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De la sélection ‘ethnique’ de Domenech à la sélection ‘technique’ de Blanc ou quand le racisme s’exprime dans le sport.
(CANADA)- A force de s’indigner du nombre important de « Noirs » dans l’équipe de France de football dirigée à l’époque par Raymond Domenech, des politiciens et intellectuels médiatiques en France ont réussi la prouesse de faire introduire la question au sein de la Direction technique nationale (DTN) de la Fédération française de football qui semble l’accueillir favorablement. C’est ce qui résulte en tout cas du compte rendu d’une réunion divulguée par Mediapart et qui fait depuis quelques jours, les choux gras de la presse mondiale.
Qui sont ces intellectuels et politiques ? Ce sont, entre autres, Alain Finkielkraut (« L’équipe de France de football n’est composé que de Noirs. L’Europe entière rit de nous ! ».), feu Georges Frêche (« Dans cette équipe (de France), il y a neuf blacks sur onze. La normalité serait qu'il y en ait trois ou quatre. Ce serait le reflet de la société. »), Jean-Marie Le Pen (« Quand je regarde la soi-disant équipe de France de football, j’ai l’impression de voir la sélection nationale du Congo ! ».
Il faut dire que les termes par lesquels la question a été débattue au sein de la DTN et surtout par le sélectionneur des Bleus Laurent Blanc sont teintés d’un essentialisme qui rappelle les pires moments du racisme scientifique du 19e siècle.
Pour le sélectionneur des Bleus en effet, « il y a trop de grands Noirs athlétiques et pas assez de petits Blancs qui ont l'intelligence du jeu dans le foot français». Il faudrait, poursuit-il, rompre avec un “stéréotype de joueurs”, les “grands, costauds, puissants”. “Et qu'est-ce qu'il y a comme grands, costauds, puissants ? Des Blacks. C'est comme ça. C'est un fait actuel.
En clair : les Blacks (euphémisme pour ne pas dire « Noirs ») sont physiques et pas intelligents, les Blancs intelligents et pas physiques. L’équipe de France doit privilégier les seconds, à l’instar de l’Espagne qui n’a pas de « Blacks » et donc pas de « problèmes » de technicité dans le jeu.
Cette distinction entres des « Noirs » athlétiques et des « Blancs » intelligents ne date pas d’aujourd’hui. Elle est ancienne et est liée à la croyance plus générale qui veut que les « Noirs » soient meilleurs au sport parce que plus proches de l’animalité.
Une croyance largement partagée en effet voudrait que les « Noirs » soient des sportifs « nés ». « Ils sont doués pour le sport! » dit-on, « ils ont une supériorité naturelle! » renchérit-on souvent.
Cette croyance procède d'une esthétisation voire d'une « racisation » des sportifs à la peau noire.
A la fin des années 90, deux universitaires, Sid Hayes et John Sugden de l'université de Brighton en Angleterre, ont montré grâce à une enquête réalisée dans une région des Midlands que 75% des professeurs d'éducation physique et sportive interrogés sur la réussite sportive des « Noirs », attribuaient cette réussite à des « raisons physiologiques ». Autrement dit, si les « Noirs » réussissent dans le port, c’est parce qu’ils possèdent congénitalement des aptitudes que les autres n’ont pas. Entendons bien : Les gènes avantagent les « Noirs ».
A la même période, un journaliste américain du nom de Jon Entine appuie cette idée des « gènes avantageux » dans un ouvrage vendu à plus de 20 000 exemplaires et au titre évocateur, Taboo: why Blacks dominate sports and why we are afraid to talk about it (Un tabou: Pourquoi les Noirs dominent dans les sports et pourquoi nous avons peur de l'évoquer). Pour lui, l'influence de la génétique dans la réussite des « Noirs » ne fait aucun doute.
Ce qui est troublant dans ces affirmations, c’est qu’elles ne proviennent généralement pas de spécialistes reconnues de la physiologie du sport, mais de profanes imbues de préjugés bien établies. C’est ce qu’avait déploré deux spécialistes suisses de la question, les médecins Francesca Sacco et Gérald Gremion de l'Hôpital Orthopédique de la Suisse romande qui, en 2001, avaient souligné d'un air amusé le paradoxe qui veut que « les plus fervents adeptes de l’hypothèse de l’«avantage génétique» des Africains ne soient pas les généticiens eux-mêmes – ni les médecins du sport d’ailleurs – mais le grand public, les organisateurs de compétitions, les médias et les sportifs amateurs (plus rarement l’élite). »
Ces deux spécialistes helvètes trouvent l’origine de cette croyance de la supériorité génétique des « Noirs » dans la jalousie et le racisme car pour eux, aucun lien de cause à effet n’a été observé entre les particularités physiques et les performances des sportifs. Si des éléments d'explication de la réussite des « Noirs » dans le sport existent, ils sont à trouver dans un certain nombre de facteurs que sont, entre autres, l'éducation, la culture, la situation économique, l’entraînement, etc.
L'éducation parce que: «L’apprentissage de la course à pied ressemble à celui des langues: on réussit d’autant mieux que l’on commence tôt. L’imprégnation dès le plus jeune âge revêt une importance capitale. Un célèbre critique gastronome fit observer un jour...Au Kenya, la course à pied se transmet de génération en génération. ».
L’influence culturelle car « Comment expliquer, si ce n’est par une influence culturelle, le succès de la République dominicaine en base-ball, celui des Chinois en tennis de table et celui des Pakistanais en hockey sur gazon? Après tout, personne ne s’est jamais avisé de chercher le gène du sumo chez les Japonais! Les piscines hollandaises débordent depuis le triomphe de Van den Hoogenband à Sydney. Au Cameroun, les demandes d’adhésion aux clubs de foot ont afflué après la médaille olympique de l’équipe nationale. ». L’exemple du Kenyan Noah Ngeny sur ce point est patent. Détenteur du record mondial du 1000 mètres, il avait commencé avec le volley mais s’est orienté ensuite vers la course à pied « parce qu’au Kenya, ce sont les coureurs qui deviennent des héros nationaux». D’où l’importance de la notion de « modèle » pour les jeunes noirs qui aspirent à suivre les traces de leurs héros adulés.
La situation économique explique également pour beaucoup la supériorité des « Noirs » dans certains sports. Ce n’est certainement pas, nous font observer Sacco et Grémion, l’absence de gènes adéquats qui empêche les Kenyans et les Ethiopiens de faire carrière dans le golf, la Formule 1, la voile, l’escrime ou l’escalade. Pour ces pays qui comptent parmi les plus pauvres du monde, la course à pied représente pratiquement la seule issue à la misère. De toute manière, quel que soit le pays, les grands champions viennent souvent de milieux extrêmement modestes. A ce propos, Sacco et Grémion ont cette boutade : « seul le développement économique du Kenya permettra aux Blancs de rivaliser avec les Africains de l’Est. Quand ceux-ci posséderont des voitures et des téléviseurs, ils seront à la portée des Blancs. »
Enfin l’entraînement joue un rôle essentiel dans l’endurance des sportifs à la peau noire. Si pour s’en sortir, il faut transpirer matin et soir, les jeunes athlètes ne rechigneront pas à la tâche. Comme pour les passagers des pirogues qui bravent régulièrement le tumulte de la mer méditerranée pour espérer aller vers des horizons supposés meilleurs, les jeunes sportifs s’adonneront à l’entraînement de façon excessive. Les fameux «camps d’entraînement» de la région de l’Eldoret au Kenya, témoignent selon Sacco et Grémion, de cette rigueur spartiate à laquelle seuls les Africains savent se soumettre.
Toutefois, le raciste convaincu fera peu cas de toutes ces explications. Il continuera à percevoir une sorte de « grâce féline » chez le sportif noir comme le lui montrent régulièrement certaines publicités faisant appel à des athlètes noirs et dans lesquelles la symbolique de l'animalité est bien présente. En effet, entre la réussite sportive des « Noirs » et leur supposée proximité avec les animaux, le pas est vite franchi par le raciste. Sur les performances sportives, le raciste tire très vite une preuve que le « Noir » est plus proche que le « Blanc » de l'animalité. Et, une telle croyance se répercute aisément dans la conscience collective.
Un journaliste (Jean Haltzfeld) du quotidien Libération écrivit un jour sur l'athlète antillais Herman Panzo ces termes qui en disent long sur ses arrière-pensées: « En réussissant 10,35 secondes au 100 m, à 20 ans, Panzo prouve des dons naturels pour le sprint, comme tous les antillais... Panzo est un coureur d'instinct. ».
Le raisonnement du raciste dans le sport est ainsi décrypté : les « Noirs » sont meilleures au sport parce qu’ils ont des gènes qui les avantagent. Ces gènes leur confèrent une endurance et une plasticité qui les rapprochent de l’animalité. Dès lors, ils useraient davantage de certaines caractéristiques (force brute, instinct) que de l’intelligence à proprement parler.
Voilà pourquoi, en restant dans cette logique du raciste, il faut passer de la sélection « ethnique » de Domenech à une sélection « technique », composée donc de « Blancs » et qui n’aurait en vue que l’intelligence dans le jeu. Mais chuut ! il ne faudrait pas, selon François Blaquart (directeur technique national) que « cela soit dit ».
La question des quotas soulevée par le DTN n’est en réalité qu’un prétexte.
Khadim Ndiaye
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