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Quand la Chinafrique pose ses tréteaux au Togo : Elle entraîne avec elle ses corollaires
Par Edem Ganyra, correspondant au Togo
-LOME- « La Chine attire beaucoup l’Afrique parce qu’elle peut lui fournir une protection politique exemptée de sanction internationale, et ses investissements et son assistance sont sans conditions politiques. Il n’y a donc aucune comparaison possible entre les compagnies occidentales et chinoises en Afrique ». Ces propos sont ceux de Princeton Lyman (ancien ambassadeur des Etats-Unis en Afrique du Sud). Leur teneur rejoint les principaux mobiles qui ont poussé Lomé à nouer des relations diplomatiques avec Pékin le 19 septembre 1972. Depuis cette date, la conception chinoise de l’économie établit progressivement ses quartiers au Togo.
De l’avis des autorités de l’Empire du milieu en poste au Togo, les premiers membres de la colonie chinoise installée dans ce petit pays ouest-africain ont commencé à y arriver dès l’établissement des relations sino-togolaises en 1972. Aujourd’hui, le Togo figure en bonne place dans la liste des 49 Etats du continent noir qui entretiennent des relations diplomatiques avec Pékin dont le montant du commerce bilatéral avec l’Afrique a franchi la barre des 50 milliards de dollars (environ 22.500 milliards de fcfa) contre 12 millions (soit près de 5.400 millions de fcfa) il y a 52 années. Le raffermissement des liens sino-togolais a surtout pris du poids durant ces quinze dernières années au cours desquelles le Togo a été mis au ban de la communauté internationale pour « déficit démocratique » et donc sevré de l’aide financière de ses principaux bailleurs de fonds occidentaux.
C’est dire que le côtoiement quotidien des Togolais et de ces Asiatiques au regard généralement poupin et à la démarche rapide est rentré dans les habitudes en terre togolaise. Les ressortissants de ce vaste pays asiatique au Togo ont du coup intégré diverses sphères de l’économie locale.
Quelles sont les manifestations de cette présence chinoise ?
« C’est l’inadaptation des lois togolaises du travail à l’évolution du coût de la vie depuis la dévaluation du fcfa en 1994 qui sert de terreau à l’exploitation des employés locaux par les employeurs étrangers et plus particulièrement les Chinois ». C’est en ces termes que Monsieur X, jeune étudiant togolais qui a servi dans un des plus vieux restaurants chinois de la capitale togolaise (Lomé) résume l’expérience qu’il y a vécue. « Nous assurions à deux la tâche qui nécessite normalement la présence de cinq serveurs. En tant qu’employés, nous posons des actes stéréotypés aussi bien dans la matinée que dans la soirée. Le comble est atteint quand nous faisons des heures supplémentaires qui peuvent aller jusqu’à l’aube sans aucune rémunération en retour ». Et de poursuivre : « Le taux des salaires sur de pareils lieux de travail se négocie à la tête de l’employé et n’est défini par rapport à aucune grille salariale. Contrairement aux restaurants concurrents dirigés par des expatriés d’autres nationalités, chez les Chinois, les employés n’ont pas droit à une restauration sur place. Lorsque le patron vous surprend la main dans le sac, vous encourez une sanction financière, à défaut d’un renvoi pur et simple ». Aux yeux de notre interlocuteur, les patrons chinois (quelle que soit la structure qu’ils gèrent) transposent généralement en Afrique les réalités des conditions de travail en vigueur dans leur pays. Il corrobore son argumentation en faisant remarquer que « ses camarades et lui n’ont jamais été déclarés à la Caisse nationale de sécurité sociale. Bref, les conditions de travail ne peuvent en aucun cas vous permettre d’envisager un lendemain meilleur pour vous-mêmes et vos proches. Mais, le taux élevé de chômage pousse beaucoup de nos compatriotes à se cramponner à ce genre d’emploi ». Ce récit au sujet de ces conditions de travail n’est pas infirmé par d’autres employés dans le domaine de la restauration chinoise mais ces derniers refusent d’en dire davantage sous peine de représailles.
Un autre secteur de l’économie togolaise dans lequel on retrouve la présence des ressortissants de l’Empire du milieu est l’industrie, avec comme point d’encrage la zone franche. Les principaux griefs formulés par le personnel de certaines sociétés installées au sein de cette zone franche et dans lesquelles des Chinois détiennent des parts se recoupent dans le témoignage suivant d’une employée évoluant dans l’une desdites sociétés : « Je suis employée depuis trois ans. Nous n’avons pratiquement pas droit à des congés. La durée de notre emploi est précaire. Tenez, généralement, nous sommes tenus de renouveler nos contrats avec nos employeurs une fois par an. Nous ne bénéficions d’aucune couverture sociale. Les tâches à exécuter sont harassantes et durent de 06h à 21h avec une pause d’une heure seulement entre 12h et 13h. Cet emploi du temps entraîne la dislocation de certaines familles dans la mesure où certains de nos camarades n’arrivent pas à assumer leur vie d’époux ou d’épouses ». « Ces traitements sont réservés aux employés locaux par bon nombre de sociétés asiatiques ou non implantées dans la zone franche », soulignent d’autres travailleurs togolais. « Certains de nos camarades ont bouclé leur douzième année en se tuant à cette besogne sans avoir jusqu’à présent réussi à être définitivement engagés par l’employeur », ajoute notre première interlocutrice qui dénonce aussi « la survivance de licenciements abusifs, l’inhalation de produits toxiques sans aucun accompagnement médical. Pire, s’apitoie-t-elle, certaines des machines avec lesquelles nous travaillons émettent des vibrations alors que des femmes enceintes à qui on refuse d’accorder des congés de maternité manipulent quotidiennement de tels outils de travail ».
Au-delà de la restauration
et de l’industrie
« La Chine cherche des débouchés à ses produits et c’est à nous de réglementer notre économie ». Cette déclaration a été lâchée par un responsable syndical togolais fin 2006 mais est toujours d’actualité lorsqu’on évoque le sujet de la concurrence déloyale en matière textile au Togo, concurrence dont les victimes sont les revendeurs et revendeuses togolais. Sont souvent indexés comme animateurs de cette concurrence précitée, des commerçants asiatiques officiant au Togo et dont font partie des Libanais, des Pakistanais et bien évidemment des Chinois. La sempiternelle pomme de discorde entre ces commerçants étrangers et locaux demeure la mise en application effective de l’arrêté n°0976/MCIA/CAB pris le 12 septembre 2006 par le ministre togolais du Commerce de l’époque, Jean-Lucien Savi de Tové. Cet arrêté stipule dans son article 5 que : « Les commerçants non ressortissants des zones économiques africaines ne sont autorisés qu’à ouvrir des bureaux des représentations où ne seront exposés que des échantillons des textiles ». Entrée en vigueur depuis le 20 octobre 2006, cette décision ministérielle ne rencontre pas encore pleine et entière application tant les Nana Benz (pionnières dans la vente de textiles de qualité au Togo et en Afrique occidentale) font encore face à une concurrence de motifs copiés de leurs tissus et vendus à un prix nettement plus bas que celui du produit qui a bâti leur réputation aux quatre coins de la planète. « La contrefaçon de nos motifs originaux se poursuit. Nous avions organisé des meetings de sensibilisation, des sorties médiatiques pour décrier cette pratique. En réalité, l’importation au Togo de tissus pagne fabriqués en Chine n’est pas une nouveauté. Des sociétés comme la CFAO et CICA commandaient autrefois des tissus en Chine mais ne contrefaisaient pas à travers leurs commandes les motifs vendus sur place. Nous disposons malgré tout de clients fidèles qui continuent d’apprécier la qualité de nos produits et qui ont fini par démêler l’écheveau du faux et du vrai tissu. Autrement dit, nous ne ressentons plus de plein fouet la concurrence asiatique, d’autant plus qu’aujourd’hui, dans le secteur de la vente de tissus, nous n’enregistrons plus de grosses ventes », explique entre deux marchandages Mme Sivomey Creppy, présidente des revendeuses de tissus pagne du Togo, elle-même Nana Benz. Les Nana Benz ne sont pas les seuls à se plaindre de ce dumping pratiqué par leurs concurrents chinois en matière de vente de tissus pagne au Togo. Ces mêmes préoccupations sont soulevées par la VAC-Togo (Vlisco african company) qui commercialise sur le continent noir des tissus de «luxe». En dépit de cette concurrence à armes inégales, confie flegmatique un responsable de l’antenne togolaise de cette société, « notre clientèle habituelle nous est restée fidèle. C’est surtout le tissu de notre clientèle potentielle qui est rongé par ce dumping. Pour y faire face, nous avons introduit dans la gamme de nos produits la production à la chaîne de nouvelles collections chaque trimestre ».
A l’ambassade de Chine en terre togolaise, on affiche une certaine frilosité vis-à-vis de toute question relative aux relations économiques qui lient Pékin à Lomé et les dépravations ou avatars qu’elles connaissent au nom de la règle de la diplomatie chinoise qui préconise la non-ingérence dans les affaires intérieures des « pays partenaires et amis ». « Des années 70 à la mi-août 2008, le SMIG (Salaire minimum interprofessionnel garanti) appliqué au Togo était très bas et était fixé à 13.787 fcfa. C’était donc sur la base de ce salaire légal que les expatriés vivant en terre togolaise et plus singulièrement les Chinois bâtissaient la grille salariale de leurs employés. Le taux élevé de chômage au Togo contraint généralement certains de nos compatriotes à accepter des salaires bas. Cependant, en dépit de leurs conditions sociales, ces Togolais peuvent toujours envisager des négociations avec leurs employeurs », commente Adrien Béléki, secrétaire-général de la CSTT (Confédération syndicale des travailleurs du Togo) en évoquant le dilemme qui pousse certains togolais à se faire engager par les Occidentaux dans divers secteurs de l’économie locale. M. Béléki espère ainsi que la revalorisation du SMIG aura une incidence sur la grille salariale des Togolais travaillant auprès des étrangers. Un optimisme que ne partage pas Zeus Ajavon (avocat au barreau de Lomé et membre de la société civile togolaise), car à ses yeux, la situation économique et financière du Togo ne permet pas à toutes les entreprises de relever, dans l’immédiat et conformément à la décision du gouvernement togolais, le SMIG de leurs employés.
La Chine dispose actuellement du 4ème meilleur PIB (Produit intérieur brut) mondial et devrait, selon des prévisions économiques, surclasser l’Allemagne (première puissance économique européenne) en la matière en cette année 2008. Dans ces conditions, le pays de Mao Tsé Toung dispose et disposera encore de solides arguments pour convaincre les dirigeants africains de privilégier l’axe Pékin-Addis-Abéba au détriment de l’axe Bruxelles-Addis-Abéba (en référence aux deux villes qui abritent les regroupements des Etats africains et européens). « Attention, il y a une sorte de miroir aux alouettes dans le principe des prêts accordés par la Chine à l’Afrique », prévenait D. Strauss-Kahn, directeur général du FMI à la faveur de la tenue de l’ « African caucus » (réunion des représentants africains auprès du FMI, au début du second semestre 2008. Une frilosité à l’égard de Pékin que ne semble pas partager le ministre togolais de la Coopération, M. Bawara, en rappelant que « la Chine s’est montrée solidaire avec le Togo lorsqu’il a été sevré de coopération avec ses principaux bailleurs de fonds ». C’est dire que l’Empire du milieu impressionnera encore un peu plus les Africains, comme le résume cette interrogation passive d’un journaliste au Togo (où le taux de pauvreté est estimée selon des chiffres onusiens à 61% de la population alors qu’il est de 40% en Afrique subsaharienne) : « Quel visage aurait aujourd’hui le parc des cyclomoteurs et motocyclettes dans notre pays si la technologie chinoise ne s’y était pas invitée » ? La dernière grosse offre de la Chine au Togo remonte à décembre 2007. L’Empire du milieu avait offert plus d’un milliard 100 millions de fcfa à Lomé et lui a également accordé un prêt sans intérêts de près de 700 millions de fcfa. La recherche de clefs efficaces de la parade contre ce « péril jaune » incombe en premier lieu aux élites togolaises et africaines.
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