Accueil Editorial BASHO: La nouvelle retrouvaille de « CONTINENTPREMIER »

BASHO: La nouvelle retrouvaille de « CONTINENTPREMIER »

par El Hadji Gorgui Wade Ndoye
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Ce mois, nous avons le plaisir de vous annoncer la création d’une nouvelle rubrique intitulée Bashô, en référence à cet illustre poète japonais du XVII siècle. A l’instar de ses haikus qui célèbrent la fugacité de la vie, cette rubrique souhaite partager l’instantané d’un auteur qui a été ému, révolté ou illuminé par un événement, un incident, une rencontre… sous un format ouvert à toutes les formes d’expressions. Nous ouvrons nos colonnes à nos lectrices et lecteurs, car nous estimons qu’un journal ne se résume pas seulement à la diffusion d’information et d’analyses. C’est également un médium qui peut favoriser l’éclosion de talents, dans un style libre qui permet l’échange et l’expérimental, alimentant ainsi la réflexion collective par le biais de canaux diversifiés. Vous avez été en vacances, vous voulez recréer le monde sans violence, vous avez tout simplement envie de vous faire lire, cette rubrique vous appartient. Nous espérons que cette tentative sera le début d’une aventure commune où puissent s’exprimer l’éventail de toutes les richesses et sensibilités.

FRAGMENTATIONS SPECTRALES

Km 470. Les fenêtres maculées de crasse tamisent une lumière grise, amplifiant la sordidité de cette vaste salle aseptisée dont le personnel vaque méthodiquement à ses occupations. Bienvenue à l’estaminet de la gare de Poprad, situé au premier étage avec vue imprenable sur le chemin de fer où convergent des locomotrices tuberculeuses aux expectorations encre de Chine.

Andrej déguste lentement son café turc. Ses yeux d’un bleu azur, rougis par une nuit trop courte, fixent étrangement le mur décrépit. Savoir, ne pas savoir la vérité; réouvrir, ne pas réouvrir les blessures. Cette perpétuelle oscillation entre Désir et Peur, entre Oubli et Justice, le sape, le hante depuis des années… mais encore plus depuis la possibilité d’accéder à son dossier individuel. La Statna bezbepecnost (sécurité de l’Etat) détenait un dossier sur presque chaque individu, alimenté et mis à jour par ses propres services et agents actifs à la solde du régime. Tout était dûment répertorié: de l’anecdotique jusqu’à vos relations les plus intimes. L’orthodoxie et l’orthopraxie d’un citoyen se mesuraient à l’épaisseur du dossier.

Grincements sourds des doubles battants : se succède un va-et-vient constant de voyageurs pressés de se sustenter sur le pouce ou plus exactement de lamper des vapeurs d’ivresse. L’antique horloge murale marque à peine 7h00 du matin, qu’un couple s’installe et vide respectivement une bière agrémentée d’une cohorte de cigarettes.
Captivé par la scène, Andrej se détourne soudainement, me dévisage d’un air mi-grave, mi-gêné et glisse  » quelle misère morale et matérielle « . Il porte un regard sans concession sur son pays natal qui l’a condamné par contumace pour mieux le réhabiliter 17 ans plus tard, Révolution de Velours oblige.
Son itinéraire se reconstitue à l’image d’une mosaïque morceau par morceau, au fil des kilomètres parcourus ensemble à travers la campagne slovaque. A certaines questions, le silence fait écho pour se ponctuer par le binôme inséparable  » plus tard « .

Des éclats de voix et de rires retendissent dans cette antichambre du Prozac, les culs secs de Slibovovica se succèdent sur un tempo allegro au sein de volutes de fumées écoeurantes, à faire chavirer n’importe quels vieux loups de mer. Un exutoire aux angoisses passées/présentes ?
Si le temps a eu raison d’un système totalitaire absurde, les stigmates sont là, comme des témoins silencieux. A l’inverse de l’Afrique du Sud, l’Etat slovaque n’a pas crée une Commission vérité et réconciliation. La page a été tournée puis scellée brutalement, sans concertation, tout le monde est prié d’embrasser les nouveaux idéaux avec ferveur. La catharsis collective n’aura pas lieu, les victimes n’ont qu’à frapper ailleurs pour quémander justice et réparation morale. Un exercice de style qui relève du  » déjà vu « . Pourquoi ne pas avoir entamé une décommunisation ? Pourquoi l’Union européenne ne l’a pas exigée comme prérequis à toute adhésion ? s’interrogent légitimement les uns et les autres. La méthodologie de réinventer un futur sur une chape de plomb laisse en tout cas sceptique. Combien de temps, cette amnésie pourra t-elle durer ? Car  » les faits sont têtus  » affirmait Lénine et plus encore les spectres.

Andrej me fait signe qu’il faut partir. Le train à destination de Stara Lubvona est sur le point d’entrée en gare. A la vue de son visage empreint de lassitude, résonnent les vers du poète slovaque, Milan Rufus  » J’ouvre les yeux. Je vois tant de ténèbres qu’ils se remplissent de larmes « .
Le train freine dans un vacarme indicible, la mosaïque s’esquisse à nouveau.

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