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GENEVE- Rencontré en marge de la tenue de la Conférence mondiale du Bureau International du travail, l’ancien ministre sénégalais sous Abdou Diouf et ancien syndicaliste, Assane Diop directeur de la protection sociale du BIT nous donne son éclairage sur l’impact de la crise économique sur les migrants africains. Par ailleurs il diagnostique l’impact de cette crise sur les salaires notant que la baisse des salaires se produit en même temps que la hausse du prix des denrées alimentaires, surtout dans les pays en voie de développement. Son remède : Le dialogue social et un salaire minimum . (Entretien).
Quel est l’impact de la crise sur les travailleurs migrants africains? Y a-t-il un moyen d’amortir le choc?
« L’impact de la crise sur les travailleurs migrants africains se manifestera à travers ses conséquences pour les économies des pays d’accueil. En dehors du continent, les travailleurs migrants africains résident essentiellement en Europe et en Amérique du Nord. Mais la migration africaine de main d’œuvre a lieu de manière prépondérante à l’intérieur du continent, le plus souvent dans les sous-régions d’origine des travailleurs.
En Europe, la chute des taux de croissance a eu pour résultat une réduction de l’offre d’emploi. Ainsi, les taux de chômage ont grimpé. Mais les taux de chômage des travailleurs migrants sont encore plus élevés que les moyennes nationales. Il n’y a cependant pas eu de retour massif vers les pays d’origine. Mais, au delà du chômage, nous pouvons imaginer une détérioration des termes et conditions de travail des travailleurs migrants africains, dont leurs salaires et revenus. Chômage et revenus en baisse signifient moins d’épargne et de transferts de fonds. Cette baisse spectaculaire des transferts de fonds peut avoir de sérieuses conséquences pour les pays d’Afrique, et pour l’activité économique. Ce qui est peut-être plus important encore, c’est l’effet de la baisse des transferts de fonds sur la satisfaction des besoins des familles restées dans le pays, et sur la réduction de la pauvreté. Il est connu qu’une partie considérable des fonds transférés par les travailleurs migrants finance l’éducation et les soins de santé. En d’autres termes, le développement du capital humain se ressentira finalement de la baisse des fonds transférés, de même que celui des communautés d’où proviennent les travailleurs largement financé en Afrique par les transferts de fonds.
L’impact de la crise sur les travailleurs qui ont migré soit à l’intérieur de leurs sous-régions, soit plus généralement dans le continent, se manifestera de façon quelque peu différente. L’année dernière, nous avons été les témoins impuissants de drames de xénophobie résultant de la concurrence pour des postes de travail insuffisants. Cela ne doit pas se reproduire.
Les gouvernements, en consultation avec les partenaires sociaux, devraient renforcer leurs systèmes de protection des travailleurs migrants en temps de crise. Les gouvernements des pays d’accueil devraient souligner que les travailleurs migrants ne sont pas responsables de la crise, qu’ils en sont les victimes au même titre que les nationaux. Les pays d’origine devraient également fournir à leurs travailleurs soutien et protection dans leurs pays d’accueil, afin que la crise ne devienne pas un alibi pour les priver de leurs droits au nombre desquels figurent les allocations de sécurité sociale. Les pays d’origine devraient aussi formuler et mettre en œuvre dans leurs marchés de l’emploi des politiques de réinsertion des travailleurs migrants qui peuvent revenir à cause de la crise. Ces politiques doivent mettre à profit non seulement l’épargne des travailleurs mais également les compétences et savoirs qu’ils ont pu acquérir pendant leurs expériences migratoires. Plus largement, les pays d’origine devraient mettre en place des politiques d’emploi qui génèrent progressivement les postes de travail décent nécessaires pour que la misère et le besoin n'obligent pas les travailleurs à s’expatrier. »
Un des thèmes du Comité Plénier sur la crise porte sur les salaires. Comment percevez-vous ceci en temps de crise ? Quel est l'impact sur l'Afrique ?
« Il est important de se rappeler que les crises économiques augmentent non seulement le nombre de travailleurs sans emploi, mais affectent également les conditions de travail et d'emploi - particulièrement les salaires et le temps de travail - de ceux qui parviennent à garder leur emploi.
Je suis actuellement particulièrement préoccupé par la baisse des salaires qui se produit en même temps que la hausse du prix des denrées alimentaires, surtout dans les pays en voie de développement. Les réductions de salaires combinées au prix élevé des denrées alimentaires toucheront très durement les personnes les plus vulnérables.
En Afrique du Sud par exemple, les statistiques montrent que les salaires nominaux n’ont pu suivre l'augmentation des prix. Pendant les 12 mois précédant novembre 2008, les salaires effectifs (salaires réajustés à l'inflation) ont diminué de 2,8 pour cent. Là-bas, on a observé une baisse des salaires dans de nombreux secteurs. Comme on pouvait s'y attendre, les salaires effectifs ont beaucoup diminué dans les secteurs de la médiation financière, de l'assurance, de l’immobilier et de l'industrie des services (7,9%). Mais au cours de la même période, les salaires effectifs ont aussi baissé dans l'industrie de 1,7%, dans le bâtiment de 3,2%, dans le commerce de gros et de détail, la réparation de marchandises, et dans l’hôtellerie et la restauration de 2,5%, dans le transport et la communication de 6%, et dans le secteur tertiaire de 5,4% (statistiques d'emploi trimestrielles d'Afrique du Sud).
Bien que plus de statistiques récentes ne soient disponibles en Afrique, je pense malheureusement que des travailleurs d'autres pays de cette région ont subi des coupes bien plus graves.
Pour les travailleurs occasionnels, les employés urbains sous-payés, les ouvriers ruraux non-agricoles ou les employés de plantations qui sont payés en liquide, une baisse du pouvoir d'achat se traduit par une diète bien plus grave pour des familles entières.
Notre rapport global sur les salaires, publié en novembre 2008, a montré que dans certains pays africains, les 10 pour cent les plus pauvres des ménages dépensent jusqu'à 80% de leur revenu en nourriture. Le rapport a également montré que les personnes gagnant les plus bas salaires ont déjà déclenché quelques conflits sociaux. Un autre problème résultant de la diminution des salaires effectifs est le risque de la « déflation de salaire ». Lorsque les gens font face à des prix élevés et touchent un salaire effectif plus bas, leur pouvoir d'achat baisse, et la demande en matière de consommation chute dans l'économie toute entière. Par conséquent, une chute raide des salaires aboutirait à un ralentissement encore plus marqué de la croissance économique globale et donc à un rétablissement moins rapide face à la crise.
Le défi politique est donc de mettre en place une structure qui permette d’éviter les baisses de salaires là où elles ne sont pas nécessaires et de les augmenter là où les compagnies peuvent se le permettre. Ceci signifie nécessairement que les gouvernements doivent favoriser le dialogue social et la négociation collective. Les gouvernements peuvent également soutenir ceci par le biais d’une loi garantissant un salaire minimum afin de garantir un pouvoir d'achat minimum aux salariés – bien que les politiques courantes concernant le salaire minimum dans de nombreux pays laissent une grande place à l'amélioration en terme de conception institutionnelle, d’application, et de lien à d'autres politiques économiques et sociales. »
Propos recueillis par El Hadji Gorgui Wade NDOYE (ContinentPremier.Com)
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