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« La promotion d’une autre image de l’Afrique a été une sorte de croisade personnelle »
Invité d’honneur à la table ronde sur "Images de l'Afrique entre le réel et le virtuel" marquant au Salon international du Livre et de la Presse le deuxième anniversaire du magazine ContinentPremier, Dr Cheikh Tidiane Gadio, Ministre d’Etat, Ministre des affaires Etrangères du Sénégal s’interroge : « Pourquoi l’insistance sur la relation des faits négatifs en Afrique? Le ministre sénégalais était entouré d'éminents journalistes, écrivains dont Anne Cécile Robert " Monde Diplomatique", Boubacar Boris Diop " l'auteur de "Kaveena", Arnaud Robert, réalisateur et journaliste au "Temps", Magalie Goumaz " La liberté", Jean Philippe Chauzy " OIM", Ingeborg Breines, directrice "UNESCO / Genève". Le débat est modéré par El Hadji Diouf, juriste, communicateur, spécialiste de l'OMC et rédacteur en Chef de Continentpremier. |
Un des grands problèmes sur lesquels nous insistions,
c’était la question de l’image : rôle de l’image
négative décrite de l’Afrique à longueur de journée,
ce que cela faisait sur le moral des jeunes africains et sur les peuples africains.
Nous n’avons pas conclu à une entreprise consciente, systématique
et organisée de démoralisation des peuples africains, mais on
n’était pas loin de cela. C’est dire qu’au moment où
le continent asiatique réussissait des prouesses économiques et
commençait à s’en sortir et bâtir ainsi une sorte
de renaissance, au moment où l’Amérique Latine enregistrait
des réussites considérables, l’Afrique en réalité
ne faisait que reculer : reculade qu’on décrivait en termes de
: « l’Afrique ne représente pas plus de 2% du commerce mondial,
n’attirait pas 1% des investissements », « le taux le plus
important de ravage du sida » etc. Et cela nous posait un problème
et on se disait qu’après tout ce qui s’est passé dans
le continent, après le sursaut démocratique des cadres, des jeunes
africains, pourquoi on a choisi cette période-là pour insister
sur les plaies, les tares, les difficultés de l’Afrique et ne pas
insister sur les réussites, les sursauts que l’Afrique faisait
pour aller dans ce qu’il est convenu d’appeler la renaissance africaine.
Nous savons que ce thème a été vulgarisé par le
Président Thabo Mbeki après qu’il eut été
défendu pendant plus de trente ans par un éminent savant du nom
de Cheikh Anta Diop et bien d’autres africains qui se sont battus pour
la renaissance africaine en essayant d’en donner les fondements historiques,
les fondements économiques, culturels et autres. Pour contrer ce mouvement
de la renaissance africaine, on s’est retrouvé dans des situations
dites cocasses ( ainsi la décrivions-nous à l’époque)
: il n’y a qu’en Afrique qu’on pouvait convaincre un congolais
qui est debout sur du pétrole, de l’or, du diamant de prendre le
micro et de dire : « je suis pauvre, et je vis dans un pays pauvre ».
Tout le monde sait que ce n’est pas juste de travailler dans ce sens,
de convaincre les africains qui ont tout le potentiel nécessaire pour
non seulement régler un certain nombre de problèmes, mais à
la limite assurer leur renaissance économique, les convaincre qu’ils
sont pauvres et qu’ils acceptent de prendre en charge ce discours. Ensuite,
convaincre le reste du monde que l’Afrique se réduisait aux guerres
ethniques, aux guerres internes (la République Démocratique du
Congo l’appelait la première guerre mondiale africaine parce 9
pays africains étaient impliqués). On nous montrait beaucoup d’images
de la Somalie où l’Etat avait complètement disparu et où
les massacres se faisaient au quotidien. On nous a montré la situation
en Sierra Léone où l’on amputait les gens, les massacres
au Liberia. On a bien entendu insisté, mais seulement après sur
le génocide au Rwanda. Et enfin on a beaucoup parlé de la guerre
Ethiopie / Erythrée, ainsi que récemment de la situation du Darfour
au sud du Soudan. La crise qui s’y passe, pose une question tout à
fait extraordinaire.
Comment pendant deux à trois ans des massacres peuvent se dérouler
dans une région alors qu’on en est informé que deux ans
plus tard, c’est-à-dire le secret le mieux gardé de l’histoire
récente alors que les médias sont si puissants de parler de ce
qui les intéresse véritablement ? Le cas de cette région
est une question énigmatique. Pourquoi cette crise qui se passe sous
nos yeux ne nous a été révélée qu’après
qu’on s’est mis à parler de 50 000 morts, 70 000 mots, 700
000 à 1 million de déplacés ? Autant de questions sur lesquelles
il faudra qu’on réfléchisse. Mais pourquoi cette insistance
sur le négatif en Afrique ? La crise du Kosovo en Europe est intervenue
dans les années 90. Elle était sanglante et barbare à tous
les égards. Elle n’a pourtant pas eu le même retentissement
dans sa manière d’être présentée que ce qui
s’est passé en Afrique. Parlant d’histoire de guerre mondiale
au Congo, on utilisait une sorte de métaphore parlant d’une guerre
mondiale africaine. Mais il y a eu de véritables guerres mondiales et
malheureusement et souvent sur le théâtre européen. Et ce
qui s’est passé ici en horreurs, en massacres, on s’est arrangé
pour que cette partie de l’histoire ne soit pas vulgarisée pour
empêcher que cela ne se répète parce qu’on n’est
pas à l’abri de ce genre de retour, de ce genre de situation. Mais
quand il s’agit de l’Afrique, on insiste et on insiste assez régulièrement,
on attise les rivalités.
On préfère parler du sida, comme l’ont rappelé certains, parler du paludisme, de la fièvre d’Ebola. Il y a une volonté systématique quotidienne de parler de ce qui ne va pas en Afrique. Alors, on s’est dit que continuer à se lamenter, à se plaindre d’une telle situation ne règle pas le problème. Il faut que des africains et des amis de l’Afrique prennent leurs plumes, se donnent les moyens d’une information, comme le disait le leader du Ghana à partir de 1962, Kwamé Krummah, « il faut une information africaine faite par des africains pour des africains », genre CNN africaine dont il a toujours rêvé. Et je dis sans trop d’humour, que si on avait une CNN africaine, il faudrait consacrer une rubrique spéciale à nos amis d’Europe et d’Occident et montrer chaque jour ceux qui égorgent les enfants, ceux qui attaquent les vieilles dames et les détroussent, bref insister sur les choses qui se passent et qui, bien entendu ne reflètent pas la qualité et la valeur des européens. Je veux dire que 1000 actions positives en Afrique à côté de 3 ou 4 actions négatives passent à la trappe et ce sont les 3 ou quatre actions négatives qui vont faire échos. En illustration, combien d’africains se lèvent à 6 h du matin et travaillent quasiment jusqu’à minuit ( je fais référence aux femmes africaines ), qui dorment après que tout le monde est allé au lit et qui se réveillent avant tout le monde ? Ce n’est pas noble sur le plan médiatique. Ca n’intéresse pas tellement. Ce qui intéresse, comme disait l’autre, c’est « le train qui arrive en retard ». Le drame c’est quand les journalistes africains l’acceptent. En Afrique, un train qui arrive à l’heure, c’est un événement qui mérite d’être signalé et on doit applaudir devant cet exploit et dire « voilà, les africains ont réussi à résoudre un certain nombre de problèmes ». Mais dire qu’il faut faire comme nos amis occidentaux, insister sur les trains qui arrivent en retard et non sur les trains qui arrivent à l’heure, c’est du mimétisme tout à fait négatif qui ne correspond pas à notre propre image. Aujourd’hui des symboles comme Nelson Mandela, ce qu’il a réussi au siècle dernier. bouleverser les rapports socioéconomiques et politiques dans un Etat comme l’Afrique du Sud avec le phénomène qui y sévissait, c’est un exploit extraordinaire et qui méritait effectivement qu’on s’y attarde pour montrer qu’on a réussi quelque chose de spectaculaire en Afrique sans faire des millions de victimes, parce que l’issue du combat en Afrique du Sud pour démanteler l’apartheid ne pouvait se présenter que sous deux formes possibles : soit la violence, soit la voie réussie par Mandela. Malheureusement on n’a pas trop insisté sur ces aspects. C’est aussi le cas de savants comme l’illustre Cheikh Anta Diop dont nous célébrons d’ailleurs la vie et l’œuvre, car c’est le 20e anniversaire de sa disparition cette année. Un homme qui a énormément fait pour les africains et qui a compris les préoccupations que nous avons aujourd’hui, c’est-à-dire le rôle de l’idéologie : comment l’idéologie peut assombrir la vue des gens ; comment l’idéologie peut empêcher les peuples de renouer avec leur passé non pas pour s’en glorifier, mais pour comprendre qu’ils ont comme tous les peuples une capacité historique, qu’ils peuvent développer leur initiative historique et qu’ils l’ont déjà fait. Comment dans le continent africain au moment où il n’y avait que des africains qui vivaient sur ce sol on peut s’arranger pour dire que les civilisations egypto-nubiennes ne sont pas africaines, qu’elles venaient d’une autre planète ou d’un autre continent ? Il a fallu que des africains disent que ce n’est pas vrai. Un professeur comme Cheikh Anta Diop l’a fait. Il est important que les africains retournent à la source. Léopold Sédar Senghor aussi, c’est son 100e anniversaire.
Jeunes étudiants, nous avons combattu le Président Senghor, parce que c’était un leader politique, mais aujourd’hui avec le recul, nous pensons qu’il a grandement contribué, par son intellect et son engagement à développer l’humanisme africain. Nous lui devons beaucoup de respect et de considération. Je voudrais ne pas insister, mais je pense qu’il est temps d’arrêter de nous lamenter et, comme disait l’autre, de passer aux choses sérieuses. Choses sérieuses, qu’est-ce à dire ? Développer des Clubs comme l’Afrique dans le 3e millénaire ou l’Afrique dans le XXIe siècle, et engager la réflexion intellectuelle, participer au débat intellectuel parce que c’est un débat que nous perdons souvent. Si Stéphane Smith ose, en ce début du 21e siècle, écrire l’ouvrage qu’il a écrit, c’est qu’il pense que la pensée intellectuelle africaine est morte ou paralysée et que l’on peut écrire un ouvrage pareil et effectivement avoir une respectabilité internationale. Il faut à l’occasion féliciter notre ami Boubacar Boris Diop, un brillant fils de l’Afrique, un homme debout et qui refuse effectivement de se laisser entraîner dans le désespoir et le pessimisme. Je dois aussi dire que des pays comme l’Inde, la Chine, le Brésil qui ont traversé avec nous des moments difficiles et qui aujourd’hui, (particulièrement pour l’Inde et la Chine) sont décrits comme faisant partie des 4 grandes puissances de ce monde dans 10 ou 15 ans. Il faudrait que l’Afrique s’engage dans cette même logique. Mais, ce n’est pas avec le petit Sénégal, la petite Gambie, la petite Sierra Léone qu’on va y arriver : c’est plus que jamais l’actualité de l’Etat Fédéral Africain. Il faudrait qu’on bâtisse les Etats Unis d’Afrique. Nous sommes le continent potentiellement le plus riche du monde. Nous avons les ressources humaines nécessaires, nous n’avons plus l’excuse des cadres non formés car nos cadres sont bien formés, ils sont meilleurs parmi les meilleurs, car c’est la meilleure manière pour un africain d’être respecté. Un africain a toujours besoin de produire plus de performance. Là où les gens font 5, il a besoin de faire 10 ou 15 pour être simplement accepté. C’est une réalité du monde moderne et les africains ont aujourd’hui prouvé largement qu’ils peuvent prendre en charge la science, la culture, l’éducation, l’agriculture, les infrastructures, les nouvelles technologies dans notre continent, et à toutes les filles et tous les fils qui vivent dans le monde développé, ce débat vous interpelle. Le débat de l’image est important, mais là où vous êtes, vous pouvez vous battre pour l’Afrique. Mais il est aussi possible de renoncer à 10 000 $ par mois pour venir prendre 1000 $ en Afrique et contribuer à la renaissance africaine.
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