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Par Nguessan Yao Antoine, Correspondant à Abidjan ABIDJAN – ( Côte d’Ivoire) – A Adjouffou, l’un des plus grands bidonvilles d’ Abidjan, situé aux alentours de l’Aéroport International Félix Houphouet Boigny, habité par de nombreux ressortissants de la CEDEAO, une femme mène une révolution contre le SIDA. Madame Lotti Latrous a décidé de faire sa « révolution » contre la misère humaine en luttant contre cette maladie qui détruit le système immunitaire des patients. Voués, sans aide, à une mort certaine. L’ONG Espoir à Abidjan, est selon sa fondatrice: « le centre qui dépiste le plus en Côte d’Ivoire ». ( Lire cet entretien passionnant). |
C’est quoi l’ONG Espoir ?
Lotti Latrous : L’ ONG Espoir a été créée le 11 novembre 1998. Elle dispose de deux centres : le centre Espoir 1, construit le 1er février 1999 et le centre Espoir 2 bâti le 2 septembre 2002. Nous nous évertuons chaque jour à donner de l’espoir aux hommes qui ont perdu tout espoir de vivre.
Qu’est-ce qui a motivé la création de cette ONG ?
Lotti Latrous : je suis arrivée à Abidjan il y a 11 ans. Je suis l’épouse du directeur de NESTLE . Je menais une vie privilégiée dans une villa avec piscine , voiture , chauffeur , …tout ce que vous pouvez imaginer de la vie d’une expatriée. Un jour je me suis rendue dans un mouroir chez les sœurs missionnaires de la charité. Là bas, j’ai rencontré un médecin ivoirien qui me faisait promener de temps en temps dans les bidonvilles d’Abidjan.
C’est là que j’ai découvert la pauvreté et la misère la plus criante. Je me suis posée la question suivante : pourquoi moi je vis à l’aise et les autres non ? J’ai trouvé que c’était injuste. Moi, j’ai un époux qui gagne suffisamment sa vie. J’ai trois enfants qui sont inscrits dans les meilleures universités du monde. Ils ont les meilleures assurances maladie. Alors qu’à côté, il y a des enfants qui n’ont même pas un plat de riz à manger. J’ai été révoltée par cette situation.
Vous savez, quand une petite fille est à votre porte pendant que vous êtes en train de préparer 3 kg de pâte , 3 kg de viande , 3 kg de carotte pour vos deux chiens et que cette petite fille vous dit « tantie donne - moi un morceau de pain à manger » , vous ne pouvez pas continuer de vivre à l’aise . Voilà comment j’ai été révoltée et comment j’ai eu l’idée de créer cette ONG.
Cependant vous luttez beaucoup plus contre le sida que la pauvreté ?
Lotti Latrous : c’est exact. Cette réalité s’est imposée à nous. La pandémie du sida est une réalité criante en Côte d’Ivoire. 35% des habitants des bas quartiers sont séropositifs.
Voilà pourquoi depuis deux ans que nous sommes installés ici à Adjouffou, nous sommes devenus le centre qui dépiste le plus en Côte d’Ivoire. Nous faisons 2000 dépistages par an.
Selon vous qu’est ce qui explique la montée de cette pandémie ?
Lotti Latrous : En réalité il n’y a pas de montée. Aujourd’hui beaucoup de gens ont compris que s’ils se font dépister tôt, ils peuvent survivre grâce aux traitements anti - rétroviraux. Donc dans toutes les structures sanitaires, les gens se bousculent pour se faire dépister. Cela donne l’impression qu’il y a une flambée. Non ce n’est pas le cas.
Les traitements anti-retro viraux sont –ils à la portée de tous ?
Lotti Latrous : Les anti- rétroviraux coûtent quand même cher pour les populations des bidonvilles. Il faut payer 5. 000 FCFA par trimestre. En plus, il y a des examens médicaux à faire. Cela devient cher. Nous avons fait les comptes et nous avons conclu que du dépistage jusqu’aux traitements anti - rétroviraux , le malade doit débourser 70000fcfa. Personne ne peut débourser une telle somme dans les bas quartiers où on a du mal à manger. C’est pourquoi nous prenons en charge tous nos malades.
Comment êtes – vous structurés?
Lotti Latrous : Au centre Espoir 1, nous avons un dispensaire construit dans des conteneurs. En plus, la Suisse nous a construit un local pour l’échographie, pour le laboratoire et les bureaux. Nous faisons des consultations de médecine générale avec 3 médecins. Nous faisons au moins 80 consultations par jour. Les malades paient 300 FCFA la consultation. S’ils ne peuvent pas payer cette somme, ils sont soignés gratuitement.
Nous faisons aussi la puériculture qui s’occupe de 6 000 enfants de 0 à 2 ans. Par ailleurs, nous distribuons 400 bouillies par mois aux enfants excessivement sous alimentés. Tous les lundis nous accueillons les femmes nourrices séropositives qui n’ont pas le droit d’allaiter leur bébé pour éviter de les contaminer. Nous donnons à ces femmes là du lait pour leurs bébés. C’est environ 250 000 FCFA de lait par mois. J’ai un bureau d’assistance sociale où je reçois tous ceux qui ont des problèmes. Il y a enfin, la salle d’hospitalisation où les malades sont hospitalisés gratuitement.
Le centre Espoir - 2 est tout construit en dur. Il accueille les malades et les orphelins du Sida. Tout est gratuit au centre Espoir - 2. Les malades y sont logés, nourris, soignés gratuitement.
Depuis 2002 combien de malades avez-vous accueillis dans vos centres ?
Lotti Latrous : Au centre espoir 2 nous avons accueilli 790 malades dont 420 sont décédés. Actuellement nous avons 27 enfants orphelins du sida et sidéens pour la plupart. Puis 30 adultes malades du Sida. Nous avons 500 malades du sida qui vivent hors de nos centres mais qui bénéficient des anti-rétroviraux que nous leur procurons.
Peut – on passer tous les examens médicaux dans vos centres ?
Lotti Latrous : Non. Nous ne pouvons pas faire les radios de poumon ici. Tous nos malades séropositifs ont un dossier ouvert au Centre Intégré de Recherche d’Abidjan (CIRBA) qui est dirigé par le docteur Chenal. C’est ce laboratoire seulement qui nous permet de savoir le niveau de CD4 des malades et si les malades ont besoin d’anti-rétroviraux. Bientôt l’ONG Espoir sera autonome. C’est une obligation et une urgence car nous sommes le centre qui dépiste le plus en Côte d’ivoire. Nous allons acheter bientôt un laboratoire qui nous permettra de faire toutes les analyses des malades du Sida. Cela nous aidera à lutter efficacement contre cette pandémie.
Comment arrivez-vous à convaincre les gens de se faire dépister ?
Lotti Latrous : Vous savez, c’est très facile de comprendre la sérologie. Quand vous n’avez plus d’autres alternatives que de dépister quelqu’un et de lui dire après « tu es séropositif, le traitement coûte 100 000 FCFA par mois », vous n’avez rien fait. Parce que généralement cet individu que vous avez en face de vous, n’a pas 100 000 FCFA pour se traiter. Et vous non plus ne pouvez lui donner cette somme. Maintenant que nous avons les anti-rétroviraux les choses sont plus faciles. En effet grâce aux subventions de certains organismes internationaux, la Côte d’Ivoire a reçu 130 000 subventions à 5000 FCFA par trimestre. C’est-à-dire 130 malades du sida peuvent se soigner aux anti - rétroviraux à 5000 FCFA par trimestre. Cette nouvelle a été annoncée à la télévision et par tous les médias ainsi chacun s’est dit : « il faut que je parte faire mon dépistage parce que si jamais je suis séropositif je vais pouvoir me traiter en payant 5000 FCFA par trimestre ».
Voilà pourquoi beaucoup de gens acceptent facilement de se faire dépister depuis quelque temps. Cela donne l’impression qu’il y a une flambée de séropositifs. C’est le nombre de malades dépistés qui a simplement augmenté.
Quelle est la tranche d’âge des personnes qui viennent se faire dépister ?
Lotti Latrous : Nous avons remarqué que la tranche d’âge la plus affectée est celle des personnes comprise entre 1960 et 1980. Il est de plus en plus démontré que d’ici 2010, il y aura 45 millions d’enfants orphelins du sida en Afrique.
Avec les traitements anti – rétroviraux, y a -t- il de l’espoir ?
Lotti Latrous : Bien sûr. On peut vivre avec la maladie si on est très tôt dépisté.
Le traitement dure combien de temps ?
Lotti Latrous : Toute la vie. C’est
à cause de ce traitement que vous pouvez vivre. Ça devient une
maladie chronique. Moi je dis toujours que le Sida est une maladie mortelle
si tu n’as pas le traitement. Il devient une maladie chronique si tu as
le traitement. On peut donc vivre et bien vivre avec les traitements anti-rétroviraux.
Comment les malades arrivent - ils dans vos centres ?
Lotti Latrous : Ils arrivent souvent seuls. Parfois on vient me chercher pour
aller les récupérer. L’ONG Espoir a la réputation
en Côte d’Ivoire d’accueillir tous les malades que les autres
n’en veulent plus. Les malades proviennent des cliniques privées,
des CHU… Il y a aussi des parents qui viennent jeter des malades ici pour
disparaître définitivement.
Comment recueillez-vous les orphelins ?
Lotti Latrous : Généralement tous ces enfants sont arrivés ici avec leurs mamans qui étaient mourantes. C’est le cas d’Emmanuel. Ce petit garçon est arrivé ici avec sa mère sortie de prison toute malade. Emmanuel avait 15 mois. Sa mère est décédée ici. Et personne n’est venu le chercher. Nous n’avons même pas les traces de ses grands - parents. C’est le cas de plusieurs parmi ces enfants. Ils sont le plus souvent délaissés par leurs parents, qui viennent les abandonner ici.
Nous avons 27 enfants au centre Espoir - 2. Or nous n’avons pas construit ce centre pour les enfants orphelins. Mais qu’est-ce que vous voulez ? Quand les mamans meurent on est obligé de garder les enfants ici. Surtout que les parents vivants ne veulent pas d’un enfant sidéen sous leur toit.
N’est ce pas triste ?
Lotti Latrous : Enfin ! J’ai fini par comprendre peu à peu la mentalité de es parents là. Que représente pour eux un enfant ? Un enfant représente pour eux un capital. Alors qu’un enfant qui a le Sida coûte cher par les soins. Et puis ils se disent qu’après tout cet enfant va mourir, donc ils auront investi pour rien en le soignant. Moi, ce que je leur réponds c’est que même si cet enfant doit vivre un jour, un mois, un an, il a le droit de vivre.
Combien de temps vivent ces enfants ?
Lotti Latrous : ça ne m’intéresse pas. Moi je sais qu’ils vivent aujourd’hui. C’est tout pour moi. Mais qu’est-ce qui va se passer demain, je n’en sais rien. Mon souci c’est qu’ils vivent aujourd’hui.
Les malades guérissent-ils dans vos centres ?
Lotti Latrous : Il y a des cas de décès. Il y a des malades qui arrivent ici en phase finale du Sida. Ce sont des cas tristes devant lesquels on ne peut plus rien faire.
Un jour, j’ai ramassé un marin dans un caniveau. Il se nommait René. Il n’avait pas de famille. Et apparemment, il a été jeté dans ce lieu parce que le propriétaire de la maison où il vivait, n’avait pas envie d’avoir un cadavre sous son bras. Nous l’avons ramassé, emballé dans un plastique.
Parmi tous les malades, il y en a qui n’avaient pas de domicile quand ils arrivaient ici. S’ils quittent ici aujourd’hui, ils ne sauront plus où aller. On compte plusieurs prostituées parmi les femmes malades que nous traitons ici.
Quels sont vos rapports avec les malades ?
Lotti Latrous : Je les aime. Ce sont mes sœurs, mes frères, mes enfants. Vous savez, il ne faut pas soigner seulement le corps avec des médicaments. Mais il faut aussi soigner l’âme. Moi je ne peux soigner une âme qu’avec mon âme. Le langage de l’âme c’est l’amour.
Vous arrive t-il d’être affectée par la mort d’un malade ?
Lotti Latrous : Bien sûr ! Je me suis fait beaucoup critiquer. Il y a des gens qui trouvent que ce n’est pas normal que j’aime ces enfants comme tous les autres malades. Mais qu’y a –t- il d’anormal si j’aime ces enfants comme les miens ? J’ai une amie ivoirienne mariée à un européen. Elle prêche toujours l’amour du prochain. Tous les dimanches, elle est à l’église. Un jour, elle s’en est prise à moi en ces termes : « Lotti vraiment je t’admire. Je ne comprend pas pourquoi tu peux aimer des enfants pareils».
Alors je lui ai répondu : « toi qui cours chaque jour à l’église que fais-tu de l’amour du prochain ? Aime ton prochain comme toi même. Ce n’est pas un prochain propre, riche ou en bonne santé. Plus ton prochain est dans la merde plus tu dois l’aimer. Moi je vis ma foi au milieu de ces malades. Sans l’amour du prochain je ne peux pas nettoyer 20 personnes qui font la diarrhée, ramasser les vomissures, nettoyer les crachoirs, faire le ménage…».
Quel est le moment le plus dur pour vous ?
Lotti Latrous : La nuit ! Dès que la nuit tombe sur le centre, il y a l’angoisse qui s’installe partout. L’angoisse de la nuit. Les malades ont peur de ne pas pouvoir se réveiller le lendemain. Ils ont raison, ils voient certains de leurs voisins trépasser. Donc ils se mettent à leur place. A cause de cette angoisse de la nuit, je suis toujours présente. Je veille. Ce n’est pas facile !
Comment voyez-vous la lutte contre le sida en Côte d’Ivoire ?
Lotti Latrous : Le gouvernement ivoirien fait beaucoup pour lutter contre le sida, mais ce n’est pas facile à cause de la guerre qui a trop duré.
La guerre en Côte d’Ivoire n’a-t-elle pas affecté vos activités ?
Lotti Latrous : Nous avons tous été affecté par les événements de novembre 2004, mais moi, je n’ai pas peur. Je sais que mon heure est prédestinée quelque part. Des individus ont menacé de brûler mes centres lors des événements de novembre. Ils n’ont même pas cherché a savoir si je suis française ou pas. Je pense que tout ça est inutile. Prions ensemble pour que la paix revienne en Côte d’Ivoire.
Quelles sont vos difficultés ?
Lotti Latrous : La bêtise de certains habitants du quartier qui nous insultent à longueur de journée. Ils insultent mes enfants quand ils se rendent à l’école, parce qu’ils savent que tous ceux qui sont ici ont le sida. Le Sida fait encore peur en Afrique. Tous ceux qui sont atteints de cette maladie en Afrique sont marginalisés. J’ai reçu un terrain pour construire l’orphelinat. Mais les habitants m’ont averti en ces termes : « madame, on va te lapider si tu construis ici. On ne veut pas de sidéens à côté de nous ». On m’a détruit après du matériel d’une valeur de 8000 Francs - Suisse. Finalement, j’ai entrepris de construire l’orphelinat en étage au centre espoir 2. Les gens doivent comprendre que personne n’est épargné par le sida. Et je suis convaincue que parmi ceux qui nous insultent aujourd’hui, il en aura qui seront dans ce centre pour me demander pardon pour que j’accueille une sœur, un frère, un enfant ou eux-mêmes malade du sida…
Et, malgré tout que dites – vous aux Ivoiriens ?
Lotti Latrous : Faites vous dépister. Il ne faut pas attendre que vous ayez des plaies dans la bouche ou la diarrhée avant de vous faire dépister. Ce sera trop tard. Faites vous dépister pendant que vous êtes encore en forme. Ainsi, vous aurez encore la chance de vivre 20 à 25 ans. N’ayez pas peur faites -vous dépister.
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