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La polémiste franco-sénagalo-camérounaise, Axelle Kabou a publié chez l’Harmattan un deuxième livre intitulé «  Comment l’Afrique en est arrivée là »? Ce livrea l’ambition, vingt ans après «  Et si l’Afrique refusait le développement », d’être « un outil de bon niveau pour être à même de penser les futurs possibles de l’Afrique en connaissance de cause ; formuler des questions pertinentes, enracinées dans la longue durée passée et non dans des présupposés éthérés ». Pour l’auteure, l’Afrique  doit avoir une autre lecture de son histoire, et assumer totalement son passé. Le livre se dessine ainsi comme une entreprise « de désenvoûtement, en ce sens qu’il donne la possibilité de penser, de réfléchir à ciel ouvert » nécessaire afin que l’Afrique puisse aller légitimement vers la conquête du monde au lieu de rester dans une situation d’éternelle terre convoitée. Axelle Kabou en dit plus dans cet entretien et revient sur la polémique suscitée par son premier livre.

 

 Vous avez attendu 20 ans pour sortir votre deuxième livre. Comment expliquez-vous ce long silence ?

 
Ce silence s’explique par le fait que je ne suis pas écrivain mais consultant indépendant en communication. L’écriture ne me fait pas vivre. J’écris pour partager des connaissances durement acquises ; susciter des débats de bon niveau sur le thème de la place de l’Afrique dans le monde qui m’obsède. On souhaitait que j’écrive un autre livre. C’est fait.
Qu’attendez-vous du public, notamment, de la jeunesse africaine à qui vous avez dédié «  Comment l’Afrique en est arrivée là »?
J’ignore s’il est possible, pour la polémiste à la production  distendue que je suis, d’attendre quoi que ce soit d’un  public. J’ai, tout au plus, souhaité fournir aux institutions internationales universelles ou africaines qui réfléchissent à l’insertion des économies africaines dans les échanges internationaux, au grand public intéressé par le thème de la place de l’Afrique dans le monde, un outil de bon niveau pour être à même de penser les futurs possibles de l’Afrique en connaissance de cause ; formuler des questions pertinentes, enracinées dans la longue durée passée et non dans des présupposés éthérés. Ma petite expérience des débats internationaux concernant l’Afrique tend à montrer que les problèmes commencent avec les postulats à partir desquels les questions sont posées.  Si mon livre parvenait à être pris en compte, il faudrait désormais soulever chaque pierre avant de proposer des recommandations dont la mise en œuvre exige des millions de dollars.
Mon nouveau livre s’adresse à la jeunesse africaine d’aujourd’hui et demain parce qu’il  participe d’une  entreprise de clarification de questions vitales ; d’une nécessaire prise de possession de soi, de connaissance élémentaire de soi ; d’une espèce de désenvoûtement, en ce sens qu’il donne la possibilité de penser, de réfléchir à ciel ouvert.  Où enseigne t-on l’histoire économique de l’Afrique ?  Celle de la formation des couches dirigeantes de nos sociétés ? La signification économique, politique, économique des traites négrières ? Comment formule t-on leur contribution à la formation de notre place dans le monde ? Que devons-nous exactement à ce commerce ?
Ces questions, on s’en doute, sont loin d’être anodines et surtout loin d’être débattues en dehors des cadres convenus de la « moraline » et du dolorisme. Or, on peut les appréhender autrement, en commençant par : comprendre comment ces traites ont pu se produire, perdurer et surtout, par prendre la mesure de  ce qu’elles nous ont légué. Cet héritage est colossal ! La plupart des Africains qui veulent connaître leur histoire ne lisent ni l’Histoire générale de l’Afriqueproduite sous l’égide de l’Unesco ni The Cambridge History of Africa. Nous sommes pourtant prompts à invoquer notre histoire. Nous en avons une approche  exclusivement romantique. Nous ne connaissons pas notre histoire économique, politique et sociale.
La notion de responsabilité historique nous effraie, d’une manière générale. Nous  avons tendance à l’assimiler à la culpabilité, à une tentative de renonciation à soi là ou je vois une prise de possession intégrale de soi, pour des raisons de dignité. J’ai pour ma part, une profonde méfiance pour les tribunaux de l’histoire et pour le confessionnal. Les histoires de culpabilité ne m’intéressent pas. Ce qui ne signifie pas que ces histoires ne puissent pas être pertinentes malgré leur complexité. Je dis simplement qu’on peut aborder notre histoire sous un autre angle. Celui qui me convient le plus est celui qui place notre propre responsabilité au cœur de notre être.
Les recherches que j’ai du effectuer pour écrire ce livre m’ont marquée. J’en suis sortie, avertie, prévenue, « aware », comme on dit en anglais.   J’ai souhaité, mettre à la disposition de la jeunesse africaine d’aujourd’hui et demain, une somme de connaissances trop éparses d’ordinaire pour être aisément accessibles. Mon éditeur réfléchit à la mise en vente d’une synthèse qui pourrait permettre à un public africain aux ressources plutôt limitées de lire ce livre et d’en débattre amplement. J’espère, pour ma part, que l’opportunité me sera donnée, d’aller dans divers pays africains pour débattre de ce livre avec des Africains de tout âge qui le voudront bien.     
Vous dites dans votre livre qu’il n’a pas une ambition académique, pourtant, on sent une très bonne documentation, des références bien précises. On dirait presque une thèse, quel a été votre souci principal en écrivant ce livre ?
J’ai éprouvé le besoin de préciser clairement le statut, la portée, les limites, la nature de cet ouvrage pour lui éviter l’amalgame dont mon premier livre a fait l’objet dans certains milieux universitaires. Mon nouveau livre  peut d’autant moins prétendre à l’érudition  qu’il est loin de réunir les critères permettant de viser ce statut, qui ne m’intéresse, du reste, pas du tout. J’écris pour susciter des débats de bonne tenue sur des questions liées au thème de la place de l’Afrique dans le monde, qui m’obsède, pas pour préparer une agrégation. Si les universitaires africains faisaient leur boulot : parler clairement et dans un langage compréhensible, de choses complexes, au public le plus large possible, je n’aurais sûrement pas besoin d’écrire.
Pour écrire un livre, il faut être suffisamment frustré pour décider de mobiliser son temps, son argent,  ses muscles dorsaux, ses lombaires, sa colonne vertébrale et ses yeux afin d’atteindre une sorte d’apaisement. C’est ce qui m’est arrivé  avec cette représentation dominante de la marginalisation de l’Afrique limitée à deux ou trois statistiques, qui participe de la conversation de bistrot mais que personne ne met en doute parce qu’elle est frappée du sceau de la reconnaissance internationale. Or elle est mensongère, désarticulée, profondément nocive et tend à nous spolier de notre statut de peuples historiques responsables de soi. On peut le déplorer car nous l’avons amplement mérité, ce statut, en entrant dans l’Histoire, par la fente la plus étroite qui soit, quand les autres arpentaient des boulevards. La représentation officielle de la marginalisation nous prive de la possibilité de réfléchir à nos futurs possibles en tenant compte de la prégnance de notre histoire. C’est très grave.  
En d’autres termes, face à   un bréviaire qui veut que  la marginalisation des économies subsahariennes dans les échanges intercontinentaux date tout, au plus, des crises énergétiques, financières et alimentaires des années 1970, face au refrain bien connu de « la-traite-et la-colonisation » j’ai décidé d’explorer trois séries de questions, toujours effleurées et jamais débattues en Afrique :
-       Par quels processus un continent qui a inauguré les échanges intercontinentaux en exportant des hommes et surtout des bifaces et des hachereaux jusqu’en Angleterre et en Inde méridionales, au cours du processus d’hominisation, en est-il arrivé à occuper un rang subalterne dans le système international ? De quand date cette subordination ? Comment cette avance originelle a-t-elle été perdue ? En d’autres termes : comment passe t-on d’Homo Erectus aux soutes du commerce international ?
 
-       Pourquoi se croit-on obligé de parler de statistiques dès qu’on évoque la question de la marginalisation des économies subsahariennes dans les échanges mondiaux ? Pourquoi cette prédominance de l’économisme ? Qu’en disent les historiens de l’économie, les historiens de la longue durée,  les archéologues, les géographes, les pédologues, les démographes, les chercheurs en sciences politiques, etc. ? Où ranger l’économie dans cette affaire ?
 
Les institutions internationales universelles et africaines peuvent, autant qu’elles le voudront, compiler des statistiques, concocter des « scénarios de sortie de crise » déjantés ; voir des économies émergentes partout : il n’en restera pas moins nécessaire d’expliquer, le plus clairement possible, au public le plus large possible, comment une marginalité géo-historique originelle s’est graduellement muée en marginalisation ; a principalement eu pour effets de :  rendre la vente d’êtres humains plus rentable, sur plus d’un millénaire, que leur mise au travail ; structurer puissamment des aspects vitaux de l’existence au Sud du Sahara et les modes d’insertion des acteurs économiques de cette région dans le monde. Je pense y être parvenue, de manière convaincante.
 
-En vidant des traites négrières, qui se sont tout de même étalées sur plus d’un millénaire, de leur contenu politique, social, économique  au profit d’une approche faite d’hypocrisie, de dolorisme et de « moraline »; en considérant la colonisation et les indépendances comme des points de départ de la marginalisation de l’Afrique subsaharienne, ne se prive t-on pas de la possibilité de cerner ce qui devrait se produire dans cette région pour qu’elle puisse changer de rôle et de rang dans le monde ?   Cette question est-elle superflue, ou, est-elle au contraire, d’une importance critique? Les legs des traites négrières sont considérables. Leur degré de cristallisation, d’induration est même terrifiant. Ces traites n’ont pas seulement informé, structuré notre rapport à nous-mêmes et au monde, nous leur devons : notre répertoire politique, diplomatique, économique, religieux actuel ; la faible institutionnalisation des modes de conduite des affaires et de gouvernement ; notre goût prononcé pour la prédation et l’extraction au détriment de l’investissement dans la production. Nos modes d’accession et de maintien au pouvoir ont été radicalement bouleversés par la prolifération des armes légères consécutives à la bataille de Lépante, puis aux guerres napoléoniennes, etc. Nous devons aux traites négrières, la guerre comme mode privilégié de contestation politique et d’organisation économique. Cette pratique renvoit clairement à nos Etats-brigands du XIXe siècle et d’aujourd’hui. Nous leur devons la question de l’hétérogénéité des populations à gouverner, à laquelle les théocraties djihadistes peules et les Lunda notamment se sont heurtés, longtemps avant les dirigeants de nos partis uniques  ; l’autonomie structurelle et grandissante de nos couches dominantes par rapport au reste de la population ; leur incapacité à se muer en couches dirigeantes ; nos frontières actuelles, issues en grande partie des guerres de capture des esclaves et figées par des traités qui ont marginalisé nos princes marchands dans leur partenariat avec les Européens, etc. Cet héritage, pour considérable qu’il soit, s’explique, en dernière analyse, par l’incapacité des négriers africains à utiliser la vente d’êtres humains pour changer leur mode d’inscription dans le monde. Il n’est pas inutile de chercher à comprendre pourquoi ils ont échoué.
 Vous semblez, sans l’avouer, dire que l’Afrique est entrée dans l’Histoire, contrairement à ce qu’un certain Sarkozy disait à Dakar. Mais comment s’est faite cette entrée et l’Afrique est elle vraiment à l‘aise avec la place qu’elle occupe ?
Vous savez, les historiens, eux-mêmes, ne s’accordent pas sur la notion de début de l’Histoire, pour deux raisons principales : les critères à utiliser pour ce faire ne sont pas clairs. La définition occidentale du début de l’Histoire a clairement pour objectif de disqualifier l’expérience des autres civilisations, de les cantonner dans des catégories infra-humaines. Et ça, ça porte un nom. Au-delà du racisme, de la discrimination patente dont cette approche relève, se posent de vieilles questions non résolues sur notre capacité de maîtriser la production de notre histoire. On ne saurait les congédier d’une chiquenaude sous prétexte que les autres nient l’historicité de nos civilisations.
Autant il est important, dans ce monde poreux,  que les Occidentaux, notamment, et les Africains continuent, par leurs propos, leurs écrits, leurs films, etc.  à constituer, affermir un espace où nous parlons les uns des autres, tout en parlant chacun pour soi, autant il est capital de veiller à ce que les questions de domination et sujétion quittent le registre du soufflet et du camouflet pour entrer en eaux profondes. Nos sociétés peinent manifestement à secréter des leaders et des visions susceptibles de nous mobiliser autour d’un rêve actif de prospérité et de paix. Je ne suis pas sûre de me reconnaître dans la manière dont ces questions sont abordées aujourd’hui en Afrique. Suffit-il de brandir des appels à résister à l’individualisme euro-américain pour se dispenser d’expliquer clairement comment nos systèmes de production peuvent satisfaire l’extraordinaire explosion d’ambitions à la consommation et à la domination qui nous déchire depuis le début des traites négrières ?           
Comment voyez-vous l’avenir de l’Afrique, c'est-à-dire croyez-vous que l’Afrique aura une meilleure image dans les années à venir ?
Je ne suis pas sûre que l’Afrique ait, avant tout, un problème d’image. Ce problème d’image existe cependant. Il provient, à mon avis, d’un déficit de débat démocratique dans nos pays. Nous ne savons pas quelle image renvoyer de nous-mêmes, contrairement aux Occidentaux qui assument parfaitement leur schizophrénie. La plupart du temps, « nous » Africains, croyons parler de la même chose, vouloir la même chose, savoir comment les facteurs qui façonnent nos vies, nos aspirations, nos rêves, fonctionnent. Faute de débats élargis sur ces questions cruciales, quelques intellectuels africains finissent par kidnapper la parole des Africains et leur assigner des rôles qu’ils ne veulent peut-être pas assumer. Des constitutionnalistes africains peuvent ainsi disqualifier des aspirations à l’alternance politique au nom de  « traditions » politiques autoritaires non vérifiées. De même, des économistes africains peuvent attribuer à des Africains en passe d’être « envahis » par des Chinois, une propension avérée à préférer le temps social au travail et à l’argent, sans être inquiétés.     Nous ignorons ce que nous pouvons ou souhaitons attendre de nous-mêmes. La banalisation de la  réflexion exploratoire et analytique sous nos latitudes peut nous aider à clarifier cette situation. Or nous ne  sommes peut-être pas prêts à généraliser une démarche qui présuppose un peu de culture.  
Pour ce qui concerne la première partie de votre question, je suis, absolument incapable de dire comment je vois l’avenir de l’Afrique. Ce n’est pas tout à fait surprenant, compte tenu de ce qui précède. Je sais simplement qu’il faut se méfier autant du pessimisme installé que de l’euphorie obligatoire ambiante ; être attentifs aux secrétions de nos sociétés ; s’efforcer de privilégier le repérage et l’analyse de véritables ruptures systémiques. J’ai fait un peu de prospective, vous savez.     
Vous aviez 36 ans quand sortait votre livre « Et si l'Afrique refusait le développement » chez l'Harmattan 1991. Ce livre a créé un effet tonnerre en Afrique. Qu’avez-vous envie de dire aujourd’hui après tout le débat qu’avait suscité ce pamphlet de 208 pages ?
J’ai vieilli mais il me semble que mon livre, lui, soit resté très jeune. Votre question me ravit. Elle me donne l’occasion d’expliquer clairement ce que ce livre est, ce qu’il n’est pas et surtout de quoi il parle ; préciser les notions de mentalité et de refus du développement qui y occupent une place centrale : cet ouvrage est un pamphlet. Il a pour but de dénoncer l’emprise, sur les Africains scolarisés, d’une idéologie raciale, forgée par des élites postindépendances, qui postule l’existence d’une correspondance, non démontrée, entre la couleur de la peau, des valeurs et des pratiques culturelles considérées comme immuables. Cette idéologie a dû son succès a l’existence d’affinités électives entre ses principales propositions (enracinement, retour à soi, « aux valeurs africaines », la chose du Blanc, la chose du Noir, etc.) et les discours identitaires ordinaires des Africains.
 
Il se trouve que le style de vie des couches dominantes des sociétés africaines de cette époque était déjà diamétralement opposé à ce qu’elles prônaient : leurs enfants naissaient à l’étranger ; accouchaient à l’étranger ;   étaient scolarisés à l’étranger. Elles-mêmes se faisaient soigner dans des hôpitaux occidentaux ou soviétiques où elles mourraient. Elles vivaient déjà dans leur propre pays comme des touristes de luxe. Pendant ce temps, « cette caste aux dents longues », dont l’inutilité a été dénoncée par Fanon, fourguait aux populations une idéologie parasitaire, dérivée de la négritude, qui fonctionnait en réalité comme un outil de domination sociale et politique. Cette idéologie que j’ai appelée « refus du développement » a eu pour effet de : créer un homme noir fantasmé auquel on n’a assigné que des rôles subalternes, chez lui et dans le monde ; masquer le manque de désir de nos « dirigeants » de promouvoir la prospérité de leur peuple, tout en profitant de l’aide au développement.
 
Cette représentation identitaire a été véhiculée par une littérature dite militante. Elle a été propagée, par divers moyens, (programmes scolaires « africanisés », théories culturalistes de management, projets de développement misérabilistes et culturalistes, authenticité, diverses entreprises de tropicalisation, etc.). Ces activités, menées sous couvert d’africanisation, ont connu leur apogée dans les années 1970-1980, sous la houlette de trois ministères importants, dont l’action participait davantage de la propagande que de l’ingénierie sociale axée sur l’amélioration des conditions de vie des gens : ceux du développement social, de l’éducation et de la culture.
Ces institutions ont abruti des enfants africains pourtant très créatifs au départ ; contribué à créer une unité de style, une manière de réfléchir, se percevoir, percevoir sa place dans le monde qui a été un frein à l’appropriation élargie de pratiques culturelles, de stratégies susceptibles de changer notre rôle et notre rang dans le monde. Cette idéologie n’est pas tout à fait morte. Elle a simplement du mal à enrôler de nouvelles recrues parce que la jeunesse africaine, il y a vingt ans, rêvait déjà massivement de fuir l’Afrique, pas pour des raisons identitaires ou pour le goût de l’aventure comme on l’a parfois écrit, mais bel et bien pour des raisons économiques.   
 Une question d’actualité : l’Afrique du Nord se débarrasse de son élite politique dite corrompue. Peut-on s’attendre à des révolutions du même type en Afrique sub saharienne ?
Non. Et les processus par lesquels les différents pays de cette région et du Moyen-Orient y sont parvenus ou non montrent très clairement que la question des préalables historiques, symboliques, politiques à réunir pour que de telles ruptures soient possibles est loin d’être superflue. Ben Ali et Moubarak sont tombés comme des fruits mûrs, presque sans effusion de sang, tandis la Lybie, elle, a plongé dans une guerre civile ; que le pouvoir algérien s’accroche à des branches plus solides qu’il n’y paraît, que le Maroc entreprend un toilettage constitutionnel.         
Les retournements que connaissent actuellement ces pays du pourtour sud de la Méditerranée, notamment, montrent que leur jeunesse partage, avec celle du sud de l’Europe, plus que des antennes paraboliques et des outils de communication numérique : une proximité historique que l’instrumentalisation du débat sur l’islam et le christianisme parviendra de moins à moins à cacher.   
Quant aux pays d’Afrique subsaharienne, ils partagent avec ceux d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, la grande misère, la grande verdeur de leur population et l’absence de démocratie politique et économique. Mais c’est tout : nous Africains subsahariens, ne vivons pas dans des dictatures, dans des systèmes politiques si totalisants qu’ils finissent, par l’emprise de leur maillage policier, la répression, la surveillance continue, par asphyxier des populations réduites au mutisme par la terreur. Il faut garder à l’esprit qu’être un dictateur, c’est avoir la prétention déclarée d’assurer à son peuple des lendemains qui chantent, une certaine prospérité et demeurer à la tête de l’Etat à vie pour faire ce travail. Ben Ali, Moubarak, Kaddhafi avaient le statut de « pères de la nation ». Il faut une promesse forte entre le dictateur et son peuple, un sentiment d’appartenance national très fort. Le sentiment d’avoir le droit de vivre décemment chez soi doit, en effet, être suffisamment prégnant pour que l’option de l’émigration ne soit pas une alternative plausible. Mohamed Bouazizi a préféré s’immoler plutôt que de courir le risque d’aller sombrer dans les eaux de Gibraltar. Il faut que le rêve de prospérité contre lequel on échange, plus ou moins confusément, sa liberté s’effondre suffisamment pour que le meurtre du père et le suicide soient possibles. Il faut que la promesse de félicité économique soit irrémédiablement rompue. Il faut,  plus concrètement, que le système soit si vermoulu que ses principaux promoteurs ne soient plus capables de le soutenir.
Quel pays subsaharien entre dans ce scénario, à votre avis ?  A mon humble avis, aucun. En dehors de deux ou trois promesses électorales vite oubliées, aucun pacte ne nous nous lie à notre classe politique. Nous faisons ce que nous voulons (et ils nous laissent faire, tant que nous n’avons pas la prétention de les contrarier en leur demandant des comptes) et ils font ce qu’ils veulent …depuis des siècles et… pour des siècles. Croyez-moi, c’est plus qu’une simple formule.

 Propos recueillis par El Hadji Gorgui Wade NDOYE, directeur de publication.