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PERSPECTIVES: UN CERVEAU NE FUIT PAS
Par Amadou FALL
Directeur de publication du « Soleil » du Sénégal
Un cerveau, c’est généralement une tête bien faite, bien pensante et créatrice. Comme tel, il a en permanence besoin de toujours plus de savoir pour se développer, de matière à analyser et synthétiser, d’équations à résoudre, de liberté pour s’exprimer pleinement et de moyens pour exister et se régénérer. Si ces conditions essentielles ne sont pas réunies, un cerveau a tendance à s’étioler, un peu comme un moteur tournant à vide.
Sous nos latitudes, ce ne sont point les équations à résoudre qui manquent. Ici, tout est question de survie et quête inlassable pour le développement. Il y fait plutôt défaut tout le savoir et les aptitudes scientifiques et techniques requis pour traduire ces problèmes en solutions, mais encore les moyens et libertés sans lesquels l’humain est désarmé face à son devenir.
Ainsi donc, de plus en plus de personnes hautement qualifiées, quelque 20.000 Africains par an, quittent le continent pour aller donner le meilleur d’elles-mêmes ailleurs, principalement en Europe et aux Amériques. Le phénomène est considéré comme une «fuite de cerveaux» désastreuse en soi, parce qu’effectivement il prive l’Afrique de compétences essentielles, tout comme la traite négrière l’avait préjudiciellement défait de bras valides.
Mais, un cerveau ne fuit pas, il est libre par nature. C’est une force vitale qui ne connaît d’autre frontière que celle de ce savoir qu’il est recommandé d’aller chercher et trouver partout, «jusqu’en Chine». Ceux qui partent ont comme mobile essentiel d’acquérir encore plus de connaissances et de compétences dans leur spécialité respective, de confronter leurs expériences à d’autres pour les consolider et renforcer ; toutes opportunités qu’on n’a pas tout le temps dans nos pays.
Bien d’autres s’en vont parce que, ailleurs, ils trouveront la paix extérieure et les libertés fondamentales dont ils sont privés dans leur propre patrie, alors qu’elles sont indispensables à la pleine expression de leur savoir et compétences. Il faut également reconnaître que l’offre de meilleures conditions d’existence sociale, de la possibilité d’être financièrement à l’abri des besoins essentiels, est tout aussi déterminante. Pas seulement parce qu’elles sont synonymes de confort de vie, mais surtout parce que sans elles, l’esprit a tendance à se disperser, à s’égarer pour devenir improductif.
Si l’on peut comprendre ceux qui partent sans leur donner l’absolution totale, il faut également saluer toutes les compétences qui ont choisi de rester sur nos terres arides et qui, nonobstant toutes les limites objectives et subjectives auxquelles elles se heurtent quotidiennement, se donnent à fond pour l’émergence de leurs pays. Mais, il en faudrait beaucoup plus encore…
Faudrait-il alors empêcher les sorties de cerveaux, puisque leur départ prive nos pays de compétences essentielles ? Il y en a qui le pensent, allant même jusqu’à suggérer de lourdes taxes de sortie aux cadres supérieurs qui émigrent, des accords fiscaux exigeant que leurs pays d’accueils taxent leurs revenus au bénéfice de leurs pays d’origine, ou encore de demander aux pays riches de ne pas recruter des cerveaux originaires des pays en développement !
Ce sont là des solutions extrêmes d’autant moins indiquées qu’elles bafoueraient les libertés humaines, en empêchant des compétences de se réaliser pleinement tout en se renforçant. Certes, il est regrettable qu’elles ne puissent immédiatement pas profiter aux pays auxquels ils appartiennent. Mais le plus important est qu’elles ne les perdent pas définitivement.
Les cerveaux qui partent par nécessité sont généralement très attachés à leur pays, à leur nation à qui ils sont à même d’apporter, à partir de l’étranger, beaucoup plus que s’ils ne l’avaient pas quittée. Sans obligation de rester ou de revenir, les compétences expatriées peuvent, par le canal de réseaux bien structurés, participer à la formation des nouvelles générations, les aider dans leurs recherches, faciliter des contacts commerciaux, contribuer aux transferts de technologies, en somme au développement de leurs pays. A ce jour, la diaspora des cerveaux africains est une fabuleuse mine quasiment en friche, un «capital de cerveaux» qui ne demande qu’à être valorisé.
Le NEPAD est sur une très bonne piste qui prévoit l’établissement d’une base de données, non pas seulement pour déterminer l’ampleur du phénomène, mais surtout pour jeter les bases d’une nécessaire et judicieuse collaboration entre les compétences africaines de l’intérieur et de l’extérieur.
Et il ne fait pas de doute qu’un jour proche, l’heure du retour sonnera pour le plus grand nombre d’entre elles. Il en fut ainsi au début des années quatre-vingt pour Taiwan, avec la création du parc industriel et scientifique de Hsinchu. Il a su faire revenir des Etats-Unis, d’Europe ou du Japon sur l’île de nombreux Taiwanais hautement qualifiés au profit du développement des industries de l’électronique et de l’informatique de leur pays. Cette étape a été décisive dans la fulgurante montée en puissance de l’économie taiwanaise. Il pourrait en être de même demain, pour les pays africains, pour ceux qui parviendront à réunir les conditions politiques, sociales et économiques qui favorisent l’éclosion de toutes les compétences et talents.
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