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 Lors du sommet mondial de 2005, la communauté internationale réunie à New York au siège de l’ONU, adoptait pompeusement une Déclaration finale proclamant la responsabilité de protéger. Il était convenu que si un État faisait défaut de protéger sa propre population ou de prévenir la commission de génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité contre sa population, la communauté internationale s’engageait, avant tout recours à la force, « de mettre en œuvre les moyens diplomatiques, humanitaires et autres moyens pacifiques (…) » afin de protéger les populations contre les crimes de masse. Cette doctrine a depuis lors été appliquée de manière sélective et non désintéressée en Côte d’Ivoire et en Lybie. Pire encore, la stratégie de prévention, que les Nations Unies prétendent privilégier à longueur de déclarations et de rapports depuis 2009 s’avère un cuisant échec à la lumière des situations au Mali, en République centrafricaine et désormais au Cameroun.

Pays de l’Afrique centrale de 25 millions d’habitants, le Cameroun rassemble désormais tous les symptômes d’un pays effondré sur le point de reproduire, hélas, le scénario du Rwanda de 1994. Les événements s’enchaînent sans qu’on puisse véritablement dire si les mécanismes d’alerte rapide et de détection des crimes de masse élaborés notamment au sein de l’Union africaine et de l’ONU sont à l’œuvre. Pays instable du fait de son classement au 130e rang de l’indice de paix globale, le Cameroun souffre d’un malaise profond dont l’une des illustrations récentes fait suite aux résultats contestés de l’élection présidentielle du 7 octobre 2018. Cette élection a redessiné la carte politique avec la consolidation de l’émergence d’un véritable parti d’opposition, le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC). Sa campagne présidentielle innovante et son programme social-libéral ont suscité une véritable adhésion au sein d’une population majoritairement jeune et désabusée par 37 ans de politique économique et sociale catastrophique. La mortalité infantile, le délabrement des infrastructures, la dilapidation de la fortune publique, la corruption rampante, les scandales à la tête de l’État, la détérioration des conditions de vie, notamment du système de santé, de la justice et de l’éducation, font le quotidien des camerounais.  Le PIB par habitant atteint à peine 1 800$ tandis que le pays fait partie du peloton de queue aux principaux indices de mesure de la santé économique et sociale dont le climat des affaires Doing buisness de la Banque mondiale (166e), l’indice de perception de la corruption de Transparency International (153e) et l’indice de développement humain du PNUD (151e). 

En dépit de ce bilan négatif, fruit d’une gouvernance faite d’incompétence et de gabegie, le régime en place semblait dans les années 1990 promis à règne éternel. C’était sans compter avec l’avènement du mouvement djihadiste Boko Haram au Nigéria voisin dont les incursions répétées en territoire camerounais ont obligé le pays à s’engager dans un conflit armé durable. L’accroissement des dépenses de sécurité et la détérioration des conditions de vie des populations face à une incurie institutionnalisée ont ravivé en 2016 la question anglophone, latente depuis la décision unilatérale d’Amadou Ahidjo en 1972 de mettre fin à l’État fédéral dans lequel les deux provinces anglophones d’alors jouissaient d’une certaine autonomie. Répondant à des revendications corporatistes en région anglophone sur fond d’identité linguistique et juridique par la répression, le régime de Yaoundé a exacerbé le conflit depuis lors transformé en guerre civile ouverte.

Dans un tel contexte, l’élection présidentielle du 7 octobre 2018 revêtait une importance particulière pour le Cameroun à un double titre. D’une part, l’euphorie de la campagne et l’enthousiasme autour du MRC et de son leader, l’universitaire de réputation internationale Maurice Kamto, a fait naître pour la première fois depuis six échéances présidentielles, de réels espoirs d’alternance à la tête du pays. D’autre part, à mesure que le conflit dans les régions anglophones se prolongeait et que l’espoir d’un dialogue avec les séparatistes se dissipait, cette alternance apparaissait désormais plus qu’impérieuse pour réconcilier les camerounais. Toutefois, l’élection présidentielle, tenue dans un contexte sécuritaire explosif, a vu une faible participation des populations, en particulier celles des régions anglophones. Elle a aussi vu le régime en place reproduire les vieilles recettes de l’instrumentalisation de la diversité ethnoculturelle des camerounais et la fraude à grande échelle pour se maintenir au pouvoir. Sous l’observation de la seule Union africaine, qui a pointé du doigt le contrôle absolu du régime sur le système électoral, et de faux observateurs internationaux aux ordres du régime prétendant agir au nom de Transparency International, l’élection a débouché le 22 octobre 2018 sur la proclamation de la victoire de Paul Biya par plus de 70% des suffrages devant Maurice Kamto, arrivé second avec 14,2%, selon les chiffres officiels.

Débouté de tous ses recours par un Conseil constitutionnel nommé par et acquis à Paul Biya, qui a publiquement refusé de rendre public ou de communiquer aux parties les procès-verbaux attestant la victoire de l’octogénaire, Maurice Kamto et la coalition autour de sa candidature n’ont cessé d’exiger le recomptage des voix et de revendiquer leur victoire. Cette contestation se structure autour d’un plan de résistance qui consiste pour l’essentiel en des marches pacifiques pour dénoncer non seulement le hold-up électoral, mais également la gestion désastreuse de la question anglophone et sa transformation en guerre fratricide et, enfin, l’impunité face aux détournements de fonds publics et la corruption autour de l’organisation avortée par le Cameroun de l’édition 2019 de la Coupe d’Afrique des Nations 2019 de football. Timidement suivi à l’intérieur du pays dans un premier temps, notamment en raison de l’intimidation et des obstructions administratives, le plan de résistance de Maurice Kamto a reçu un écho positif au sein de la diaspora camerounaise en Europe occidentale e en Amérique du Nord.

Le 26 janvier 2019, des manifestations pacifiques ont ainsi eu lieu dans plusieurs villes du pays, suivant des directives claires d’obéir aux sommations des forces de l’ordre et d’y répondre en entonnant l’hymne national. Malgré le caractère non violent des marches, les forces dites de sécurité ont fait usage de la force en tirant à balles réelles sur certains manifestants dont l’avocate Michelle Ndoki, par ailleurs responsable au sein du MRC. 

Le même jour à Paris et Berlin, des groupes de la société civile opposés de longue date au régime de Paul Biya ou constitués dans la foulée de l’élection présidentielle du 7 octobre 2018 ont occupé temporairement les locaux des ambassades camerounaises pour exiger le départ de Paul Biya et la restauration de la victoire de Maurice Kamto. Les responsables des entités concernées se défendent toutefois de toute allégeance à tout parti politique. 

Apparu à la tête de la manifestation pacifique à Douala, à 300 Km de Yaoundé, puis au chevet des manifestants blessés par les forces dites de maintien de l’ordre, Maurice Kamto est interpellé et arrêté avec plusieurs autres leaders de l’opposition au domicile d’un allié le 28 janvier 2019, puis transféré de nuit et secrètement à Yaoundé. Objet de traitements inhumains et dégradants, il n’a eu accès à sa famille et à ses avocats que deux jours plus tard, soit le 30 janvier 2019, jour où il est entendu pour des infractions d’incitation à l’insurrection, rébellion en groupe, attroupement, hostilité contre la patrie, association de malfaiteurs et complicité de trouble à l’ordre.

Dans le même contexte et pour les mêmes infractions supposées, environ 200 manifestants ont été interpellés à travers le Cameroun et soumis à des sévices et violations de leurs droits. Les personnes arrêtées, parmi lesquelles des femmes, coucheraient à même le sol dans leurs cellules, sans possibilité d’assurer leur hygiène corporelle. Elles subiraient des bastonnades et d’autres formes de torture psychologique. Des journalistes qui couvraient les manifestations ont eux aussi été arrêtés au motif de complicité avant d’être libérés quelques jours plus tard. Soumis au régime de la garde à vue administrative, applicable seulement dans les cas de grand banditisme et de situation d’état d’urgence pour trouble à l’ordre public, les manifestants sont susceptibles d’être détenus pendant une période de deux semaines à un mois renouvelables.

Ces exactions, qui ne sont que de pâles illustrations de l’état lamentable des libertés publiques au Cameroun, n’ont pour l’heure donné lieu qu’à l’indignation de la société civile internationale. Dans un communiqué à la presse le lendemain de l’interpellation de Maurice Kamto et ses alliés, le Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique Centrale a dénoncé « les dérives d’un pouvoir aux relents autoritaires ». Amnesty international constate dans sa réaction à la situation que « les manifestations pacifiques sont systématiquement interdites au Cameroun dans le but d’étouffer toute dissidence » et reconnaît le recours « à une force excessive contre les manifestants ». Le Barreau du Cameroun a pour sa part, condamné le même jour, les exactions qui visent particulièrement ses membres, dont certains appartiennent au MRC. Après avoir été interpellé sur la situation au Cameroun lors du point de presse du 29 janvier, le porte-parole du Secrétaire général de l’ONU s’est contenté de propos de circonstances à savoir se dire préoccupé par la situation et condamner les violences contre les ambassades du Cameroun.

Intellectuel réputé sérieux et apprécié à travers le monde, c’est auprès de ses pairs que l’arrestation et la détention de Maurice Kamto a créé une véritable commotion. Les sociétés savantes, pour la plupart européennes, ont toutes condamné son arrestation et demandé sa libération immédiate et inconditionnelle. L’Institut de droit international, tout en rappelant le travail de Maurice Kamto sur les Migrations de masses, le décrit comme quelqu’un qui « a toujours été un défenseur du respect du droit et de la justice ». L’académie internationale de droit comparé salue un « juriste distingué, mondialement respecté ». La Fondation René Cassin, dédiée à la promotion des droits humains, s’est dite choquée par son arrestation et sa détention qu’elle condamne comme étant « une privation de liberté purement politique ». L’Académie de droit international de La Haye, l’une des plus vieilles institutions scientifiques du monde dans le domaine du droit international et dont il est membre de la plus haute instance dirigeante, le Curatorium, parle de Monsieur Kamto comme un « fervent défenseur du droit international, de l’État de droit et de la démocratie ».

Entré en politique en 2012, après avoir démissionné du gouvernement dans lequel il a occupé pendant 7 ans le poste technique de ministre délégué au Ministre de la justice, chargé spécialement du dossier de la mise en œuvre de l’arrêt de la Cour internationale de Justice reconnaissant la souveraineté du Cameroun sur Bakassi, un territoire disputé par le Nigéria, l’homme de 65 ans a passé sa vie entière au service de son pays et de la justice internationale. Ancien doyen de la faculté de droit de l’Université de Yaoundé II, agent, avocat, conseil et arbitre dans des litiges internationaux, Maurice Kamto jouit d’une reconnaissance nationale pour avoir joué un rôle capital dans l’affaire Bakassi et la rétrocession subséquente de cette péninsule pétrolière au Cameroun.

Comment dès lors comprendre le silence des pays occidentaux sur la situation politique au Cameroun en général et sur le cas de Maurice Kamto et des manifestants du 26 janvier en particulier, alors précisément que dans le même temps, ils ont promptement réagi sur des situations similaires en République démocratique du Congo (RDC) et plus récemment au Venezuela, exigeant le respect de la volonté populaire et de l’état de droit?

Ce double standard soulève de nombreuses interrogations. Le Cameroun est-il un pays qui compte si peu, au plan politique et stratégique, qu’il faut craindre de voir s’y reproduire un Rwanda du 21e siècle? L’élection de 2018 a en effet mis en évidence une société camerounaise fracturée, avec la prise à partie et la propagation sans filtre, par les autorités publiques et certains médias à la solde du régime, de propos ouvertement haineux contre le groupe ethnique bamiléké auquel appartient Maurice Kamto.

Le silence des puissances occidentales est-il, au contraire, la preuve, s’il en était encore besoin, d’une main basse de l’occident sur le Cameroun dont la richesse du sous-sol attise des convoitises? La France est le premier partenaire économique du Cameroun avec près de 300 entreprises françaises pour 537 millions d’euros d’exportations de la France au Cameroun en 2017. Quant à la Suisse, bien que la relation économique avec le Cameroun soit en dessous de son potentiel, les deux pays entretiennent des relations bilatérales de niveau diplomatique depuis 1962, la migration irrégulière camerounaise en Suisse étant le principal sujet de préoccupation et de coopération. Genève est par ailleurs la destination privilégiée de M. Paul Biya lors de ses fréquents séjours privés à l’étranger et dont la société civile dénonce, depuis plusieurs années, les coûts pour le contribuable camerounais.

Dans les deux cas, le calcul des pays occidentaux est révélateur d’un mépris pour les valeurs fondamentales de l’ordre international parmi lesquelles les droits de l’homme et la démocratie, dont ils se font visiblement les champions de la promotion et du respect seulement de manière cupide et intéressée. Maurice Kamto peut se définir comme un citoyen du monde et un défenseur des valeurs prônées par les institutions internationales. Ses écrits académiques ont toujours appelé à leur transparence et à leur équité. Il connaît bien la Suisse et la ville de Genève pour y avoir séjourné durant son mandat et sa présidence de la Commission du droit international des Nations Unies de 1999 à 2016.  Il n’est pas un inconnu en France où il a fait ses études de droit à Paris et à Nice, auréolées d’une thèse de doctorat récompensée par le prix de l’Académie des sciences d’Outre-mer. Avocat au Barreau de Paris, il est régulièrement invité à donner des enseignements dans de nombreuses universités françaises et européennes.

S’il est vrai que les charges retenues contre Maurice Kamto, qui ne font aucun tabou de leur nature hautement politique, ne pourraient raisonnablement résister à un examen judiciaire sérieux, l’absence de dénonciation de pays qui se disent profondément humanistes et attachés aux valeurs universelles ne peut manquer d’étonner. Les arguments spécieux de non-ingérence ne tiennent pas plus la route, quand on sait que le Cameroun, comme la Suisse, la France et bien d’autres puissances occidentales, sont parties à des conventions de droits humains dont la spécificité est que tous peuvent en exiger le respect et la sanction. Manquer de le faire comme en l’espèce, quand on possède des leviers politico-diplomatiques et économiques, constitue de la complicité. Une complicité qui n’est pas que d’ordre moral, mais véritablement juridique.

Par Maître Alain-Guy Sipowo (Chargé de cours en droit Canada)