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ENTRETIEN EXCLUSIF AVEC BOUBACAR BORIS DIOP:

Publié le, 23 avril 2006 par

" La tragédie de l'Afrique, c'est la trahison de l'Elite".

MILAN- - ( Italie). L'auteur des "Tambours de la mémoire" de "Kaveena", le Sénégalais Boubacar Boris Diop, est un écrivain dont l'écriture est traversée par les lumières de la mémoire. " Il s'agit toujours dans un roman de positionner un événement historique ou quotidien sur la durée", précise -t- il. La question de la temporalité est donc au cœur de sa fiction : " La mémoire, c'est aussi l'histoire : le passé n'est jamais tout à fait du passé, il se poursuit dans le présent" renchérit - il. C'est à cette forme circulaire de la temporalité narrative, chère à Gabriel Garcia Marquez, que s'attache Boris Diop.Les titres de ses ouvrages en témoignent, même si la provocation et la folie ne sont jamais loin. Dans "Les Tambours de la mémoire", Fadel Sarr essaie de "se souvenir d´événements qu´il n´a peut-être pas vécus". C'est que, toujours selon l'auteur, la mémoire historique est apte à créer cette étrange proximité entre chaque individu et les figures idéalisées par la collectivité. Un Francais peut ainsi parler de Jeanne d´Arc comme d´un de ses proches. Son nouveau livre Kaveena, revient sur une histoire de plusieurs siècles entre la France et ses anciennes colonies ( lire par ailleurs).

Cela ne saurait étonner de la part de celui qui se présente comme le disciple de Cheikh Anta Diop qu´il allait, comme tant d´autres de sa génération, écouter dans son bureau de l´université. Après la mort du grand homme, le processus long et tortueux d´adhésion à sa pensée s´accèlère. Il comprend alors bien mieux le sens profond de la démarche de Cheikh Anta Diop : restaurer la dignité africaine, rendre possible de nouveau en en prouvant la réalité, l'Age d'Or de tout un continent.

Dans cet entretien le romancier parle de son maître, de la nécessité d'écrire dans les langues nationales et de sa participation à l'écriture de "Négrophobie", ce livre percutant qui montre l'absurdité des thèses de Stephen Smith, auteur raciste et révisionniste, qui dit-il " s'est permis avec les Nègres d'Afrique ce que l'on ne s'autorise aujourd'hui avec personne d'autre".

Que représente Cheikh Anta Diop pour vous ?

" Je peux dire qu'il est, avec le romancier Ghanéen Ayi Kwei Armah, mon maître. C'était tout simplement un grand homme. Il avait pour moi plusieurs visages. D'abord je suis de la famille de Lamine Guèye, où c'était une tradition de combattre Senghor. On le haissait même, je dois dire. J'étais un gamin quand Cheikh Anta Diop venait voir ma grand-mère maternelle Faguèye Baffa Guèye dans la maison natale de la rue 5, à la Médina. Cette femme qui était une grande leader, était aussi prête à mourir pour son frère Lamine. Il y avait très peu d´affinités idéologiques entre ces forces-là et Cheikh Anta Diop mais ce dernier, de retour au pays, cherchait surtout à fédérer les formations hostiles à Senghor en qui il voyait déjà, à juste titre, un politicien au service du néo-colonialisme francais. Beaucoup plus tard, en 1976, Cheikh Anta Diop a fondé le Rassemblement national démocratique. J'y ai milité à ma manière, c'est-à-dire sans aucun esprit de discipline. Un beau jour je suis allé lui dire que j'arrêtais mais que je souhaitais continuer à rester en contact avec lui. De toute facon, on n´avait pas besoin de permission pour cela, la porte de son bureau de l'Ifan restait symboliquement ouverte tous les jours à partir de midi et il recevait ses visiteurs l´un après l'autre, avec courtoisie et attention.

J'allais l'écouter, c'est vrai, mais j'étais dans une période de ma vie où je me méfiais de toutes les certitudes. Je peux sourire aujourd´hui de cette coquetterie mais c'était réellement ca. J'avais, du fait d'une formation assez éclectique, tendance à tout relativiser. Me prétendant à la fois existentialiste sartrien et assez vaguement maoiste, je me délectais aussi des thèses de Fanon et Cabral ainsi que de la poésie de Césaire et de Senghor. C'était pour le moins confus, tout cela ! C'est donc à la suite d'un processus lent, tortueux, douloureux, que j'ai compris l'importance de cet homme et que je suis capable de dire aujourd´hui tout ce que je lui dois. Je crois qu'il a été foudroyé par une crise cardiaque un vendredi. La veille, jeudi, j'étais allé le voir. Je ne sais pourquoi mais chaque fois que je repense à cette dernière rencontre, ce qui se dégage c'est surtout une impression de tristesse. Il travaillait énormément et peut-être était-il simplement fatigué mais il m´arrive de me demander s'il n'est pas parti en doutant un peu de l'impact de son message parmi les générations futures. Le symposium organisé à l'université de Dakar avait révélé les malentendus entre une génération d'intellectuels sénégalais marxistes de toutes allégeances et lui-même et le RND, son grand projet politique, ne se portait pas bien, non plus. J'en ai parlé récemment à Syracuse university avec l'historien de l'art Babacar Mbow, qui coordonne en ce moment en Floride une monumentale encyclopédie de la diaspora noire. Il m'a dit : " Cheikh Anta Diop venait au contraire de faire sa seule visite aux Usa et il était extrêmement heureux d´avoir enfin transmis le flambeau aux frères noirs de l'autre côté de l'Atlantique. J'étais avec lui et c´est en ces termes qu'il m´a parlé."

Cheikh Anta Diop continue à déranger...

" Vous savez, le secret de la domination exercée sur nous par l'Occident repose sur la domestication des élites. A ce jeu, la France est très forte et elle a dans divers domaines de la connaissance et de l'art, des relais africains qui se chargent de justifier sa domination sur l´Afrique. Dès le départ, en attaquant de front la Sorbonne, Cheikh Anta Diop a refusé de jouer ce jeu-là. On a voulu le présenter comme un idéologue aux idées fumeuses et, sentant le danger d'une telle accusation, il a organisé le colloque du Caire, pour situer le débat sur le terrain purement scientifique. Pour Obenga et lui, ça a été un triomphe. Personnellement, je ne me sens pas armé pour discuter d´archéologie. J'observe simplement que de nombreuses découvertes, y compris celle dont a fait état la revue Nature le 7 février 1986, jour même de la mort de Cheikh Anta Diop, confortent ses thèses. A travers Ivan Van Sertima et de nombreux intellectuels de tous les horizons de la diaspora noire, l´influence de Cheikh Anta Diop reste considérable. Elle est tout aussi grande en Afrique subsaharienne, en particulier parmi les jeunes.

Au Sénégal, il reste une figure respectée de tous mais une bonne partie de notre intelligentsia, fortement marquée par le marxisme, a toujours eu du mal à comprendre une démarche qu'elle jugeait culturaliste. Cela ne veut plus rien dire aujourd´hui mais ces crispations dogmatiques ont la vie dure. Quant aux hommes politiques, ils n'ont jamais aimé cet homme qui n´était pas vraiment des leurs. Peu intéressé par les honneurs et par l'argent, il avait une aura dont peu d'entre eux osaient seulement rêver. Il était en quelque sorte la mauvaise conscience d´une classe politique cynique et corrompue. Il a laissé aux jeunes un idéal d'homme politique intégre et il a abattu un travail colossal sur les langues africaines. Cela suffit à en faire pour moi un intellectuel d'exception. Même si Cheikh Anta Diop, n'avait pas écrit une seule ligne sur l'Egypte ancienne, il aurait eu une grande importance à mes yeux.

Là, vous parlez en tant qu'auteur de Doomi Golo. Pourquoi ce roman en wolof ?

Je n'ai jamais douté de la nécessité pour chacun d'écrire dans sa langue maternelle, je m'en croyais seulement incapable. Peut-être aussi avais-je trop d'amour, sans vouloir l'avouer, pour la langue francaise. Après tout, mon père était ce qu´on appelait à l´époque un "évolué" et il nous avait inculqués, mes frères et moi, sa déplorable francophilie. Pendant longtemps j'ai donc été assez réservé sur la nécessité d'écrire des romans dans nos langues nationales et mon rejet de la francophonie relevait d'un simple instinct anti-impérialiste. Mais plus tard, les choses changent radicalement : je vois la France se rendre coupable de complicité de génocide au Rwanda, en partie pour la défense de sa langue et je me rends compte à quelles extrémités peut conduire la volonté de domination culturelle. Le désir d'écrire dans ma langue est devenu bien plus fort à partir de ce moment si je continuais à douter de mes capacités dans ce domaine. Le plus difficile, c'est le passage à l'acte et le fait d´avoir entendu si souvent Cheikh Anta Diop insister sur le rôle stratégique des langues africaines dans notre lutte pour l'émancipation m´a évidemment beaucoup aidé. Je ne suis pas le seul à lui devoir presque tout sur ce plan et ce n'est pas un hasard si Aram Fall Diop de l'Ifan a fait publier une anthologie de poésie exclusivement consacrée à Cheikh Anta Diop. Les noms qui viennent le plus aisément à l'esprit quand on parle des langues nationales au Sénégal sont ceux de Cheik Aliou Ndao, Assane Sylla, Pathé Diagne, Seydou Nourou Ndiaye, Saliou Kandji etc. Tous reconnaissent leur dette envers Cheikh Anta Diop.

Et Doomi Golo ?

C'est l'aboutissement normal de cette démarche. Intellectuels dominés, nous avons tous été soumis à des influences diverses mais à un moment donné chacun doit s'arrêter et se poser une question simple cruciale : parmi toutes les langues que je parle, quelle est la seule langue qui me parle vraiment ? Je le répète, je n'ai pas trouvé la réponse du premier coup. J'ai dû laisser mûrir la chose en moi. A présent, les choses sont claires. Je vais écrire des textes en wolof et en francais mais je me rends bien compte que ce sont les premiers qui me permettront d´exprimer ce que je ressens au plus profond de moi. J'ajouterai ceci : en disant que la littérature est née dans les ex-colonies francaises d'Afrique en 1926 avec Force-Bonté de Bakary Diallo, on valide sans s'en rendre compte la théorie de la table. L'Afrique est le berceau de l´humanité, ses peuples rêvent et créent depuis des millions d´années et nous n'avons de littérature que depuis soixante dix neuf ans grâce, en somme, aux fameux aspects positifs de la colonisation ! Ce raisonnement est d'une consternante légéreté et il montre surtout le peu de respect que les intellectuels africains ont pour leur culture.

Vous êtes co - auteur du livre "Négrologie" en réponse à Stephan Smith. Qu'est ce qui vous a motivé?

Ma pemière réaction après la lecture de Négrologie, ça a été de prendre contact avec une association des droits de l'homme à Dakar pour qu'on porte plainte contre l'auteur et l´éditeur pour injures racistes et contestation de crimes contre l'humanité. A mon avis, il était essentiel que ce procès parte du continent. Je ne suis pas naif et je sais bien que les forces qui se trouvent derrière ces initiatives ne laisseront pas condamner un tel individu. Je voulais juste que l'on parle de cette affaire dans les médias. De toute facon, l'Ong des droits de l´homme, après s'être enthousiasmée pour l'idée, n'a pas donné suite. Cette attitude reste d'ailleurs pour moi un mystère. Il y a eu ensuite un débat avec Stephen Smith au cours d´un Salon du Livre à Genève. Odile Tobner, Alioune Sall "Paloma" et moi-même avons réfuté les thèses racistes et révisionnistes de Négrologie. D'une certaine facon, Négrophobie est le prolongement écrit de ce débat de 2004. La maison d'édition Les arènes, très active dans la lutte contre le négationnisme et la dénonciation de la Francafrique, a eu l'idée de cet ouvrage à trois et quand Odile m'a écrit j'ai hésité : fallait-il faire de la publicité à un personnage parisien finalement bien insignifiant ? Est-ce que nous ne courions pas le risque de nous laisser divertir ? On se pose toujours ce genre de questions en pareille circonstance. Finalement cela s'est fait et Francois-Xavier Verschave, dont la contribution a été décisive, est mort quelques jours après la sortie du livre. Négrologie et Négrophobie, c'est texte contre texte, trace contre trace. Voilà le plus important, en fin de compte. Il n'est pas toujours possible de répondre par le mépris à certaines provocations. Au-delà de la personne de Smith, nous voulions réagir à un courant intellectuel de plus en plus ouvertement négrophobe, prêt à toutes les manipulations pour couvrir les crimes de l´Etat francais en Afrique. Une écriture à six mains, ce n'est jamais facile mais à l'arrivée notre texte a fait en quelque sorte découvrir Smith sur le continent africain. Peu de gens s´étaient intéressé à son livre en Afrique, on croyait que c´était l´habituel exercice d´afro-pessimisme des soi-disant connaisseurs de notre réalité politique.

Nous avons en fait montré que la critique de la situation présente de l'Afrique est devenue une occasion rêvée pour aller plus loin, pour contester la Traite négrière et les méfaits criminels de la colonisation, sans même parler du rôle de la France aux côtés des assassins au Rwanda. Vous savez, toutes ces choses se tiennent et la loi du 23 février 2005 sur les aspects positifs de la colonisation apparaît comme la suite logique de ce matraquage idéologique sur l'Afrique aimant se présenter comme la simple victime des Européens. Ces gens n'ont pas réussi à nous exterminer et on a parfois l'impression qu'ils nous en veulent un peu pour ça ! Toutes ces dénégations historiques ont quelque chose d'hallucinant en fin de compte. Mais moi, j'ai l'optimisme d'un lecteur attentif de Césaire : " Pitié pour nos vainqueurs omniscients et naifs ! "

Propos recueillis par El Hadji Gorgui Wade NDOYE