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L’AFRIQUE DANS LA GEOPOLOTIQUE MONDIALE par Edem Kodjo..
Président de PAX AFRICANA, Ancien Secrétaire Général de l’OUA, Ancien Premier Ministre du TOGO.
« ….
Aujourd’hui, les grandes découvertes, ponctuées par les révolutions scientifiques, techniques et technologiques, ont considérablement renforcé les interdépendances et transformé la planète en un système technico-économique intégré qui donne corps à la mondialisation des échanges et la géographie qui est aussi une et plurielle rend admirablement compte de ces évolutions.
Le thème montre, à suffisance, l’état de l’Afrique, sa position actuelle et ce qu’elle entend être dans le concert des nations. Oui l’Afrique est une terre de paradoxes, oui l’Afrique est une terre aux grandes ambitions.
Mutadis, mutandis, cette célèbre interrogation pourrait être appliquée à l’Afrique d’aujourd’hui. Car cela me paraît bien évident, l’Afrique est effectivement Tout. Tout par son immense potentiel, sa massivité, son foisonnement culturel.
Cependant, elle n’est rien, sinon pas grand-chose dans l’ordre international de notre temps. (Regardez sa part dans le commerce et l’économie mondiale : 2% en 2010).
Malgré cela, elle demande à devenir quelque chose… et elle est sans doute entrain de le faire.
Jadis, objet de curiosité des explorateurs, proie des bâtisseurs d’empires et rêve des missionnaires, colonisée plusieurs siècles durant, l’Afrique finit par être divisée et partagée entre les puissances étrangères et plus précisément européenne.
La balkanisation de ce Continent, opérée par la Conférence de Berlin de 1884-1885 entrava le cours de son histoire et porta une atteinte grave à sa construction politique et à son progrès.
Avec les immenses potentialités agricoles, minières et humaines dont elle dispose, l’Afrique, Berceau de l’humanité (on en convient tous aujourd’hui),aurait pu se construire et atteindre un niveau de progrès incontestable. Mais hélas ! Ballotée par des vents contraires, secouée par toutes sortes de vicissitudes qui l’orientèrent tantôt à l’ubac tantôt à l’adret pour parler comme un géographe, la terre des matières premières d’importance stratégique, comprenant de grands pays qualifiés de scandales géologiques à cause de leurs nombreuses et précieuses richesses, est restée le Continent le moins développé de la planète. La "Terra incognita" victime des assauts prédateurs de l’histoire, tourne, tourne, tourne comme si elle avait perdu et la boussole et le portulan.
Cet état de développement de l’Afrique ne peut que paraître paradoxal, incompréhensible, voire en contradiction avec sa force réelle, sa force vitale. Peut-on comprendre et encore moins accepter que le Continent africain ne parvienne pas à se prendre en charge pour amorcer un processus de développement conséquent qui garantisse sa prospérité et son indépendance ? Point n’est besoin ici de s’attarder sur ses richesses intrinsèques et d’énumérer ce chapelet confondant de ce qu’elle détient dans son sous-sol et sur son sol. Je trouve cette énumération irritante, énervante, affligeante, aussi je vous en ferai grâce, à vous les géographes.
Théâtre privilégié d’affrontements planétaires du temps du conflit Est-Ouest, et profondément affaiblie par toutes les formes de conquêtes et de convoitises des Grandes Puissances, l’Afrique, longtemps marginalisée demeure tout de même aujourd’hui, une pièce maîtresse de la géopolitique, de la géostratégie et de la géo économie mondiales.
Ployant sous de nombreux conflits interétatiques et internes, dus à la contestation des frontières arbitraires léguées par la colonisation et à la volonté de conquête d’espaces de liberté par des peuples rassemblés à la diable, confronté aux défis contemporains de l’instauration de l’Etat de droit, celui de la démocratie et de ses avatars, de la bonne gouvernance au service des citoyens, le Continent africain n’a pas encore réussi à prendre véritablement son envol vers un développement réel, rassurant et convainquant même si visiblement elle enregistre depuis peu des progrès substantiels qui disqualifient d’office les tenants de l’Afro-pessimisme.
Des réalisations y sont visibles et les raisons d’espérer y abondent. "Et pourtant elle tourne" disait Galilée. Routes, ponts, chaussées, aéroports, écoles, universités, hôpitaux, structures bancaires et industrielles notamment y sont réalisés. Les Africains ont considérablement développé leurs ressources humaines, même si l’analphabétisme n’est pas totalement éradiqué. "Il n’est de richesse que d’hommes" écrivait Jean Bodin dans sa "République". L’Afrique a bien appris la leçon.
Certes, on aurait pu réaliser davantage y compris dans le domaine du développement agricole et industriel si une gouvernance exempte de corruption, serrée et efficace avait prévalu. La terre africaine a tous les atouts qui fondent les grandes nations. Il faut savoir les gérer.
Le Continent africain aspire profondément à un meilleur devenir à tous les niveaux : politique, socioéconomique, technologique et scientifique.
Au plan politique, depuis la chute du mur de Berlin, l’Afrique s’est ouverte, à la démocratie, à l’Etat de droit et aux libertés fondamentales.
Depuis plus d’une vingtaine d’années, le Continent vit une période d’ouverture politique caractérisée essentiellement par un processus de démocratisation de la vie politique et la mise en place d’institutions de gouvernance fondée sur la préoccupation majeure de faire prévaloir le droit, l’éthique et la morale dans la gestion des affaires publiques. Oh ! rien n’y est tout à fait acquis. Rien n’est parfait.
L’organisation des élections ne manque pas de poser des problèmes par endroits, par moments et presque toujours. Certes l’alternance démocratique à laquelle les Africains continuent d’en appeler instamment se manifeste encore timidement, cependant on remarque que des progrès sont en train d’être accomplis. On a vu dans sa partie septentrionale se lever le soleil du printemps, du printemps "arabe". Presque partout, sur son aire, on respire davantage que par le passé l’air pur de la liberté, de la liberté de penser, de la liberté d’agir, de la liberté d’entreprendre.
Interpellons son développement socioéconomique : l’Afrique a démontré à la face du monde sa ferme volonté d’assumer son destin et d’assurer le bien-être de ses populations à partir de ses propres initiatives. Nombreux sont les pays de son aire qui ont désormais une croissance à deux chiffres, malgré la crise que connaît l’économie mondiale. N’est-ce pas elle qui a résisté le mieux aux conséquences perverses de la sournoise crise de 2008 ?
Dans cet esprit, des Communautés économiques régionales (CER) sont mises en place dans toutes les sous-régions du Continent. Il en est de même de nombreux instruments de développement concerté et solidaire :
- la Déclaration sur la gouvernance politique, la gouvernance économique et la gouvernance des entreprises.
Par ces Actes, les Etats africains affirment une volonté politique forte qui révèle, à suffisance, leurs ambitions pour les peuples du Continent et consacre leur engagement à promouvoir la démocratie et ses valeurs fondamentales que sont :la justice, l’égalité, l’honnêteté, la transparence, l’obligation de rendre compte, la participation des citoyens à la gestion des affaires publiques, entre autres.
Faire émerger leur Continent, le faire bouger est un désir ardent inscrit au cœur des Africains. Ils en ont assez d’apparaître comme les éternels "damnés de la terre". Ils entendent répondre au mieux aux besoins vitaux de leurs populations même par ces temps de crise agricole et alimentaire. Ils tiennent à donner de l’Afrique une nouvelle image, celle de la dignité et de la considération. Ils tiennent, enfin, à une Afrique occupant toute sa place dans le concert des Nations et jouant pleinement son rôle au sein de la communauté internationale. Il ne lui manque encore que l’organisation et la méthode que le Président Senghor professait à temps et à contretemps. Il ne lui manque que cette volonté farouche d’œuvrer à la promotion de soi-même, par soi-même et pour soi-même. Il ne lui manque que de prendre conscience et de savoir que "l’heure de nous-mêmes a sonné " (Aimé Césaire) et qu’il nous faut renoncer à la politique de la main tendue tout le temps et de l’attente systématique d’une manne qui viendrait d’ailleurs.
L’émergence de l’Afrique en ce siècle n’est pas un mythe.
Les Africains sont hautement conscients que l’unité politique territoriale du Continent est la condition première de son véritable développement, de sa grandeur et de sa puissance. Aussi entendent-ils s’atteler davantage à la réalisation de cette unité. Il s’agit d’une tendance de fond que les divergences et les disparités actuelles ne sauraient oblitérer. Œuvre de longue haleine, aux modalités diverses, mais œuvre incontournable. Il s’agit d’un défi, d’un véritable défi pour les peuples d’Afrique.
Mais il n’y a pas d’autre choix que d’affronter ce défi et de le relever comme d’autres parties du monde ont su le faire. Le chemin sera long, car l’absence de solidarité dans l’exploitation des ressources (pétrole, gaz), les égoïsmes des plus nantis, le manque de vision en général, le penchant à écouter complaisamment ce qui vient de l’extérieur, la multiplicité, la dispersion et l’incohérence des pôles de décision sur le Continent conduisent à des situations qui favorisent la prise en mains de ses problèmes par les puissances extérieures (Côte d’Ivoire, Libye, Somalie).
Il est temps pour l’Afrique de relever la tête et de démontrer à la face du monde qu’elle peut bien prendre son destin en main, en œuvrant avec hardiesse pour une plus grande unité politique, sinon une concertation efficace de ses projets, gage de son repositionnement historique sur l’échiquier politique et économique international.
Cette unité, cette harmonisation et coordination politique retentit comme un impératif pour éviter que le Grand chambardement qu’on observe par-ci, par-là, en Afrique avec la cohorte des migrations désordonnées et humiliantes ne se poursuive et n’aboutisse à la désagrégation totale du Continent, déjà affaibli par de graves crises politiques, économiques et sociales.
Oui c’est vrai, l’Afrique, est un singulier pluriel. Le globe terrestre présente l’Afrique comme l’un des cinq Continents du monde. En cela, elle est une et une seule.
" jetez un coup d’œil circulaire sur la carte du monde, non pas un planisphère de la projection Mercator qui amplifie les contrées tempérées, mais sur la nouvelle carte Peters pour un monde solidaire, il est facile de remarquer que le Continent africain, l’un des plus vastes, le plus massif, situé entre 37°21’ de latitude Nord et 34°51’ de latitude Sud, traversé en deux tiers nord et un tiers sud par l’équateur, remis à sa véritable place au milieu des terres émergées, paraît occuper le centre géographique du monde." Mais la géopolitique et la géostratégie qui président aux intérêts des Etats, ont motivé et sous-tendu le morcellement de l’Afrique. De ce fait, elle est devenue un Continent multiple, je veux dire un Continent pluriel en raison du nombre de ses Etats, chacun avec ses politiques. D’où l’ex
Ce singulier pluriel est l’un des traits les plus caractéristiques du paradoxe incarné qu’est le Continent africain ! des climats divers, allant des sommets enneigés du Kilimandjaro aux déserts effrayants du Kalahari, du Sahara, du Namib, gorgés de richesses en leur sous-sol, des populations variées, des types morphologiques divers, des fleuves gigantesques parmi les plus importants du monde (Nil, Congo, Zambèze, Niger, etc.), des cultures multiples, véritables foisonnements de créativité, mais au centre de tout cela, un Continent qui, dans le secret et l’intime de nos pensées demeure étrangement un et le cœur de l’humanité. En tout cas, l’avenir du monde s’y construit et sa plus proche voisine l’Europe en est consciente.
Méfions-nous des apparences actuelles. L’image qu’elles donnent n’est pas toujours exacte. Sous les désordres qui prévalent, les éparpillements divers, les incohérences avérées, les contradictions évidentes, il existe comme un bouillonnement souterrain, une activité des profondeurs qui explosera avec la soudaineté d’un volcan ou d’un geyser, au moment où nous aurons l’impression de toucher le fond de la désespérance, car ne l’oublions jamais, c’est une tâche permanente de l’humanité que de reformuler l’ordre à travers les contradictions. Et l’Afrique a de ces surprises !
L’Afrique un milliard d’hommes et après ? Question pertinente. Avec cette importante population, l’Afrique ne peut qu’être confrontée à de graves problèmes d’ordre économique et social. Mais est-ce en réalité une faiblesse ? N’est-ce pas probablement une force ?
Cette réalité démographique requiert, des gouvernements africains, des actions hardies pour résoudre les problèmes de santé et d’alimentation, de conditions de vie auxquels les populations sont aujourd’hui confrontées. Elle exige également des ressources financières pour assurer l’éducation et la formation appropriée offrant aux jeunes le savoir, le savoir-faire et le savoir-être conduisant à un emploi afin de leur offrir de meilleures conditions d’existence.
Nous restons persuadés qu’avec l’organisation, la méthode et une volonté politique conséquente, l’Afrique pourra prendre soin de sa population, maîtriser l’immigration et connaître un développement harmonieux.
Les richesses naturelles, culturelles et touristiques dont elle dispose lui en donnent les moyens. Bien maîtrisées et bien gérées, ces richesses pourront contribuer à contenir les implications diverses de cette forte évolution démographique. D’ailleurs les démographes sont formels : quand le monde, dans quelques décennies, culminera à 10 milliards d’êtres humains, l’Afrique seule en comptera 3.
Ceci posera un formidable défi à l’ensemble de notre écosystème. Il devra être préservé de toute forme de dégradation.
Cette dégradation a généralement pour conséquence le réchauffement climatique dont les répercussions portent, entre autres, sur la réduction de la production agricole, des ressources en eau et l’accentuation de la sécheresse.
En décernant le Prix Nobel de la paix 2004 à la militante écologique et politique du Kenya, Madame Wangari Muta Maathai, celle qui vient de nous quitter, le Comité Nobel a tenu à placer l’environnement au centre de la problématique de la paix et de la guerre et à désigner le Continent comme un des lieux privilégiés où se livre cette bataille. En mettant le thème de cette rencontre au centre de vos débats, je suis persuadé que tous les géographes ici présents avaient à l’esprit cette réalité profonde.
Puisse cette XXIIe édition du Festival international de la géographie contribuer à révéler davantage l’importance et la place de la préoccupation écologique dans la vie de l’humanité entière. Qui oserait nier cela ? Qui s’en irait indifférent, entonnant son "suave mari magno".
* Edem Kodjo, extraits de son allocution d’ouverture au Festival International de Géographie, Saint-Die-Des-Vosges- France- du 6 au 9 octobre 2011.
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