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REVES DE CARTHAGE : DE L’ANTIQUITE A FREUD 

Publié le, 26 août 2009 par

Par Dr Franklin RAUSKY  

Depuis des siècles, les côtes mystérieuses  de l’ancienne Carthage font rêver les esprits. Ce sont des lieux énigmatiques  où l’histoire se confond avec la légende, où chroniqueurs, peintres, théologiens, romanciers, aventuriers et simples voyageurs se sont mis à reconstruire ou à imaginer des scènes d’une exceptionnelle intensité. 

On connaît la place de l’île de Djerba dans  la mythologie grecque, où elle est l’un des lieux de l’errance d’Ulysse.  

Dans l’imaginaire des commentateurs bibliques et des chroniqueurs du Moyen Age, juifs et chrétiens, les côtes carthaginoises jouent un rôle privilégié. 

Dans le Livre  Biblique des Rois, le roi des Israélites, Salomon, est présenté comme l’allié et l’ami du roi phénicien de Tyr, Hiram. Ensemble, les Phéniciens et les Hébreux auraient envoyé des flottes de navires marchands vers des destinations mystérieuses, Ophir et Tarchich.  Les commentaires   médiévaux de la Bible s’interrogent sur ces contrées lointaines et inconnues. Pour  la plupart des commentateurs, Ophir se situe en Orient, sur les rives de l’Océan Indien. 

Mais où  se situait Tarchich ? Certains l’identifient avec un port de Chypre, d’autres avec une île de la Mer Egée, d’autres encore avec  l’une des villes de l’Andalousie, comme Séville ou Malaga. Mais, pour des nombreux érudits et cartographes, Tarchich serait l’île de Djerba. Pour eux, c’est de cette île qui partaient, il y a trois mille ans, les navires  de la flotte alliée de Hiram de Tyr et de Salomon de Judée, avec leurs riches cargaisons d’or, d’argent, de bronze, de pierres précieuses, d’épices, de tissus, de pourpre et aussi avec des oiseaux exotiques et des singes, les tout premiers singes mentionnés  avec la littérature biblique et destinés au roi Salomon, que le livre des Rois présente comme un zoologiste de grand talent, qui dissertait sur les mammifères, les oiseaux et  les poissons.  

Plus tard, selon les commentateurs, c’est près de l’île de Djerba que se serait déroulé l’un des épisodes les plus célèbres de la littérature prophétique. Jonas, prophète hébreu, refuse de porter la parole divine au peuple de Ninives et, pour échapper à l’ordre divin, il descend au port de Jaffa, où se trouve un bateau en partance pour Tarchich, paie le prix du voyage, descend dans le bateau et s’endort. Nous connaissons la suite de l’histoire, racontée d’année en année dans les synagogues l’après midi du jour de Kippour : une terrible tempête se déchaîne et Jonas est jeté à la mer par les marins, puis avalé par un gros poisson et rejeté sur la terre ferme, avant d’accomplir, à contre-cœur, sa mission prophétique auprès des Ninivites. Pour des savants médiévaux, Jonas cherchait à se réfugier dans l’île de Djerba, à laquelle il n’arrivera jamais. Pourquoi cherchait-il à partir pour Djerba ? Parce que, pour  des hommes de son époque, cet endroit était  l’extrême occident du monde connu, la fin de la terre habitée. Au-delà de Djerba, commençait une mer terrifiante, peuple de monstres marins qui dévoraient les navires et leurs passagers. 

Cette vision légendaire    de la côte de Carthage se poursuit à  travers les siècles. C’est ainsi que le père de la psychanalyse, Sigmund Freud (né en 1856, mort en 1939), décrit la fascination exercée sur lui par Carthage, le peuple carthaginois et surtout, le personnage historique  emblématique du pays, Hannibal, le célèbre guerrier, né en  247 avant l’ère chrétienne et mort en 183. Hannibal, qui défia le pouvoir romain et faillit détruire la puissance de Rome avant d’être tragiquement vaincu, appartient, certes, à l’histoire politique et militaire de l’Antiquité. Ce n’est nullement un personnage mythologique, mais il enflamme les imaginations et fait rêver les esprits. C’est l’homme qui a failli changer le cours de l’histoire. L’homme qui ne se résigna pas à subir en silence la suprématie arrogante et triomphaliste de l’impérialisme romain, en marche vers la  conquête du bassin méditerranéen.

Pourquoi un jeune lycéen juif de  Vienne, dans les années 1870, s’identifie à un guerrier de l’Antiquité, héros d’un pays lointain que Freud n’a jamais visité ?  Voici l’explication qu’il donne dans son livre l’Interprétation des rêves. 

Freud raconte un voyage inachevé : son voyage en Italie. Il s’arrête à mi-chemin et n’arrive pas à Rome… Il pense alors à un autre personnage qui, lui aussi, songeait à entrer en Rome et ne réussit pas son pari. Ce personnage c’est Hannibal de Carthage. Et Freud d’expliquer ainsi sa fascination : 

« J’avais suivi les traces d’Hannibal. Il ne m’avait pas été donné de voir Rome. Lui aussi était allé en Campanie alors qu’on l’attendait à Rome. Hannibal, avec qui je me trouvais cette ressemblance, avait été le héros favori de’ mes années de lycée. Quand nous avons étudié les guerres puniques, ma sympathie, comme celle de beaucoup de garçons de cet âge, était allée non aux Romains mais au Carthaginois. » 

En s’identifiant aux guerriers carthaginois, révoltés  face à la puissance romaine, Freud s’identifie aux  peuples opprimés en lutte pour leur liberté. Mais, plus  tard, une autre  dimension, plus autobiographique, plus intime et personnelle, s’ajoute à cette première idée :

A la fin de ses années lycéennes et au début de ses études universitaires, Freud commence à être confronté aux préjugés antisémites de certains milieux viennois. C’est l’époque de l’essor de l’antisémitisme raciste qui considère les peuples aryens comme supérieurs et les peuples sémites comme inférieurs. Et Freud de se chercher des héros sémitiques qui pourraient prouver l’héroïsme, le courage, la résolution, la dignité et l’intelligence des Sémites. Alors Hannibal dévient, pour lui, un modèle, un exemple : le combattant sémitique  débout, en lutte pour la liberté des siens contre la puissance de Rome, grand empire aryen. Et Freud de  donner à Hannibal un caractère de symbole pour le judaïsme de son temps. Car Hannibal, dit-il, est un « grand guerrier sémite », héros de constance et d’obstination, incarnant « la ténacité juive », car, à ses yeux, Phéniciens et Hébreux, et leurs descendants, Carthaginois et Juifs, ont une origine sémitique commune. Deux peuples qui parlent  des langues étrangement similaires et qui se servent d’un même alphabet, le premier au monde.  

De même que Hannibal jure, devant l’autel domestique de Carthage, en présence de son père Hamilcar Barca, de se venger de la tyrannie romaine, Freud rêve, lui aussi, de se  venger de Rome, la ville impériale qui détruit le Temple de Jérusalem et exila les Judéens loin de leur terre natale. 

Freud  ajoute qu’Hannibal joua un rôle primordial dans ses rêves et ses fantasmes. Ainsi, de même que les chroniqueurs  du Moyen Age ont donné libre cours à leur imagination fertile en décrivant les côtés mystérieuses de Carthage et l’île fabuleuse de Djerba, Freud, lycéen et étudiant, trouva, dans la vie héroïque et  tragique d’un grand guerrier de la côte carthaginoise, un  destin extraordinaire à  admirer et à imiter.