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« Nous assistons à une régression à la fois morale et intellectuelle du combat contre le racisme ».
DOUDOU DIENE,
|
M. Diène, des jeunes noirs ont attaqué des Blancs lors d’une manifestation de Lycéens en France. On a vite fait de les présenter comme des racistes anti – Blancs. Quelle lecture faites - vous de cela ?
« Deux réponses à ça. Premièrement,
une précision, ceux qui ont été à la manifestation
l’ont dit, il n’y avait pas uniquement que des jeunes Noirs qui
attaquaient les lycéens. D’ailleurs, une enquête a été
demandée par un groupe d’intellectuels dont Christiane Taubira,
la députée de la Guyane, qui avait fait voter le texte de «
l’esclavage un crime contre l’ Humanité».
Deuxièmement, ces jeunes attaquaient tous ceux qui passaient, Noirs comme
Blancs. Leur attaque n’avait aucune connotation raciste. Ils attaquaient
pour voler des téléphones mobiles, des portefeuilles…. C’était
un acte social de banditisme, de vol qui n’avait aucune connotation raciale»
Pourtant l’intellectuel français Alain Finkielkraut et autres ont profité de cette occasion pour dénoncer l’existence d’un racisme dit anti - Blanc en France. Selon Finkiekraut, ces jeunes noirs sont sous influence de Louis Farakhan, leader musulman des USA ?
« Pour en revenir au texte de Déclaration, disons que c’est une bouillabaisse idéologique. Peut - être les jeunes Noirs dont il parle, ne connaissent même pas Louis Farakhan. Ensuite, Finkielkraut parle de Dieudonné, d’Israel… Il mélange tout. Mais il est clair que dans l’argumentaire en filigrane de ce texte, on pointe deux des figures émergentes de la discrimination en Occident. Au niveau du racisme pur et simple, le jeune noir et d’une certaine manière, le jeune arabe. Sur le plan plus vaste, l’Islam. Dans l’argumentaire sur la sociabilité des jeunes noirs, leur dangerosité non seulement le fait qu’ils seraient antisémites, violents mais qui seraient aussi sous l’influence d’ islamistes. Qui ne seraient même pas Louis Farakhan mais les Imams des mosquées ! A noter que les mosquées en France, comme vous le savez ont des difficultés à être construites.
L’Islam des banlieues, est un Islam des caves. Un Islam souterrain presque des catacombes des Chrétiens antiques de Rome. Il y a là donc, un argumentaire qui est une construction idéologique.
On part d’un acte social. On refuse de lire l’acte dans sa dimension sociale, donc politique. On en fait une lecture ethnique. Et de l’ethnie on tire vers le religieux.
Et tout cela dans une bouillabaisse absolument étonnante
de la part d’un intellectuel comme Alain Finkielkraut.
Heureusement, j’ai appris que quelques uns des intellectuels qui avaient
signé cette Déclaration se seraient désister. Notamment
Rachid Ben Cheikh… Cet appel, semble donc aujourd’hui, mort de sa
belle mort.
On en parle plus parce qu’il était profondément ambigu et même au - delà de l’ambiguïté, très dangereux»
A la suite de la publication d’un reportage paru dans « le Monde » du 16 mars 2005 sur ce thème, des voix sont sorties pour dire que les jeunes Noirs étaient des nazis plaçant ainsi la France dans les années 30 ?
« Nous assistons à une régression à la fois morale et intellectuelle du combat contre le racisme. Certains cercles des sociétés en Occident et notamment en Europe, sont en train de mener un combat d’arrière garde. Et comme c’est un combat d’arrière garde, il est féroce, irrationnel et violent ».
En quoi consiste ce combat ?
« Le combat d’arrière garde, c’est le refus de reconnaître que les sociétés occidentales, européennes sont devenues des sociétés profondément multiculturelles. Elles le sont devenues à cause des grandes entreprises coloniales historiques de l’ Occident parti vers d’autres peuples. En dominant ces peuples, l’Occident les ramenait aussi, souvent, chez lui.
Le multiculturalisme, s’explique aussi par le fait de la réalité de la migration, c’est à dire des mouvements immenses depuis des siècles des populations humaines.
Les sociétés actuelles sont devenues multiculturelles,
multiethniques, multireligieuses.
Ces cercles de pouvoirs dont je parlais plus haut se sont réveillés
un beau matin et se sont rendus compte que l’identité qu’ils
avaient construite, il y a plusieurs siècles de l’Europe qui était
ethniquement définie blanche et qui était religieusement définie
chrétienne n’est plus ce qu’elle était .
A noter que des écrits comme ceux de Buffon, Voltaire et d’autres,
disaient que dans la hiérarchie raciale le Blanc est le modèle
et le sommet. Et ils mettaient le Noir et le Jaune en bas de l’échelle
et même dans une sous humanité. Et même quelqu’un comme
Hegel, même filiation idéologique, disait que s’il devait
définir l’échelle de l’Humanité, il ne saurait
pas ou mettre le Noir.
Dans cette construction identitaire de l’époque, le Noir était diabolisé, déshumanisé. C’est ce qui a servi de légitimation à l’esclavage Ceux qu’on vendait comme esclaves, n’étaient pas des êtres humains. C’étaient des objets comme le définissait le « Code Noir ». L’identité européenne s’est construite comme beaucoup d’autres identités même en Afrique contre d’autres.
Une nation construit toujours son identité contre une autre. On a construit cette identité et brusquement au début du 21ème siècle on se rend compte que le paysage urbain, social humain de l’Europe – jaune , noir, chrétien, musulman, juif, bouddhiste n’est plus conforme à l’image identitaire qui avait été construite.
C'est ce refus qui aboutit à une crispation identitaire et fondamentalement à l’irrationalité de certains arguments comme ceux de Alain Finkielkraut »
Ne pensez – vous pas qu’une bonne politique d’intégration, disons de co- intégration pourrait aider l’Occident à lutter contre le racisme sur toutes ces formes ?
L’intégration est un mot ambigu. Il l’est parce que cela peut faire l’objet de deux lectures.
La première est l’intégration – assimilation, c’est à dire si vous venez chez nous, vous devez vous déshabiller littéralement à la porte. Tout ce que l’étranger a porté, d’où il vient, sa religion, sa culture, ses traditions. Même son humanité. Ainsi on demande à l’étranger en entrant en Europe qu’il devienne totalement européen.
Cette version de l’intégration est profondément régressive. Elle connote à sa base la discrimination et le racisme à l’égard de l’autre. Parce que ce qu’on lui demande d’abandonner c’est de s’abandonner, de ne plus être ce qu’il est. De ressembler à l’Européen dans le pays duquel, il vit. Ce dont il est porteur est considéré comme négatif, sous humain, sauvage et barbare.
Cette première acception de l’intégration a un soubassement raciste. La deuxième acception de l’intégration est quand on dit à l’étranger : « vous allez accepter nos lois, nos traditions »
Cette acception est aussi basée sur l’idée que dans un ensemble social, dans un contexte social ou national, Il y a des valeurs d’un groupe qui avaient été définies il y a des siècles. Que ces valeurs ne changent pas. Ceux qui viennent dans le pays doivent accepter ces valeurs. Cette conception connote en filigrane le concept des guerres des civilisations et de cultures.
C’est de dire que et cela s’applique clairement à l’Islam. On le voit sur la problématique de la rentrée de la Turquie dans l’Union européenne. L’argument ultime est qu’on ne peut pas les accepter parce qu’ils ne portent pas les mêmes valeurs que nous. Et quand on pousse ceux qui le disent, ils affirment qu’ils sont des musulmans et nous, nous ne le sommes pas.
En oubliant que l’Europe est déjà musulmane. Dans beaucoup de pays européens, l’Islam est la seconde religion. Donc on revient au fantasme du refus qui est littéralement irrationnel de reconnaître que l’Europe est pluriculturelle et multiethnique. On pense que le multiculturalisme c’est ailleurs. Il est là, le multiculturalisme.
A partir de ce refus, on en tire que ceux qui refusent cette réalité sont aveugles. D’où le leitmotiv répèté, « Il faut qu’il s’intègre », « Il faut qu’il s’intègre ». Alors que la réponse normale de vitalité– que les USA montrent d’une certaine manière- c’est qu’ une société ne vit que par ceux qui la composent. Une société est un ensemble vivant, plastique qui évolue dans l’histoire, dans l’espace, dans le temps.
C’est en acceptant les autres, certes en leur demandant de respecter les lois du pays. Mais les lois ne sont pas nécessairement les valeurs et aucune valeur n’est immuable. Les valeurs de l’Allemagne nazie ne sont pas les valeurs de l’Allemagne de 2005.
On sait que la solution, la seule possible est que même si les lois d’un pays doivent être respectées par ceux qui viennent y habiter. Et c’est un principe fondamental, qu’on doit accepter. L’évolution sociale, fait que c’est l’interaction même dans le domaine de l’éthique et des valeurs entre les communautés qui littéralement constitue le processus de construction d’une éthique d’une nation dans la longue durée. C’est ce qui fait qu’aux USA, vous avez un Sénégalais qui peut arriver – et on sait combien la culture sénégalaise est forte et que les Sénégalais le portent en profondeur- mais les jeunes Sénégalais qui vivent aux USA sont non seulement Sénégalais mais également Américains. Il y en a d’ailleurs beaucoup qui sont en Irak dans l’armée américaine.
C’est à dire cette capacité de garder une certaine spécificité tout en reconnaissant un ensemble qui vous dépasse et qui vous lie et vous englobe. C’est cette dialectique là entre l’unité et la diversité qui est la clef de la plasticité et de survie de toute société. Et c’est ça que certains intellectuels semblent profondément ignorer ou ne veulent pas voir»
Que doit faire l’Etat français ?
« Tout Etat devrait faire une chose. Je renverrai à
un proverbe africain – La société africaine est fabuleusement
riche et profonde et ceux qui la critiquent l’ignorent tout simplement.
Il y a un proverbe africain qui dit que dans la forêt, quand les branches
des arbres se querellent, les racines s’embrassent.
Que voulez – vous dire M. Diene. Rendez – nous accessible votre langage ?
« L’arbre entier des racines aux branches, représente
la société, l’Etat, les nations ou le monde.
Les branches, ce sont les peuples, les cultures, les religions. En un mot, la
diversité, le divisible. Les branches peuvent se quereller car elles
peuvent se toucher à cause du vent et à cause de beaucoup d’autres
choses.
Mais il faut retourner aux racines qui s’embrassent c’est à dire dans l’intangible de valeurs universelles. Pas l’Universel du 19ème siècle, qui est un universel miroir dans lequel l’Occident disait « Devenez universels à partir de mes valeurs. Parce que moi, j’incarne l’Universel. Mais l’Universel dont il s’agit ici, est une construction ou des peuples, des cultures, se rencontrent et ensemble même quelques fois dans le combat, ils construisent un universel partagé, interactif.
Ce que tout Etat doit faire, c’est de travailler le tronc de l’arbre. Faire de sorte que les racines qui s’embrassent c’est à dire les valeurs universelles que les racines ensemble ont construites, remontent à travers le tronc par l’éducation, par la formation…Tout ce qui construit une société pour que les branches ne se querellent plus mais vivent ensemble.
C’est à dire, les branches et il ne s agit pas de les couper. Il faut maintenir la diversité de ces branches. C’est comme si dans un jardin, on décidait d’enlever toutes les fleurs et de garder uniquement un type. Alors qu’on sait que la beauté d’un arbre, c’est non seulement ces branches multiples mais dans un jardin, ces fleurs multiples.
Il faudrait d’ailleurs revenir à des valeurs occidentales qui sont anciennes. Ces valeurs qu’exprime du reste la chrétienté historique et les grandes traditions spirituelles. C’est à dire l’unité dans la diversité »
Comme l’enseignait Léopold Sédar Senghor ?
« La diversité des hommes dans l’unité de Dieu et de la spiritualité. C’est un principe fondamental et il faut que les occidentaux reviennent à cela et que certains de leurs philosophes ont longtemps prêché aussi».
propos recueillis par El Hadji Gorgui Wade NDOYE
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