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DAVID GROSSMAN: « J’AI ESPOIR QU’UN GORBATCHEV OU UN MANDELA VA ÉMERGER EN ISRAËL. »

Publié le, 15 janvier 2013 par Daniel WERMUS, Luissa BALLIN

De passage à Genève, le célèbre écrivain israélien a notamment rencontré des juifs de Suisse pour discuter d’un déblocage du processus de paix avec les Palestiniens

 Par Luisa Ballin et Daniel Wermus

 David Grossman, 58 ans, est un grand écrivain que certains voient comme futur Prix Nobel de Littérature. Premier auteur israélien à avoir décrit les souffrances des Palestiniens dans Le vent jaune  (1988), engagé en faveur de la paix au Proche Orient, il a publié des récits inoubliables tels que La grammaire intérieure et Une femme fuyant l’annonce (Prix Médicis du roman étranger 2011), et tout récemment Tombé hors du temps[1]. Grossman était au Théâtre Carouge il y a quelques jours, invité par la Société de lecture, le Festival du film international et forum sur les droits humains (FIFDH), et Payot libraire. Il nous a accordé un entretien exclusif un jour avant que le conflit éclate entre Israël et le Hamas, lors d’une rencontre avec des membres du Manifeste – Mouvement pour une paix juste et durable au Proche-Orient - et de JCall Switzerland[2]. David Grossman, qui a perdu son fils Uri lors de la guerre au Liban en 2006, a accepté de compléter cet entretien (par téléphone) le jour de l’explosion d’une bombe dans un bus à Tel-Aviv, juste avant l’annonce d’un cessez-le-feu.

 De retour dans votre pays, quel est votre sentiment ?

Cette nouvelle effusion de sang prouve la stupidité et l’absurdité de l’usage constant de la violence. Nous savons tous qu’après ce cycle de violences, les Israéliens et les Palestiniens seront probablement dans la même situation qu’avant, sans aucune chance de paix. Le gouvernement israélien a une vision sécuritaire et militaire, le Hamas a une vision religieuse et fondamentaliste et l’un comme l’autre n’ont aucune vision politique. Notre situation est comparable à une bulle hermétique où prévaut une logique déformée faite de haine et de violence et chacune des deux parties justifie ce qu’elle fait à l’autre en commettant les actes les plus atroces. Comment se fait-il qu’après cent ans de conflit nous soyons encore dans cette bulle, que nous ne trouvions pas en nous-même le pouvoir d’agir pour reprogrammer notre comportement et essayer des voies de dialogue autres que des missiles et des bombes les uns sur les autres ?  
 
 
 
Quel est votre souhait?
 

Je souhaite que, s’il y a un long cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, la prochaine étape soit qu’Israël entreprenne des négociations de paix sérieuses et sincères avec les Palestiniens de Cisjordanie. Avec eux, nous pourrions arriver à un compromis. Avec le Hamas, c’est beaucoup plus difficile, les espoirs sont très limités. Mais si nous pouvons trouver une façon positive d’agir en Cisjordanie, cela montrera à tous les Palestiniens qu’ils peuvent avoir un espoir de normalité et de dignité. Lorsque le président Mahmoud Abbas demandera aux Nations Unies que la Palestine soit reconnue en tant qu’Etat observateur, je souhaite… qu’Israël soit le premier pays à le faire ! Car cette reconnaissance signifiera aussi que les Palestiniens acceptent la solution de deux Etats et qu’il y aura une chance d’instaurer une relation normale entre voisins. Avec l’espoir qu’au fil du temps, cette relation irradiera aussi vers Gaza.      

 Y a-t-il en Israël un dirigeant qui porte vos aspirations?
 

Ce dirigeant existe, à gauche et à droite. Nous ne le connaissons pas encore, mais j’espère que la situation le fera émerger et qu’il ou elle saura faire ce qui est nécessaire. Un Gorbatchev ou un Mandela peut surgir à un moment où lui-même (ou elle-même) ne savait qu’il pourrait avoir ce courage et il sera porté par la réalité. L’équipe au pouvoir est très décevante. La plupart des politiciens ne pensent qu’à flatter leur électorat. Ils ne proposent pas de vision mais attisent l’anxiété. Ils évitent comme la peste le mot paix : ce mot, en Israël, vous condamne à l’impopularité, parce le blocage actuel fait que la majorité n’y croit plus. Ils jouent un jeu pathétique en cachant leurs opinions, cherchant à ressembler à Netanyahu (le Premier ministre israélien, ndlr). Nous avons déjà un Netanyahu et c’est assez pour Israël !

 Un mouvement non violent peut-il émerger du côté palestinien?

C’est à eux qu’il faut le demander. Après 45 ans d’occupation, leur code de résistance reste la violence. Elle amène toujours plus de souffrance et elle leur fait perdre des soutiens, comme lors des terribles attentats suicides. Mais prenez la déclaration de Mahmoud Abbas, le mois dernier à la TV israélienne, se disant prêt à revoir en simple touriste Safed, sa ville natale aujourd’hui en territoire israélien. Il a pris un gros risque vis-à-vis de son camp, car cela met en cause le principe du droit au retour des réfugiés palestiniens. Le gouvernement israélien avait le devoir de répondre à cette main tendue autrement que par le silence et le mépris.

 

Si vous pouviez rencontrer le Président Obama quel serait votre message ?

Je lui demanderais d’être plus actif selon ses principes, et bienveillant envers les besoins et les peurs des deux parties. S’il l’est seulement envers le côté israélien, cela peut être très flatteur et confortable pour notre pays. Mais aussi dangereux pour Israël à long terme. Il doit aussi écouter les Palestiniens, il doit comprendre ce que cela signifie d’être pendant 45 ans sous occupation sans espoir pour le futur. Israël est totalement dépendant des Etats-Unis. Je lui dirais : « Président Obama, ne soyez pas timide, n’ayez pas peur de fâcher ! » Un véritable ami qui aime Israël doit tout faire pour « racheter » ces 45 ans d’occupation. Même si ça fera mal à de nombreux Israéliens, à la fin ce sera salutaire pour nous en tant que pays et en tant que société. 

 Et quel serait votre message au Hamas?

Le Hamas fait faux en continuant de déclarer qu’il veut éradiquer Israël et en lui envoyant des centaines de missiles. Je sais, c’est impossible pour lui de renoncer à cette ambition. Mais s’ils veulent vivre, Israël et le Hamas doivent l’un et l’autre parvenir, si ce n’est à un traité de paix, du moins à un cessez-le-feu qui durera des années. Si les gens de Gaza commencent à avoir une vie normale, il y a une chance pour que leurs priorités et leurs aspirations changent. S’ils peuvent élever leurs enfants sans peur et dans la dignité, sans se sentir assiégés et occupés, il y aura une possibilité d’un futur meilleur pour nous et pour eux.    

 Que peuvent faire les Juifs européens qui souhaitent un dialogue de paix ?

C’est frustrant : aujourd’hui, la plupart des Israéliens n’acceptent aucune critique… même venant de juifs. Mais je leur dis : « C’est votre devoir de vous exprimer. Votre silence cautionne la politique autiste de nos autorités. Votre rôle est de nous rappeler les valeurs du judaïsme. Dans leur longue histoire, les Juifs ont développé des trésors d’intelligence et de compromis pour s’adapter aux majorités. Devenus majoritaires et puissants, les Juifs d’Israël l’ont un peu oublié. Envoyez des lettres à nos journaux, régulièrement, parlez-nous d’empathie – ce mot absent du dictionnaire des deux côtés. Cela aidera la minorité à se renforcer, en formulant les enjeux et les solutions. »

 Encadré
 

Comprendre l’autre pour se comprendre soi-même

 L’écrivain peut-il contribuer à un monde meilleur ?

Certains lecteurs m’ont raconté leur histoire personnelle et j’ai réalisé combien de souffrance il y a au fond nous tous. Je ne sais pas si je peux rendre le monde meilleur, mais j’espère qu’en me lisant, les gens ressentent un peu de bienveillance envers les autres, qu’ils aient moins peur qu’un geste aimable soit trahi. Les livres m’ont aidé à me sentir moins seul, ils m’ont appris des choses qu’aucune autre expérience n’aurait pu formuler. C’est aussi une tentative de ne pas être une victime, d’être soi-même, de ne pas collaborer avec l’humiliation. Essayer de comprendre l’autre est un moyen de se comprendre soi-même.

 

Vous n’avez plus de contact avec des écrivains palestiniens ?…

Sauf un : Ahmad Harb. Il vit à Ramallah. Nous échangeons nos frustrations par rapport à ce qui se passe! Les autres ont coupé les liens, non seulement avec moi mais avec notre groupe d’écrivains israéliens. Ils ne voulaient pas cautionner un dialogue alors que leur situation empirait sur le terrain. Des contacts ont lieu ici et là avec des Egyptiens, Irakiens ou Algériens. Je dois aussi admettre que j’ai peu d’échanges avec mes confrères israéliens ! Etre écrivain signifie être seul la plupart du temps. Lorsque le moment sera venu, nous devrons nous atteler à la tâche ensemble et je trouverai mes partenaires au sein de leur société.

 

Les créateurs culturels ont-ils un rôle important ?

Il y a eu des centaines de films, de livres réalisés des deux côtés. C’est très romantique de penser que les intellectuels, les écrivains, les poètes peuvent changer la réalité. Ils peuvent changer le cœur des individus… mais la haine et l’enfermement des Israéliens comme des Palestiniens dans leur anxiété et leur désespoir sont si profonds que l’art ne suffit pas ! Notre réalité est cynique et même corrompue. Bien sûr, il faut rappeler aux gens qu’il existe une alternative, qu’il n’y a pas de décret divin nous ordonnant de tuer et d’être tués. Mais vu la gravité de la situation, le changement doit venir des dirigeants politiques. Lorsqu’ils entameront ce processus, le temps sera propice pour sortir tous les plans de paix comme les Accords de Genève et de nous en faire les chantres. Je tente d’être actif de différentes façons. Je rencontre les dirigeants qui veulent me parler, j’écris des articles et je participe à des manifestions.

 
LB et DW.
 


[1] Au total 14 ouvrages parus en français aux éd. du Seuil

[2] Le Manifeste rassemble des Juifs et des Arabes vivant en Suisse. JCall s’affirme comme un « Appel à la raison des juifs européens » : signé par 8200 personnes, notamment Daniel Cohn-Bendit, Elie Barnavi, Alain Finkielkraut, Boris Cyrulnik, Ruth Dreifuss. Proche de JStreet, aux Etats-Unis, qui affirme avoir contribué à la réélection de Barack Obama et à l’élection au Congrès de 69 députés démocrates et républicains s’engageant pour un dialogue israélo-palestinien.