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Par Papa Diadji Guèye
Dans de nombreuses familles africaines, l’utilisation par l’enfant de la main gauche dans l’exécution des tâches quotidiennes rencontre souvent l’interdiction, la contrariété, voire même la punition par les adultes encore attachés aux croyances traditionnelles. Pourtant, les risques de maladies émergeant
de ces pratiques sont réels et poignants. |
La latéralité ou latéralisation renvoie
à « la différence de performance entre le côté
droit et le côté gauche chez un individu » comme le précise
Christian Julia[1]. C’est ainsi que certaines personnes ont tendance,
de manière naturelle et presque générale à faire
usage de la main gauche dans les activités de manipulation, d’écriture
ou de préhension des objets dans une société en majorité
droitière. La tendance se passe de commentaires : « Dans toutes
les cultures et au sein de toutes les ethnies du globe, de 85 à 90
% des gens utilisent la main droite » pour effectuer les tâches
quotidiennes, tel que le soutient Daniel Baril[2]. Les 10 à 15 % sont
surtout des gauchers avec quelques exceptions d’ambidextres ( c’est-à-dire
ceux qui ont une aisance particulière dans l’utilisation au même
degré des membres gauches et droits).
La latéralité, puisant ses racines dans la conception fœtale
se développe depuis la naissance en répondant des caractéristiques
physiques, psychiques et sociaux. C’est pourquoi le Docteur en Médecine
Bernard Auriol affirme que “ it is a genetic phenomenon, initiated during
fetal life, built along the infancy,depending on physical psychical or sociological
factors “[3].
La structure du cerveau, dans sa complexité, laisse transparaître
deux hémisphères :
L’hémisphère gauche est le réceptacle et le point
départ de la parole et des processus de pensée, tandis
qu’à l’hémisphère droit sont attribuées
les fonctions non verbales, donc motrices tel qu’entendu dans une perspective
jacquardienne[4].
Dans les sociétés occidentales on a pendant longtemps sacrifié à la pensée fidéiste qui sanctifie l’usage inébranlable de la main droite au détriment de celui de la main gauche. Quand la lumière des découvertes psychologiques a contribué à infléchir certaines croyances, les enfants commencèrent à jouir de la liberté d’exécution des mouvements avec la main pour laquelle ils avaient un penchant, même s’il s’agissait de celle qui, depuis longtemps était perçue comme tabou : la main gauche. Qu’on ne s’étonne donc point du nombre de gauchers que l’on voit en Occident en faisant la juxtaposition avec d’autres sociétés.
Cependant de nos jours, dans les sociétés africaines et surtout dans les espaces musulmans, il est prescrit une sanction lourde, un châtiment corporel sous forme de flagellation, exercés sur les enfants naturellement gauchers qui, malgré l’injonction des parents ou des enseignants essaient d’exécuter des mouvements avec la main gauche plutôt qu’avec la main droite. Fidélité aux valeurs religieuses, morales ou sociétales ? Le fait est que, c’est une nature qui est congédiée, un comportement biaisé, des aptitudes entravées au service d’un idéal fondé sur la défense et la préservation de croyances en des pratiques qui n’auraient de sens qu’aux yeux d’un certain groupe restreint.
Mais une telle initiative ou action permanente est-elle légitime
?
Rousseau posait en précepte que notre nature se rebute à force
d’être éconduite, et qu’on n’espère point
tenter de la rappeler en cas de besoin. Pour cela, il faudrait s’accorder
sur le principe que la gaucherie n’est ni une pathologie, ni une infirmité,
encore moins un tabou. Elle correspond plutôt à une organisation
nerveuse symétrique à celle du droitier, avec une différence
de dominance cérébrale gauche.
Il n’y a pas de mal à ce qu’un enfant que
la nature a génétiquement fabriqué gaucher, fasse des apprentissages
de nature à exercer la partie droite de son corps.
Cet apprentissage et cette somme d’entraînements peuvent être
bien favorables à l’enfant qui à la longue pourrait avoir
toutes les chances de devenir un ambidextre sans effet néfaste sur son
fonctionnement cérébral.
Mais lorsque l’intervention de l’action collective de l’entourage de l’enfant se traduit par une contrariété c’est-à-dire lorsque l’injonction a une connotation obligeante, astreignante ou contraignante, elle ouvre la voie à des pathologies. Les plus fréquentes sont le bégaiement, la dyslexie, l’énurésie.
Lorsqu’un individu est atteint de bégaiement,
il y’a des troubles de sa parole, laquelle se manifeste par la répétition
saccadée d’une syllabe et l’arrêt involontaire du débit
des mots.
Quant à la dyslexie, trouble lié - selon de nombreux psychologues
à l’organisation cérébrale – elle se caractérise
par une déficience de l’acquisition normale de la lecture. C’est
le propre des enfants frappés souvent par des échecs scolaires
malgré l’assiduité et les efforts permanents.
Ils ont tendance à dire « salipade » à la place de
« palissade » ou « paride » à la place de «
rapide ».
La plus fréquente de ces pathologies est l’énurésie : c’est l’incontinence d’urine. Les enfants de plus de 4 ans ( et parfois même les adultes) font pipi au lit. Elle n’ a rien à voir avec une lésion organique, mais elle est surtout d’ordre psychique. Elle sera accentuée par toute forme de violence sur l’enfant pour essayer de l’en débarrasser. La solution réside dans une réassurance du sujet et des soins psychothérapiques.
Il serait erroné d’attribuer ipso facto l’occurrence de l’une quelconque de ces maladies au simple fait de la contrariété d’une certaine forme de latéralité, mais elle peut largement y contribuer. Que dire, sinon laisser s’exprimer librement la nature du sujet et adapter les valeurs à la nature humaine et non le contraire.
Si les structures de prise en charge des enfants atteints de ces pathologies demeurent très rares, voire inexistantes dans la plupart des pays en voie de développement, il est du reste possible d’en faire la prévention. Celle-ci passe par une conscientisation des populations et sera rendue possible par une volonté ferme de traduire la connaissance dans les faits quotidiens en évitant d’exercer une pression permanente chez les gauchers pour qu’ils soient des droitiers artificiels.
- Dictionnaire de la boxe pieds-poings, Christian Julia
- Forum tenu à l’Université de Montréal en Février 2002, Daniel Baril
- Genèse de la latéralité, Bernard Auriol, 1995, p.87
- Tentatives de lucidité, Albert Jacquard, p.21
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