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CE QUE VEULENT LES ISLAMISTES AUJOURD’HUI
Par Ibrahim El Houdaiby
Ibrahim El Houdaiby, membre du conseil d’administration de IkhwanWeb.com, le site internet officiel des Frères musulmans, cherche à dissiper le mythe qui voudrait que tous les islamistes soient des terroristes ou des extrémistes violents. Il donne un aperçu de ce que les islamistes d’aujourd’hui veulent vraiment.
Le Caire – Au fond, qu’attendent exactement des islamistes les gouvernements et les décisionnaires occidentaux, c’est-à-dire des personnes et des ensembles de personnes qui estiment que leur système de gouvernement devrait être fondé sur les principes de l’islam? Moi qui suis un islamiste modéré, désireux de jeter des passerelles de compréhension et de communication avec différents peuples de l’Occident et d’autres lieux, j’ai beaucoup de peine à répondre à la question.
Depuis une vingtaine d’années, un discours modéré se fait entendre au sein de l’islam politique, qui voudrait concilier les enseignements islamiques avec la vie moderne, après des années de stagnation, et trouver des solutions islamiquement acceptables à plusieurs problèmes particulièrement épineux. Les islamistes modérés des temps modernes souscrivent pleinement à la démocratie et leur discours témoigne d’un respect évident pour les libertés civiles et les droits de l’homme.
Ce discours contemporain n’est pas foncièrement anti-occidental. Bien sur, il adopte des positions différentes sur certains problèmes, mais il s’agit d’un discours équilibré, qui distingue clairement entre gouvernements et organisations de la société civile. C’est un discours qui reconnait que l’Occident n’est pas un bloc homogène et qu’il comporte toute une série de différences bien réelles. Il n’empêche que, dans la plupart des milieux occidentaux officiels (sinon tous), on réagit à cette évolution de l’islam politique avec la plus grande circonspection.
Autant les intellectuels que les cellules de réflexion se sont montrés désireux de poursuivre les occasions de dialogue avec les islamistes modérés, autant au niveau officiel des gouvernements on se montre peu empressé à participer à ce débat, malgré toutes les conférences et autres sessions d’explication consacrées à ce problème.
Je comprends bien qu’en Occident, les responsables politiques puissent avoir des soucis de sécurité dans leurs contacts avec des islamistes. Mais on peu partir de l’hypothèse que ces mêmes responsables politiques sont des gens intelligents, informés et suffisamment réfléchis pour comprendre que les activistes islamiques ne sont pas tous des terroristes et que les groupes terroristes critiquent autant les islamistes modérés que l’Occident. Les Frères musulmans ne sont pas Al Qaeda, le discours politique de Khayrat El Shater, numéro deux des Frères musulmans, et celui d’Ayman Al Zawahry, un des éminents idéologues d’Al Qaeda, n’ont pratiquement aucune ressemblance.
De fait, cette diversité au sein même de l’islam politique devrait inciter les responsables politiques occidentaux à traiter avec les tendances modérées. En reconnaissant leur existence, on évacuerait une fois pour toutes l’affirmation des tendances le plus radicales, selon laquelle les portes d’une réforme non violente seraient fermées. Ces dirigeants devraient amorcer le dialogue avec les modérés et leur permettre d’accéder, en tant que représentants élus, aux instances politiques de leurs pays respectifs.
Je conçois également que certains défenseurs de la démocratie occidentale aient leurs doutes quant à l’engagement démocratique des islamistes. Ils redoutent encore le slogan bien connu: “un homme, une voix, une seule fois”, qui laisse entendre que si des dirigeants politiques islamistes parviennent au pouvoir par la voie démocratique, ils s’assureront que plus aucun parti ne puisse y accéder après eux. Pourtant, les faits prouvent exactement le contraire. Les élections aux syndicats professionnels en Egypte et les scrutins législatifs de la Turquie et du Maroc, pour ne prendre que ces exemples, montrent à l’évidence que les partis enracinés dans la politique islamique respectent en fait les systèmes dans lesquels ils choisissent d’affronter la concurrence. Plus ils sont intégrés, plus ils respectent les procédures de la démocratie.
Certains dirigeants politiques et défenseurs de la société civile occidentaux s’inquiètent également de la position de l'islam en matière de droits de la personne et de libertés civiles. Leurs préjugés à cet égard sont dus au fait qu’ils mettent tous les activistes politiques islamistes dans le même sac, ignorant tout ce qui peut les différencier Dans la réalité, certains mouvements modérés seraient plus capables de protéger et de promouvoir les droits de la personne dans le monde musulman que les régimes actuellement au pouvoir. La plupart des régimes actuels voient leur popularité s’effriter, ce qu’ils compensent en recourant à des méthodes extra-juridiques, au mépris du respect des droits de l’homme, pour réduire leur opposition au silence.
Sans doute les Etats occidentaux et musulmans ne vont-ils pas s’entendre sur toutes les questions. Au sein même du monde occidental, les milieux politiques sont en désaccord sur tel ou tel aspect des droits de la personne - peine de mort, avortement - et sur la façon de les transposer dans la législation. Les décisions de cette nature sont souvent fondées sur les valeurs majoritaires dans chaque société. L’important, c’est que les droits fondamentaux consacrés par les pactes internationaux soient respectés et ratifiés. De nos jours, les activistes des droits de l’homme agissant dans notre région devraient plutôt établir des statistiques sur le recours croissant à la torture, le harcèlement des directeurs de journaux et de médias, le recours aux tribunaux militaires pour les civils, les détentions illégales, la violence contre les femmes, la pauvreté et l’absence de démocratie.
Or, de nos jours, les hommes politiques des tendances islamiques modérées souscrivent aujourd’hui sans réserve aux principes de démocratie, de liberté de presse et d’égalité des citoyens. A lui seul, ce simple fait devrait régler la plupart des problèmes en matière de droits de l’homme que connaît le Moyen-Orient.
Il ne faut pas commettre l’erreur de juger la position des islamistes en matière de droits de l’homme à partir de l’attitude de certains mouvements islamiques de droite. Les écrits d’érudits comme Youssef Al Qaradawi, Tariq El Bishry, Selim El Awwa et d’autres témoignent d’un haut niveau de respect pour les droits de l’homme et les libertés civiques.
J’éprouve une grande difficulté à comprendre pourquoi, à la différence des organisations de la société civile, les gouvernements occidentaux hésitent à s’engager dans un sain dialogue avec les islamistes modérés. Je n’arrive pas à comprendre leur silence gêné devant la violation des droits de ces militants par des pouvoirs autoritaires qui leur interdisent toute participation à la vie politique et les envoie en prison par centaines. Je trouve encore plus difficile à comprendre le parti pris évident dont témoignent les occidentaux, qui ne disent mot lorsque l’Egypte renvoie devant les tribunaux militaires les islamistes modérés acquittés par des instances civiles.
Les responsables des gouvernements occidentaux devraient réagir positivement aux démarches positives entreprises par les islamistes modérés. En se détournant de tout dialogue avec les voix modérées de l’islam politiques, les gouvernements occidentaux sont tout doucement en train de donner la victoire aux extrémistes dont eux-mêmes et les tenants de l’islamisme politique modéré voudraient tant se débarrasser.
* Ibrahim El Houdaiby est membre du conseil d’administration de IkhwanWeb.com, le site internet officiel en langue anglaise des Frères musulmans (Ikhwan). Il prépare un master en études islamiques. Article distribué par le Service de Presse de Common Ground (CGNews), accessible sur www.commongroundnews.org.
Source: Service de Presse de Common Ground (CGNews), 6 novembre 2007 www.commongroudnews.org
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