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AUTOSUFFISANCE ALIMENTAIRE : Le Sénégal peut et doit gagner le combat à condition…
Par Boubacar BA, Dr en géographie, Longueuil- Québec-Canada
Email : boubac83@yahoo.fr
Qui d’entre nous n’a pas entendu dire que l’autosuffisance alimentaire n’est pas l’essentiel en matière de stratégies et de sécurité alimentaires ? Pourquoi tous les mécanismes de protection de l’agriculture ont-ils été levés? Pourquoi les investissements réalisés dans la Vallée du fleuve Sénégal ont été laissés en léthargie, alors qu’il était décidé de mettre en œuvre des accompagnements pour dynamiser la production du riz ? Qu’est-ce qui a été fait pour les céréales traditionnelles dont la place dans la consommation des Sénégalais reste importante ?
En lieu et place d’une politique alimentaire privilégiant la production nationale, on nous a vendu la sécurité alimentaire comme une stratégie souple, porteuse de croissance, qui serait beaucoup plus en adéquation avec l’économie de nos jours. Bien sûr, que c’était une illusion. Tous les pays qui avaient adopté une politique alimentaire basée sur les paradigmes de l’ajustement structurel le paient cher aujourd’hui. La politique alimentaire fondée sur les échanges suppose un préalable fondamental, que les consommateurs aient un revenu suffisant. Et malheureusement, ce n’est pas le cas pour la majorité des pays d’Afrique noire, des Sénégalais en l’occurrence. Et même ceux qui en disposent, mesurent leur fragilité dès l’instant que le marché international subit une dérégulation. C’est pourquoi, il est urgent de revenir aux fondamentaux, comme l’Europe l’a fait au sortir de la Deuxième guerre, en travaillant le secteur agricole. La Chine et l’Inde qui nous fascinent ont fait pareil. Mais pendant ce temps, notre continent, qui à bien des égards ressemblait à la Chine, inspire tristesse, et maintenant inquiétude et désespoir. Faisons un parallélisme entre l’Afrique et la Chine pour comprendre, et peut-être pour savoir comment agir.
Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, l’actualité urgente à travers le monde était de répondre à la question essentielle, fondamentale et stratégique de la sécurité alimentaire. Du continent européen au continent américain en passant par les sous-continents indiens et chinois, la préoccupation alimentaire était la même. On assiste à la naissance de la Politique agricole commune, la mise en place de la FAO, à la création de Fondations (Ford et Rockefeller) et à la diffusion d’inventions de semences améliorées et paquets technologiques. De cette période, qui n’est pourtant pas si lointaine, date le processus de différenciation des rythmes de développement qui caractérisent actuellement les grandes parties du monde.
Même si presque partout la voix agricole est celle qui était privilégiée, les approches ont été très variées selon qu’on se trouvait dans les zones favorables du libre marché ou au marché dirigé. Dans cette période de recherche de solutions, pour conjurer les famines récurrentes, pour faire face à la poussée démographique et pour répondre à l’accroissement de la demande alimentaire, l’expérience de la Chine à travers la Révolution verte est intéressante à examiner, notamment dans ce qu’elle peut aider actuellement le continent noir, qui malheureusement a du mal à s’affranchir de la question alimentaire.
La Révolution verte, contrairement à ce qu’on croit habituellement, est indienne à l’origine. C’est en 1966, grâce aux travaux de Swaminathan sur des riz améliorés que le gouvernement indien se lance dans une politique d’autosuffisance. Mais c’est en Chine que l’impact de cette révolution a eu le plus grand retentissement. Probablement à cause de la place et du rôle de la Chine dans la guerre froide. Mais, toujours est il que, on voit se mettre en place, aussi bien en Chine qu’en Inde, une politique volontariste axée principalement sur l’amélioration de la production agricole vivrière et son accès à la population, rurale et urbaine. A regarder de près, on se rend compte que la Révolution verte n’est pas une invention extraordinaire. Elle recourt aux avancées scientifiques qu’on retrouve dans le monde occidental : les variétés améliorées, l'utilisation massive de l’engrais et des produits phytosanitaires, mise en place d’un dispositif de formation et d’information à l’endroit des paysans et du monde urbain, etc.
Cependant, elle est une réforme agraire de fond qui a pu allier l’agriculture, dans le sens technologique de la production, la paysannerie et les centres urbains. L’objectif de faire une production agricole destinée à satisfaire le marché local et national reste le point focal de cette politique. C’est à méditer.
Les Chinois, conscients de leur poids démographique, ont été très tôt convaincus que le développement industriel ne pouvait se passer d’une politique alimentaire endogène efficace. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard, si le modèle agricole, voir industriel et commercial de nos jours, a été repris dans les pays d’Amérique Latine et d’Afrique, avec des résultats variés. Cette Révolution qui est finalement perçue comme un « Modèle de progrès techniques et de développement agricole » fera école dans le monde en développement où il est présenté et enseigné comme une « approche développementiste ». Est-ce une approche pertinente ? C’est là une question à laquelle avaient tenté de répondre quelques experts, comme l’illustre Dumont entre autres, dans les années 60 et 70 en vouant à l’échec ce modèle. Mais l’erreur est humaine, nous dit-on.
Malheureusement, cette erreur, les pays du continent noir l’ont commise à l’époque et ne semblent pas, hélas, en tirer les conséquences. Il suffit d’analyser les politiques de sécurité alimentaire actuellement en cours en Afrique, notamment dans la zone sahélo-soudanienne, pour se rendre compte de ce qui ressemble à une hérésie. Après avoir commis l’erreur de porter leur révolution et leur décollage économique sur les cultures d’exportation (arachide au Sénégal, coton au Mali, cacao en Côte d’Ivoire, etc.), ils (les Etats) délaissent la production vivrière aux petits paysans. Dans les années 1970 et 1980, un pays comme le Sénégal a semblé s’engager dans un processus pertinent de production après avoir constaté que son modèle agro-exportateur basé sur l’arachide n’était pas efficace. Pour ce faire, il avait engagé un vaste programme de maîtrise de l’eau, de développement de l’irrigation dans la Vallée du fleuve et dans sa partie méridionale, mais également il avait mis en place un programme de réhabilitation des vallées asséchées par les cycles de sécheresses successives. Ces programmes, décriés à tort par certains, devaient permettre un maillage resserré de la production nationale. En 2004, la production record de riz, environ 200 mille tonnes soit le tiers des besoins nationaux importés annuellement, témoigne de la pertinence d’une telle approche. Pour aboutir à de tels résultats, il a fallu que l’Etat sénégalais assouplisse les conditions d’accès au crédit et contribue à la réduction du coût des facteurs de productions. C’est dire donc, pour ceux qui en doutent encore, que la sécurité alimentaire, mieux l’autosuffisance alimentaire n’est pas une vision chimérique. Elle est possible et mieux, le président de la république l’a rappelé dans son dernier message à la nation, elle représente un pallier obligatoire dans notre processus de développement.
Il est vrai que l’Afrique n’est pas l’Inde, encore moins la Chine. Les conditions historiques qui président aux économies de ces trois continents sont certes très différentes. Mais une constante, partagée, entre ces trois et qui est déterminante, c’est le poids démographique. Tout comme la Chine et l’Inde, l’Afrique est une puissance démographique et qui le sera davantage dans les années à venir. Donc, pour que le poids démographique ne soit une bombe qui lui retombe dessus, l’Afrique doit, ce qui paraît une évidence, consacrer ses ressources à créer les moyens et mécanismes qui permettent à sa population de satisfaire ses besoins.
Une certaine vision voudrait que la production agricole locale et nationale ne soit pas la chose déterminante, qu’il faut simplement créer les moyens d’échange, donc organiser le marché, pour que les populations puissent accéder aux vivres dont elles ont besoin. Cette vision porte en elle-même les germes de son échec : comment axer une politique alimentaire sur le marché dans un continent où plus 70 % de la population active sont dans le secteur agricole et ne disposent pas de revenu suffisant pour acheter ?
Source : ContinentPremier.Com
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