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La polygamie en Afrique : Quelle légitimité?
Par Papa Diadji Gueye A la lisière entre le culturel et le religieux, la polygamie, répandue dans de nombreux pays d’Afrique excite la verve de plus d’un. Louée par certains et dénoncée par d’autres, cette pratique qui allie des croyances traditionnelles et des choix modernes présente des atouts et des inconvénients qui, bien souvent même, échappent au contrôle des personnes qui s’y adonnent. |
La polygamie renvoie au fait qu’un individu (homme ou femme) ait deux ou plusieurs époux. Cette définition traduit deux aspects de la question. D’une part elle admet qu’une femme puisse avoir deux époux ou plus, et dans ce cas on parle de polyandrie, et d’autre part, elle reconnaît la possibilité laissée à un homme de faire sa vie en même temps avec deux ou plusieurs femmes. Cette situation est communément appelée la polygynie. Celle-ci - sans nul doute - renvoie, par défaut de précision anthropologique pour de nombreuses personnes, à la situation de polygamie.
On a souvent tendance à assimiler la polygynie à la religion musulmane, laquelle l’autorise et l’encourage sous des conditions bien précises et dont le respect affranchit aussi bien les parents que la progéniture des désenchantements. Pourtant, dans des pays totalement ou à majorité musulmane comme la Mauritanie, le taux d’adhésion à une telle pratique est très faible.
La Tunisie de même que la Turquie (par extension) l’ont abolie en 1957 devant l’irréalisabilité de la condition de traitement équitable pour chacune des épouses dans un foyer polygame, tel que le prescrit le coran. Par opposition, certains pays faiblement islamisés comme le Bénin ( où les 20 % de la population en 2004 sont musulmans) et le Togo (12 %) caracolaient en tête du classement des pays qui voient les unions polygames occuper de fortes proportions avec respectivement 49,6 en 1996 et 52,3% 1988. Or, il est à remarquer dans ces deux pays que les croyances traditionnelles sont d’usage très marqué avec 70% pour le premier pays et 59% pour le second, précise Atlas 2004. (Aux dernières nouvelles, le Bénin aurait aboli ce système matrimonial).
Par conséquent, nous devons admettre que la polygamie et, plus précisément, la polygynie en Afrique, est un fait de société expliqué par un ensemble d’éléments dépassant le simple cadre religieux. Elle procède ainsi de facteurs multiples:
Economiques
Avant la révolution industrielle de la deuxième
moitié du XIXe siècle, l’économie des pays reposait
sur l’exploitation par les hommes des ressources naturelles dans le domaine
de l’agriculture, de la pêche, de l’élevage, de l’artisanat
par adjonction au commerce. Sa mise en œuvre requérait la force
de travail que seuls procuraient les enfants et les épouses, si on n’avait
en sa possession des esclaves. Les progrès techniques ajoutaient à
cette donne l’expansion de l’industrie. Celle-ci nécessitait
aussi une certaine main d’œuvre de sorte que la pratique se pérennisait,
mais de façon moins accentuée pour de nombreux pays. Aujourd’hui
le visage de maintes économies africaines change avec la montée
en puissance des services. Ceux-ci sont la caractéristique principale
de la bureaucratie. Développée dans les grandes villes, elle dessine
une participation faible, voire nulle de la population en milieu rural, ce qui
fait que l’économie y est souvent maintenue à l’état
traditionnel. C’est pourquoi dans la plupart des pays, le fossé
est creux entre la campagne et le milieu urbain. Ainsi, dans le premier, le
taux de familles polygames est le plus élevé pour presque l’ensemble
des pays à l’exception du Niger (P. Antoine et M. Pilon).
Sexuels
Il s’agit d’un moyen de faciliter l’abstinence après les accouchements d’une des conjointes, permet d’éviter les unions informelles, l’infidélité, les comportements volages, sources de toutes les maladies sexuellement transmissibles….
Religieux
Selon des éditions comme Belin, la polygamie est un
système matrimonial autorisé par le Coran (livre saint des musulmans).
La référence qui traite cette question de la possibilité
accordée à un homme d’avoir plus d’une conjointe est
contenue dans le verset 3 sourate 4. Il déclare que : « Si vous
craignez d’être injustes pour les orphelins, épousez des
femmes qui vous plaisent, mais si vous craignez d’être injustes,
une seule ou des esclaves de peur d’être injustes ». Ainsi,
la notion de justice et d’équité de traitement est prégnante
pour le choix de ce régime matrimonial qui est pourtant antérieur
à l’islam, selon le professeur Moustapha Elhalougi de l’Université
Al Azhar en Egypte : « La polygamie était une coutume préislamique
répandue en Arabie, en Orient, en Afrique… ». Une situation
historique relative à la razzia de Uhud qui eut lieu près de Médine,
fit 10% de morts parmi les 700 hommes qui avaient pris part à la guerre.
Cette bataille a eu comme conséquence la mise dans une situation de veuvage
de plusieurs femmes qui en fin de compte se retrouvèrent sans ressources.
La solidarité fut requise pour éviter la dérive à
ces femmes. C’est d’ailleurs, nous précise le même
auteur, le contexte dans lequel les sourates suivantes ayant pour titres «
Les femmes » furent révélées. Il ressort d’une
telle approche que la polygamie se justifie dans ce domaine religieux par le
besoin de protéger les veuves et les orphelins victimes de la catastrophe
naturelle ou sociale. Mais la religion et les paroles saintes ont traversé
les siècles et les sociétés, transmises de générations
en générations, soumises à des transcriptions, traductions
et interprétations continuelles. Certes, le dogme originel est un, montrant
un Dieu miséricordieux, auteur et gardien de tout un ordre cosmique et
moral, mais les différentes interprétations ne finissent-elles
pas par altérer certaines paroles par mégarde ou à dessein
? Ne faudrait-il pas se rendre attentif à la différence évidente
entre « le cérémonial de la religion et la religion elle-même
», comme l’avertissait Rousseau ?
Social et politique
De cet aspect il est certes question dans la tradition religieuse, mais aussi eu égard à des considérations liées à des modes de vie où le paraître guide l’action quotidienne. Cette pratique devient un moyen pour les hommes d’exposer aux yeux de la société une richesse, donc un prestige social au travers des émulations et de l’ostentation avec la taille de la progéniture, une puissance, un pouvoir sur les femmes et les enfants. Dans certains milieux ouest-africains, le développement de la pratique de la polygynie trouve son explication, entre autres, dans la volonté des hommes de montrer aux voisins les moyens que l’on a de prendre en charge une grande famille et de subvenir de manière adéquate à ses besoins. Plus on était riche, plus on avait d’épouses. A cela, il convient de faire ressortir, le regard des hommes polygames sur les monogames devant lesquels ils dégoisent des discours leur imputant une grande faiblesse qui justifie leur crainte de choisir de nombreuses épouses. Ainsi, la polygynie devient synonyme de bravoure et d’assomption de sa véritable nature d’homme. L’homme risque d’être vu comme un peureux, un craintif, voire un incapable s’il ne s’en tient qu’à une seule épouse. En conséquence, il se lance sans conviction dans la voie de la polygynie sans en mesurer les suites.
L’origine du phénomène de la polygynie et le contexte dans lequel il s’est développé à travers les âges et les espaces dessine un contexte particulier qui façonna un certain comportement de nature à rendre service aux communautés. Il nous semble nécessaire, devant la modification des références, de nous appesantir sur la légitimité ou plutôt la convenance de ce système matrimonial qui laisse à l’homme la liberté de choisir plusieurs épouses (et par voie de conséquence, d’avoir une pléiade d’enfants à charge).
Une étude réalisée par le CEPED (Centre Français sur la Population et le Développement) en 1998 montre que la tendance dans la plupart des pays africains est à la baisse. Le Kenya est passé d’un taux de polygamie de 29,5% en 1977 à 19,5% en 1993. En outre, au Ghana, on enregistre un taux qui passe de plus de 30% en 1976 à environ 20% en 1996. Au Sénégal, en Côte d’Ivoire et dans de nombreux pays francophones, la baisse est à peine perceptible. Un tel constat semble révéler un rapport de cause à effet entre la nationalité de l’ancienne métropole et le système matrimoniale dominant dans l’ex - colonie. En effet, les statistiques montrent que les pays les moins portés à cette pratique, s’avèrent être les anciennes colonies britanniques. Celles-ci calquent leur stratégie dans la gestion des affaires sociales sur le modèle anglais, lequel accorde moins de privilèges (à travers des allocations familiales réduites) que le système français, plus porté à l’humanitaire. D’où, l’obligation pour la population, laissée plus ou moins à elle-même, de s’organiser en conséquence afin d’éviter des incommodités ou insuffisances dans les affaires économiques et familiales.
Toutefois, il faudrait noter qu’avec l’avancée
de la scolarisation, le phénomène diminue considérablement.
L’urbanisation gagne du terrain et les mariages deviennent de plus en
plus tardifs, à quoi s’ajoute la crise économique entraînant
une certaine réticence des jeunes par rapport au mariage. De surcroît,
au niveau des Etats, les mutations économiques installant de nouvelles
bases structurelles ont provoqué l’expansion des services grâce
à l’avancée technologique, la gestion de laquelle nécessitant
moins une force de travail physique qu’une formation adéquate aux
nouveaux outils de travail. Ainsi, le Sénégal destine à
ce domaine 55,2% de son économie, la Côte d’Ivoire d’avant
la crise 54,1%, le Bénin 50%, le Burkina 41,1%, le Niger 43% etc, contre
une participation de plus en plus faible aux économies agricoles et industrielles.
Au vu de ces données récentes qui fondent le contexte économique
moderne, le choix de l’option de la polygynie qui se justifierait par
la nécessité d’impulser l’économie ou de satisfaire
les besoins en main d’œuvre de la collectivité par le mécanisme
de la production à outrance d’enfants, semble frappé d’impertinence.
Le principe, applicable et compréhensible en certains temps et certains
lieux, devient alors suranné.
Pourtant, malgré la précarité de l’emploi, l’inflation
grandissante et les difficultés quotidiennes que rencontrent les familles
dans certains foyers, de nombreux hommes mariés prennent le risque, s’attirant
tous les ennuis, de prendre une deuxième, troisième ou quatrième
épouse. La tradition reconnaît indiscutablement le principe du
lévirat qui recommande, pour éviter le malheur et la fragilisation
des veuves et des orphelins, que le frère du défunt prenne pour
épouse la ou les femme (s) de celui-ci. Mais, dans plusieurs cas l’adhésion
de l’homme au principe de la polygynie n’est que la cession incontrôlée,
inconsciente ou égoïste à des pulsions que Kant nomme «
la sensibilité ». Celle-ci ne devrait pas prendre le dessus sur
ce qui fonde justement la philosophie de cet auteur : « la raison ».
Lorsque cette-dernière n’intervient pas dans les décisions
à prendre et dans les choix à opérer alors, « l’esprit
ne conduit plus les hommes », soutenait Platon dans La République.
Une telle entreprise ouvre la porte à « l’ennui, la médisance,
la haine ». Si la logique de la légitimité de la polygynie
n’est qu’un instrument au service de l’installation de chaos,
du désordre familial et de la désolation des enfants et des épouses,
elle cède la place à la logique de l’irrationalité
humaine magnifiée par l’individualisme et l’égocentrisme
forcenés. (Voir suite dans le dossier).
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