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Par Papa Diadji Guèye

Le chômage des jeunes dans la plupart des pays d’Afrique francophone occupe des proportions incontrôlées. Le secteur informel, ou pour reprendre l’expression de Anne-Cécile Robert, « ?le système D ? généralisé, les petits boulots d’un jour, les astuces pour joindre les deux bouts », de mise au Sénégal et qui occupe une ampleur pantagruélique dans de nombreux pays africains est de nature à couper le souffle. Certes, on a coutume de confiner les origines d’une telle déchéance à des paramètres à caractère structurel strictement inféodés à la bonne ou mauvaise santé de l’économie. Mais dans cette perspective, ne court-on pas le risque de construire l’édifice en faisant abstraction du fondement, ce qui le prédestine inéluctablement à un effondrement certain, un échec programmé ?

L’institutionnalisation de la quête et de la transmission du savoir au travers d’institutions agréées à cet effet porte tout de même dans certains pays l’étendard d’un chaos et d’un désordre, parce que charriant des insuffisances ou une inadéquation et inadaptation au contexte actuel. Un désordre qui, pourtant, apparaît comme seul principe d’ordre généré par « un illuminisme immodéré », lequel porte à croire que « la connaissance est suffisante pour s’orienter face aux incertitudes du futur », ce dont doute Juan Carlos Tedesco, spécialiste argentin des politiques éducatives. Les programmes ne seraient-ils pas anachroniques ou obsolètes ?

Bien des réalisations ont été faites par l’école, mais faut-il pour autant jubiler face à son apport sur le plan professionnel pour la jeunesse des pays d’Afrique francophone ?

En raison des succès enregistrés en matière d’insertion des jeunes diplômés ailleurs rendus publics grâce aux médias, il devient opportun de porter un regard sur la nature des systèmes spécifiques et de voir leur perfectibilité dans un univers de globalisation marqué par une modification des références sur les plans politique, économique et socioculturel, faisant alors du singulier l’universel avec comme logique la rationalisation sans frontières des ressources et des marchés.

Des systèmes éducatifs aptes mais aux insuffisances intergénérationnelles

Au terme de leur formation, les jeunes sont souvent confrontés à la réticence des employeurs qui exigent d’une part un niveau intellectuel élevé sanctionné par un diplôme, et d’autre part, une expérience professionnelle. Le frais émoulu d’un certain système éducatif général ou universitaire, peut-il se prévaloir de telles acquisitions ? La personne qui vient juste de finir sa formation, comment peut-elle rendre possible l’insertion immédiate en faisant valoir à la fois un diplôme et une expérience professionnelle ? Dès lors, le cercle devient vicieux lorsqu’on sait – comme toute chose a un début - que cette expérience ne peut pas se présenter ex nihilo, et qu’elle n’est que la résultante d’une démarche entreprise antérieurement.

Pourtant, il est parfaitement possible d’allier les deux conditions requises par les professionnels du recrutement même pour les élèves qui n’ont que le baccalauréat comme validation des acquis. D’où, la nécessité de retaper à la base le système éducatif hérité de la colonisation française et qui, même dans l’ex métropole (plongée récemment dans une phase de restructuration du système éducatif traditionnel avec la mise sur pied d’une formation embryonnaire des apprentis, mais qui pour le moment n’a qu’une faible audience avec seulement un effectif de 300 000 apprentis) confirme des difficultés tenaces. Ce système prête le flanc à des critiques et des velléités de réforme sans fin. Les réformes Bayrou, Allègre, Land, Ferry passent à la trappe, et aujourd’hui, la réforme Fillon fait écho et rencontre un refus catégorique de la population soucieuse de son devenir et de son avenir ? La myriade de questions et de remises en cause de cette institution scolaire qui a pour mission de former la tranche de la population, miroir de la société et avenir des Etats, posa en France, depuis juin 2003, les jalons du projet pour des assises de l’Education Nationale. L’éducation suscite de véritables inquiétudes quant aux débouchés qu’elle offre. Situation du chômage préoccupante, franchissant la barre des 10% en France. Les projets d’insertion s’engouffrent dans la brèche. Dans la distribution de cette évolution à reculons les jeunes se taillent la part la part du lion avec des records qui sortent de l’ordinaire ( 1 jeune de moins de 25 ans sur 4 est concerné par le phénomène du chômage, ce qui équivaut à 22,9% du total des demandeurs d’emploi, selon la dépêche Reuters). Mais, si la mère est dans un état aussi végétatif et cherche des repères perdus dans l’ombre des incertitudes et des atermoiements, les fils devraient s’inquiéter et tenter de détecter les failles du système éducatif.

Certains pays comme le Sénégal ont mis en place des dispositifs en vue d’associer connaissances théoriques et expérience pratique au travers du mécanisme des stages dans l’enseignement supérieur. Cette volonté donna naissance à l’université Gaston Berger de Saint-Louis qui, non sans difficultés est en passe de faire ses preuves. De nombreuses filières y soumettent les étudiants à des stages obligatoires en entreprises afin qu’aux connaissances déclaratives, de nature théorique, s’ajoutent des connaissances procédurales (pour reprendre les termes de J.R. Andersen, 1976) qui auront l’avantage de permettre aux étudiants d’acquérir une expérience professionnelle et ainsi, mieux connaître le monde du travail, ses besoins et ses exigences, ce qui offre de la sorte la clé et les moyens de l’action sur le milieu du travail. Cette option bien que louable ne touchera jamais les apprenants qui, soit ne fréquenteront pas ladite institution, soit abandonneront les études en cours de route, s’exposant de cette manière au chômage ou aux petits boulots avec comme suite fâcheuse l’incertitude du lendemain. Dans la pensée de la population à la recherche de soi, la solution ne peut donc être trouvée sur place. Alors comment réagir ?

Le recours spontané : une inépuisable et effrénée course vers le visa pour l’émigration

Nombreux sont ces déboutés du système éducatif et dont l’avenir n’est subordonné qu’à un fait : l’obtention du visa pour l’émigration vers des mondes incertains, inconstants et hasardeux où les autorités sur place n’ont de cesse de développer tous les “dispositifs d’ enfer” pour leur mener la vie impossible et les obliger au départ vers d’autres cieux encore plus incertains et périlleux. Dans certains espaces, vu la vague migratoire et la ruée vers le chemin du voyage en direction de l’Europe, le snobisme réduit l’insertion et la réussite de la jeunesse au simple départ vers les pays industrialisés, ce que Mourtala Mboup (2000) résume en ces termes : « …le problème ne se pose même plus en termes de ? candidats à l’ émigration ? mais plutôt de jeunes en âge de partir ». La possibilité de destiner ses aptitudes et ses moyens au service de son pays cède la place à un attentisme sans limite de l’obtention d’une autorisation de sortie, laissant en rade toutes potentialités et toutes ressources disponibles sur place. La profession avérée des jeunes dans un tel contexte, demeure « demandeur de visa ». Pour exercer quel métier ?

-Je ne sais pas, mais juste sortir du pays, s’empressent de répondre les plus imbus ou, du moins les plus impatients. Frappés par un attentisme et une impatience sans commune mesure, « les candidats au départ élaborent tous leurs projets en fonction d’une hypothétique réussite de leur tentative pour l’obtention du visa », précise Mboup.

Dans la mouvance continuelle et assommante, les jeunes fabriquent des comptines du genre « Nul ne peut réussir dans la vie en restant dans ce pays sans espoir ».

Des dispositifs de rétention sur place de la population active qu’elle soit occupée à un petit boulot ou qu’elle soit totalement inoccupée seraient un expédient à la déroute hallucinatoire. D’ailleurs, la majorité des jeunes exerçant dans le « système D » ne sont-ils pas dans l’inlassable processus de colportage à tout-va de fonds pour l’acquisition du visa de sortie !

Des réformes sont dès lors nécessaires pour pallier les carences dans l’enseignement général et sauver la jeunesse des pays d’Afrique francophone. Dévoyer le cours des politiques pour infléchir une tendance qui ne cesse de faire les preuves de son inefficacité ou de confirmer la fragilité de son façonnement séculaire devient urgent. Pour cela, accordons-nous juste le principe lorsque l’économie prend une tournure nouvelle provoquée par l’ère de la globalisation.

Comment guérir le mal par les racines dans l’éducation ? Vers un système dual.

A la suite de la dégradation de l’enseignement post-colonial aux allures d’ajustement structurel crasses caractérisées par un désengagement progressif des Etats, les ex-colonies françaises sont aujourd’hui confrontées à un défi majeur : la maladie de la mondialisation. Si ce vent de la globalisation lancinante et déchaînée, marquée par le sceau d’une coopération et d’un partenariat (du moins théoriquement) en direction de la suppression des frontières inter-étatiques et inter-continentales, pour que les avantages en soient partagés, avec comme levier la relève des économies faibles, on voit proliférer les petites et moyennes entreprises quoiqu’à un niveau encore faible pour le Tiers Monde.

Les écoles professionnelles poussent comme des champignons, ouvrant la voie à une ?marchandisation? de l’éducation. Elles accentuent le fossé entre les plus riches qui auront droit à une éducation de qualité onéreuse et les pauvres qui n’ont d’autre choix que de suivre la formation publique disponible avec toutes les lacunes qu’elle comporte : paradoxe et limites de la démocratisation des études.

Depuis longtemps la France tout comme sa voisine, l’Italie, développe un modèle éducatif essentiellement théorique dans l’enseignement général. Cet enseignement est - selon les termes de Jacques Gaude ( 1997, p.62) - désigné sous le vocable de modèle à transition décalée , et par extension ses colonies d’Afrique se sont alignées à la référence traditionnelle française. Aujourd’hui le taux de chômage jeune échappe au contrôle des décideurs, qui du reste s’imposent une rigueur gestionnelle pour infléchir la tendance sans la moindre garantie ni lueur d’une réussite. Les peuples d’Afrique francophone sont encore fidèles à ce système éducatif carentiel qui se nourrit s’abreuve encore à satiété des tares congénitales de la colonisation.

Pourtant, dans un contexte de capitalisme et de mondialisation générale et généralisée, les entreprises privées fourmillent, profitant de l’aubaine du partenariat sans frontières. L’expérience a montré que la nature du modèle éducatif influe massivement sur la transition, c’est-à-dire l’insertion des jeunes après leur formation. Le recours au modèle dit à transition régulée semble être la solution la plus efficace dans une économie aux allures capitalistes. Il est aussi appelé le système dual, lequel trouvant son origine en Allemagne, est appliqué dans de nombreux pays développés comme, la Suisse, les Pays- Bas, le Luxembourg, l’Autriche. En comparaison avec plusieurs pays de l’Organisation de Coopération et de développement Economique (OCDE) qui réunit les pays les plus développés du monde, là où le système dual est effectif, le taux d’insertion des jeunes est généralement très élevé. En outre, le temps de "chômage involontaire keynésien" après la formation y est le plus court. Mais en quoi consiste la pratique du système dual?

Au secondaire du second degré, communément appelé le lycée dans les pays à tradition scolaire française, les élèves ont le choix entre suivre une formation de type général qui les mènera jusqu’aux études supérieures, et suivre une formation professionnelle. Notre choix concerne plutôt cette deuxième option. Ainsi, les élèves qui suivent une formation professionnelle voient leur temps d’étude partagé entre l’institution scolaire et l’entreprise. L’élève devient un apprenti et passe le plus souvent 1,5 à 2 jours par semaine à l’école professionnelle et 3 à 3.5 jours hebdomadairement, pour reprendre Hanhart S. et Schultz H-R. (1998, p.36). Ainsi, le terme de la formation procure aux apprenants à la fois connaissances théoriques, expérience professionnelle et certification. Les élèves y découvrent un rempart vers l’emploi, auront connu les multiples facettes du monde du travail et y noueront des liens avec d’autres professionnels. Au bout du compte, l’insertion devient une question de prolongement d’une démarche entamée depuis 2 ou 3 ans en fonction des pays et de la branche choisie.

De nombreux élèves n’ont pas envie d’aller jusqu’à l’université. Retenons à cet effet que la fonction originelle de l’université est de former des élites, des hommes de responsabilité. C’est pourquoi Gérard Tobelem a pu dire dans son œuvre ? Pour une université citoyenne ? que « l’université doit surtout former des gens capables d’assumer des choix et d’orienter des politiques où ? l’obéissance à la hiérarchie" cède la place à un monde de responsabilité ». D’autres n’ont pas le bagage nécessaire pour satisfaire aux exigences de ce monde intellectuel qu’est l’université. Plus grave encore, certains étudiants se rendent compte après plusieurs années perdues sur les bancs de l’institution qu’ils tombent à la déchéance d’un emploi qui ne nécessite aucune compétence universitaire. Alors, ils sautent du Charybde au Scylla avec un lourd manque à gagner dû aux coûts directs de la formation et aux multiples salaires qu’ils auraient dû gagner en intégrant l’entreprise plus tôt.

Le choix de la voie de l’apprentissage n’ôte nullement aux apprentis la possibilité d’occuper des postes de responsabilité car la finalité en est de permettre une ascension verticale au service d’une plus grande possibilité décisionnelle. Ce modèle n’est pas le reflet d’un dualisme statique et éternel entre des dirigeants et des dirigés, mais celui de la rapide insertion du jeune et son évolution dans la société. De surcroît, dans certaines nations avancées il est mis en place dans les entreprises un système appelé la validation des acquis professionnels. Dans cette perspective, le salarié qui intègre le milieu professionnel avec un niveau moyen est soumis au bout de quelques années d’exercice à une évaluation de sa compétence sur les activités qu’il exerce en vue de la délivrance d’un diplôme : un dispositif salutaire et qui œuvre de manière indéniable en faveur et de l’employeur et de l’employé, car il encourage la maîtrise des tâches spécifiques à l’entreprise, participe à l’augmentation de la productivité et suscite une meilleure qualité de la prestation.

Dès lors, la perspective salvatrice des générations futures d’Afrique francophone reste entre les mains des décideurs politiques qui ont de plus belle le devoir de donner à ces jeunes dont les dernières gouttes d’espoir sont en passe de s’évaporer avec les illusions perdues dans la pérennité de la souffrance, de l’impossibilité d’exercer dignement une activité professionnelle dans un contexte qui devient de plus en plus défavorable, un viatique basé sur une meilleure formation. Même si le système dual n’apparaît pas comme le sésame ouvre-toi de l’emploi pour tous les jeunes, il a du reste le mérite de s’imposer en substrat de l’accélération et de la massification de l’emploi précoce. C’est un moyen par lequel il devient matériellement envisageable d’endiguer ou de réduire considérablement la vague de chômage des jeunes en Afrique francophone, ce qui n’exclut pas un équilibrage du marché du travail et une reconsidération des politiques sociales. Il n’empêche que son succès sera davantage facilité par des mesures d’accompagnement telles qu’une meilleure promotion des investissements étrangers et de l’épargne à l’investissement local pour des populations ancrées dans l’automatisme de l’épargne à la consommation, un allègement des conditions d’établissement accompagné d’une diligence dans les légitimations administratives désintoxiquées de toute forme de concussion pour une rapide délivrance des documents nécessaires à l’exercice de l’activité à but lucratif (pourquoi surpayer pour voir le rapide traitement par l’administration de son dossier ou pour l’obtention d’un papier ?), l’organisation gratuite et médiatisée de séminaires et d’ateliers de formation et de sensibilisation des potentiels chefs de petites et moyennes entreprises, tel que cela se fait dans des pays avancés comme le Canada. Au niveau de la gestion macroéconomique, les deniers publics gagneraient à faire l’objet d’un meilleur usage au service de l’intérêt des populations sans considération prise de leur appartenance politique, un meilleur accès aux financements et aux micro-crédits avec la minimisation des taux d’intérêt pour le début d’activité... Gouverner, c’est choisir et on ne peut choisir sans faire de renoncements. Mais en soi, le renoncement est digne, accommodant, sain et exaltant lorsqu’il est porteur du salut et de la délivrance de la nation. Il nécessite juste beaucoup de courage.