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DIX MINUTES DE MARIAGE POUR UNE ETERNITE DE SOUFFRANCE.
« Fille unique d’une tribu de garçons », Leila, notre invitée, explique dans son livre « Mariée de force », publié en 2004 à Oh Editions qu'elle devait obéir à son père et se ranger dans une vie rythmée entre ordres et interdictions. Son papa avait décidé pour qui, elle devait se marier : un inconnu d’un âge avancé. Se révolter, serait une sorte de suicide à vie dans une société où être répudiée, est la pire humiliation pour une femme. Retour sur un livre poignant « Mariée de force », écrit dans un langage captivant et qui interpelle toute conscience.
« Ma mère avec sa tribu d’enfants, faisait un travail à la chaîne. Même la nuit, il y avait toujours un bébé qui pleurait. Sa vie était un esclavage total », décrit l’auteur de « Mariée de force ». Leila, on le comprend bien, devait ainsi aider sa mère à la maison, pourtant malgré ce travail familial qui lui est imposé par sa nature même de femme, la jeune fille refusait d’être une autre esclave de sa propre famille. Elle est restée longtemps unique fille d’une fratrie de 11 enfants. Son père, un beau jour décida de l’offrir à un homme qu’elle n’a jamais connu. Cet inconnu bouleversera la vie d’une jeune fille qui rêvait plus tard d’un mariage avec un homme qu’elle aurait aimé.
Leila ne voulait pas reproduire le statut de sa mère. Cette dernière, ne parlait pas la langue française et ne connaissait personne dans son quartier.
Dix minutes de mariage !
A 21 ans, Leila est mariée de force à un homme d’un âge assez avancé : son père l’avait voulu, et sa décision ne se discute pas. La jeune fille est une française de culture marocaine. Au Maroc, comme dans beaucoup de pays arabes et africains, en Inde, en Europe autrefois et ailleurs, la raison familiale est souvent plus contraignante que la raison d’Etat. On vit pour la famille dont on doit souvent absolument l’honneur et le pouvoir du père et des hommes module et modère la vie sociétale très traditionnelle et superbement patriarcale.
« J’ai dit oui, sanglote Leila, d’une voix qui n’était pas la mienne, signé un papier que je ne voyais même pas »….Ses yeux « étaient brouillés de larmes sous le regard autoritaire » de son père.
Faut-il se révolter face au pouvoir d’un père autoritaire, traditionnaliste et qui croit malgré tout bien faire en mariant de force sa Leila ? Ce serait presque programmer en plein jour un suicide et l’auteur l’exprime avec pudeur : « Il (son père) m’aurait rouée de coups et expédiée au pays, ou rejetée à la rue.». Elle, la Française expédiée au pays (le Maroc, terre natale de ses parents alors qu’elle est bien chez elle (en France). Ce qui pose un autre débat de fond lié à l’intégration des étrangers d’origine africaine ou musulmane en Europe. Pour l’auteur, il n’y a pas d’intégration sans la liberté et surtout celle de pouvoir dire oui ou non alors que la tradition (dans sa loi non écrite de déférence entre une fille et son père), est l’impossibilité même de dire ce non.
Leila, la mariée de force sera profondément choquée, par ailleurs, par le silence coupable des autorités françaises qui ont toléré la perpétuation d’us et de coutumes obsolètes qui ne respectent pas les principes de la Liberté et de l’Egalité, comme le prône la République. Et la culpabilité des autorités est plus flagrante car ce sont elles-mêmes qui célèbrent, dans le cas de Leila, le mariage. Incompréhensible ! Le Maire, dira l’auteur, dans son récit autobiographique, ne s’est pas posé de questions. Pourquoi le ferait-il d’ailleurs ? Il en a vu d’autres de ces mariages à la sauvette qu’on célèbre en moins d’un quart d’heure, et sans un seul cri de joie.
Le vieux qui était venu en France chercher une maghrébine jeune et vierge pouvait se frotter les mains. Son mariage célébré de manière coutumière dans son pays a été reconnu officiellement en France.
« L’inconnu a maintenant ce qu’il voulait, et ce n’était pas forcément moi ». Comme si le mariage était une affaire de loterie et Leila peinée poursuit son récit : « N’importe quelle maghrébine née en France aurait fait son affaire, pourvu qu’elle soit vierge et de bonne famille.» N’est ce pas triste pour une fille que de devoir se soumettre à un homme sans amour ni même sans envie, comme si l’on était que du bétail jeté dans la grande gueule d’un fauve.
Pourtant aussi animal que cela puisse paraître, cette transaction n’avait rien d’une vente. « Mon père ne m’a pas vendue » à cet homme, clarifie Leila. Il croit tout simplement à la tradition des mariages arrangés entre familles. « Il était sincère dans son obstination à me faire obéir». Leila devait tout simplement comme toute fille modèle, « rentrer dans les rangs.». Ce n’est pas ce qu’elle voulait.
Leila rêvait d’autre chose.
« J’avais rêvé d’un mariage d’amour », « une belle robe blanche », « un bouquet de fleurs », « sourire en haut des marches », « embrasser ma mère, mon père, mes frères et amis», et « courir vers le bonheur » et « la liberté ».
C’est au nom de la tradition que son père lui a empêché de réaliser ce rêve qui transcende toute civilisation, c’est le désir presque de toutes les filles du monde entier : vivre dans l’amour. Un pouvoir patriarcal étouffant s’est imposé par la force pour ce mariage. Son père l’a battue pour épouser un homme qu’elle ne connaît pas.
Un rêve interdit à cause d’une tradition inacceptable de nos jours mais un mariage forcé qui démontre la faillite du système de l’assistance sociale française envers les jeunes. Une faillite de l’Etat à protéger, faillite de sa police qui aurait, si elle était consultée, refusé sûrement d’entrer en matière. Des arguments, la police n’en aurait pas manqué : « c’est une affaire privée», « la fille est majeure ».
Par ailleurs, le mariage était déjà célébré au Maroc. La mise en scène en France n’était qu’une histoire de formalité. Si Leila avait refusé de se plier à cette formalité, elle serait tout simplement répudiée. Et la « répudiation » dans la tradition de son père équivaut à « l’humiliation » suprême pour une femme.
Le seul lieu où Leila pouvait retrouver son moi, sa liberté et son bonheur, était l’école. Dès qu’elle quittait l’école, elle devait rejoindre vaille que vaille la maison familiale pour aider sa mère. Et la voix de son père ne cessait de tonner : « Tu baisses les yeux quand je te parle». Si l’école organisait une sortie d’études, elle ne pouvait s’y rendre sauf à trouver un alibi avec ses autres camarades. Son père ne voulait pas qu’elle se mélange avec les garçons. Pourtant, à la maison, Leila dormait dans la même chambre que ses 10 frères.
Au delà même du mariage forcé, Leila devait faire face à la difficulté quotidienne liée à la vie d’immigrés maghrébins en France : appartement exigu, éternel boulot d’ouvrier etc. « Fille unique de la tribu», elle devait obéir et se ranger dans une vie rythmée entre ordres et interdictions.
El Hadji Gorgui Wade NDOYE
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