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Par Djibril Safi SECK,
chercheur au Centre d’Etudes Francophones(C.E.F) de l’Université Paris 12 Val-de-Marne(France).

L'ère des cloisons culturelles est révolue. L'humanité tend aujourd'hui vers une même destinée. De l'âge des métaux, l'on est arrivé à la civilisation des machines très sophistiquées ; de l'âge de la pierre taillée aux gratte-ciel, de l'âge de l'écriture à l'ordinateur, à l'internet, à la civilisation de l'image. Mais, tout au long des siècles, que de violences, que de dissensions, que de régressions, que de variantes dans la marche et dans le chant des hommes. Ce chant est proféré par la parole des hommes, exalté par la poésie qui permet d'être en un jour compagnon de toutes les époques. « Il s'agit donc de la poésie. Or, élément intérieur de l'épopée universelle, peut-on la séparer du grand ensemble culturel humain, de son humus historique, politique, économique social et religieux ? »[1].

La poésie, inséparable de l'histoire, porte toujours témoignage des faits des hommes. Et s'il existe une arme sûre contre l'humaine barbarie, c'est la parole rythmée des penseurs et des poètes. La poésie est une réalité fort commune, « une donnée anthropologique universelle »[2] . L’universel, tel est le maître-mot de la pensée senghorienne que nous allons analyser dans son dernier recueil poétique les Elégies Majeures qui constitue le résumé et la conclusion de l’œuvre poétique de Léopold Sédar Senghor.

1-De l’amour, du pardon et de la paix

L’œuvre poétique de Senghor est extra-temporelle ; elle va au-delà des réalités du moment. Car une pensée ne l’est véritablement que si elle se tourne vers l’avenir et s’applique à toute l’humanité. Née d’une conscience de l’histoire et de l’unité de la destinée humaine, la pensée de Senghor tend vers l’universalité. Car le poète-président est constamment hanté par son « rêve têtu » de réunir les hommes de toutes les couleurs dans une seule Terre-mère. D’ailleurs, il est significatif que l’Oeuvre poétique de L.S.Senghor débute avec Chants d’Ombre pour aboutir aux Elégies Majeures qui prônent les grandes valeurs du fils sauveur. Les personnalités qu’il chante dans les Elégies Majeures sont noires, blanches, métisses comme qui dirait que Senghor homme de symbiose, homme de réconciliation, abreuvé du suc vivifiant des quatre cultures négro-africaine, gréco-latine, judéo-chrétienne et occidentale-française, revient à ce qui fonde sa théorie de la Civilisation de l’Universel. Le poète est pour l’union des cœurs et des esprits. On comprend dès lors que les personnalités dont il est question dans son dernier recueil soient toutes partisanes de l’amour, de l’unité des hommes « à l’image du Dieu unique » et apôtres de la paix. Magnifier ces personnalités, c’est chercher à réhabiliter l’homme, à le glorifier.

Le poète a tendance, cependant, à retourner au Royaume d’Enfance pour chanter l’Aimée et le Sage. Mais, il refuse de se cantonner à sa race. La célébration de sa Blonde, de sa Normande dans « Elégie des Alizés », à travers l’expression « Nuit alyséenne, Nuit joalienne, Nuit qui me rend (six) à la candeur de mon enfance » participe d’une volonté de réconcilier Noir et Blanc, de les voir fraterniser comme le fit Jean Marie dont le poète dit : « Tu as fait l’homme unique à l’image du Dieu unique, tu t’es fait nègre Jean Marie parmi les Nègres » [3]

Cette bonté, malgré les préjugés raciaux et les frontières culturelles, emplit les cœurs de tous les êtres présents dans les Elégies Majeures qui s’ouvrent sous une pluie « tornade, tornade de juillet », symbole de la Résurrection et de la Paix, mais aussi symbole de l’amour matérialisé par « Isabelle la belle aux yeux de transparence bleue, Soukeina-de-soie noire, sourire de soleil sur les lèvres de mer » (E.M.p.267).

La femme prend ainsi chez Senghor une figure plurielle. C’est l’aimée, la mère, la Blanche, la Noire, la sœur mais aussi et surtout l’Afrique. Le poète a créé le mythe de l’Afrique-Femme qui apparaît sous la figure de la reine de Saba. L’«Elégie pour la reine de Saba » qui clôt le recueil des Elégies Majeures participe de cette volonté du poète de magnifier le passé africain dans sa grandeur et sa magnificence. La reine de Saba symbolise la dignité antique de l’Afrique mais aussi sa dignité future.

Senghor est attaché aux sources. Mais, homme à la croisée des cultures, il reste attentif aux apports féconds des autres races qu’il ne renie jamais. Investi d’une mission divine, le poète-prophète, armé de son cœur catholique, assume sa fonction prophétique en prêchant l’amour œcuménique à l’image du Dieu unique. Il s’agit donc pour Senghor comme pour tout homme de tuer « le serpent de la haine » et de pardonner. Car pour que la communication des consciences soit possible, il faut qu’il y ait un centre d’affectivité. C’ est pourquoi, Senghor, éclairé par la foi chrétienne, a tout pardonné aux Blancs, malgré toutes les souffrances qu’ils ont fait subir aux Noirs, en vue d’édifier cette Civilisation de l’Universel. Mais plutôt d’être un repli sur soi, le pardon est une tension, une communication et une communion avec l’autre. C’est aimer son prochain comme soi-même. C’est ce qu’a appris, vécu et prêché le poète-prophète pour pouvoir faire fête avec Jésus dans l’au-delà :

A toi qui as beaucoup aimé, il sera beaucoup pardonné :
Aimé tendrement ton père et ta mère, tes frères.
Et tous comme des frères, le maître-de-terre et l’aveugle
Aux mains d’antennes, le mendiant chassieux
Le Noir et le Toubab tout blanc, les hommes du soleil
Levant.
L’arabe et le Berbère, le Maure, mon petit Maure
Mon Bengali, comme nous t’appelions, le Toutsi,
Le Houttou (E.M.p.290).

Cet enseignement christique, qui évolue en forme de crescendo, va de la première cellule de base-la famille-à l’humanité toute entière. Il faut aimer le riche comme le pauvre, l’homme comme la femme, le vieux comme le jeune car ils sont tous des créatures de Dieu et qui aime Dieu doit aussi aimer ses biens. Aussi, Senghor réunit-il les hommes de toutes les couleurs pour créer un monde de paix. C’est pourquoi, dans « Elégie de Carthage », au-delà du caractère guerrier qu’il magnifie chez Bourguiba, le poète-président chante également l’honneur mais aussi et surtout « les paroles de paix transparentes ». On comprend dès lors ce culte de l’union et de paix tant chanté par Senghor et Martin Luther King « Roi de la paix » et que l’on retrouve chez Bourguiba. Les derniers versets de l’«Elégie de Carthage » sont significatifs à plus d’un titre :

Ce soir, où tu salues l’Afrique d’un seul salut
De tes deux mains unies.
Je te salue de ton salut de paix, toi
Combattant ultime (E.M.P.312).

A travers l’ « Elégie pour Georges Pompidou », c’est l’amitié vécue de l’intérieur qui est célébrée et sa dimension fondamentale tient du fait qu’elle a été écrite avec des « lettres de sang », symbole de la fraternité de case qui est sacrée en Afrique noire. C’est pourquoi, Georges est le « plus-que-frère » qu’un grand amour lie à Senghor.

L’universalité chez Senghor s’accomplit par un projet idéologique et une perspective poétique qui consistent à tisser la tente mondiale avec les différents fils culturels et l’aiguille d’or de la Négritude. Il ne s’agit donc pas de la particularisation de l’universel, mais de l’universalisation du particulier qui signifie que chaque singulier va, avec sa spécificité, être un palier du bel édifice du monde entier. C’est pourquoi le chantre de l’universel veut piloter son « navire-Afrique » vers la mondialité car l’universalité de l’africanité assure la place de l’africanité dans l’universalité.

2-De la perfection numérique du recueil

Le recueil des Elégies Majeures est composé de sept poèmes. Sept est un chiffre de perfection. Il est sans doute le nombre le plus cité dans la Bible (Ancien et Nouveau Testament) et dans toute la littérature sacrée de tous les peuples : Sept est le nombre des couleurs de l’arc-en-ciel (polarisation de la lumière blanche à travers le prisme). Le sept symbolise par l’harmonie et par la hiérarchie spirituelle, la réintégration de toute manifestation dans la source unique. C’est pourquoi le sanctuaire est éclairé d’un chandelier à sept branches chez les Juifs, par sept lampes, chez les orthodoxes, par sept cierges (en présence d’un évêque) chez les catholiques. Sept est le nombre mystique par excellence. Le sept est à la fois manifestation de la lumière et retour dans l’unité divine.

C’est pourquoi, au terme de ses sept ans de recueillement, Senghor prône une seule Terre-mère. Aussi, écrit-il dans « Elégie des Alizés » : « J’ai laissé sept ans la Négritude sans eau pour que fleurisse la race humaine » (E.M.p.266). Ce sont sept ans de jeûne, de veille et de prière pendant lesquels le poète-président confesse ses fautes d’avoir passé beaucoup d’années à chanter l’orgueil de sa race et de sa caste. Il s’agit, au sortir de ce « bain spirituel », de transcender les luttes idéologiques et les haines raciales et d’instaurer un monde d’amour, de paix, de dialogue, d’union, de communication et de communion entre les hommes.

Ces sept ans symbolisent les sept églises où Saint-Jean devait envoyer le Livre de la résurrection : Ephèse, Smyrne, Pergame, Tyatire, Sardes, Philadelphie et Laodicée. Ces sept églises se révèlent à travers les sept lampes d’or autour de Jésus et ce dernier tenait sept étoiles qui sont les sept anges des sept églises. Ce symbolisme biblique donne une justification à la composition du recueil des Elégies Majeures en sept poèmes placés sous le signe des sept jours de la semaine dont Dimanche est le jour sabbatique (jour de repos, de concentration et de méditation). A notre époque encore les sept jours de la semaine portent les noms des sept planètes traditionnelles qui étaient attribuées à la première heure après minuit de chaque jour, et qui donnèrent par la suite leur nom à la journée : lundi (Lune), mardi (Mars), mercredi (Mercure), jeudi (Jupiter), vendredi (Vénus), samedi (Saturne), dimanche (Soleil). La création est en contact avec le Créateur par cette vibration multiple qui l’une des clés essentielles de toute doctrine ésotérique. Le sept est le nombre du pacte essentiel entre le monde divin (3) et le monde humain (4).

Par ailleurs, Dimanche est une trisyllabique (Di/man/che), symbole de la Trinité. On comprend dès lors pourquoi le premier poème « In Memoriam », du premier recueil « Chants d’Ombre » de l’Oeuvre poétique, débute par « C’est Dimanche », Senghor veut immortaliser ses « morts » avec ce jour du Seigneur comme Jésus ressuscité pendant le troisième jour. D’ailleurs, il est significatif que Senghor place « Elégie pour Philippe Maguilen Senghor » en troisième position parmi les sept poèmes des Elégies Majeures. Philippe, assimilé à Jésus ressuscité le troisième jour, doit aussi symboliser cette trinité chrétienne. Aussi, comprend –on le choix des trois « grâces » de Senghor-Coumba N’diaye, Marône N’diaye et Siga Diouf-trois poétesses de son village natal qui ont forgé ses sens et ouvert son esprit dans tous les sens. Ces « trois grâces » fonctionnent comme le dieu inspirateur du poète. Appelé « MUSE » chez les Grecs et les Latins, « THEIRA MOIRA » chez Platon, « ESPRIT » dans la tradition judéo-chrétienne, « FORCE VITALE » chez les Négro-africains, « ELAN VITAL » chez Bergson, « SYMBOLE » chez Hugo, ce « Dieu du poète » est le fondement poétique et mystique de toute poésie spiritualiste. Ainsi, la spiritualisation de la mort de Philippe trouve tout son sens avec l’évocation de la Pentecôte, jour du don du Saint Esprit à la communauté de Jérusalem (Bible Actes II : 1-4) : « Or c’était le sept juin, jour de la Pentecôte » (E.M.p.286).

Cette date est le jour où « sonne le téléphone, comme au cœur un coup de fusil » (E.M.p.286) : le jour de la mort de Philippe. Juin est le sixième mois de l’année. Sept juin=7+6=13. Il y a deux interprétations possibles de ce nombre 13 : soit on considère que, suivant la réduction théosophique, 13=1+3=4, symbole de la « tétraktys » pythagoricienne et dans ce cas avec le sept juin qui donne 4, c’est tout un monde de Senghor (Philippe) qui s’effondre ; soit 13 symbolise les douze apôtres et Jésus (le soir de la Sainte Cène, ils étaient « treize à table ») et ce dernier fut victime d’un assassinat mais sa mort fut suivie, le troisième jour, d’un retour glorieux à la vie. Le treize n’est donc le nombre de la mort que si l’on considère celle-ci comme un changement d’état, le passage sur un plan supérieur d’existence. Le sept juin 1981 est le jour de la mort de Philippe Maguilen qui sera ressuscité, comme Jésus, à la droite du père au jour de l’Amour.

Né d’un père sérère et d’une mère peule, l’enfant des mangroves et des terres salées traduit à lui seul le métissage culturel. Léopold (son prénom chrétien), Sédar (son prénom animiste), Senghor (le sang portugais), déformation de « Senhor » qui signifie « monsieur » ou « seigneur ». Ce seigneur, il l’a été : seigneur du dialogue, de l’amour, du pardon, de la paix, du respect de la différence, de l’enrichissement mutuelle des cultures qui alimentent l’idéal pour lequel il s’est toujours battu : la Civilisation de l’Universel.

[1] Robert SABATIER. Histoire de la poésie française. La poésie du moyen âge. Paris : Albin Michel, 1975, p. 13.
[2] Jean MOLINO et Joëlle GARDES-TAMINE. - Introduction à l'analyse de la poésie.Paris : P.U.F, 1982, p. 13.
[3] Léopold Sédar Senghor.Oeuvre poétique.Paris : Seuil, 1990.p.264. Toutes les références qui suivront participent de cette même édition. Aussi, n’usera-t-on point de notes de bas de pages. Les Elégies Majeures seront évoquées par le sigle E.M.