Ont collaboré à ce numéro

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La récurrence des inondations à Dakar et sa banlieue depuis près d’une décennie est une question qui interpelle aujourd’hui tous les acteurs de la vie nationale, acteurs politiques comme acteurs économiques, sociaux et même culturels et sportifs. Elle met en évidence la lancinante question de la nécessaire synergie entre l’État du Sénégal et les collectivités locales affectées par ce phénomène. Le problème des inondations dans les villes comme Dakar, une presqu’île qui avoisine les trois millions d'habitants sur une superficie de 550 km2, pose la problématique de l'aménagement du territoire et, conséquemment, de l'aménagement urbain, mais aussi celle des établissements humains dont l'importance dans la qualité de vie et la contribution dans la gestion équilibrée de l'espace ne sont plus à démontrer.

Il va de soi que les fortes pluies enregistrées ces dernières années à Dakar et sa banlieue ne sont pas la cause principale des inondations. Loin s'en faut. Il ne faut surtout pas se tromper de diagnostic dans ce qui peut être considéré comme les pré-requis pour faire face à ce phénomène. Les pluies, si fortes soient-telles, n'ont jamais été une mauvaise chose dans des zones à isohyètes très faibles comme le Sahel. Tout au contraire, ces pluies devraient être considérées comme une bouée de sauvetage et une ressource supplémentaire dont la nature a bien voulu gratifier cette partie du sahel, si souvent soumise aux affres de la sécheresse, en ouvrant les vannes d'une nature pas toujours généreuse avec elle. C'est dire que l'excès de pluies ne peut et ne doit nuire dans un environnement qui en demandera toujours. Si les pays de l'Afrique équatoriale reçoivent deux, voire trois fois plus de pluies que le Sahel, ils ne s'en portent pas moins bien quand on sait que cette quantité d'eau trouve toujours un réceptacle naturel à travers des bassins naturels, des forêts ou des réserves foncières capables de recevoir le trop plein d'eau. Abidjan pleut beaucoup plus que Dakar et, pourtant, on n'entend pas parler d'inondations et de quartiers engloutis sous les eaux.

La capitale ivoirienne est certes construite sur une pente qui déverse sur la lagune Ebrié et il suffit simplement de respecter la configuration de la pente pour drainer les eaux de pluie. On peut en dire autant de beaucoup d’autres villes se trouvant sous des latitudes particulièrement pluvieuses et qui ne souffrent nullement des inondations du fait de ruissellement naturel.

Évidemment, sans avoir la prétention de faire croire que ces villes sont mieux loties et mieux positionnées que Dakar du point de vue de leur configuration spatiale, nous pouvons simplement affirmer sans risque que, quelle que soit la position qu’occupe un établissement humain, si un minimum d'aménagement préalable n'est pas effectué et un certain nombre de règles d’urbanisme respectées en matière d'occupation de l’espace et de gestion des zones sensibles, le risque demeure, de vivre de façon récurrente les inondations comme ces dernières années à Dakar.

Même située sur une pente naturelle et bénéficiant d'un réceptacle naturel, une ville doit aménager son espace, en se débarrassant de tous les obstacles physiques ou artificiels qui peuvent faire entrave à l'écoulement des eaux de ruissellement.

Il en est ainsi des occupations anarchiques sans aménagements préalables, sans système d'assainissement adéquat et dimensionné pour évacuer les eaux. Ce qui s’est passé ces dernières années dans la banlieue de Dakar est la manifestation de trois phénomènes qui, combinés, sont les véritables causes des inondations.

Il s'agit, d'une part, de l'occupation anarchique et inconsidérée de l'espace qui n'obéit à aucune règle d'aménagement, à aucun plan directeur digne de ce nom. On s'installe comme l'on veut dans certains quartiers spontanés et parfois même réguliers sans tenir compte de l'état du terrain ou de sa pédologie.

Il s'agit, d'autre part, de l'absence ou de la non-fonctionnalité des réseaux d'évacuation des eaux usées et de ruissellement. Il s’agit enfin de la non exploitation de la nappe souterraine qui, quotidiennement reçoit près de 80.000 m3 d’eau potable du Lac de Guiers. Une eau déversée dans la nappe et non recyclée à travers d’autres usages comme l’agriculture urbaine et périurbaine. On ne se soucie que très peu de la destination des eaux de pluies tout comme des eaux domestiques.

Les systèmes d'assainissement et les conduites d'évacuation des eaux, si elles existent, sont souvent sous dimensionnées ou hors normes et ne permettent pas d’anticiper l’augmentation du réseau du fait de l’accroissement de la population et des activités. Bien souvent, ces conduites sont soit mal conçues et mal orientées soit purement obstruées par les ordures ménagères, envahies par le sable ou purement détériorées.

Pour le cas de Dakar, la situation est exacerbée par le fait que des zones non édificandi, jusque-là réservées aux eaux de pluies sont maintenant occupées par des habitations. Une occupation que beaucoup attribuent au fort exode rural qui a marqué les vingt années de sécheresses répétitives (des années 1970-1990) et qui ont déstabilisé les bases de l'agriculture sénégalaise. Sécheresses qui ont conduit plusieurs milliers de familles rurales à venir s'installer dans des cuvettes jusque-là considérées comme des zones inondables, mais dont l'écosystème avait été quelque peu bouleversé par l'absence de pluies.

L’accélération de l’occupation de cette « réserve foncière » du fait d’une forte pression des immigrants a entraîné une occupation anarchique et totalement déséquilibrée de ces zones. Souvent, ce sont les couloirs de circulation des eaux de ruissellement vers la mer qui sont coupés, avec pour conséquence une rupture brutale des interactions entre le domaine continental et le domaine maritime et une privation des ressources de la mer en apports nutritifs (minéraux) de la terre. Selon certains spécialistes, il y a une relation de causalité très forte entre l'action de l'homme sur son environnement terrestre et ses conséquences sur l'environnement marin. Plus grave encore, les catastrophes naturelles, l'érosion côtière en particulier, sont souvent provoquées, d'après ces scientifiques, par cette rupture d'équilibre entre la terre et la mer. Ce qui étouffe le domaine maritime et l'amène parfois à se rebiffer, à exploser, provoquant ainsi le débordement de l'océan dans les zones côtières et l'envahissement des quartiers situés en bord de mer (érosion côtière).

On ne le dira jamais assez, Dakar est assise sur une bombe et personne ne semble voir venir ou tout le monde regarde venir en se disant que je ne serai pas des victimes. Mieux vaut prévenir que guérir. Il faut réagir avant de subir. Car une fois que la nature se déchaîne, aucune force humaine, fut-elle celle de la plus grande puissance du monde, ne peut s'y opposer. Un combat pluridisciplinaire, multisectoriel s’impose donc. Il requiert une approche participative et un engagement volontariste de tous les citoyens. Dakar peut encore être sauvée des eaux de pluies et des érosions ou tout au moins largement protégée de ces phénomènes. Si nous en avons les ambitions, nous pouvons en avoir les moyens, car il s'agit de rétablir les grands équilibres qui avaient fait de Dakar l'un des plus beaux sites du monde. Oui, notre capitale est l'un des sites les plus enviables du monde car elle dispose de plusieurs atouts dont la combinaison lui confère une position à nulle autre pareille. Partie la plus avancée sur la côte occidentale, adossée à un océan considéré comme l'un des plus grands, des plus riches, mais aussi les plus tumultueux du monde, notre capitale dispose d'une côte faite de sable fin et de falaises aux pentes abruptes. Une côte qui termine des dunes de sable servant de plateau surplombant légèrement la mer. En réalité, ces dunes sont une zone d'habitation par excellence. Elles longent la bande côtière de Guédiawaye aux Parcelles assainies, en passant par Pikine, pour se terminer vers le centre ville qui, comme on le sait, était partagé entre `collines et cuvettes`, mais que l'ingéniosité du colon a permis de récupérer comme zone d'habitation. Adossée à ces zones, la cuvette des Niayes, le plus grand atout de Dakar qui s'étend de Diameguene-Thiaroye à Pikine-Guinaw Rail en passant par la cuvette du technopole, Khourou Nar, Médina Gounass. Une zone verte qui n'aurait jamais dû être une zone d'habitation et dont l'occupation massive est la cause de toutes les catastrophes. Si l’administration coloniale avait mis en place le parc forestier et zoologique de Hann à l'entrée de cette cuvette, c'est parce qu'elle était consciente de l'importance stratégique de cette zone qui devait être le réceptacle naturel des eaux de ruissellement. En effet, si l'on enregistre aujourd'hui autant d'inondations, c'est parce que l'eau ne circule plus du fait que son écoulement naturel a été rompu. Les flux et reflux qui devaient s'opérer entre le domaine maritime et la cuvette des Niayes sont brisés dans leurs manifestations cycliques par l'occupation de la zone des palétuviers de Thiaroye à l'entrée de Dakar, l'occupation de la zone de Sotiba, du foirail de Dakar et de Dalifort, les aménagements du technopole et l'occupation des autres bas fonds dont on dit qu'ils étaient la zone de passage des piroguiers qui se rendaient en mer. Pour résoudre l'équation de l'inondation, il faudra donc impérativement respecter ces différentes fonctions des zones précitées. Il faudrait également restaurer les équilibres naturels en créant des voies d'eau là où elles existaient auparavant. Là où il n'est pas possible de casser des quartiers, d'enlever des paquets de maisons, la logique voudrait qu'on y aménage des canaux comme celui de la Gueule Tapée, en les dimensionnant dans une perspective futuriste. La Niaye doit retrouver son lit naturel avec un plan d'eau qui peut servir à de multiples usages tout en devenant une zone humide de référence dans le monde, car pouvant accueillir les oiseaux migrateurs. La remise en état de cette zone peut permettre au Sénégal de la proposer parmi les zones pouvant participer à la séquestration du carbone et à la lutte contre l'effet de serre et les changements climatiques. Elle peut ainsi être rentabilisée et devenir en même temps un espace touristique (écotouristique). L'argent généré pourra non seulement permettre d'indemniser les populations se trouvant dans l'emprise de cette cuvette, mais aussi créer des emplois induits par cette nouvelle activité à laquelle beaucoup de jeunes dakarois pourront y trouver leur compte.

La solution par le recyclage de l'eau du lac de Guiers ?

L’autre constat à tirer de ce phénomène est que Dakar ne reçoit pas seulement les eaux de pluie. Elle reçoit également quelques 390.000 m3 d'eau venant du Lac de Guiers. Où va cette eau après son utilisation ? Dans la nappe bien sûr. Le Lac de Guiers qui dispose d'un plan d'eau de 390 millions de m3, alimente la capitale à hauteur de 30 % (environ 80.000 m3 d'eau par jour). Pour l'horizon 2015, les prévisions en matière d'accès à l'eau et en assainissement sont de 88 % des ménages de Dakar qui doivent disposer d'un branchement domiciliaire à l'eau potable contre 75,5 % en 2002. Ce qui signifie que toute cette eau qui arrive à Dakar doit être retraitée et réutilisée de façon permanente afin de stabiliser la nappe phréatique. Cela pourrait se faire par le biais de la mise en place de forage et de système de retraitement et de recyclage des eaux de ruissellement et des eaux domestiques. Envisager des propositions alternatives au plan Jaxaay Il me semble également important de ne pas limiter les actions au relogement des populations. Il faudrait également envisager des propositions alternatives de retour au terroir pour ceux qui veulent retourner dans leurs villages. Une offre pourrait ainsi leur être faite de prendre un logement Jaxaay ou de regagner leur terroir moyennant des aménagements agricoles, l'offre de matériel agricole et la mise en place de bassins de rétention leur permettant de travailler toute l'année. Voilà quelques observations que m’inspire cette situation dont la solution sera trouvée de façon synergique avec des experts en environnement, en aménagement du territoire, en gestion des établissements humains. Il s'agit contribution à verser au débat qui interpelle tous les Sénégalais. Cette contribution ne manquera certainement pas de susciter les réactions auprès d’organisations aussi engagées dans ces problématiques que sont Wetlands International, l'Uicn, le Centre de suivi écologique de Dakar, l'Institut des Sciences de la terre, mais aussi les agences et autres directions de l'Urbanisme, de l'Aménagement du territoire, du Droit à la Ville, le Projet de stratégie de développement urbain du Grand Dakar, de l'Institut africain de gestion urbaine... Je demeure convaincu que leurs arguments seront d'un grand intérêt dans la résolution de ce phénomène. C'est à eux et à nous qui sommes les responsables mais aussi les victimes de cette situation, d'aider le chef de l’État à trouver la vraie solution.

Mamadou Kassé madoukasse@yahoo.fr