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Hommage à Seydou KANE: ''L’IMPOSSIBLE DEUIL''

Publié le, 13 février 2007 par

Par BÂ Kassoum Sidiki
ForumDiaspora - al-moultaqa

Des pannes répétées d’ordinateur au point de le changer , une ferme volonté de ne pas dénaturer l’hommage dû à un grand homme en utilisant le clavier anonyme d’un cybercafé où bruits et massification d’internautes pouvaient rompre mon recueillement ont fait que c’est maintenant que je parle de celui qui n’est plus là mais présent parmi nous, dans nos cœurs et dans nos esprits : Saïdou KANE.
La silhouette alerte et longiligne, l’œil extrêmement vif et pénétrant du regard les synergies possibles, l’intelligence toujours en éveil qui cerne d’emblée les finalités d’un projet, les enjeux d’une situation, le rapport de forces : tel était l’homme.
C’est un esprit qui nous quitte au point qu’il est difficile de trouver la révérence juste. Ce digne fils du Fouta, ce noble peulh, synthèse généalogique des grandes familles BÂ, KANE, WANE, LY, etc. jaugeait les faits dans le sens qu’ils portent, dans l’avenir qu’ils dessinent dans les contours de leur actualité, dans l’espoir qu’ils permettent au sein de l’âme meurtrie du monde.

Troubadour du concept, poète de la vie, ce philosophe de l’existence joyeuse avait compris le sens de l’Institution comme communauté éminemment humaine, à savoir qu’elle est le fait des hommes et de leur volonté. C’est à ce titre qu’elle ne pourrait être statique et vouée à un modèle unique de vie, à une imposition du dehors, à l’application d’un dogme.

Intransigeant et hardi contre les tenants de l’orthodoxie, Saïdou excellait dans l’art du compromis, dans l’addition des humeurs et des vérités pour fonder une société juste et conviviale. Il savait que toute revendication d’un modèle pur d’homme et de société était un aveu de dictature, une confession de tyrannie, un cri de haine de tout ce qui n’est pas soi. C’est tout le danger contenu dans l’idéologie.

L’histoire l’enseigne, les Khmers rouges et leur révolution ensanglantée, Staline et sa comptabilité macabre pour son maintien au pouvoir, le Führer modelant les consciences dans l’admiration et le culte de l’Aryendi.

C’est dire qu’un projet politique ne saurait être le lieu fermé à l’autre, le milieu clos, imperméable aux palpitations existentielles et au soulèvement de la vie.

C’est pourquoi, à la dimension de tout grand homme peu de personnes pouvaient le suivre dans sa foulée intellectuelle, dans ses convictions ancrées. Une enveloppe modeste, une vie simple l’amenant à partager son temps avec ceux qui ont besoin de lui, l’ont fait humble. Ni la gloriole, ni les honneurs ne le faisaient courir.

Péripatéticien du bonheur, il allait de-ci, de-là transmettre l’enthousiasme.

Ce qui intéressait ce chevalier de la fraternité, nomade de la paix au visage expansif d’humanité, c’était l’histoire pour en changer le cours sinueux et triste. Chaque mélancolie lui était insupportable. Il aimait être acteur d’une vie meilleure.

Idéaliste dans un monde froid et calculateur il voulait souvent concilier les positions.
Il en fut une conviction ; ce qui fut, parfois, incompris. Il exerçait sa liberté sur les poussées brusques de l’histoire et ses lenteurs pour en inverser la tendance malheureuse. C’était sa préoccupation. Il lui arrivait de se mettre en avant, porté par les idées, les tensions du moment. Il s’exposait toujours, se donnait altier sans se livrer. Ce qui ne le mettait pas à l’abri d’attaques très personnelles. Il ne parlait pas de lui-même mais il aimait le maniement des idées, la dialectique idéelle.

Personnalité fine et complexe, KANE Saïdou est la synthèse réussie de la tradition et de la modernité. Le boubou ample et amidonné, ce lecteur de Marx citait les Grundrisse dans le texte. Du monde ancien il en faisait un visage nouveau et il incarnait la vie moderne dans une tradition ouverte.

Il n’était jamais à court d’idées, et prolixe chacun de ses mots résonnait de la densité du réel, du mouvement de la vie.

Je l’ai souvent écouté parler, tenir un auditoire des heures durant, sans se répéter. Et chacune de ses phrases était déjà une notion d’un segment du monde. Dans une aisance bilingue du Français et du Pulaar, la parole de Saïdou s’enroulait dans le souffle vivant du cours de la pensée.

La première fois que j’ai vu ce panafricaniste connu et convaincu c’était à Kaëdi en 1979 avant la grève quand j’étais au lycée. Nous devions tenir une réunion clandestine des militants de l’U.D.M au quartier Moderne. Il y avait là Cissé Mody, Sow Mohammed, moi-même accompagné de mon oncle Ball Mamoudou Jaffar. Nous aimions la Révolution, nous avions le rêve et la jeunesse et étions pleins de bonne volonté sous l’instigation de notre aîné Saïdou. Depuis nos chemins n’ont cessé de se croiser, souvent chez mon cousin BÂ Ibrahima Kassoum qui ne s’est jamais remis des conditions infernales de la prison, qui est finalement parti. Il évoquait sans exclusive l’histoire des peuples Soninké, Wolof, Peulh et Maure et leur profond métissage.

Mais ce qui fit la force de ma filiation est, lorsque sorti de prison, il fallait trouver une réponse au long règne de Ould Taya caractérisé par le déni de justice et de citoyenneté aux Négro-Africains, la banalisation de la torture et les déportations. Nous signâmes la pétition des 402 qui réclamait que justice soit faite face aux exactions de l’Armée et de l’Etat mauritanien.

Dans l’Alliance pour une Mauritanie Nouvelle (A.M.N.), nous étions partie prenante du F.D.U.C. avant de se fondre comme sensibilité dans l’U.F.D.

Première nouvelle. Nous tenions nos réunions chez Diop Mamadou Amadou
dit Samba Hawoyel, une autre grande figure de la cause Noire qui, par son expérience, sa sagesse et sa diplomatie savait canaliser nos énergies, suggérer les orientations utiles. C’est véritablement là, avec les Ibrahima Sarr, Kane Hamidou Baba, Diop Mourtudo, Maître Diabira Marrouffa, que notre intimité intellectuelle naquit et s’agrandit par une vision commune de la société mauritanienne.

L’exigence de justice devait passer par le départ de Ould Taya et le renouveau de la représentation politique. Nous voulions prendre Taya à son propre piège. Nous considérions qu’une élection est une tribune revendicative du droit et de la démocratie, qu’elle est une occasion pour apporter la preuve du manque de sincérité du régime en place et servir surtout de tampon entre l’Etat répressif et les populations.

Car le choix était cornélien, le choix était entre ne rien faire et dire et la prise de parole publique à l’intérieur qu’une certaine opinion prenait pour une caution. Faut-il souligner cette évidence, qu’il n’ y a jamais de caution pour un homme qui dit non, toute prise de parole publique induit des risques. Mandela, Ghandi, Luther King ont dit non de l’intérieur. Nous voulions amplifier les voix du non, les faire résonner dans un changement acceptable. Ahmed Daddah était porteur d’une grande force d’alternance. Héritier d’une culture Zouaiya empreinte de tolérance et d’éthique vers autrui il représentait la solution du moment.

Par ses propos et ses positions il s’est rangé dans le camp des justes.
C’est cela aussi la grandeur politique : « dans le silence absolu des passions» selon les termes de Rousseau, savoir ménager les différences, apprivoiser le meilleur pour rebondir et avancer. Il n’ y a pas que les bons d’un côté et les méchants de l’autre comme dans le registre manichéen. Au fond toute communauté sécrète ses héros et ses justes, ses résistants et ses collabo.

Or chaque fois que dans le ciel brumeux de l’humanité qu’une lumière se lève, il faut s’en éclairer pour illuminer les cavernes et les grottes.
Oui il faut reconnaître que dans la fureur des événements des justes se sont élevés, l’Imam Bouddah Ould Bousseré avec ses quotba appelant au calme, intepellant et recommandant que des musulmans ne s’en prennent pas à d’autres musulmans, Habib Ould Mahfouz avec ses Mauritanides attendues comme du pain béni, les Jeunes du M.D.I sont de ceux-là. Nous avons donc fait une certaine lecture et avions alors pris fait et cause pour Ahmed Ould Daddah. Ce serait lourd de conséquences, de myopie politique et faire peu cas de la vérité que de consacrer sous la formule bonnet blanc et blanc bonnet une équivalence de comportement ou de projet.

Sa connaissance intime de la Mauritanie et de ses équilibres entre le Monde Arabe et l’Afrique Noire, de ses composantes nationales, ses dénonciations répétées des crimes contre l’humanité commis par Taya le désignaient comme le candidat de l’alternance.
Mais notre déception fut immense au lendemain des élections présidentielles de janvier 1992. Dans l’arithmétique des votes il était impossible que Ould Taya l’emporte. Dans le phénomène d’urbanisation massive qui caractérise les capitales du Tiers-monde, les grandes agglomérations sont le concentré de la vie nationale. Le tiers des mauritaniens vit à Nouakchott. On ne peut donc remporter dans les deux villes les plus importantes, Nouakchott et Nouadhibou, en plus de l’écrasante majorité de la vallée et ne même pas être présent au deuxième tour.

Faut-il rappeler que Wade fut élu Président principalement à cause du vote des villes de Dakar et de Thiès. A l’évidence les élections étaient truquées. Dans l’indignation impuissante de notre désarroi, nous ne savions quoi faire. C’est ainsi que choisissant l’exil, nous nous retrouvons Saïdou et moi dans l’organisation qu’il a contribué à fonder avec les LY Djibril Hamet, les F.L.A.M.

Ouvert et critique à la fois, là aussi il put développer toute sa puissance de propositions. Il ne dénigrait jamais, même dans le désaccord le plus profond. Au contraire, il restituait la pensée de son adversaire sans éprouver le besoin de le contredire en son absence. C’est dans la présence et le manifeste qu’il portait la contradiction. Le face à face lui était nécessaire pour étaler son argumentaire.

Une biographie serait insuffisante pour contenir la vie d’un homme qui s’est voué à la
félicité de ses semblables. Donnant de sa personne sans jamais demander de retour, la vie de Saïdou est le symbole de la générosité. C’est une grande âme qui nous quitte. Aujourd’hui elle est là-bas, loin des haines tenaces et atroces des hommes, loin de la fureur du monde et de ses tourments.

Son âme est en paix dans le royaume céleste là où l’instant est riche de l’unité de tous les équinoxes ; là où l’instant est déjà toute l’éternité en soi, là où l’âme est elle-même et toutes les âmes réunies.
Ce monde dont Spinoza disait qu’il réunit l’essence et l’existence dans une expression unique du sens. C’est ce monde qui est l’absolu, il est l’Un sans division ni mouvement. Nous nous y rendrons tous et nous y retrouverons cet homme qui fut tout le temps debout et qui observe nos manèges et nos tricheries, la perte de sens où nous nous engouffrons chaque jour.

Un grand homme, un immense talent nous quitte et nous avons du mal à nous passer de lui. C’est le deuil impossible.