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A FANON: Le mythe fécond de nos espérances généreuses, chaleureuses et fraternelles.
Par Hamidou Dia philosophe-écrivain
DAKAR – ( Sénégal) - Le 6 décembre 1961 disparaissait Frantz Fanon à l’hôpital Bethesda de Washington. FRANTZ FANON qui est-ce pour nous, jeunes du Tiers Monde, qui avions entre 7 et 10 ans lorsqu’il disparaissait tragiquement le 6 décembre 1961 à Washington ?
Il fut tout d’abord le mythe fécond de nos espérances généreuses, chaleureuses et fraternelles. Ces nouvelles espérances adossées aux aubes à peine nées et encore chancelantes des peuples du Tiers Monde qui disent non à la nuit néocoloniale et « progressent fermement contre l’ombre ».
Je témoigne que le Dr FRANTZ FANON a eu une très forte influence, a exercé un grand attrait sur les jeunes de ma génération dans les années immédiatement consécutives à la grande tempête révolutionnaire de MAI 68. Pour beaucoup d’entre-nous, sa découverte a constitué le chemin de l’engagement. Je me souviens de nos enthousiasmes, des lectures collectives des « DAMNES DE LA TERRE » ; des innombrables citations qui ornaient nos vétustes chambres d’élèves ; des nuits de 6 décembre passées dans le recueillement à évoquer sa mémoire. Nous étions fascinés par son style violent, passionné et incendiaire.
Nous avions l’impression que, par delà la mort et les années, il s’adressait directement à nous. Nous avons connu FANON avant Marx et Mao Tsé Toung. Plus tard, quand beaucoup sont devenus des communistes il n’est venu à l’idée de personne de le renier. FANON est ainsi. On l’aime ou on le hait. NOUS L’AIMIONS. Nous aimions sa véhémence, surtout sa véhémence ; son intransigeance. Dans la fièvre encore infantile de notre engagement d’alors, chacune de ces phrases nous apparaissait comme des mots d’ordre. C’est que FANON est un symbole toujours vivant : celui de la générosité révolutionnaire, de l’humanisme concret, de l’engagement sans fard, de l’internationalisme effectif et de la soif absolue d’indépendance. Chaque génération, disait-il, doit dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir. Nous sommes redevables à FANON de nous avoir aidé à découvrir et à remplir notre mission. Et comme chacun le sait cette dette est énorme ! Sartre, l’autre illustre disparu, préfacier génial des « DAMNES DE LA TERRE », compagnon de lutte tenace de nos premiers balbutiements et de nos premières décisives hésitations, disait qu’ « être mort c’est être en proie aux vivants ».
FANON oublié. FANON disséqué, autopsié, catalogué, trahi, tronqué. FANON haï, adulé, en proie aux herméneutiques de la dernière saison sèche, drapés dans leur lugubre manteau psychanalytique. Le psychiatre qu’il était se serait moqué de tout ce vacarme et aurait diagnostiqué : syndrome aigu consécutif à la peur obsessionnelle de la révolution. DAVID MANSSENI DIOP, le petit frère prodige, aurait ri de « ces monstres cyniques en cigares qui véhiculent l’égalité dans une cage en fer ! » FANON ! Qui est-ce donc pour nous ? Il s’agit ici de restituer le message de sa vie, pur de toute souillure. FANON l’Antillais ! FANON l’ancien combattant ! FANON l’Algérien ! Que n’a-t-on pas perçu plutôt derrière ses multiples visages l’irréductibilité de son identité révolutionnaire triplement rebelle !
On a dit du fanonisme qu’il était de la violence presque gratuite, donc excessive. La violence est en effet l’aspect de la théorie de FANON qui fascine le plus et qui explique le grand retentissement de sa pensée dans le mouvement noir américain des années 60. Mais on a vu qu’il y a chez lui une vision plurielle ; que la violence n’est pas un concept univoque qui renverrait pareillement à une même réalité. La violence chez FANON a des fonctions multiples et des significations diverses. La société coloniale, née dans le feu et dans le sang, est une société de violence : violence politique, sociale, économique, militaire et idéologique. C’est une société qui impose à celui qui veut s’en défaire –et il faut s’en défaire- la violence. Pétrifié, chosifié, le colonisé ne peut sortir de cette réification que par une remise en cause radicale, profonde, donc violente de la société coloniale. La violence qui caractérise la décolonisation, et elle est toujours un phénomène violent, est dialectique. Elle découle de la situation coloniale qui l’exige.
Pour FANON, « la vie du colonisé ne peut surgir que du cadavre en décomposition du colonisateur ». Elle signifie « à la fois mort du colonisé et mort du colon ». Il se rapproche ici de Hegel, philosophe allemand, qu’il a beaucoup fréquenté, quand ce dernier affirme parlant de la vie du concept : « Je ne parle pas de cette vie qui reculerait d’horreur devant la mort et se préserverait pur de toute destruction mais de cette vie qui contient en elle-même la mort ». Avant que d’avoir une signification et une fonction politico-stratégique, la violence a d’abord une fonction psycho-sociologique. Une fonction cathartique. Dans les conditions de la société coloniale, elle a toujours un caractère émancipateur. La violence du colonisé, dans son intention profonde, tend à abolir les rapports de domination fondés sur elle. La violence est « l’intuition qu’ont les masses que leur libération ne peut se faire que par la force. » Elle n’est pas toujours pour autant consciente ; elle est souvent spontanée, se faisant sous forme d’explosions soudaines, de jacqueries, de révolte. FANON voit bien les limites de la spontanéité en dépit de ses grandeurs certaines, car l’explosion de la violence, si elle est nécessaire à la préparation psychologique des colonisés, risque de dégénérer en révoltes sporadiques et éparses vite matées si l’on ne passe pas à une seconde phase : celle de la violence révolutionnaire : « Seule la violence exercée par le peuple, violence organisée et éclairée par la direction permet aux masses de déchiffrer la réalité sociale, leur en donne la clé. »
Pour FANON, la violence est toujours à rattacher à son contexte historique et économique. Dans la situation coloniale, elle est une réalité dérivée et médiatisée par les processus d’exploitation du colonialisme. A ce niveau, le mot d’ordre de FANON est le suivant : FOURBISSONS NOS ARMES ET à LA VIOLENCE REACTIONNAIRE OPPOSONS LA VIOLENCE REVOLUTIONNAIRE ! Il ne nous est pas malheureusement possible d’exposer dans le cadre de ce témoignage toute la richesse et la fécondité de la pensée Fanoniennne. Qu’il nous suffise seulement d’indiquer quelques unes de ses thèses-forces.
Homme de culture, nous lui devons l’une des plus brillantes analyses sur la négritude à laquelle il reproche violemment son apologie frénétique de l’irrationalité et son exaltation anhistorique du passé anté-colonial comparé à l’Eden. Pour lui, la négritude est à l’évidence, pour reprendre l’expression sartrienne, le temps faible d’une progression dialectique, un racisme anti-raciste ; « je concède, dit-il, qu’il ait existé une brillante civilisation amazone mais cela ne change en rien la condition du paysan béninois actuel ». L’essentiel de la critique fanonienne de la négritude tient dans ce passage, extrait des « DAMNES DE LA TERRE » : « La culture négro-africaine c’est autour de la lutte des peuples qu’elle se densifie et non autour des poèmes, des chants ou du folklore… L’adhésion à la culture négro-africaine, à l’unité culturelle de l’Afrique passe d’abord par un soutien inconditionnel à la lutte des peuples. On ne peut pas vouloir le rayonnement de la culture africaine si l’on ne contribue pas concrètement à l’existence des conditions de cette culture ». La négritude c’est du folklore parce qu’elle parle d’un personnage qui est mort : le nègre. « C’est le blanc qui crée le nègre » dit FANON, « mais c’est le nègre qui crée la négritude ». En vérité, la conception fanonienne de la culture nationale est induite de sa critique de la négritude. La culture est l’expression, au plan idéologique, des conditions politico-historiques et de la structure économique d’une société à un moment donné de son histoire. La culture n’existe qu’en rapport avec des conditions concrètes d’existence. Elle est toujours liée à l’actualité ; elle est toujours actuelle. Si elle intègre le passé c’est toujours à cause du présent pour le futur en fonction du présent. Par conséquent, dans la société coloniale la culture ne saurait être autre chose qu’une culture coloniale dont le fondement idéologique essentiel est le racisme. Cependant l’existence d’une culture coloniale dominante n’exclut pas la résistance culturelle à l’oppression mais l’implique profondément, même si souvent cette résistance est une résistance clandestine, étriquée parce que s’accrochant aux valeurs anté-coloniales comme à une bouée de sauvetage. Il y a durant la période coloniale une substantification des attitudes qui tient lieu de culture. Pour que surgisse et se développe une culture nationale, il faut qu’émerge tout d’abord la nation. La lutte de libération est la condition fondamentale de la culture nationale. La culture nationale doit rendre compte du processus de libération ; elle est, dit FANON : « L’ensemble des efforts fournis par un peuple, au plan de la pensée pour chanter, décrire le processus à travers lequel la nation s’est libérée. »
Il ne peut donc être question de nation et de culture que dans une société nouvelle, démocratique, indépendante et administrée sur la base des intérêts populaires. La culture nationale n’est pas de la culture traditionnelle, elle n’est pas passéiste. Dynamique, elle participe à l’information des consciences, à la mobilisation des énergies pour la libération effective des peuples africains.
« Se battre pour la culture nationale, c’est d’abord se battre pour la libération de la nation, matrice matérielle à partir de laquelle la culture devient possible. Il n’y a pas de combat culturel qui se développerait latéralement au combat populaire. » La pensée de FANON si variée, si profonde comporte cependant des ambiguïtés voire des erreurs d’analyse. Nous ne voudrions pas faire plaisir aux ennemis en les escamotant. Certes sa pensée est très psychologique, sa démarche très phénoménologique. Certes, il n’a pas chez lui une analyse très rigoureuse du dispositif des forces sociales réelles en Afrique, ni une justification théorique de la violence comme politique. Il ne parle pas de classes réactionnaires mais de l’existence des traîtres comme un phénomène nouveau. Or, la traîtrise qui est vraie, est une catégorie de la subjectivité. Certes, FANON ne divise pas la bourgeoisie, il attribue un rôle excessif à la paysannerie force physique principale des révolutions dont nos peuples sont gros ; il ne perçoit pas non plus le rôle décisif du prolétariat. Certes, il y a chez lui une vision extrêmement indivise de l’Europe et du Tiers Monde qu’il considère comme des entités massives, antithétiques et opposées.
MAIS NOUS AIMONS le Dr FRANTZ FANON, au-delà de ses ambiguïtés fécondes et de ses faiblesses théoriques généreuses car nous sommes ses héritiers. Nous devons fructifier et approfondir sa pensée à la lumière des réalités actuelles et à l’expérience accumulée des peuples. Nous devons nous inspirer de sa vie et de son œuvre, non pas dans leur littéralité, mais dans leur signification. Car les héritiers sont aussi des INVENTEURS.
De sa tombe, au-delà de sa mort, FANON nous dit : « inventons la peau neuve, la pensée neuve l’homme neuf que l’Europe impérialiste a été incapable de faire triompher ». Sa voix clame forte et drue : « gardons-nous de l’attitude stérile du spectateur, éclairons-nous du faisceau quasi-grandiose de l’histoire mais attention, ayons confiance aux masses, aux peuples, comptons sur nos propres forces car la seule vie qui vaille la peine d’être vécue c’est celle-là même qui consiste à participer cérébralement et musculairement à la libération de nos peuples ! »
Méditons FANON, ruminons-le car : « Nous ne sommes rien sur cette terre si nous ne sommes pas d’abord l’esclave d’une cause, celle des peuples, celle de la justice et celle de la liberté.
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