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Dr El Hadji Abdourahmane Diouf, ICTSD-Genève, auteur du livre “L’Afrique et le droit à la différence dans les négociations commerciales internationales : OMC, APE, Intégration régionale», Harmattan 2009.

Quelle est l’idée qui sous tend « l’Afrique ne doit pas avoir le complexe d’un traitement différencié à l’OMC. Elle devrait même en faire un moyen d’intégration dans le système commercial international. Pour cela, elle a le droit et la justice pour elle. La théorie de l’inégalité juste induit un devoir de solidarité des pays développés qui ont, eux aussi, dû avoir recours à des mesures minimales de protection de leurs industries et de leur agriculture, avant de se lancer dans une économie libérale focalisée sur l’accès à d’autres marchés. Le droit est un produit social par essence. A ce titre, il est un instrument de régulation et de réajustement des inégalités. Il offre une opportunité de dé-cristalliser l’ordre établi pour offrir aux plus mal lotis la possibilité de passer à un ordre nouveau.

Si les pays africains ont ratifié les accords de l’OMC, cela rentrait plus dans une logique de conformisme et de commodité, pour ne pas dire de suivisme, que de formalisation de leurs intérêts économiques supérieurs. C’est pour cela que les périodes de mise en œuvre qui ont suivi la création de l’OMC ont été jalonnées de remise en cause, surtout dans les milieux sociaux. Mais l’OMC a ceci de positif qu’elle est une organisation internationale qui offre un espace de discussions continues. Cette particularité induit un apparent paradoxe lié aux caractéristiques de son droit, à la fois rigide et dynamique. Sa rigidité résulte du caractère contraignant de ses règles articulées autour du principe de l’engagement unique qui signifie que le consentement donné pour un accord de l’OMC vaut pour tous les autres accords. Son dynamisme résulte de la perpétuelle remise en cause de l’existant à travers les négociations continues. Et c’est là peut être, l’espoir de l’Afrique. 

Le cycle de négociations de Doha en cours devrait aider à placer les questions de développement au dessus de toutes les priorités. En conséquence, le Traitement Spécial et Différencié (TSD) qui est l’ensemble des flexibilités en faveur des pays en développement, devrait y occuper une place de choix et se positionner comme une locomotive. Cela reste encore au stade de voeux pieux. Les questions de TSD ne sont abordées que de façon sporadique. Et lors même qu’elles sont inscrites à l’agenda, les conclusions tournent autour du ressassement de déclarations incantatoires en faveur du développement qui n’ont aucune prise sur la situation des pays africains. Et même si les différentes résolutions de l’OMC essayent de remettre le TSD en scelle, l’objectif d’en faire des normes à valeur juridique contraignante reste en déphasage avec les comportements des membres dans les négociations. L’une des priorités des pays africains devrait être d’arriver à obtenir des normes contraignantes sur les questions de développement et justiciables devant l’Organe de Règlement des Différends de l’OMC. Car, en l’état actuel des choses, les flexibilités qui leur sont accordées dans leur grande majorité sont facultatives dans leurs conditions de déclenchement quoiqu’obligatoires dans leur mise en œuvre, dans certaines conditions. Une proposition de réforme pourrait se focaliser sur la légalisation de toute procédure de TSD, qui ne distinguerait plus l’opportunité de la légalité des conditions de l’octroi des avantages commerciaux.  

Nécessité  d’une différenciation des pays en développement 

Mais des préférences obligatoires ne pourraient pas être octroyées à tous les pays en développement, dans tous les cas pas au même niveau. Le grand handicap des pays africains est de souffrir d’une rivalité économique sourde entre pays développés et pays en développement d’un niveau de compétitivité supérieur. Les premiers rechignent à accorder aux seconds des flexibilités qui les rendraient économiquement plus viables et plus aptes à leur prendre des parts de marchés. La catégorie des pays en développement étant d’un flou indescriptible, la solution viendrait de leur différenciation sur la base de critères socio-économiques objectifs et vérifiables. Les pays en développement ne sont pas une catégorie juridique crédible à l’OMC, et ne répondent plus à la réalité de l’époque du TSD balbutiant des années soixante dix. La première différenciation au niveau du GATT résultait d’une approche pragmatique qui constatait que les pays industrialisés devaient accorder aux autres les possibilités de rattraper leur retard économique. Nous pensons qu’il est arrivé le temps d’une deuxième génération de différenciation qui épargne les extrêmes – pays développés et PMA -  pour formaliser les inégalités économiques entre pays dits en développement. Cette catégorisation nouvelle implique la remise en scelle de la clause du retour graduel. La graduation nous apparaît comme le corollaire logique de la différenciation. Elle signifie que la réalisation de performances économiques viables peut être un critère de déclassement vers la catégorie supérieure et le retrait des flexibilités y afférentes. Le déclassement par le bas à travers l’allongement de la liste des PMA devrait être organisé et encadré pour favoriser la possibilité d’un déclassement par le haut, pour un meilleur équilibre du système.  

Nécessité  de la dissociation commerce/coopération au développement 

Dans leur rapport avec les pays développés, les pays africains font face à un enchevêtrement inextricable de logiques politiques et économiques. L’OMC elle-même s’embrouille dans la définition de son mandat sur ses aspects liés au développement. La plupart des pays développés tiennent désormais leurs efforts dans la coopération au développement, comme gages de négociations commerciales fructueuses, surtout au niveau bilatéral. Les prescriptions envers les pays africains, proviennent du FMI, de la Banque Mondiale et de l’OMC, sans distinction de nature. De la même manière, la coopération au développement s’impose à  eux comme un corollaire des accords de commerce, avec la même contrainte. Or les deux logiques ne sont pas les mêmes. La coopération résulte d’une initiative unilatérale, libre dans son opportunité comme dans sa mise ouvre. Elle suppose une relation inégalitaire acceptée de fait. Les accords de commerce, pour leur part, sont définis soit sous le sceau du multilatéralisme – OMC – soit sous le sceau du bilatéralisme, mais indexés aux prescriptions du régime multilatéral qui leur confère une base légale à travers l’article XXIV du GATT. L’usage de plus en répandu de la coopération au développement comme outil d’argumentation des pays développés dans les négociations commerciales, ne permet pas d’avoir une lisibilité des flexibilités accordées selon les exigences du système et différentes des actes de générosité hors système. C’est en ce sens que des initiatives nouvelles comme l’Aide pour le commerce doivent être encadrées juridiquement à l’OMC pour pouvoir aboutir à des résultats probants pour les bénéficiaires. Si l’OMC n’a pas vocation à s’occuper des questions de développement, la prise en charge de cette thématique dans son agenda par une déclaration ministérielle hautement symbolique ne peut avoir de signification que dans la quête de sens du cycle de Doha, appelé cycle de développement.  

Pour une prise en compte plus effective des questions de développement 

Le TSD, et toutes les formes de flexibilités au niveau du commerce multilatéral, devrait être consigné sous la forme d’un accord prescriptif qui serait un élément de l’ensemble constituant l’engagement unique de l’OMC. La première étape d’une telle démarche devrait être de reconsidérer le caractère exceptionnel du TSD. Les pays développés n’en ont pas la vision d’un principe directeur régissant principalement la participation des pays peu développés au système et la jurisprudence l’a récemment confirmé comme une simple exception. La justification d’une telle approche est la négation de toute dualité de norme dans le système. L’idée est souvent défendue que la meilleure manière de s’intégrer est d’avoir un corps de règles unique, applicable à tous et dont les seuls moyens de pondération seraient l’allongement des délais de mise en œuvre et une assistance technique d’accompagnement. C’est méconnaitre deux choses. D’abord, que toute tentative de circonscrire la mise à niveau économique des pays les moins avancés  à des délais de mise en œuvre équivaut à un colmatage. Si le fondement d’une telle flexibilité est de donner le temps nécessaire à l’entrée dans un monde libéral, elle s’inscrit dans la chronique d’un échec annoncé. En réalité, est-il scientifiquement possible de programmer les délais d’achèvement des politiques économiques ? Ensuite, que l’existence de normes duelles n’est pas contradictoire à la volonté d’intégrité du système. Nous pensons que le risque de désagrégation lié au bilatéralisme ambiant est plus élevé que celui de concevoir un TSD systémique, articulé autour de flexibilités sur des questions substantielles, dont les délais seraient établis en fonction des performances économiques des bénéficiaires. Sauf à penser à une volonté délibérée, difficilement envisageable, de certains membres à rester confiner dans les méandres du classement économique, cette approche nous parait la plus réaliste pour garantir, à terme raisonnable, une réelle intégration dans le système. 

Pour des accords commerciaux régionaux salvateurs 

Parmi les facteurs d’explication du retrait des préférences spéciales dont l’Afrique a pu bénéficier, il y a celui de l’absence d’impact des préférences accordées sur les économies du continent. Il n’empêche que cette idée a été renforcée avec l’entrée en vigueur des accords de l’OMC. Les relations bilatérales africaines ont dû prendre d’autres tournures, avec des logiques commerciales et économiques différentes. La principale d’entre elle est celle qui continue à  la lier avec l’UE. De Yaoundé à Cotonou, les contenus et les logiques juridiques ont beaucoup évolué. La prochaine, sous forme d’Accord de Partenariat Economique demeure inédite. Elle introduit la réciprocité et crée une nouvelle entité juridique sous forme d’accord commercial régional (ACR). Mais son originalité réside dans son caractère mixte. Un ACR mixte reste méconnu des dispositions de l’OMC. Du coup, elle ne lui aménage aucune spécificité juridique et aucune flexibilité autre que celle inhérente au statut d’un ACR défini dans l’article XXIV. La conséquence est qu’elle met en relation deux entités commerciales de niveaux de développement très différents, sans qu’aucune mesure de TSD, autres que celles réciproques, n’y soient permises. Cela signifie concrètement que contre toute logique, le système multilatéral serait mieux pourvu en flexibilités compensatoires des inégalités de développement que les ACR. Ce qui, du point de vue de l’esprit de l’OMC est un non sens juridique. Le système devrait travailler à réajuster ce déséquilibre né de l’apparition de situations nouvelles inconnues à l’époque de sa conception.  

Pour toutes ces réformes, le droit reste un excellent allié des pays africains. La négociation reste une partie intégrante du processus de formation de la règle juridique, surtout dans le cas de l’OMC. De ce point de vue, le cycle de Doha offre encore des perspectives intéressantes de dé-cristalliser certaines dispositions qui ne sont pas en phase avec les impératifs de développement. Mais il faudra à l’Afrique s’organiser et se positionner en force de négociation. Le marché commun existe, du moins sur le papier. L’Union Africaine et le NEPAD qui ont vocation à le rendre opérationnel doivent travailler à une participation institutionnalisée à l’OMC, pour que les propositions de négociations africaines puissent figurer au top de l’agenda et aboutir à la prise en compte des spécificités économiques du continent.  

L’intégration par le TSD postulée n’est en rien une posture misérabiliste. Elle est une solution structurelle à des problèmes économiques structurels. Les mesures de TSD en vigueur, pour la plupart cosmétiques du reste, ne proposent que des solutions conjoncturelles qui manquent de substance et de pragmatisme. Tout agenda commercial de l’Afrique devra prendre compte à la fois des aspects offensifs et défensifs qui lui permettront de pouvoir appliquer un jour, la clause du retour graduel. Car, l’Afrique n’a pas vocation à se confiner ad vitam aeternam, du moins nous l’espérons, dans le sous développement.  

* Dr. DIOUF, est l'auteur du livre “L’Afrique et le droit à la différence dans les négociations commerciales internationales : OMC, APE, Intégration régionale», Harmattan 2009. Prix : 34,50 €