesures concrètes d’application.
La Francophonie qui est le fait de parler français, tout comme la Francité qui appelle à l’amour de la culture française, à l’esprit de méthode et d’organisation, font partie de notre patrimoine. Avec la langue française, nous avons appris à lire, acquérir, co-naître, –naître avec–, assimiler, former. Avec la langue française, nous avons été é-duqués –conduits hors de nous–, nous avons appris à nous épanouir et naître à l’Autre, à nous former, donc, sur le plan rationnel et émotionnel, à nous connaître et faire connaître, à nous ouvrir à l’Universalum.
Le français demeure pour nous la langue de Descartes et de Voltaire, rationnelle, méthodique, précise, la langue de Rousseau et celle de la Révolution dont les principes d’Égalité, de Fraternité et de Liberté ont su dépasser les limites de l’Hexagone pour semer leurs déhiscences aux quatre coins du monde et répandre l’espoir d’ une vie digne aux peuples opprimés. La richesse et la responsabilité n’en sont que plus grandes.
Pour en revenir au sujet, il convient de s’interroger sur les rapports entre Jeunes et Femmes, Francophonie et Développement. Pour ce faire, il convient de se mettre d’accord sur un certain nombre de points.
Le Français est francophone mais la Francophonie n’est pas française. «La Francophonie, ça existe d’ abord et surtout hors de France», disait Gabriel Garan. «Pour savoir ce que représente la Francophonie, l’Afrique est indispensable», renchérit Jean Daniel, célébre éditorialiste du Nouvel observateur.
La Francophonie n’est pas seulement la défense et l’illustration de la Langue française, pour parler comme Bu Bellay.
La priorité de la Francophonie, aujourd’hui, c’est l’amélioration des conditions de vie des populations dites francophones dont une bonne partie se trouve dans la partie la plus pauvre du monde: l’Afrique subsaharienne.
«La question la plus exigeante qui se pose aujourd’hui à la Communauté Francophone Internationale est bien celle du développement de l’Afrique subsaharienne», selon Jean Louis Roy, ex secrétaire général de l’Agence de la Francophonie
C’est clair, il n’y aura pas de Francophonie sans Développement. Il n’y aura pas de Développement sans l’apport et la contribution des jeunes et des femmes à la création de richesses et à la croissance économique.
Sur les 220 millions de francophones dans le monde, 96,2 millions sont Africains. Autant dire que l’Afrique est le continent le plus francophone de la planète. En effet beaucoup semblent se réjouir –naïvement du gonflement progressif des populations dites francophones. Or, cette inflation des chiffres provient essentiellement de la forte croissance démographique constatée dans les pays africains. Ces statistiques, apparemment satisfaisantes, supposent tout bonnement que tout nouveau-né de ces pays, reçoive, à sa naissance « du lait francophone sur la langue » et qu’ainsi il s’ajoute systématiquement, au groupe des « parlants français ». La réalité est tout autre.
Tout le monde sait que cette natalité galopante n’entraîne pas forcément une expansion de la langue française, ni même sa consolidation. Peut-être même est-ce le phénomène contraire qui se produit !
On peut comprendre, en effet, que dans les pays en butte aux très grandes difficultés de l’alphabétisation et de la scolarisation à grande échelle des enfants, les conditions précaires dans lesquelles celles-ci se réalisent entraînent fatalement une détérioration voire une déperdition réelle du contenu des connaissances transmises. Dès lors, les bases du langage qui sont acquises en français deviennent plus fragiles, approximatives et même éphémères.
Il est important de prendre conscience que l’Enseignement est le socle de la Francophonie. Rien ne pourra se faire à l’avenir sans la prise en considération de ce facteur essentiel, l’Enseignement, structure de base à partir de la quelle s’établissent les fondations de toute l’édifice francophone. Or qu’en est-il aujourd’hui ?
Dans la plupart de nos pays, les structures d’enseignement sont en état de crise latente, récurrente, brûlante et tragique, comme dans notre cher pays le Sénégal.
De plus un décalage s’accentue d’année en année, de façon dramatique, entre la jeunesse montante, source de toutes les espérances d’avenir et les structures d’accueil et de formation données à celle-ci. Ainsi, les capacités d’action offertes à cette multitude et les possibilités de promotion apparaissent pour beaucoup, comme extrêmement réduites, donc décourageantes.
Dans un monde en mutation, les seules connaissances scolaires ou universitaires ne suffisent plus. Outre l’esprit d’initiative et la créativité, l’éducation doit aiguiser le jugement critique, le goût d’entreprendre et le sens des responsabilités, pour répondre à l’affirmation individuelle de chaque personnalité. En définitive, l’éducation doit contribuer à la motivation, à la formation d’êtres humains compétents et de citoyens responsables. Est-ce vraiment le cas dans nos sociétés en crise ?
C’est clair il n’y aura pas de Francophonie encore moins de Développement sans ambition éducative. Dans les pays les plus développés, nous connaissons bien la formule clé pour aménager l’avenir : « Éducation et Recherche ». Tout comme il n’y aura point de Francophonie encore moins de Développement sans une amélioration de la situation des femmes en Afrique.
Les femmes portent l’Afrique depuis l’aube des temps grâce à leur travail aussi bien dans le foyer que hors du foyer. Si nous entendons par travail, toute activité permettant à l’individu de générer des revenus pour subvenir à ses besoins, elles ont toujours participé activement à la création de richesses par leur travail, dans l’économie informelle, où elles se sont illustrées.
Au Sénégal, par exemple, les femmes pèsent d’un poids significatif dans l’économie nationale. Elles représentent 70% de la force de travail en milieu rural où elles assurent près de 80% des activités de transformation de la production agricole, 70% des actifs du secteur non structuré, 15% des effectifs du secteur public et 4% des effectifs du secteur privé formel.
Avec les ajustements structurels imposés par le FMI, qui ont exclu les hommes du marché du travail capitaliste, les femmes vont devenir les principales actrices de la prise en charge des problèmes sociaux des familles et leur esprit entrepreneurial a été une des solutions les plus efficaces contre la crise économique.
Gouvernements, Ongs, Organismes Internationaux, Bailleurs de fonds, reconnaissent le rôle primordial des femmes en matière de développement.
Plus que d’autres c’est elles qui investissent dans leur pays. Elles ont une extraordinaire capacité de mobilisation de l’épargne à partir de leurs structures associatives. Mieux encore, le projet de société des femmes milite pour un développement humain. Leur but ultime n’est pas l’accumulation des richesses, ni le pouvoir, mais une qualité de vie et un avenir meilleur pour la collectivité locale, pour leurs enfants.
Si le développement des pays défavorisés de la communauté francophone est l’une des priorités de la Francophonie, il va de soi, qu’elle doit s’appuyer sur les Femmes, surtout encourager et soutenir leur éducation et formation, sans lesquelles aucun développement durable n’est envisageable.
N’a-t-on pas l’habitude de dire et à juste raison, «qu’éduquer un homme c’est éduquer un individu. Éduquer une femme, c’est éduquer une nation et que toute femme est une école et c’est d’elles que les générations futures reçoivent leurs croyances ».
L’éducation des femmes conditionne tous les éléments dont dépend l’évolution d’une société : la régulation des naissances, la santé de la famille, la nutrition, la réceptivité aux innovations technologiques et motivation des enfants au plan éducatif, l’accès à la justice, l’autonomisation et l’accès aux postes de décision, la participation citoyenne dans une société démocratique et pluraliste.
En définitive, l’essor et le développement de la Francophonie restent étroitement liés au sort des femmes et des jeunes africains. Toute la Communauté francophone doit absolument se mobiliser pour réfléchir et mettre en œuvre des solutions pratiques pour une amélioration qualitative et quantitative de leurs conditions de vie. L’avenir de la Francophonie en dépend.
Femmes d’Afrique, femmes d’ailleurs, nous ne nous considérons pas comme des actrices isolées dont les productions sont strictement individuelles. La Francophonie signifiant pour nous, vivre mieux ensemble, dans le partage et la solidarité. C’est à ce moment seulement que, comme le voulait notre défunt Président Senghor, la Francophonie deviendra, «Cet humanisme intégral qui se tisse autour de la terre: cette symbiose des énergies dormantes de tous les continents, de toutes les races qui se réveillent á leur chaleur complémentaire».
Tel doit être à mon avis le sens et le credo du XVe sommet de la Francophonie.
Par Mme Léna MBAYE
Enseignante-chercheur
Membre de l’AIFF
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