Par Dr Djibril DIOP Université de Montréal (Canada) djibril.diop@umontreal.ca
Le 25 mai 2013, l’Organisation continentale africaine (Organisation de l’Unité Africaine- OUA, puis l’Union Africaine-UA) aura 50 ans ! 25 mai 1963-25 mai 2013. Ce sera alors le jubilé d’or de l’Organisation panafricaine. Pour célébrer cet anniversaire, tous les chefs d’État africains sont attendus à Addis-Abeba le 25 mai prochain. Mais quel bilan faire de ce cinquantenaire ? En effet, c’est au lendemain des indépendances, au début des années 1960, que les deux groupes qui s’opposaient sur la conduite à tenir pour faire l’unité des pays africains, celui dit de Casablanca et celui dit de Monrovia, se sont fusionner pour donner l’organisation panafricain, l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA). En 2002, l’OUA a muté pour devenir l’Union Africaine (UA). Avec cette réforme, tous les rêves étaient permis pour enfin aller vers les États-Unis d’Afrique et positionner le continent sur la voie de l’émergence. Cependant, si l’Afrique est la région du monde qui enregistre l’un des plus importants taux de croissance ces derniers années (4,9% en 2011 ; 5,1% en 2012, prévisions 2013 à 5,4% 5,7% l'an prochain (FMI), elle reste aussi le continent le plus pauvre au monde incapable de mettre fin aux multiples conflits et interminables qui minent toute perspective d’un développement socioéconomique durable pour le bonheur de sa population qui, elle, ne cesse de grossir et des défis qui ne cessent de se complexifier.
LES ÉTATS-UNIS D’AFRIQUE, HA QUELLE UTOPIE ?
L’unité africaine, un rêve inatteignable Le 25 mai 2013, l’Organisation continentale africaine (Organisation de l’Unité Africaine- OUA, puis l’Union Africaine-UA) aura 50 ans ! 25 mai 1963-25 mai 2013. Ce sera alors le jubilé d’or de l’Organisation panafricaine. Pour célébrer cet anniversaire, tous les chefs d’État africains sont attendus à Addis-Abeba le 25 mai prochain. Mais quel bilan faire de ce cinquantenaire d’existence ? C’est au lendemain des indépendances, au début des années 19601, que les deux groupes qui s’opposaient sur la conduite à tenir pour faire l’unité des pays africains : celui dit de Casablanca qui rassemblait le Ghana, l’Egypte, la Tunisie, le Maroc, la Libye, la Guinée-Conakry, le Soudan, le Mali et le Gouvernement provisoire de la République algérienne -GPRA (car encore en guerre contre la France) réunit autour de Kwame N’Krumah du Ghana et de Gamal Abdel Nasser d’Égypte, et celui dit de Monrovia, réunissant l’Ethiopie, le Nigéria, le Togo, le Libéria, la Sierra-Leone et l’essentiel des pays francophones, autour de l’ivoirien Houphouët-Boigny et de Léopold Sédar Senghor du Sénégal, se sont fusionner pour donner l’organisation panafricain, l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA). En effet, les avis divergeaient entre les chefs d’État fondateurs sur la nature de l’organisation continental devant regrouper les jeunes États fraichement indépendants. Les partisans du fédéralisme menés par Kwamé N'kurumah s’opposaient aux tenants d’une « Afrique des États » défendu par Senghor.
1. Dans ce lot, 5 pays étaient indépendants avant 1960, 17 pays dont 14 francophones ont acquis leur indépendance en 1960, l’Algérie en 1962 et les pays lusophones étant devenus indépendant bien après, 1975.
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La vision des précurseurs du panafricanisme se résumait à la pensée de Marcus Garvey, selon qui : «Quand le noir de sa propre initiative se haussera de sa condition inférieure au plus haut archétype humain, il pourra enfin cesser de mendier et de supplier, et exiger une place qu’aucun individu, peuple ou nation ne pourra lui refuser.» Par la suite, cette vision a évolué vers l’idée des États-Unis d’Afrique en tentant de fusionner l’Afrique subsaharienne et le Maghreb. Le président égyptien, Gamal Abdel Nasser fut le chantre de ce rapprochement. Finalement, après plusieurs réunions et tiraillement, le 25 mai 1963, 32 États fondèrent à Addis-Abeba en Éthiopie, l’Organisation de l’Unité Africaine. Et c’est le groupe conduit par Léopold Sédar Senghor qui imposa sa vision à la nouvelle organisation continental, qui devient ainsi, un simple outil de coopération, et non d’intégration, entre les États africains. La charte de l’organisation (rédigée par le président malien Modibo Keita et le président togolais Sylvinus Olympio) fut signée par les 32 chefs d’États présents à Addis-Abeba à cette occasion. L’héritage des premiers pionniers du panafricanisme sera repris, bien des années après, par de jeunes militaires, Thomas Sankara du Burkina Faso et Jerry Rawlings du Ghana. Toutefois, leur rêve d’une Afrique unie, fière et debout ne va pas durer. Car Sankara sera assassiné le 15 octobre 1987 par un compagnon d’arme et ami, Blaise Compaoré. Aujourd’hui, la majorité des jeunes générations d’Africains ne manifestent plus cette vision du panafricanisme des aînés, même si une minorité continue d’incarner ce vieux rêve des États-Unis d’Afrique2. Très rarement les Africains du Maghreb se sentent concernés par les crises qui se déroulent dans la partie subsaharienne du continent, plutôt que dans le monde Arabes, en l’Europe ou en Amérique et vice-versa3. Par ailleurs, l’Organisation panafricaine qui est née dans avec les rivalités historiques (Maroc/Algérie ; Sékou Touré/Senghor…), reste toujours minée par des problèmes de leadership ou d’égo démesuré de certains chefs d’État (Abdoulaye Wade/Obasanjo ; Afrique du Sud/Nigéria…). Ainsi, le rêve des États-Unis d’Afrique avec un seul président et un seul gouvernement dans un seul ensemble politique ne reste-t-il pas un mythe, difficilement atteignable ?
Une organisation née avec des tares congénitales
Dès le départ, un des premiers principes adoptés par l’OUA portait sur l’intangibilité des frontières héritées du colonialisme4. Pour ces initiateurs, il s’agissait d’éviter des divergences intempestives entre pays membres sur les tracés des frontières communes. Mais cela n’a pas évité les conflits interétatiques, et sera même un des obstacles majeurs à l’unité des pays «microscopiques» africains. C’est pour cette raison que le Maroc a claqué la porte de l’OUA depuis 1985 pour protester contre l’admission de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), lors du 20e sommet de l’OUA à Addis-Abeba en 1984, qui lui conteste la souveraineté sur le Sahara Occidental, ancienne colonie espagnole, sous contrôle de Rabat depuis 19755. Depuis sa position demeure inchangée vis-à-vis de l’instance panafricaine et l’Union Africaine est restée divisée sur cette question6. Un autre point d’achoppement était celui de la frontière Maroc-algérienne qui avait donné lieu à la «Guerre des Sables» en octobre 1963. C’est également dans ce contexte qu’on peut placer la guerre de la Bande d’Agacher, également connue sous le
2. Tel est la feuille de route du Groupe de recherche et d’initiatives pour la libération de l’Afrique (Grila) basé à Montréal au Canada.
3. Même si la crise pendant crise libyenne on a noté un certain panafricanisme face à l’intervention occidentale.
4. En effet, du 15 novembre 1884 au 26 février 1885, les nations européennes se partagèrent le continent lors de la conférence de Berlin et chaque puissance coloniale va diviser ses possessions en plusieurs entités qui deviendront les États africains après les indépendances.
5. A l’époque, le Maroc ne reconnaissait pas non plus l’indépendance de la Mauritanie acquise en 1960, qui selon lui faisait partie du «Grand Maroc», démembré par la colonisation.
6. Parmi lesquels la Tunisie ou la Guinée, souhaitent le retour du Maroc au sein de l’organisation. Depuis 1984, plus de trente pays dans le monde, dont les Seychelles, le Malawi, le Bénin ou encore le Tchad, sont revenus sur leur reconnaissance de la RASD.
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terme de «Guerre de Noël» ou «Guerre des pauvres» entre le Mali et le Burkina Faso en 1985 autour d’une bande de terre semi-désertique de 160 kilomètres de long et de 30 kilomètres de large réputée receler du gaz naturel et des ressources minières. Ce fut le cas aussi de la Bande d’Aozou entre la Lybie et le Tchad (1978-1987) qui vue l’intervention des forces françaises, et le cas aussi en 1989, entre le Sénégal et la Mauritanie. Ainsi on note l’omniprésence des puissances coloniales dans toutes les questions territoriales sur le continent.
L’Union africaine pour oublier la fantomatique OUA
C’est pour briser cette image négative portée son aînée, l’OUA, très critiquée, souvent à juste titre, pour ses carences face aux crises sur le continent et son incapacité à favoriser une quelconque forme de solidarité entre États membres, son échec à coordonner leurs politiques pour sortir du sous-développement chronique, que les chefs de l’États des pays membres ont portée sur les fonts baptismaux l’Union Africaine (UA), en juillet 2002 lors du Sommet de Durban en Afrique du Sud en application de la déclaration de Syrte (Lybie) du 9 septembre 1999, à l’initiative des anciens présidents du Nigeria, Olusegun Obasanjo, d’Afrique du Sud Thabo Mbeki (chantre de la Renaissance africaine) et du guide libyen, Mouammar Kadhafi. Dans l’effervescence de ce renouveau, des objectifs très ambitieux ont été fixés à la nouvelle organisation, à savoir, oeuvrer à la promotion de la démocratie, des droits de l’homme et la bonne gouvernance sur le continent, favoriser le développement du continent en augmentant les investissements extérieurs par l’intermédiaire du programme du Nouveau partenariat pour le développement en Afrique (NEPAD). Au moment de la dissolution de l’OUA en son remplacement par l’UA en 2002, 53 des 54 pays africains actuels étaient membres de l’Organisation continentale7. De nouvelles institutions inspirées de l’Union européenne furent mises en place et, en 2003, Alpha Oumar Konaré (ancien président du Mali de 1992 à 2002) fut nommé premier président de la Commission de l’Union africaine. Ainsi, l’idéal porté par tous les panafricanistes semble à portée de main, ce qui fera dire à dernier que «l’Afrique est de retour», pour faire mentir, en quelque sorte, les afro-pessimistes. Malheureusement, très vite, toutes ces bonnes résolutions vont tomber, une à une à l’eau. Et l’UA se retrouve confronté aux mêmes maux qui avaient plombé l’OUA : immobilisme des chefs d’Etat, et surtout manque criard de moyens d’action. En fait, la Commission n’a aucun pouvoir réel de décision. Elle reste à solde du syndicat des chefs d’Etat qui ne la considèrent que comme un secrétariat exécutif, pas plus.
Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD)
En effet, dans cette nouvelle dynamique qui a vu naître l’UA à la place de la défunte OUA, un catalogue de voeux pieux a été mis sur papiers, pour enfin positionner le continent aux immenses richesses dans la poule position de l’émergence. C’est ainsi que le NEPAD qui est une vision et un cadre stratégique pour le renouvellement de l’Afrique a été mis sur les fonts baptismaux en 2002. Imaginé et mis en oeuvre par des Africains eux-mêmes afin d’accélérer la croissance et le développement des pays du continent afin d’éliminer durablement la pauvreté, mais aussi pour mettre fin à la marginalisation du continent dans les échanges mondiaux, le NEPAD se présentait à ce titre comme un programme novateur et révolution. Car depuis les indépendances, le développement des pays africains a toujours été réfléchi, planifié et même exécuté par les Occidentaux et sous leur
7. Le Soudan du Sud étant devenu indépendant en juillet 2012.
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houlette. Ainsi, pour la première fois, les Africains eux-mêmes proposaient une autre vision pour le développement du continent. Il est né de la fusion des plans portés d’une part par les président Algérien, Bouteflika, Nigérian Obasandjo et Sud-Africain Tabo MBéki, et Oméga du Sénégalais Abdoulaye Wade. Il a été repris comme programme de l’UA. Lors du Sommet de janvier 2010, le secrétariat du NEPAD a été officiellement intégré à la Commission de l’UA. Malgré la pertinence de ce programme, à ce jour, le NEPAD tarde à être une réalité concrète sur le terrain.
Mécanisme Africain d’Évaluation par les Pairs (MAEP), un machin inapplicable?
Dans la même veine, en 2003, le MAEP, un processus d’autoévaluation, de dialogue avec les pairs et de partage de best practices en matière de bonne gouvernance a été initié par les dirigeants africains. Son but est d’améliorer la gouvernance économique, politique ainsi que le développement socioéconomique dans tous les pays membres au moyen d’un examen par les pairs. Si 2012, trente des 54 pays africains y ont volontairement adhéré, ce qui représente les trois quarts de la population africaine, mais en réalité, à ce jour, très peu de pays ont accepté d’accueillir le mécanisme d’évaluation du MAEP.
Parlement Panafricain (PP)
De même, un Parlement Panafricain a été institué le 18 mars 2004 dont l’objectif est de servir comme plateforme commune aux populations africaines et à leurs organisations locales afin qu’elles participent plus activement aux débats et au processus décisionnel concernant les problèmes et défis auxquels le continent est confronté. Les fondateurs du Parlement Panafricain espéraient le voir devenir une institution jouissant de tous les pouvoirs législatifs et dont les membres sont élus au suffrage universel. Ce Parlement, dont le siège se trouve à Midrand, en Afrique du Sud n’exerce que des pouvoirs consultatifs et est composé de 230 membres. En réalité, son existence est très peu connue des peuples africains. Ce qui pose un réel problème de sa pertinence dans el contexte actuel ainsi que sa légitimité vis-à-vis des vraies attentes des populations DES ORGANISATIONS SE SUCCEDENT SANS RÉELES CAPACITÉS…
Incapacité à promouvoir une gouvernance démocratique sur le continent
Si les premières années des « indépendances », sont marquées par des figures emblématiques, imbues de vraies valeurs panafricanistes, d’idées d’indépendance totale et de projets viables pour une Afrique unie et prospère, malheureusement, ils ont tous, été éliminés par leurs propres frères, très souvent en complicité avec l’ancienne puissance colonisatrice (la parenthèse de Bob Dinard sur le continent en témoigne de cette page noire). Depuis, le sang n’a cessé de couler et continue encore de couler partout sur le continent lié notamment aux modes de dévolution et de gestion du pouvoir : Darfour, Tchad, Centrafrique, Ouganda, Niger, RDC, Somalie, Zimbabwe,…, la liste est longue. Les élections sont violemment contestées au Togo, au Kenya, au Gabon, en Guinée... Les coups d’État se succèdent en GuinéeR08;Bissau, aux Îles Comores, au Niger en Mauritanie, au Tchad..., alors que des pays comme la Guinée, la Côte d’Ivoire, la Mauritanie s’enlisent pour l’organisation d’élections libres, transparentes et démocratiques. Le Liberia, la Sierra Leone, l’Angola, le Burundi, le Rwanda, la République Démocratique du Congo, le Congo, la Centrafrique, l’Ouganda, le Tchad… conservent encore les stigmates de plusieurs décennies de guerre civile et vivent dans une stabilité précaire. Partout, c’est les restrictions des libertés, gestion patrimoniale du pouvoir, manipulation des institutions et
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de la Constitution, corruption à grande échelle, gestion laxiste, clientéliste, teinté de népotisme et « pouvoirisme » très souvent ensanglanté...., qui font lésion et comme seuls repères pour une Afrique qui se cherche encore plus de 50 ans après les indépendances.
Si dans les années 1990 on a remarqué une nette régression des coups d’État, des rébellions, des guerres interétatiques ou internes, depuis quelques années on note un retour marqué des coups d’État, notamment dans la partie occidentale du continent. Après le Discours de François Mitterrand à La Baule en 1989, le vent de démocratisation avait suscité l’espoir, et dans la foulée, l’Organisation de l’Unité Africaine proscrit, lors du Sommet d’Alger en juillet 1999, les « coups d’État ». Pourtant, très vite on a déchanté. Ce fut le cas au Niger, avec le putsch du 18 février 2010 contre le Président Mamadou Tandja, en Mauritanie en 2006 avec la chute de Maouya, en Guinée avec l’arrivée au pouvoir du capitaine Moussa Dadis Camara, en décembre 2008 à Madagascar, au Mali en 2012 avec le capitaine Sanogo à quelques mois seulement de la fin du mandat du président Amadou Toumani Touré (ce qui a été un prélude à la décomposition de ce pays autrefois présenté comme un modèle de démocratie sur le continent), et récemment en Centrafrique et la tentative de renversement d’Idriss Deby au Tchad, entre autres.
Malgré la condamnation que l’Organisation a toujours apposée à ces prises du pouvoir par la force (condamnation systématique des coups d’État), il faut reconnaitre que les scènes de liesse des populations qui les ont accompagnées, traduisent un malaise profond en matière de gouvernance politique sur le continent. En effet, contrairement au passé, la plupart des coups d’État depuis le début des années 2000 sont bien accueillis par les opinions publiques nationales. Ainsi, la raison est que les leaders, notamment les élites politiques africaines, sont devenues les véritables sources d’instabilité pour leurs pays. Par leur violation récurrente des normes élémentaires de l’État de droit, par l’instrumentalisation de la Constitution et leur volonté cynique d’imposer à leur pays une succession dynastique le tout enrobé d’une mauvaise gouvernance des maigres ressources du pays dans les mains d’un clan au détriment de la grande masse de la population qui croupie dans une pauvreté manifeste, en sont les vraies raisons. Ainsi, si certains pays commençaient à sortir des ténèbres, par contre d’autres sombrent dans de nouvelles crises interminables résultantes de processus autocratiques, notamment avec de l’organisation de simulacres élections, qui ne sont démocratiques que de nom, dans lesquelles, « le parti unique » au pouvoir, s’attribue un score confortable et attribue celui de ses opposants, selon leur degré de malléabilité. Ce qui donne cette instabilité chronique et compromet toute initiative de développement socioéconomique. Incapacité à assurer leur autonomie financière L’un des grands défis a toujours été et reste très certainement, le financement du budget l’Organisation continental. Jusque-là, il est essentiellement assuré par le « club des cinq » (l’Afrique du Sud, l’Algérie, l’Egypte, la Libye et le Nigeria), dont chacun verse 15% de la partie « africaine » du budget total, soit 75% (45 millions), et seulement 15 millions par les autres États membres. En effet, selon un rapport du Sénat français, « sur l’ensemble de son budget de 250 millions de dollars (175 millions d’euros), seuls 45 millions proviennent des contributions des Etats membres » et « au sein de cet ensemble, seuls quelques pays contribuent de manière significative ». Pour mémoire, en juillet 2005, lors du sommet de Banjul (Gambie), le président de la Commission Alpha Oumar Konaré avait déploré 80 millions de dollars d’impayés et souligné que seuls 12 États membres sur 53 étaient à jour
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de leurs contributions. Onze pays, très mauvais payeurs, étaient même suspendus8. La situation est loin d’avoir fondamentalement changé aujourd’hui. En effet, à la veille du sommet de Malabo, en Guinée Équatoriale en juin 2011, seuls neuf, sur les 53 États membres, avaient entièrement versé leurs contributions pour l’année 20119. Par ailleurs, 26 pays avaient des arriérés de paiement; 16 qui n’avaient pas d’arriérés n’avaient pas payés leur contribution annuelle, alors que seuls deux sur dix pays avaient remboursé leurs arriérés et payé pour l’année 2011. Constatant les difficultés financières auxquelles est confrontée la Commission de l’UA, le Conseil exécutif avait négocié, le 1er juillet 2005, une refonte des contributions au budget statutaire. Mais, les cinq pays les plus riches qui ont accepté de participer plus largement au budget en raison de 15% chacun sur les 60 millions de dollars de budget, ne risque t’-ils pas d’avoir plus d’ascendant sur les autres membres de l’Union ? En tous cas Pékin qui a bien compris la situation et constaté la montée d’un anti-occidentalisme auprès d’une certaine élite africaine, renforce ces relations tant avec les pays du continent pris individuellement qu’avec l’Organisation continentale. C’est dans ce contexte que la Chine se présente comme le nouveau mécène pour l’Organisation continent, notamment depuis la mort de Mouammar Kadhafi en Libye. Alors quelle indépendance, lorsque l’on connait la célèbre boutade : les pays n’ont pas d’amis ils n’ont que des intérêts ? L’Union africaine dans les mêmes sillons d’incompétence que l’OUA A l’image de son aînée, l’Union africaine peine à résoudre les crises multiples qui secouent le continent et à assumer toutes ses responsabilités. Du coup, les réussites de l’UA peuvent se compter sur les doigts d’une main. Le NEPAD, un de ses programmes phares, adulé à sa naissance dans tous les cercles, aujourd’hui presque plus personne n’en parle. Même l’un de ses inspirateurs, le président sénégalais Abdoulaye Wade reconnaît que c’est un échec10. Surtout, l’organisation n’a jamais véritablement brillé dans la prévention et la résolution des nombreux conflits qui déchirent le continent africain depuis les indépendances. Sans la fermeté des États-Unis, qui ont pesé de tout leur poids pour faire partir Charles Taylor en 2003, certainement la guerre civile au Libéria ne connaitra jamais de répit. De même l’Organisation continentale a fait preuve de la même impuissance en Sierra Leone. Il aura fallu l’intervention des troupes d’élite de la Grande-Bretagne, l’ancienne puissance colonisatrice, pour mettre fin au sinistre besogne des rebelles du RUF de Foday Sankoh. Dans le domaine de la défense des droits de l’homme, l’UA n’a jamais non plus brillé. Elle a presque fermé les yeux sur les dérapages du président zimbabwéen Robert Mugabe, ainsi que sur les viols massifs de femmes et autres exactions commis dans l’Est de la RDC. Autre tache sombre dans cette histoire de l’Organisation, la façon dont elle a géré la crise déclenchée au Togo après le décès du président Gnassingbé Eyadema avec la prise du pouvoir contestée de son fils Faure Gnassingbé en 2005. On se rappelle, pendant cette épisode dégradante pour tous les démocrates du continent, Olusegun Obasanjo, alors président en exercice de l’UA, avait désavoué publiquement Alpha Oumar Konaré, président de la Commission sur les positions prises par ce dernier11. Alpha Oumar Konaré,
8. L’UA a renouvelé les sanctions contre sept pays (RCA, RDC, Guinée-Bissau, Liberia, São Tomé e Príncipe, Seychelles et Somalie) pour n'avoir pas réglé leur cotisation, tandis que deux nouveaux pays sont désormais inscrits sur la liste (Érythrée, Niger).
9. L’Algérie, l'Angola, l'Erythrée, le Lesotho, l'Île Maurice, le Mozambique, la Namibie, l'Afrique du Sud et le Rwanda.
10. Certes, le nouveau président sénégalais, Macky Sall a été désigné par ses pairs pour piloter le programme infrastructures du NEPAD, mais à ce jour les Africains attendent encore de voir du concret, si l’on connait les difficultés de déplacer d’un pays à u autre du continent.
11. Le président de la Commission, qui s’était insurgé contre les exactions de l’armée togolaise à l’encontre des militants de l’opposition, avait nommé en mai 2005 l’ex-chef d’Etat zambien Kenneth Kaunda comme représentant spécial pour le Togo, chargé de diriger une commission
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a préféré jeter l’éponge en 2007 à l’expiration de son seul mandat, non sans avoir exprimé sa très grande tristesse face à cette situation en juin 2006, lors de la 9e session ordinaire du Conseil exécutif de l’organisation à Banjul. Il sera remplacé par Jean Ping, l’ancien ministre des Affaires étrangères du Gabon, le 1er février 2008. Les crises libyennes et ivoiriennes et surtout l’intervention occidentale pour renverser le régime de Kadhafi et de Gbagbo ont aussi profondément divisé le continent. Certains y voyaient une forme de néocolonialisme12, alors que d’autres pleuraient la disparition d’un généreux donateur pour les pauvres du continent qu’était Kadhafi, grâce à ses pétrodollars13. Le commentaire de Jean Ping, le 24 mars 2012, au micro de RFI en dit long sur l’incapacité de l’Union africaine pour face aux crises qui secouent le continent14. En effet, l’organisation panafricaine a montré son incapacité à faire appliquer de façon concrète ses propres résolutions en Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, les guinéens tombent comme des mouches sous les fusils de leurs propres forces de sécurité à chaque manifestation sans l’Organisation continentale ne trouvent mot à dire. Si l’Organisation panafricaine a pu apporter un semblant de stabilité en Somalie après plus de décennies de déchirement en collaboration avec l’organisation sous-régionale l’IGAD, la crise malienne a été un révélateur du summum de son incapacité de à assurer la sécurité et la stabilité sur le continent malgré tous les discours et les veux pieux.
Les Africains et la Cour pénal international (CPI), un véritable désamour Pourquoi la CPI ne poursuit-elle que des criminels africains? Pourquoi cet acharnement contre le continent? Est-ce que le Proche-Orient, l’Asie, l’Amérique latine et même l’Amérique du Nord et l’Europe n’ont pas, en leur sein, des personnes susceptibles d’être épinglées sur le tableau de chasse du bureau du procureur de la cour internationale? Entend t-on très souvent d’une certaine élite africaine. Mais ces reproches ne sont pas nouveaux. En effet, dans beaucoup de cercles d’intellectuels africains, la CPI est souvent considérée comme un instrument d’une domination postcoloniale. Pourtant le continent africain accueille déjà des tribunaux à vocation internationale, comme le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), basé à Arusha (Tanzanie), qui est une juridiction onusienne et le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL), mis en place par le gouvernement de Freetown en collaboration avec l’ONU, qui se présente comme une juridiction hybride mêlant droit international et droit sierra-léonais pour juger les crimes de guerre et toutes les atrocités commises lors de la guerre civile qui a secoué ce pays et qui dura de mars 1991 au 18 janvier 2002. Créée le 1er juillet 2002, la Cour siégeant à La Haye (Pays-Bas) est compétente pour statuer sur les crimes de guerre, génocides et autres crimes contre l’humanité à compter de la date de sa création. A ce jour, 114 membres sur les 192 que reconnaît l’ONU ont signé et ratifié le traité, 139 l’ont uniquement ratifiée. Depuis sa création, la CPI est vivement critiquée pour sa justice à deux vitesses, car seuls des Africains sont poursuivis. Selon ses détracteurs, à ce jour la CPI n’a engagé des procédures que contre des ressortissants de pays africains (Ouganda, République Démocratique du Congo,
d’enquête sur les violences postélectorales, ce choix validé par le Conseil de la paix et de sécurité de l’Union, a été jugé «nul et non avenu» par Olusegun Obasanjo.
12. Le président sénégalais Abdoulaye Wade qui s’est rendu à Bengazi le 9 juin 2011 accompagné par des mirages de l’armée française pour demander le départ de Kadhafi et les manifestations au Cameroun pour fustiger l’intervention française en Côte d’Ivoire contre le camp Gbagbo et la position de l’Afrique du Sud dans la crise ivoirienne, en sont des illustrations parfaites.
13. Ce fut le cas notamment au mali, où des manifestations ont été faites pour dénoncer cette intervention occidentale, ne sachant pas encore les conséquences de la disparition du régime de Kadhafi pour leur pays, qui sera quelques mois après envahi pars des islamistes.
14. «Lorsque l’Union européenne et les autres préparaient la résolution 1973 et son application, personne n’a demandé notre avis. Madame Catherine Ashton et Alain Juppé sont allés au Caire, mais pas à Addis-Abeba. C’est la raison pour laquelle nous ne sommes pas venus non plus au sommet international Union européenne-Union africaine-Ligue Arabe sur la Libye, organisée à Paris le 19 mars dernier. Nous ne voulions pas faire de la figuration.»
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Centrafrique, Soudan, Kenya, la Lybie et Côte d’Ivoire). En effet, sur la vingtaine de mandats d’arrêt émis par l’institution, tous concernant des Africains15. Ainsi, à l’issue du sommet de l’Union africaine en Guinée Équatoriale en juin 2011, Jean Ping, président de la Commission, a vertement critiqué cette façon de faire : «Nous sommes contre la manière dont la CPI fonctionne », en s’apprenant directement à l’ex-procureur, Luis Moreno-Ocampo qui «ne condamne que des Africains, il ne juge que des Africains. En Afghanistan, au Pakistan, à Gaza, en Tchétchénie, au Sri Lanka… Il n’y a qu’en Afrique qu’il y a des problèmes? C’est la question qu’on se pose». C’est ainsi que les Africains sont entrains d’entreprendre des actions pour la création d’une Cour criminelle en Afrique16 pour mettre fin à cette discrimination dont les Africaines sont les principales victimes. C’est ainsi que l’Union africaine a refusé de faire appliquer les mandats d’arrêt de la CPI contre el-Béchir et Kadhafi. La nomination de la Gambienne, Fatou Bensouda, comme nouveau procureure générale de la CPI, le 12 décembre 2011, succédant à Luis Moreno Ocampo, ne change rien à la situation, au contraire, certains Africains pensent d’elle comme une marionnette au service des Occidentaux, pour encore mieux sévir contre ses propres frères. Certes, la mise en place de la CPI a marqué une avancée significative dans la lutte contre l’impunité sauvage et les actes barbares que les seigneurs de guerre faisaient régner le continent. Toutefois, elle est fortement critiquée pour sa partialité, car ne jugeant que des Africains, et son incapacité à faire exécuter ses mandats d’arrêt internationaux, montrent ses limites réelles. Mais le cas problématique de l’ex-président tchadien, Hissène Habré17, n’est-il pas aussi un exemple concret d’incapacité des Africains faire face seuls à leurs démons ? En effet, montrant son incompétence dans son traitement, l’UA s’est débarrassée de ce dossier encombrant en le donnant au Sénégal qui, depuis 2006, tergiverse en voulant même renvoyer de Habré vers le Tchad. Mais cette extradition qui violerait les lois internationales en la matière a été vite stoppée. Dans tous ces sens, cette affaire est devenue le symbole de l’impunité et de l’incapacité des Africains, même si le mécanisme pour juger Habré au Sénégal est mis en branle depuis janvier 201318. Or les victimes qui eux attendent toujours, plusieurs d’entre elles décèdent sans avoir une justice africaine, debout, juste et équitable. Ah, heureusement il y a nos amis, les chinois ! L’Afrique, jusqu’à une passé récent très liée aux anciennes puissances coloniales, diversifie de plus en plus ses partenaires. Aujourd’hui, Fonds Arabes, Indiens et surtout chinois prennent de plus en plus le pas sur les investisseurs occidentaux sur le continent qui comptera deux milliards d’habitants en 2050. Les échanges entre la Chine et l’Afrique sont passés 200 milliards de dollars en 2012 contre 20 milliards, dix ans plus tôt. Ce qui place la Chine comme première partenaire commercial du continent depuis 2009. Toutefois, si la Chine a commencé à envoyer il y a 60 ans des ouvriers construire des routes et des voies ferrées en Afrique, c’est depuis 15 ans qu’elle investit massivement sur le continent, essentiellement pour s’attirer les matières premières nécessaires à son
15. A ce jour, le président soudanais Omar El Béchir est le seul chef d’État être inculpé A ce jour, le président soudanais Omar El Béchir est le seul chef d’État être inculpé depuis mars 2009 et à qui est décerné un mandat d’arrêt international depuis mars 2009, mais aussi depuis son élection le 9 avril 2013, le président Kenyan, Uhuru Kenyatta est aussi sur la liste des mandats d’arrêt international de la CPI. Ce dernier est pourtant accueilli à Londres pour une visite officielle margé son inculpation par la CPI.
16. Sur l’agence de presse chinoise, Xinhua.
17. Juger les crimes commis au Tchad entre le 7 décembre 1982 et le 1er décembre 1990. Il serait responsable de plus de 40 000 morts parmi les opposants politiques.
18. Sur le budget estimé à 4 milliards de FCFA pour ce procès, la Belgique a apporté un soutien financier de 530 millions de FCFA. Outre la Belgique, le Pays-Bas a aussi apporté une contribution dans ce sens. Ainsi, le Sénégal va aussi met en place une juridiction hybride, les Chambres Africaines Extraordinaires chargées de juger Hissène Habré.
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envolée économique. Un Forum de partenariat Chine-Afrique se réunit tous les trois ans depuis 2001 les deux parties. De 10 milliards de dollars de promesses de prêts aux États africains en 2009, Pékin est passée à 20 milliards lors de la dernière édition en 2012 pour la période 2013 et 2015. La Chine qui fait passer d’abord, sur le continent, ses intérêts économiques avant les questions de droits de l’Homme, se présente, contrairement aux partenaires traditionnels, comme un partenaire proposant du «Gagnant-gagnant» aux dirigeants africains, un partenariat déteinté de toute ingérence politique. En effet, « Le développement de la Chine sera une opportunité sans précédent pour l’Afrique de même que le développement de l’Afrique le sera pour mon pays », selon le président Chinois, Xi Jinping devant le Sénat Congolais, à Brazzaville en mars 2013, lors de sa première tournée africaine. C’est ainsi que les Chinois qui contestent aussi les prérogatives de la CPI ont apporté leur soutien au président soudanais, Omar el-Béchir, accusé visé par un mandat d’arrêt international19. Egalement, dans ce contexte que l’UA à la recherche de financements depuis des années auprès des partenaires traditionnels du continent pour la construction de son nouveau siège à Addis-Abeba, que Pékin a pris en charge entièrement cette doléance. La Chine serait aussi partante pour financer l’institution d’une Cour de justice africaine, en opposition à la CPI jugée trop anti-africain. La Chine qui a financé la construction du nouveau siège de l’Union africaine « pour cimenter ses amitiés sino-africaines », mais aussi comme symbole la montée en puissance chinoise sur le continent20. Ce « cadeau » made in China21 montre par ailleurs, combien les autorités chinoises ne veulent plus paraître comme des prédateurs des matières premières africaines ou comme constructeurs d’infrastructures. Désormais, elles veulent aussi marquer leur présence sur le continent de manière indélébile. En investissant près de 200 millions de dollars pour édifier ce bâtiment majestueux (99,9 mètres de haut avec ses trente étages, le plus élevé d’Addis-Abeba, selon ses concepteurs), les Chinois entendent désormais donner une autre dimension à cette relation sino-africaine. Il a été inauguré le 28 janvier 2012, lors du 18e sommet de l’UA22. Certes, les Chinois n’entendent pas s’immiscer dans la gouvernance politique dans les pays, pour autant, ils mesurent l’importance de la stabilité politique pour leurs relations avec le continent, au-delà des relations strictement économiques. C’est ainsi que face à la recrudescence de la piraterie au large de la Somalie et à la déliquescence de pays, Pékin avait promis 4,5 millions de dollars à la force de paix de l’UA qui protège les institutions de transition somaliennes contre les islamistes shebab. La Chine a également apporté une contribution de taille aux missions de paix des Nations Unies au Soudan et au Burundi. Maintenant, c’est aux Africains de regarder lucidement cette relation au prisme de leurs intérêts, comme la Chine semble le faire malgré les discours de bonne volonté, pour ne pas revenir dans 50 ans avec le même discours d’éternels exploités. Bon anniversaire quand même à l’Organisation continentale !
19. Il est vrai que le Soudan était en 2010 le sixième fournisseur mondial de pétrole de la Chine, avec 12,6 millions de tonnes.
20. Jeune Afrique du 27 janvier 2012.
21. Car outre les ouvriers et ingénieurs, tous les matériaux qui sont entrés dans la construction de cet immeuble viennent directement de Chine, même le mobilier qui équipe les bureaux.
22. Avec ses trois centres de conférences, ses bureaux pour 700 personnes, son héliport et sa statue en bronze de Kwame Nkrumah, ancien président du Ghana et chantre de l’unité africaine.
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