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ELOGE DE SATAN

Publié le, 20 février 2011 par Khadim Ndiaye

CANADA- Toute notre éducation nous fait concevoir un être maléfique nous déviant du chemin menant à l’Être de bonté qu’est Dieu. Cet être pernicieux nous ferait négliger nos devoirs religieux, nous mettrait en mal avec nos proches, nous inciterait à la débauche, à l’autodestruction, etc. D’un mot, il nous empêcherait d’atteindre la rectitude en toutes choses. 



Au Sénégal cette conception est illustrée par plusieurs expressions que nous utilisons à longueur de journée : Yalla na nu Yalla musël si seytaane (Dieu nous garde de Satan ), Seytaane moo bari doole (Satan est puissant), Alla bonni Saytaan! (Que Dieu ruine Satan !), Seytaane waxul dëg waaya yaqna xel (Le tort revient à Satan mais les esprits sont pourtant dans le doute), etc. Il existe même des chansons populaires reprenant cette thématique telles que le tube à succès de Coumba Gawlo Seck, « Seytaan(e ». On connaît le refrain : «…Seytaane yow yaanu sonnal…Kër gu ma dem fekk la ngay jaxase mbokk nga, bilaay seytaane yow yaanu lakkal… » (Que tu es casse-pied Satan ! Tu mets à mal les familles et les liens de parenté.)

En approfondissant cependant un peu la réflexion, nous constatons que cet être malfaisant n’a pas que des aspects négatifs. Mais avant d’en venir à ce point, voyons un peu d’où vient cette tradition d’un être incarnant le mal. 

Elle a une origine religieuse. En Islam, on conçoit qu’il existe une cohorte d’êtres maléfiques (shayâtîn, c’est-à-dire, les satans) qui tentent les humains et dont le plus en vue est Iblîs (dont le nom signifie l’adversaire, l’accusateur). Cet Iblîs, nous dit le Coran, aveuglé par son orgueil, convaincu de sa supériorité sur l'homme, refusa d'obéir à Dieu Qui lui intima l’ordre de se prosterner devant Adam. Sa désobéissance et son orgueil lui valurent la damnation. Iblîs déchu, tenta de pousser Adam, cet être de poussière que le créateur a choisi de placer au-dessus de lui et de toutes les créatures, à la désobéissance, en lui conseillant de manger du fruit de l'arbre défendu. Ce qui fut fait, et tous les deux (Iblîs et Adam) se retrouvèrent sur un même lieu d'exil, le monde terrestre. Sur ce lieu d’exil, Iblîs n'accordera aucun répit à la filiation d’Adam qu’il tentera de détourner du droit chemin par ses artifices multiformes.

Dans le christianisme, outre l’épisode de la chute de l’homme sur terre, on connait ce passage de l’Évangile selon saint Mathieu (chapitre IV) qui relate la tentation de Jésus Christ par le Diable :

« Ensuite le démon transporta Jésus sur une haute montagne et lui montra tous les royaumes du monde avec toute leur gloire ; ... Et il lui dit : «Je vous donnerai toutes ces choses, si vous voulez vous prosterner devant moi et m'adorer.» ... Mais Jésus lui répondit : «Arrière, Satan ; car il est écrit : Vous adorerez le Seigneur, votre Dieu, et vous ne servirez que lui seul.»

Les références pourraient être étendues quasiment à l’ensemble des croyances religieuses où un principe du mal, sorte d’anti-Dieu, est toujours à l’œuvre.

Supposons maintenant que l’homme vive dans un monde où n’existerait pas cet être plein de ruses qu’est Satan. Comment, dans un tel monde, pourra-t-on reconnaître l’homme bienfaisant du mauvais, l’hypocrite de l’honnête, le dévot du tartuffe, l’obéissant du transgresseur, etc.  Ce monde ne serait-il pas un milieu gagné par l’apathie (impassibilité, indifférence) et l’aboulie (absence de volonté) ? Dans un tel monde, la parole coranique suivante n’aurait plus aucun sens : « Est-ce que les gens pensent qu'on les laissera dire : "Nous croyons!" sans les éprouver?» (Sourate 29, verset 1).

Dieu éprouve en effet les humains en mettant sur leur chemin un adversaire incarnant le mal afin de mesurer qui d’entre eux possède la vraie foi. Cet adversaire fait donc partie d’un plan divin qui invite l’homme à surmonter les obstacles et à atteindre la plénitude de lui-même. Cet être maléfique appelé Satan, représente dans ce cadre, l’ardeur de la vie, la discorde, la contradiction, la passion, le mouvement, l’opposition, etc. Il est le principe actif, le stimulant qui ne cessera de morigéner l’homme, en jalonnant son chemin vers la divinité d’embuches, de pièges.

La conception du Diable comme élément nécessaire à l’exécution d’un plan divin a été théorisée par plusieurs penseurs. On la retrouve chez le mystique Jalal-ud-Dîn Rûmî (1207-1273), son disciple Mohamed Iqbal (1877-1938), Goethe (1749-1832). On retrouve aussi mais pour des motifs différents, la conception du Diable comme être fondamental, chez les théoriciens révolutionnaires, Proudhon (1809-1865) et Bakounine (1814-1876).

En accord avec ces penseurs, Satan n’a pas seulement une existence négative. Il a également une valeur éducative certaine. En rabrouant l’homme, il l’incite à aller de l’avant et à grandir ; il lui confère le goût de l’effort et de l’action.

Satan réclame en réalité des hommes qui sauront mettre à mal sa prédiction coranique de détourner du droit chemin la descendance d’Adam ; des hommes devant qui ses artifices voleront en éclat.

Ainsi que l’écrit Mohamed Iqbal, Satan veut des créatures qui lui tordent le cou, dont le regard le ferait trembler, des hommes qui lui diraient : « Éloigne-toi de [notre] présence !» ; des hommes devant qui il ne vaudra plus rien.

Satan se désole en effet des hommes à la personnalité faible, n’ayant aucun goût pour l’effort. De tels êtres fuient le combat véritable et sont loin de venir à bout de ses manigances. Satan réclame des créatures de la trempe de Jésus qui peuvent lui dire : « Vade retro Satanas ! » (« Arrière Satan ! »), ou comme Ahmadou Bamba qui peut s’exclamer : « …j’ai dompté mon âme et chassé Satan, le damné ». 

Ce sont de telles personnalités fortes auxquelles fait référence le Coran, c’est-à-dire, les « adorateurs vertueux de Dieu » ('ibadi-l-lahi as-salihin) que Satan ne pourrait nullement ébranler ?

Ainsi considéré, le Diable n’est plus le réprouvé qui hante nos sommeils et que nous essayons de chasser par toutes sortes d’invocations possibles. Il nous apparaît comme un être essentiel à l’élévation morale de l’homme ; l’être que nous appelons de tous nos vœux afin qu’il témoigne de notre mérite à avoisiner la citadelle divine.

Vu sous cet angle, nous pouvons nous exclamer avec Proudhon : «Viens ! Satan, viens […] que je t’embrasse, que je te serre sur ma poitrine! » ; ou reprendre le titre d’une chanson de Léo Ferré, Thank you Satan.

 Khadim Ndiaye, philosophe sénégalais