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L’élargissement du Conseil de Sécurité est aujourd’hui un des grands enjeux des négociations internationales, impulsant une volonté nouvelle de redessiner la carte des Relations Internationales. En effet, si la SDN avait trouvé ses limites dans les prémices de la deuxième Guerre Mondiale, les NU qui sont nées sur les cendres encore chaudes de cette conflagration semblent aujourd’hui marquer le pas après les dissensions qui sont apparues au grand jour avec la guerre d’Irak. |
C’est à cet effet que Kofi Annan avait commis un groupe d’experts aux fins de réfléchir sur des réformes susceptibles de redonner de la vitalité et de la crédibilité à l’Organisation. La proposition majeure fut celle d’un réaménagement fonctionnel et organique du Conseil de Sécurité . L’option prônée par le Secrétaire général serait la désignation de 6 nouveaux membres permanents, un pour l’Amérique (Nord et Sud), un pour l’Europe, deux pour l’Asie, deux pour l’Afrique. Restait cependant à en déterminer les contours et les modalités d’attribution, sur lesquels devraient statuer les dirigeants mondiaux du 14 au 16 septembre 2005, avant la session annuelle de l'Assemblée Générale qui marquera le 60e anniversaire de la création de l'Organisation.
Trois propositions ont été faites, que l’on peut schématiser ainsi :
- Le « Groupe des Quatre » (Allemagne, Brésil, Inde, Japon) réclame la création de dix nouveaux sièges : six permanents sans droit de veto - quatre pour les pays du G-4 et deux pour l'Afrique - et quatre non permanents attribués pour deux ans.
- Un deuxième projet a été initié par des pays dits « Unis pour le consensus », mais dont on peut reconnaître des stratégies individuelles d’opposition aux pays du G4 (Italie, Argentine, Mexique, Pakistan, Corée du Sud) ; le Canada s’est joint à eux pour demander un élargissement plus soft du Conseil à dix nouveaux membres non-permanents, également élus pour deux ans mais avec la possibilité d'être reconduits immédiatement après le terme de leur mandat.
- L'Union africaine (UA), rétive aux appels du pied du G4, opte plutôt pour un Conseil de Sécurité à 26 membres, avec six nouveaux sièges permanents dotés du droit de veto –deux étant attribués à des pays africains- et cinq sièges non permanents -dont deux reviendraient également à des pays africains-. Constatons ici que l’Afrique jouit ici de l’argument du nombre pour peser de tout son poids sur l’adoption de quelque réforme que ce soit par l’Assemblée Générale .
Chacune de ces propositions, pour des raisons stratégiques, idéologiques et historiques, trouve ses supporteurs et ses contempteurs, au point que l’on redoute, du fait de blocages, un report voire une annulation de cette réforme . Il ne s’agira pas ici d’opérer une analyse de cette éventualité, mais de nous intéresser à cette troisième proposition émanant de l’UA, aux termes de laquelle deux récipiendaires africains bénéficieraient d’un siège permanent avec droit de veto. Se poserait inéluctablement le problème du choix des pays devant bénéficier de ces représentations, d’autant que plusieurs d’entre eux ont d’ores et déjà fait acte de candidature (Afrique du Sud, Angola, Egypte, Gambie, Kenya, Libye, Nigeria, Sénégal, ...).
Si chacune d’entre elles a des raisons valables d’être posée, celle de Pretoria semble être celle qui a su le plus se poser comme une évidence, à travers un certain nombre d’actes posés depuis quelques années, dans l’attente de cette perspective. Il faut d’emblée préciser que si l’on ne devait s’arrêter qu’aux capacités économiques de ces candidats, celles de l’Afrique du Sud supplanteraient assez largement celles des autres postulants. Sous ce rapport, elle domine économiquement la région, avec un produit intérieur brut trois fois supérieur à celui cumulé des dix membres de la Communauté pour le développement de l'Afrique australe (SADC), et un revenu par tête au-delà de 2 000 dollars contre 700 en moyenne pour les autres impétrants. Mais pour important que soit cet aspect des choses, c’est de stratégie qu’il est ici question, et les positions de Pretoria se sont inscrites depuis 1994, non sans contradiction du reste, dans une volonté de satisfaire les attentes de chacun de ses partenaires, qu’il s’agisse du monde occidental ou du Tiers-Monde. En effet, de la présidence de Mandela aux mandatures successives de Thabo Mbeki, Pretoria a constamment œuvré dans le but de baliser sa stature internationale. Elle a ainsi réussi la prouesse magistrale de passer du statut de paria à celui d'un acteur significatif sur la scène mondiale, à travers des positions que nous disséquerons sous trois rubriques.
1. L’intensification d’un leadership par cercles concentriques
L’avènement de Thabo MBEKI s’est d’abord traduit par la mise sur pied de nouvelles structures d’orientation et de coordination de l’action extérieure de Pretoria. La donne mbekienne, d’abord passée par la nomination de Madame Nkosazana DLAMINI-ZUMA au poste de Ministre des Affaires étrangères, s’est affirmée par la création d’un Comité interministériel au titre évocateur, « International Relations, Peace and Security », regroupant autour du DFA les ministères de la Défense, du Commerce et de l’Industrie. Le Président MBEKI, à la différence de son prédécesseur, garde la haute main sur les orientations, notamment à travers le Policy coordination and Advisory Service, logé dans ses propres bureaux. L’action concrète, elle, s’est essentiellement traduite par la juxtaposition d'une influence de proximité (prépondérante en Afrique australe et dans les organisations régionales, notamment la SADC) et d'une revendication plus large de défenseur de l'Afrique et du Tiers-Monde en général.
1.1. Au plan sous-régional : une autorité de proximité
Cette autorité de proximité s’est essentiellement caractérisée par une démultiplication des médiations. En effet, le premier acte dans la construction des positions diplomatiques de Pretoria s’est manifesté par la volonté d’une pacification de cette région couvrant l’Afrique australe et l’Afrique centrale, minée depuis quelques années par des conflits civils et des guerres entre pays voisins. Aussi, s’est-elle engagée dans la recherche de solutions négociées non seulement pour sa sécurité mais surtout pour asseoir un leadership encore contesté. ‘’Investie’’ de mission par les organisations sous-régionales, Pretoria déploie toute sa diplomatie pour imposer une ‘’pax sud-africana’’. Quelques exemples peuvent illustrer l’activisme de la nouvelle équipe.
Le cas de la RDC, déjà au centre du revirement de la diplomatie de Pretoria en 1997 n’est pas des moindres ; Thabo MBEKI a tout bonnement repris le flambeau de la médiation, en accueillant les discussions intercongolaises à Sun City en avril 2002, avec pour objectif proclamé la fin de la guerre et l’organisation d’élections générales démocratiques. En définitive, un accord de paix et de partage du pouvoir entre les différentes parties en conflit a été signé le 17 décembre 2002 à Pretoria, sous l’égide des Nations-Unies , qui organise pour une période de transition de deux ans, un savant partage des pouvoirs entre le gouvernement déjà en place, les mouvements rebelles et l’opposition non-armée, et prévoie au terme de cette phase de transition l’organisation d’élections générales seront organisées en 2005.
Dans l’optique de l’accompagnement de cette transition démocratique, Thabo MBEKI a signé avec son homologue Joseph KABILA, en marge de la visite qu’il a effectuée à Kinshasa en janvier 2004, un accord général de coopération instituant une grande commission mixte de coopération portant sur les domaines de la défense et de la sécurité, de la politique, des droits humains, de l'éducation, de l'agriculture, de l'élevage et du tourisme. Pretoria a également prévu de financer pour 60 milliards de rands (10 milliards de dollars) des projets miniers dans le Nord-Est et le Sud-Est de la RDC, et de sécuriser le grand Sud-Ouest de ce pays qui, faut-il le préciser, pourvoie en énergie une partie de l’Afrique du Sud à travers le barrage hydroélectrique d'Inga. Le secteur privé n’a pas été en reste, le représentant du patronat sud-africain, Patrice MUTETE ayant également signé avec le Ministre du portefeuille un mémorandum destiné à promouvoir les investissements privés en RDC.
Notons par ailleurs que dans un contexte plus global de règlement des conflits des Grands-Lacs, Pretoria a également contribué à la signature d’un protocole de paix entre les représentants de la RDC et du Rwanda, le 29 juillet 2002, contribuant de la sorte à stabiliser une zone qui a été l’épicentre de toute la déstabilisation de cette région du continent et donc de la sienne propre.
Une seconde illustration peut être trouvée dans le cas du Burundi , où Nelson Mandela, bien qu’ayant pris sa retraite politique avait été sollicité, pour succéder à celle du président tanzanien Julius NYERERE, décédé . En effet, alors que ces négociations de paix inter-burundaises entamées à Arusha étaient au bord de la rupture, l'ex-président sud-africain y a suscité d'immenses espoirs, en désamorçant dans un premier temps le conflit latent entre le Burundi d’une part et la Tanzanie de l’autre accusée de fermer les yeux sur l'entraînement des milices hutues réfugiées sur son territoire, voire de les encourager. Il parviendra dans ce contexte à faire entériner en 2000 les Accords dits d’Arusha. Même si la guerre y a repris, ces Accords ont permis de mettre sur place en novembre 2001 - à la suite des résolutions dites de l’Initiative Régionale sur le Burundi- un gouvernement de transition composé de représentants de l’Union pour le progrès national (UPRONA) et de deux partis à dominante hutue, le Front pour la démocratie au Burundi (FRODEBU) et les Forces pour la défense de la démocratie (FDD), un gouvernement qui avait été chargé de rédiger une nouvelle Constitution et d’organiser des élections générales en octobre 2004 . A prés avoir été conduit par le Major BUYOYA, il est ensuite dirigé à partir de mai 2003 -en conformité avec les termes de l’Accord qui prévoyait cette ‘’alternance ethnique’’- par le hutu Domitien NDAYIZEYE.
De façon très officielle, c’est le gouvernement de Thabo Mbeki qui s’est ensuite saisi des tractations entre le gouvernement burundais et les différentes factions rebelles . L’Afrique du Sud y a ainsi envoyé un contingent de 700 hommes et accru ainsi son emprise sur le cours des négociations. Ce déploiement a amorcé une inflexion nouvelle de l'action de la RSA dans la région, en signant ainsi une implication active et directe dans le règlement d'un conflit ouvert africain. La SANDF applique par la même occasion sa nouvelle orientation de force de maintien de la paix et renforce ainsi sa capacité de projection rapide sur le continent. L’Afrique du Sud a de la sorte réussi accompagner cette transition qui a trouvé son point d’épilogue en ce mois d’août 2005 avec l’élection de l’ancien chef rebelle Pierre NKURUNZIZA à la présidence de la République par le Parlement (118 députés et 48 sénateurs) réuni en Congrès.
L’issue plus ou moins heureuse de ces multiples médiations de Pretoria, trouve également ses prolongements dans l’affermissement de ses positions continentales.
1.2. Le positionnement continental : un leadership progressif
Concomitamment au premier cercle constitué par son environnement géographique immédiat, l’Afrique du Sud cherche aussi à étendre son champ d’influence au reste du continent. Cette volonté affichée par les nouvelles autorités de Pretoria de sortir l’Afrique de l’ornière s’est traduite déjà à travers l’idéologie de la "Renaissance africaine" dont Thabo MBEKI a été un des principaux concepteurs lorsqu’il était Vice-Président. Dans cette lancée et dans le but d’en faire l’expression institutionnelle de cette pensée, le président sud-africain a initié en 2001 avec d'autres dirigeants africains la mise en oeuvre d'un Programme de Renaissance de l'Afrique pour le Millénaire (MAP : Millennium Partnership for Africa Recovery Program) . Celui-ci a été fusionné avec le Plan Omega du Président Abdoulaye Wade du Sénégal pour donner la ‘’Nouvelle initiative africaine’’ puis le NEPAD qui se décline comme un programme économique et financier de reconstruction et de mise en valeur du continent par des capitaux privés ; cette initiative afro-africaine a pour objectif principal de mettre le continent « sur la voie d'une croissance et d'un développement durable, tout en participant activement à l'économie et à la vie politique mondiale ». Fort de son attractivité économique mais aussi de ses ressources autrement plus importantes que celles de la plupart des autres pays du continent, Pretoria se pose naturellement comme le navire amiral de cette nouvelle institution (dont elle accueille par ailleurs le secrétariat) et probablement le meilleur réceptacle de ses retombées (qui tardent) à venir.
C’est également dans cette même perspective que, pour ce qui concerne l’Organisation inter-gouvernementale continentale, l’OUA, lorsque vint l’heure de sa mue vers l’Union Africaine, l’Afrique du Sud fut ‘’tout naturellement’’ choisie pour abriter les derniers sommets. La ville de Durban accueillera ainsi en juillet 2002 la 76e session ordinaire du Conseil des ministres, puis le 38e et dernier sommet des chefs d’Etats de l’OUA, et donnera le coup d’envoi de la nouvelle ère de la coopération inter-africaine, qui devait in fine permettre de « de créer les conditions appropriées permettant au continent de jouer le rôle qui est le sien dans l'économie mondiale ». Pretoria profitera d’ailleurs de ces deux fora pour faire adopter le NEPAD comme programme socio-économique de l’UA, nonobstant la résistance de certains de ses pairs qui y entrevoyaient une porte ouverte au droit d’ingérence dans les affaires intérieures des Etats . Si la qualité des infrastructures de ce pays arbitre certainement en sa faveur dans l’accueil de sommets de cette envergure, c’est aussi et surtout son emprise croissante sur le continent qui trouve ici son expression la plus immédiate, consacrée ensuite par l’accueil du Parlement panafricain (PAP) et la désignation de Thabo MBEKI comme premier président de la toute nouvelle Union Africaine, ce, bien que le coup d’accélérateur de sa mue ait été impulsée par le colonel Mouammar KADHAFI.
Dans cette même dynamique d’occupation du terrain diplomatique, Pretoria ne limitera plus uniquement ses médiations à l’Afrique australe et centrale comme nous l’avons souligné plus haut, mais étendra ses bons-offices à l’ensemble du continent. C’est ainsi qu’en décembre 2003 l’Afrique du Sud sera à la tête d’une mission de médiation de l’UA aux Comores chargée d'aider à la réconciliation de ce cet archipel de l'Océan Indien et de jeter les bases de l'organisation d'élections législatives libres et transparentes. De même depuis novembre 2004, le président MBEKI a été désigné médiateur de l’UA dans le conflit ivoiro-ivoirien, preuve s’il en est d’une aura diplomatique définitivement acquise sur le continent. Cette attitude n’est, au demeurant, qu’une confirmation des préceptes de la Renaissance Africaine qui stipule que l’Afrique doit trouver par elle-même des solutions à ses crises internes, et ne devrait plus attendre que lui soit imposée des solutions importées. Cette posture, quelque peu ombrageuse pour un pays comme la France qui s’est enlisée dans les tensions ivoiriennes, n’a pas manqué de susciter quelques troubles entre les présidents MBEKI et CHIRAC, ce dernier déniant au leader sud-africain une réelle connaissance des réalités psycho-culturelles de cette partie de l’Afrique .
Il est également notable de constater que l’embellie diplomatique sud-africaine passe aussi par d’autres succès notamment sportifs et culturels. C’est ainsi que sur ce dernier point, on peut évoquer deux ou trois illustrations qui peuvent attester de cette réalité, notamment l’obtention en 2003 par l’écrivain J. M. COETZEE, 12 ans après sa compatriote Nadine GORDIMER et 17 ans après le Nigérian Wole SOYINKA, du prix Nobel de Littérature. De même, l’Oscar de la meilleure actrice 2004 obtenue par l’actrice Charlize THERON rôle dans Monster participe de cette représentativité sur le champ culturel. Notons enfin que dans le palmarès des 500 meilleures universités du monde que publie chaque année l'Université de Shangaï en Chine seules quatre universités africaines figurent parmi les nominées, toutes situées en Afrique du Sud : l'Université de Cap Town (247ème), l'Université de Witwatersrand (396ème), l'université KwaZulu-Natal (473ème) et l'Université de Pretoria (486ème). Quelque discutables que puissent être les critères de sélection -nombre de lauréats aux prix Nobel de chimie, médecine et économie, nombre de chercheurs de haut niveau, nombre d'articles parus dans Nature and Sciences entre 2000 et 2002, ceux parus dans l'Index étendu des citations scientifiques et dans l'Index des citations en sciences sociales, performance universitaire par Faculté, …- il reste que ce système de classement donne une réelle visibilité aux pôles d’excellence universitaires, et démarque largement l’espace académique sud-africain de ses autres rivaux supposés du continent.
Sur le plan sportif, l’Afrique du Sud à peine sortie des limbes de l’apartheid, s’est rapidement illustrée en devenant le premier pays africain à emporter la Coupe du Monde de Rugby avec les ‘’Springboks’’ en 1995 ; mais le plus important reste sans doute pour elle l’organisation de la Coupe du monde de football de 2010. Pour en mesurer l’importance il faut comprendre que l’Afrique réclamait depuis plus de vingt-cinq ans le droit de recevoir cet événement majeur du calendrier sportif, en vain. Pretoria avait pour sa part déjà posé sa prétention en 2000 et avait réussi à rallier sous sa bannière sportive l’ensemble du continent pour l’édition de 2006. Face à des adversaires au palmarès footballistique élogieux (Brésil, Angleterre, Allemagne…) le pays des ‘’Bafana-Bafana’’ avait de solides arguments, notamment du point de vue des infrastructures , et bénéficiait de soutiens politiques divers, au premier chef celui du Président Mandela qui, estimant que « le temps de l’Afrique [était] venu », a usé de son prestige encore intact pour s'assurer du bon choix de certains pays. L’organisation avait finalement été attribuée à l’Allemagne par 12 voix contre 11 pour l’Afrique du Sud, et une abstention, celle du représentant de l’Océanie, le néo-zélandais Charles DEMPSEY . Cette déconvenue n’a pas sapé le moral de Pretoria qui s’est requalifiée pour l’édition 2010, face au Maroc. Nelson MANDELA, omniprésent, y a vu « le dernier grand challenge de sa vie », et affirmera avec symbolisme à la tribune de la FIFA que les sud-africains étaient « prêts à célébrer la réunification de l'humanité ».
Cette attitude, emblématique de la stratégie de positionnement tout azimut de Pretoria, allait s’étendre au reste du Tiers-monde, où des procédés similaires lui ont également permis d’asseoir une sa crédibilité diplomatique.
1.3. Le Tiers-monde : une influence en extension
Le premier signe adressé au reste du Tiers-monde est passé par le Mouvement des Non-alignés. En effet, l'Afrique du Sud, qui en a assez tôt saisi l’utilité stratégique dès son retour sur la scène internationale en 1994, a contribué à lui redonner une visibilité, et en retour à en capter toute la symbolique institutionnelle ; c’est ainsi qu’elle a été désignée par les 115 membres à la présidence du Mouvement de 1998 à 2001. Elle a accueilli dans ce cadre les Ministres de la Santé des pays membres à Johannesburg lors d’une Conférence de deux jours en mars 2001, afin d’élaborer une stratégie pour améliorer l'accès des pays en développement aux médicaments à des prix compétitifs, et trouver ensemble des moyens de remédier aux inégalités auxquelles la globalisation les condamne. Plus récemment en août 2004, Durban a accueilli la 14e Conférence des Ministres des Affaires Etrangères du Mouvement afin de préparer les grands axes du Sommet prévu en 2006 à Cuba.
Dans cette même perspective d’endosser les attentes des PVD, elle a dés 1999 été à l’initiative du plaidoyer pour la réduction de la dette, avec pour objectif de régler une fois pour toutes un problème qui absorbe la quasi-totalité des ressources des pays pauvres et les empêche de prendre un essor économique, même modeste. Les grandes puissances acceptent le principe, qu’ils intègrent alors dans leur agenda lors du sommet du G7 de Cologne en 1999. C’est cette même stratégie qui a incité Thabo MBEKI -accompagné des présidents du Nigeria et de l'Algérie également mandatés par l'OUA pour plaider la cause de l'Afrique, ainsi que du premier ministre de Thaïlande- à aller à Okinawa pour rencontrer, à la veille du sommet, les membres du G7+1. Acculés, ceux-ci ont réaffirmé, dans leur communiqué final, leur engagement à réduire la dette pour quelque quarante pays les plus pauvres de la planète. Pretoria, avec la même force d’entraînement, a engagé la société civile du Tiers-Monde dans ce même mouvement, notamment avec le Jubilée 2000 qui avait réuni des manifestants venus de quarante pays afin d'appuyer cette initiative. Même si l'objectif a tardé à se concrétiser –il a fallu attendre la mi-2005 pour observer les premières décisions concrètes- l’Afrique du Sud y a gagné en terme de prestige diplomatique en se positionnant comme un acteur de plus en plus engagé dans les relations internationales, prompt à défendre les causes des pays faibles. Cet engagement s’est confirmé à travers d’autres luttes d’envergure, et de façon générale pour des causes susceptibles de lui attirer la sympathie des pays les plus démunis.
C’est ainsi que l’Afrique du Sud sera encore aux premières loges de la lutte contre le SIDA, en intentant un procès contre les firmes pharmaceutiques sur les copies génériques de médicaments, ou encore en accueillant les fora de réflexion sur cette thématique. Ce fut le cas de la 13é Conférence mondiale sur le SIDA qui s’est tenue à Durban en juillet 2001, et derrière laquelle on peut entrapercevoir une double motivation interne et externe. En effet, la tenue de cette conférence en Afrique du Sud prend un relief particulier. Pretoria a incarné la lutte du monde en développement pour l'accès à des médicaments bon marché contre le sida, non sans quelques appuis de taille, notamment celle de la Société Internationale du Sida (IAS) . Il faut souligner en effet que plusieurs millions de personnes meurent dans les pays du Tiers-monde, faute de pouvoir disposer d’anti-rétroviraux que leur prix rend inaccessibles, moins du fait de leur coût de fabrication que des brevets qui les protègent. Pretoria, fidèle à sa tactique de porte étendard, a décidé de s’impliquer en accueillant pour la première fois en terre africaine, la Conférence internationale sur le sida, un rendez-vous qui réunit tous les deux ans les chercheurs et cliniciens mais aussi les associations de personnes vivant avec le virus du sida (VIH), en mettant au centre des débats le paradoxe de la pandémie, ainsi résumée par Bernard KOUCHNER : « les malades sont au Sud, les médicaments au Nord ». Cette bataille a finalement porté ses fruits, obligeant les compagnies pharmaceutiques à retirer leur plainte contre le gouvernement de Pretoria, et permettant ainsi à des millions de sidéens du tiers-monde de pouvoir accéder plus facilement à ces médicaments vitaux.
On peut citer à volonté ces occasions, délibérément recherchées par l’Afrique du Sud d’être au centre de l’actualité, en s’offrant comme théâtre des opérations, mais surtout de profiter de la tribune qu’elle s’offre ainsi pour se poser comme leader d’une large frange de la communauté internationale, au besoin en mettant en scène ses infrastructures, son histoire (tragique) et sa géographie (diversifiée mais menacée) , et toute la symbolique qu’elles véhiculent. La Conférence mondiale contre le racisme (Durban, septembre 2001) et le deuxième Sommet de la Terre (août 2002) en sont les illustrations. Si on y ajoute le fait que Pretoria a présidé le Commonwealth jusqu'en novembre 2001, et qu’en la personne de son Ministre des Finances Trevor MANUEL , elle préside le Comité de Développement de la Banque Mondiale, on finit de dépeindre un tableau où l’Afrique du Sud a gagné ses lettres de noblesse sur la scène internationale, en ayant acquis la légitimité requise pour parler à diverses échelles –chacune des trois strates d’influence que nous avons répertoriées-, en réussissant l’amalgame d’une autorité de proximité et d’une influence à plus grande envergure.
Forte de cette situation, elle a pu se positionner de façon encore plus conséquente sur des dossiers chauds de l’actualité internationale, en réclamant un nouvel ordre autre que « l’apartheid mondial actuel ». Ce faisant, Pretoria s’est durablement positionnée comme un des leaders principaux de ces Etats qui se sentent marginalisés par l’ordre économique international. C’est ainsi qu’elle constitue, avec l’Inde et le Brésil, le triumvirat appelé G3 qui aujourd’hui essaie de coordonner les efforts des pays en développement au sein des institutions internationales . Il lui restait cependant, pour équilibrer le tableau, de bénéficier de l’onction des pays occidentaux, tout en n’occultant pas d’autres acteurs de plus en plus prépondérants sur la scène internationale.
2. DES GAGES APPORTEES AU MONDE OCCIDENTAL : Pelindaba Treaty ou l’acceptation des traités de non prolifération chimique et nucléaire
Même si dans un sens Pretoria a essayé en permanence de se poser en défenseur des pays bannis vis-à-vis des grandes puissances, les USA en l'occurrence , qu'il s'agisse de maintenir des relations privilégiées avec la Havane, Tripoli, ou d’autres « moutons noirs » de la communauté internationale, ou encore de condamner les bombardements de l'OTAN sur la Yougoslavie, sa stratégie de positionnement requérrait qu’elle donne aux pays occidentaux des gages de sa bonne intégration dans la Communauté internationale. L’attitude la plus illustrative a sans aucun doute été le sabordage de ses dispositifs nucléaires, et dans son sillage toute éventualité de cette nature sur le continent africain. Pour mesurer l’impact d’une telle décision, il est important de noter que l’arme nucléaire a toujours constitué un véritable enjeu de politique étrangère, la prolifération des armes de destruction massive -nucléaire, chimique et biologique- se posant comme une préoccupation majeure de la communauté internationale. Si certaines puissances se sont octroyées la légitimité de posséder l'arme nucléaire (Etats-Unis 1945, Russie 1949, Royaume-Uni 1954, France 1960, Chine 1964), elles ont été ouvertement suivies depuis 1998 par quelques autres pays de moindre envergure (Inde, Pakistan) ou un peu plus ‘’clandestinement’’ : Corée du Nord, Israël… mais aussi l’Afrique du Sud du temps de l'apartheid. En effet, Pretoria, malgré ou à cause de l’embargo militaire qui la frappait, a développé des programmes nucléaires en dehors de tout contrôle.
Elle a toutefois accepté avec le ‘’parrainage’’ des USA à travers son Arms Control and Disarmament Agency (ACDA), et sous le contrôle de l’Agence internationale pour l’énergie atomique le principe d’un désarmement avec l’avènement de la démocratie en 1994, en adhérant au Régime de contrôle des techniques de missiles ainsi qu’au Groupe des fournisseurs nucléaires, en acceptant le principe d’un total désarmement nucléaire (amorcé il est vrai dés 1991 avec la renonciation au nucléaire militaire) .
Pour ce qui est des armes chimiques, la communauté internationale a voté des textes censés mettre un terme à sa prolifération. Dés 1925, le Protocole de Genève prohibait l’emploi d’armes biologiques et chimiques ; il fut renforcé par la Convention de 1972 sur les armes biologiques ou à toxines puis par la Convention de 1993 sur les armes chimiques. En ce domaine comme dans le précédent, on se rappelle qu’au début des années 80, les autorités de l’apartheid avaient développé des programmes secrets d’armements chimiques et bactériologiques, à travers une unité spéciale chargée du Chemical and Biological Warfare (CBW), sous la férule du responsable de la Défense d’alors et actuel président du Freedom Front, le général VILJOEN. Ce programme dénommé Project Coast fut mis à l’œuvre sous la conduite du Dr Wouter BASSON, avec d’importants moyens financiers. Son objectif était la production de substances mortelles ethniquement sélectives, permettant de réduire la population noire. On peut comprendre sous ce rapport que l’un des premiers actes que posera le nouveau pouvoir en 1994 fut de vouloir contrôler peu ou prou toute activité bactériologique. Mais là où cette décision devient stratégique c’est que dans le même temps les grandes puissances, Etats-Unis en tête, ont souhaité tout de suite circonscrire les capacités sud-africaines dans ce domaine, et plus encore s’en servir comme fer de lance d’un contrôle plus large à l’échelle africaine. Washington a ainsi voulu non seulement débarrasser Pretoria de toute tentation nucléariste, mais encore plus d’en faire une sorte de vigie, d’épouvantail qui surveillerait l’ensemble du continent. En retour l’Afrique du Sud trouvait là un moyen de faire preuve de bonne intelligence avec la Communauté internationale. C’est ainsi qu’en septembre 1994, le DFA, sous la conduite du vice-ministre Aziz PAHAD a organisé une Conférence portant sur la Convention sur les armes chimiques (Chemical Weapons Convention), qui a réuni 39 Etats africains. L’objectif était alors de les persuader à adhérer à cette convention avant son entrée en vigueur à la mi-95. Mieux, Pretoria parrainera l'adhésion collective au Traité de Pelindaba , en avril 1996 où la quasi-totalité des pays africains ont signé leur renonciation définitive au nucléaire militaire, éliminant ainsi toute velléité nucléariste sur le continent, à la grande satisfaction des puissances occidentales . Pretoria gagnait ainsi, en à peine une année et demie, son agrément de respectabilité sur la scène mondiale. Nous pensons pour notre part que, sans s’inscrire dans une ligne outrancièrement belliciste mais plutôt dans une vision stratégique plus globale et plus lointaine, que la possession de l’arme nucléaire aurait donné plus de densité à ses convictions, plus de crédibilité à son action, et aurait permis de peser d’une autre manière sur les négociations en cours. Il n’en demeure pas moins que cette stratégie peut produire les effets escomptés face aux partenaires occidentaux qui la créditent de cette bienveillance ; ce bon point de Pretoria prend d’autant plus d’envergure qu’il s’accompagne dans le même temps d’une diversification de ses partenaires. L’affermissement actuel de ses relations avec la Chine participe de cette stratégie globale.
3. UNE DIVERSIFICATION DES PARTENAIRES : LE RAPPROCHEMENT AVEC LA CHINE
Même si Pretoria s’est résolue à reconnaître la Chine au détriment de Taiwan dès novembre 1996 -abandonnant ainsi la posture de ‘’double reconnaissance’’ consubstantielle au principe d’universalisme qu’elle avait jusqu’alors adoptée-, les relations diplomatiques n’en furent pas pour autant très approfondies. Il est vrai que l’économie elle, a très vite profité de cette ouverture. L’Afrique du Sud est ainsi devenue le premier partenaire commercial de la Chine sur le continent. Le volume des échanges bilatéraux est passé de 9,3 milliards de rands (1,5 milliards de dollars US) en 1990 à 23,7 milliards de rands (3,7 milliards de dollars US) en 2003, soit la plus forte croissance des échanges de l’Afrique du Sud. La diplomatie, elle, a mis un peu plus de temps à trouver ses marques ; il a fallu attendre la fin du premier mandat de Thabo MBEKI pour observer un réel rapprochement entre les deux pays, notamment à l’occasion du Forum de Coopération Chine-Afrique tenu à Addis-Abeba à la mi-décembre 2003, où les deux pays ont exprimé leur volonté non seulement de raffermir leur relations économique , mais surtout de se rapprocher au plan politique afin de faire pièce à la domination des Etats-Unis et de l’Europe dans les affaires du monde. Pretoria s’est clairement positionnée dans cette direction et a multiplié les déclarations allant dans le sens d’une plus forte implication de la Chine sur le continent. C’est ainsi qu’en juin 2004, le Vice-Président chinois Zen QINGHONG a effectué une visite officielle en Afrique du Sud, afin de marquer ce regain d’intérêt.
Au total, cet activisme constaté indique une réelle volonté de l’Afrique du Sud d’être un acteur véritable sur l’échiquier international. Si un des attributs de la puissance est la capacité d’influencer les autres nations et de peser sur les décisions qui agissent sur le cours des événements du monde, on peut dire que Pretoria leur a substitué quelques autres recettes qui la mettent en permanence, sinon au cœur, du moins à proximité de l’actualité et des grands enjeux internationaux. Ce faisant, en un peu plus de dix ans de présence sur la scène internationale, elle a trouvé sa place, toute sa place en tant qu’acteur à part entière des relations internationales, parfois instrumenté, souvent jouant de cette ambiguïté, au point d’être aujourd’hui, véritablement, non plus uniquement la puissance continentale qu’on en attendait, mais encore de façon plus large celle de l’ensemble du Tiers-monde. FOUCHER et DARBON ne nous disent pas autre chose lorsqu’ils soulignent qu’« en montrant son rôle de puissance utile à la stabilisation géopolitique et macro-économique d’une partie de l’Afrique, l’enjeu, dans ce forum comme dans la projection diplomatique, est aussi pour l’Afrique du Sud de trouver à bénéficier du soutien d’une majorité d’Etats africains, lorsque viendra le temps de la décision sur les modalités de l’ouverture du Conseil de Sécurité des Nations-Unies à de nouveaux membres permanents ». En effet, forte de son histoire douloureuse, de son dénouement plus ou moins heureux, de la construction d’une démocratie qui a fait ses preuves après 10 ans d’existence, mais aussi de ressources économiques considérables, Pretoria a ainsi construit une stratégie qui lui permet à de multiples échelles de se poser comme le porte parole de larges franges non ou peu considérées sur l’échiquier international, et dont l’aboutissement devrait être l’obtention, le moment venu, d’un siège permanent au Conseil de Sécurité des NU. Ce dragon dont la gestation avait été jugée ardue pourrait dès lors occuper une place véritable sur la scène internationale et écrire les lettres nouvelles d’une véritable puissance diplomatique. Quitte à abandonner dans un premier temps certaines prétentions affichées au départ.
En effet, pour ne pas saborder les chances de représentation
de l’Afrique au Conseil de Sécurité, du fait des blocages
inhérents à l’attribution du droit de veto, le président
Nigerian Olusegun Obasanjo, a proposé aux autres membres africains de
rejoindre les propositions du G4. Le projet commun stipulerait que la composition
du Conseil serait élargie à 25 membres, dont six nouveaux membres
permanents (Brésil, Allemagne, Inde, Japon et deux pays africains) et
quatre non permanents. L'Afrique (n’)aurait alors (que) deux sièges
permanents, un non permanent et un autre siège non permanent en rotation
avec plusieurs pays en développement. Une telle solution diviserait le
Conseil de Sécurité en trois catégories : un groupe permanent
avec un droit de veto, un autre groupe permanent sans droit de veto, et un troisième
groupe avec une représentation en rotation. L'Afrique du Sud est le seul
pays, avec le Ghana, à avoir soutenu cette proposition de M. Obasanjo.
Faut-il y voir, en sus des trois autres, une autre dimension de sa stratégie,
passant par pertes et profits, les revendications légitimes de l’Afrique
?
L’avenir nous le dira …
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