Ont collaboré à ce numéro

 Dr. Bakary Sambe
 El Hadji Gorgui Wade
 Gilles Labarthe
 Jean Noel Cuenod
 Mission de France
 RAPEICAO
 Salon Livre Genève
 UNISDIR-GENEVE

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Qui peut au 21ème siècle ignorait l’Afrique? Se demande, Gilles Labarthe, Directeur de l’Agence Datas basée à Genève. Convaincu de l’importance du Continent africain, l’auteur notamment de L’Or africain. Pillages, trafics & commerce international (éditions Agone, 2007), Sarko l’Africain (éditions Hugo & Cie, 2011), Le Togo, de l'esclavage au libéralisme mafieux (éditions Agone, 2005 et 2013 pour la seconde édition), fustige cette mondialisation qui ne met pas l’homme au cœur de son mouvement et ses dégâts collatéraux. Journaliste passionné par les reportages et les enquêtes, le franco-suisse, est co-auteur du livre Reportages de l’autre côté du monde, paru récemment paru aux Editions d’En Bas. (Entretiens).

 

Pourquoi Reportages de l’autre côté du monde ?
 
Ce livre est d’abord un manifeste – même très modeste, puisque publié dans un format de poche ! Il s’agit de rappeler qu’un autre journalisme est possible : un journalisme à visage humain, qui prend le temps de donner la parole aux personnes « oubliées » par les grands médias, de rester à l’écoute de leurs préoccupations. Comme vous le savez, la presse est désormais dominée par des impératifs de rentabilité et d’immédiateté. On demande aux journalistes d’aller toujours plus vite, de « coller à l’actualité », sur le modèle de CNN, Internet et, désormais, les soit disant « réseaux sociaux ». Pourquoi s’aligner sur cette accélération générale du rythme? Qui nous impose cette tendance? Et surtout, à qui ou à quoi profite-t-elle ? A contribuer à la désinformation ambiante ? Ras-le-bol de relayer des discours officiels, ou de ne relater que des événements « spectaculaires », dans une course à l’audimat. Hier, c’était la parade tricolore de l’intervention militaire française au Mali, ou la prise d’otages par d’obscurs islamistes au nord du Cameroun. Aujourd’hui, les scènes de pillages et de massacres à Bangui, en Centrafrique. Et demain ? Tout se passe comme s’il fallait se limiter à l’évocation médiatisée des symptômes, sans le recul et l’attention nécessaires pour les causes profondes. Face à ces contraintes du « temps réel », notre métier en ressort fragilisé, comme rarement depuis une génération. La dimension démocratique de notre mission d’informer est remise en cause. Voilà le constat que nous avons fait en 2004, et qui nous a amené à fonder l’agence de presse DATAS, collectif de journalistes indépendants. Se libérer du mainstream de cette pseudo « actualité » nous a permis entre autres de réaliser ces Reportages de l’autre côté du monde. Ils peuvent aussi se lire comme un bilan: notre réseau de journalistes a sillonné une quinzaine de pays, pour recueillir des témoignages au plus près, à la source. Et en somme, toutes les populations des « sans voix » que nous avons rencontrées nous racontent la même histoire, au nord comme au sud: elles nous disent qu’elles n’en peuvent plus de subir la mondialisation débridée de l’économie. Cette mondialisation à outrance a engendré des situations si désespérées qu’elles sont à la base de la plupart des foyers de tension et des conflits à venir. Cette mondialisation sans garde-fous, qui sert surtout des intérêts privés, est en train de ruiner nos Etats, notre planète.
 
Vous êtes connu pour faire des livres d'enquêtes, l'Afrique semble être un terreau propice pour vous, comment expliquez cet intérêt pour le Continent premier?
 
Qui, au XXIe siècle, peut encore ignorer l’Afrique? C’est le plus grand des continents. Un des plus anciens, par son histoire et ses civilisations. Le plus jeune, par sa population. Un des plus fragiles, en raison de son annexion par les forces armées lors de la période coloniale, puis des conflits meurtriers entretenus depuis l’étranger pendant la guerre froide. Cette ingérence étrangère n’a jamais cessé. Elle nous fait aussi comprendre qu’il s’agit d’un des continents les plus convoités, pour ses ressources naturelles – et quoiqu’en dise ce bluffeur de Nicolas Sarkozy. Malgré tous ces enjeux, l’Afrique reste le continent le plus sous-traité, et le plus maltraité dans les médias. J’essaie de comprendre pourquoi, et au passage de casser quelques contre-vérités encore très répandues.
 
Etes vous confiant qu'un jour l'Afrique pourra enfin traiter d'égal à égal avec le reste du monde, y a –t- il des préalables?
 
Un des préalables serait précisément de briser le cercle vicieux de l’ignorance et du silence, qui permet à toutes sortes de réseaux mafieux liés à une élite politicienne locale et métropolitaine de continuer à piller et à déstabiliser l’Afrique, au détriment du plus grand nombre. C’est aussi le sens donné à mes trois ouvrages précédents, dans une démarche appuyée de près ou de loin par des organisations de défense des droits humains comme Survie ou Agir Ici, en France. C’est encore ce que revendiquent des acteurs de la société civile africaine, que nous avons pris le temps de rencontrer sur place et dans leur pays - et non pas en restant dans les bureaux climatisés des Nations unies, où règnent trop de précautions de langage. Nous sommes allés au Maroc chez les ouvrières travaillant sur les champs de tomates exploités par des sociétés françaises; à Kédougou au Sénégal auprès de villageois confrontés au saccage de leurs modes de vie traditionnels par les compagnies minières occidentales ; au Kenya pour évaluer les ravages provoqués par l’horticulture extensive et le changement climatique ; en Afrique du Sud pour « tracer la route » avec les laissés-pour-compte de l’ANC… Dans le « parler vrai » des personnes interviewées, on retrouve le même diagnostic, qui fait penser à du Pierre Bourdieu dans le texte, pour son enquête collective de sociologie sur La Misère du monde: elles souffrent d’abord de ne pas être considérées, de voir leur propre histoire, leur besoins et leur avenir niés; ensuite, de rester impuissantes et sans aide aucune tandis que leurs terres et leur environnement sont bradés au profit de multinationales étrangères; enfin, d’être abandonnées par un gouvernement écrasé sous le poids de la dette, qui a renoncé à faire respecter les principes élémentaires de justice et de souveraineté nationale… Or, sans souveraineté nationale, pas de liberté face aux bailleurs de fonds, au FMI et à la Banque mondiale, pas de liberté dans les alliances avec d’autres pays du Sud, ni de marge pour faire fonctionner une vraie fédération d’Etats africains, ni mettre en place une vraie Union africaine comme contrepoids d’autres Etats unis ayant le capitalisme financier pour seul horizon. Ce qui nous conduit à un second préalable…
 
Une conclusion?
 
D’une certaine manière, leurs paroles font écho à celle des premiers leaders indépendantistes, 50 ans plus tard. Mais aussi, à celles du récent mouvement des « Indignés », plus près de chez nous. Avec un plus: ces témoins et passeurs d’informations nous ont aussi proposé des pistes pour en savoir davantage, résister et s’en sortir. Elles sont mentionnées en fin de chapitres, pour que leur histoire ne s’arrête pas là.
 
Propos recueillis, à Genève, par El Hadji Gorgui Wade Ndoye