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L’ESCLAVAGE : MAIS QUE DIT LA CHARIA ISLAMIQUE?
Par Dr. Zidane Meriboute, auteur de la « Fracture islamique : demain le soufisme ? Fayard, Paris, 2004 et Islam’s Fateful Path, I.B.Tauris Publisher, London, 2009. Historiquement, l’esclavage a existé au sein des anciennes civilisations grecque, romaine, asiatique et égyptienne1. Cette pratique est mentionnée dans les Grands Livres (Tora, Evangiles). Mais, en Islam, sa reconnaissance « juridique » est antérieure au message et aux fondements de la foi islamique prônés par le prophète Mahomet dès le VIIè siècle. |
En effet, c’est dans un environnement antéislamique ténébreux et esclavagiste que vécut Mahomet. Une fois prophète, il jura de mettre fin à l’anarchie, à l’inégalité et à l’injustice qui le sous-tendait. Dans la foulée, il s’attaqua d’abord aux riches esclavagistes de la Mecque. Les pauvres et les esclaves (raqiq ou ‘abid) fraîchement libérés recouvrèrent immédiatement espoir et dignité et ne manquèrent pas de se convertir massivement à l’Islam qui leur offrait avant tout l’égalité et la promesse de lendemains paradisiaques. Aujourd’hui, même si une forme d’esclavage résiduel tente de se justifier dans certains pays musulmans en s’enrobant d’un manteau canonique obsolète, on peut néanmoins affirmer que le prophète Mahomet n’a jamais entériné une quelconque légalité de ce fléau social. Au contraire, il a été le premier à lancer le mouvement en faveur de l’émancipation des esclaves. Certes, le Coran en parle. L’esclavage est effectivement mentionné dans plusieurs sourates2, mais ce texte sacré ne justifie pas le statut d’esclave. Au contraire, Mahomet, comme le Coran, recommandent d’affranchir les esclaves.
Que dit exactement le Coran au sujet des esclaves ?
Dans son commandement sur la conduite envers les esclaves, l'esprit du texte coranique se montre enclin à l'abolition progressive de cette pratique inhumaine, puisque dans la sourate XXIV de la Lumière, Verset 33, il dit aux Musulmans:
"Soyez disposés à affranchir ceux de vos esclaves qui en expriment le désir. Rédigez un contrat d'affranchissement pour ceux qui le désirent, si vous reconnaissez en eux des qualités et donnez-leur des biens que Dieu vous a accordés."3
Dans d’autres Versets coraniques, il s’adresse individuellement à chaque croyant pour l’inciter à participer à « l’affranchissement des jougs.»
L'islam va jusqu'à accorder au croyant la possibilité d’expier un meurtre volontaire, un manquement grave au serment ou même la rupture du jeûne en affranchissant un esclave4. D'autres sourates et commentaires de hadiths reconnus par Al Bokhari, militent aussi en faveur de la libération des esclaves. Ainsi, la Sourate 90,Versets 12-13, montre aux Musulmans la voie du Salut et l’interpelle de la manière suivante :
« Et qu'est-ce qui t'apprendra ce qu'est la Voie Ascendante ? (mâ adraka al-'akaba). Sais-tu comment y parvenir ? C'est affranchir un esclave », le terme arabe employé par le Coran est plus exactement "fakka rakbatin" ou littéralement "libérer le cou d'une personne attachée".
Enfin, Al Bokhari, qui est le maître incontesté en matière de Hadiths, nous rapporte les paroles suivantes du prophète Mahomet : "Celui qui affranchit un Musulman, Dieu libère de l'Enfer chaque partie de son corps : main pour main, pied pour pied, sexe pour sexe."
En tout état de cause, notre lecture des textes fondateurs révèle que l'esclavage est contraire à l'esprit du Coran qui met tous les humains à égalité et rejette, par conséquent, la soi-disant inégalité originelle de la condition humaine développée par certains théologiens conservateurs. Le Coran dit : « Ô hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous entre-connaissiez. Le plus noble d’entre vous, auprès d’Allah est le plus pieux » (Coran, Sourate Les appartements, Verset 13). Le Mufti officiel de la Mecque, cheikh Ben Baz avait commenté ce verset du Coran de la manière suivante :
« Si le non-arabe est plus pieux, il est meilleur, de même, si l’arabe est le plus pieux, il est meilleur. La préférence (d’Allah), la générosité, le rang, dépendent donc de la piété. Le meilleur auprès d’Allah est le plus pieux, qu’il soit arabe ou non. » 5 Cette sourate ne laisse pas de place à l’inégalité entre les êtres humains et à fortiori au statut d’esclave.
Que disent les principales écoles (madhahib) islamiques de Fiqh (jurisprudence) au sujet de l’esclavage ?
En plus des 7563 Hadiths de sahih Al Bokhari6, il existe quatre rites ou écoles principales (madahib) de fiqh (jurisprudence) qui constituent la voie de référence de la majorité des Musulmans dans le monde (mahaj al-mouslimin). Il y a le rite malékite, du nom de son fondateur : Malik Ibn Anas al-asbahi, 713-795, qui met l'accent sur l'intérêt public, la famille et l'opinion individuelle, le rite chafiite , du nom de Muhammad Ibn Idris al-Chafii, 767-820, qui tente à son tour d'adapter certaines règles du droit musulman aux évènements contemporains en utilisant le raisonnement par analogie (qiyas), l’école hanafite, de Abou Hanifa ibn Thabit , 699-767, qui insiste sur les valeurs humaines et la défense des personnes vulnérables et enfin, l’école hanbalite , de Ahmed ibn Hanbal, 780-855, qui se caractérise par la plus grande rigueur et une austérité exemplaire dans l’application de la charia islamique. De notre étude d’Al Bokhari et des quatre principaux rites qui font autorité en matière de sounna (tradition islamique), il ne ressort que des commentaires généraux et parfois contradictoires sur la question de l’esclavage. Par exemple, on retrouve des hadiths qui confirment l’élan initié par le prophète Mahomet en faveur de la libération des esclaves (en arabe ‘atâki wa tahriri al ‘abd). Plus précisément, Al Bokhari nous rapporte un de ces textes sacrés de la manière suivant : « Asmâa’e (qu’Allah l’agrée), fille d’Aboû Bekr (qu’Allah l’agrée) a dit : « Il nous fut ordonné par le Prophète (à lui bénédiction et salut) de procéder à l’affranchissement (des esclaves) à l’occasion des éclipses du soleil ».7 Al Bokhari nous rapporte un autre Hadith, attribué à l’Imam Malik, relatif à la libération par le prophète Mahomet d’une esclave nommée Safiyyat. Il dit : « L’Envoyé d’Allah (à lui bénédiction et salut) affranchit Safiyya, l’épousa et lui constitua comme dot son affranchissement. Le repas de noces consista en dattes mêlées et pétries avec du beurre, du lait caillé et un peu de farine (h’aïs) »8.
On voit que le prophète Mahomet a réussi à donner des ordres (à travers les injonctions coraniques et les hadiths ) en vue d’instaurer une égalité de dignité entre les êtres humains, rien qu’en libérant les esclaves. Cependant, si on entreprend une lecture comparative des Imams des quatre grandes écoles musulmanes, on s’aperçoit que l’esclavage est traité de manière moins progressiste. Les chefs des rites principaux parlent moins d’émancipation et d’affranchissement des esclaves conseillés par Mahomet et se contentent de réglementer les droits et les obligations qui incombent aux ‘abid (esclaves). L’étude comparative de ces écoles (madahib) nous a été consignée en deux tomes par le fameux philosophe et juge andalou Ibn Rushd (Averroès). Ce dernier parvint à nous rapporter fidèlement les positions consensuelles des madahib en matière d’esclavage. Celles-ci tournent principalement autour des règles régissant les relations sexuelles, le mariage, l’héritage et les infractions imputées aux esclaves. Plus précisément, Ibn Rush nous rapporte par exemple que les quatre rites acceptent, par consensus, que l’homme de condition libre puisse se marier (yankah) avec une esclave (dite ‘abdatun ou Amattun, pluriel, al-imâu), sous certaines conditions9. Le consensus entre les écoles se forme également autour du bon traitement des esclaves, de l’interdiction de les condamner à mort, de leur infliger des punitions au cas où ils s’adonnent à des boissons alcoolisées10 et de leur droit au mariage, etc…
Mais, de notre avis, les écoles juridiques n’ont fait que réglementer l’esclavage résiduel qui existait à leur époque. Le droit musulman doit être interprété à la lumière des normes d’une hiérarchie supérieure formée par le Coran et les Hadiths du prophète Mahomet. Ces normes sont plutôt favorables à l’extinction du statut d’esclave.
Si la charia et la majorité des juristes (foukaha) musulmans semblent s’orienter vers l’interdiction de l’esclavage, il semble que certains tenants du rigorisme salafis retiennent la validité, voire la légitimité des captures d’ « impies » en période de guerre. L’actualité internationale avec son lot de prises d’otages d’occidentaux par des groupes islamistes combattants confirme cette dernière thèse.
La captivité des non musulmans
La notion de captivité en période de guerre est une ancienne institution du droit islamique. Elle a évolué au cours des conquêtes musulmanes dans le monde et a été tantôt interprétée de manière très humaniste,11 tantôt de manière rigoriste. Cette captivité de guerre revêt deux formes: primo la capture des femmes et des enfants de l’ennemi, dans le but de les protéger des abus lors de leur captivité et en leur donnant ensuite la chance d’être affranchis. Secondo la capture des combattants ennemis lors des opérations de guerre. Ces derniers sont qualifiés d’« infidèles » (non-musulmans) et sont traités selon la charia la plus stricte. Leur sort dépend du chef religieux des belligérants musulmans : l'imam. Il peut décider, soit de les de relâcher gracieusement ou moyennant rançon, soit de les échanger contre des prisonniers de guerre musulmans12. Cette pratique s'inspire de la sourate 47, Verset 4 du Coran qui dit : « Lorsque vous affrontez en combat des impies et que leurs forces sont anéanties…les captifs seront alors solidement enchaînés. Une fois la guerre terminée, vous pourrez les libérer gracieusement, ou les échanger contre rançon. Dieu en décide ainsi." Il va sans dire que cette interprétation rigoureuse de la charia par rapport aux prisonniers de guerre, n’est défendue que par une minorité de groupes armés islamiques. Comme on l’a déjà signalé, le traitement des prisonniers a considérablement évolué en droit humanitaire islamique. Il est désormais interprété de manière conforme à la justice, à l'humanisme et à la dignité que véhiculent les principes du Coran.
Mais avant de conclure, j’aimerai donner quelques éléments sur la position chiite vis-à-vis de l’esclavage.
Quid du chiisme ?
D’abord, il est important de savoir que les chiites attribuent à la famille proche du prophète Mahomet (ahl al-Bayt ou « gens de la maison ») une position particulière dans la religion musulmane. Ce ahl al Bayt est composé de cinq personnes clé : le Prophète lui-même, sa fille Fatima, son gendre Ali et ses deux petits-fils, Hassan et Hussein. Toutes ces personnalités constituent une source doctrinale majeure pour les chiites et diffèrent quelque peu de celles des sunnites. En effet, contrairement à ces derniers, les chiites ne se réfèrent pas aux quatre écoles sunnites citées plus haut. Mais ils respectent certainement les enseignements du Coran, des Hadiths du prophète rapportés par les membres de ahl al-Bayt ou par les douze Imams infaillibles13. En somme, pour revenir au sujet de l’esclavage, la doctrine coranique chiite ne diffère pas de celle du sunnisme. Cependant, le chiisme a eu l’avantage de confier l’interprétation du Coran à des Imams qui l’ont adapté de manière progressiste et favorable à l’abolitionnisme. A titre d’exemple, aux yeux des Imams chiites, un esclave peut prétendre à la charge suprême de l’Etat si la communauté le juge bon.
Conclusion
Aujourd’hui, les pays musulmans et particulièrement leurs Oulémas et Imams doivent prendre position en vue de condamner sans équivoque l’esclavage. Il va sans dire que ni la dignité humaine, ni l’islam, ni la communauté internationale contemporaine n’acceptent la pratique de l’esclavage. Une commission d’étude sur l’esclavage, composée d’Imams, d’intellectuels et de militants des droits de l’homme, devrait être créée pour coordonner le travail entre l’Union Africaine, la Conférence islamique et les ONG’s. Les études de cette commission devraient être complétées par des enquêtes « d’établissement des faits » et envoyées aux instances judiciaires régionales et internationales.
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