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POUR UNE HISTOIRE DE COULEUR DE PEAU*

La Commission fédérale contre le racisme a présenté hier à Berne «Les Noirs en Suisse. Une vie entre intégration et discrimination». Cette étude donne la parole à une trentaine de personnes qui évoquent leurs expériences du racisme au quotidien.

Sur leur lieu de travail, les gens de couleur subissent toutes sortes de discriminations. KEYSTONE

MAGALIE GOUMAZ, Journaliste à "La Liberté" Suisse

On était dans le bus, ma fille était assise à côté de moi, une personne plus âgée est montée alors j'ai pris ma fille et je l'ai mise sur mes genoux. J'ai dit: vous pouvez vous asseoir. La dame m'a répondu: non, de toute façon, si vous étiez restée en Afrique, il y aurait eu assez de place dans le bus». De telles expériences ont été vécues par presque tous les Noirs vivant en Suisse. Clichés, préjugés, injustices, insultes: qu'ils soient étudiants, requérants d'asile, fonctionnaires internationaux ou naturalisés, leur couleur de peau joue un rôle majeur dans tous les domaines de la vie quotidienne.

C'est ce qui ressort de l'étude présentée hier à Berne. «Les Noirs en Suisse. Une vie entre intégration et discrimination» est l'oeuvre de deux universitaires, Carmel Fröhlicher-Stines et Kelechi Monika Mennel, mandatées par la Commission fédérale contre le racisme. Elles ont interrogé 27 personnes pour en savoir plus sur ce qu'elles vivent et comment elles le ressentent. L'idée étant par la suite de pouvoir améliorer la lutte contre le racisme et favoriser l'intégration. Même si le travail ne s'est pas arrêté aux considérations géographiques, la situation est meilleure en Suisse romande qu'en Suisse alémanique. La langue y est pour beaucoup.

TU VIENS D'OÙ?

Que ce soit au travail, à l'école, dans la rue ou dans les établissements publics, les personnes interrogées ont fait de mauvaises expériences. Dans les magasins, elles se sentent soupçonnées. Dans la rue, on les dévisage. Dans les restaurants, on ne les sert pas ou alors sans amabilité. Les places à côté d'elles restent inoccupées. Toujours, il faut se justifier. Les Noirs nés en Suisse racontent par exemple à quel point il est pesant de s'entendre systématiquement demander d'où l'on vient. Ainsi, dans un train, un contrôleur pose cette question à une jeune fille. Celle-ci, née en Suisse, s'en étonne car la provenance est clairement indiquée sur le billet, en l'occurrence Fribourg. «Non, je veux dire à l'origine?», insiste l'agent. Pour la jeune fille, c'est comme si elle ne pouvait être considérée comme une Suissesse.

On remarque ainsi que posséder le passeport suisse, parler le français et le suisse-allemand ne suffit pas. Un universitaire a fait la même expérience lors d'un entretien pour un poste. «On me demande d'où je viens. Je réponds que je suis originaire de Saint-Gall». Ce qui n'empêche pas l'interlocuteur de reposer la question.

«TES PAPIERS!»

Ces réflexions de tous les jours finissent par heurter les gens de couleur. Même s'il y a pire encore. Comme la pression policière. Les opérations dans le milieu de la drogue, les procès et autres faits divers médiatisés finissent par toucher toute la communauté. Monsieur S., par exemple, raconte que dans un bar où toutes les nationalités se côtoient, si la police arrive, elle fouille uniquement les Noirs. «On est dealer qu'on le veuille ou pas. C'est notre étiquette sur le dos». Ainsi, son frère ne veut plus venir à Berne à cause de ça. Il a peur de traverser la gare, d'être arrêté, fouillé. S. aussi. Il n'a rien à se reprocher, mais il a l'impression que c'est la même chose.

TRAVAIL ET LOGEMENT

Le racisme sévit sur le lieu de travail. Une jeune fille n'obtient pas le poste dans un salon de coiffure «parce que les clientes n'apprécieraient pas». Ce stagiaire d'une école hôtelière n'a pas pu accomplir son passage à la réception d'un hôtel parce que le directeur pensait que cela pourrait déplaire à la clientèle. A une infirmière au chômage, on propose un travail de nettoyage qu'elle ne peut refuser car sinon, on lui coupe le chômage.

Lors de la recherche d'un logement, certains avouent avoir dû feinter: si le partenaire est Blanc, il se présente seul pour la visite. Ou alors on mise sur la sous-location en passant par un collègue. Les personnes interrogées donnent des pistes pour améliorer leur intégration. Et si, par exemple, la Confédération, les cantons, les communes engageaient plus de gens de couleur dans leur administration? MAG

L'étude peut être téléchargée depuis la page internet de la Commission fédérale contre le racisme: www.ekr-cfr.ch. Ou: 031 324 12 93.

Un thème à l'agenda

  • Le dernier rapport du Carrefour de réflexion et d'action contre le racisme anti-Noir (CRAN) va dans le sens de l'étude présentée hier. Publiés par les médias ou rapportés par des victimes, les actes recensés concernent la vie quotidienne: le mari nigérian d'une Zurichoise se voit refuser l'entrée d'une discothèque, un jeune Soudanais se fait agresser par des surveillants d'un magasin de disques alors qu'il vient d'acheter le CD qu'il tente d'introduire dans son baladeur... La plupart des cas impliquent cependant policiers et douaniers. Le CRAN dénonce plus particulièrement l'amalgame qui est fait entre les dealers originaires de l'ouest de l'Afrique et toutes les personnes noires de peau résidant en Suisse. Contrôles d'identité et fouilles au corps en public sont monnaie courante dans les lieux publics suisses. Le CRAN a ainsi publié un petit guide: «Vos droits face à la police!» CRAN: 022 343 87 93
  • Sur les lieux de travail aussi, la discrimination raciale est une réalité. Le syndicat Travail.Suisse a publié en novembre un guide à l'usage des employeurs et des employés. Ce phénomène, aussi peu reconnu que le «mobbing» il y a quelques années, entraîne, en terme de productivité, une sous-utilisation du personnel, un manque de motivation de celui-ci, des conflits, de l'absentéisme et un fort tournus du personnel. Le syndicat donne des exemples de toutes sortes de discriminations: un chef du personnel qui n'engage pas des employés de couleur sous prétexte que cela dérange la clientèle, l'impossibilité de toute promotion pour certains groupes, des salaires inférieurs pour les travailleurs étrangers...
    Travail.Suisse: 031 370 21 11
  • Le Service de lutte contre le racisme vient également de publier un premier état des lieux des formations proposées aux professionnels du secteur public en matière de lutte contre les discriminations. Un colloque aura aussi lieu sur ce thème le 18 février.
    SLR: 031 324 10 33
  • Un disque, des flyers, du matériel pédagogique: l'EPER (Entraide protestante suisse) veut rapprocher les jeunes en utilisant le hip-hop et ses codes. Basé sur l'art de la rue, son kit fait appel aux sens auditif, visuel et tactile. Il propose de multiples activités aux personnes travaillant avec des jeunes de 13 à 18 ans.
    EPER: 021 613 40 70.
    MAG

«Tu peux sourire, qu'on voit si tu es là»

Pour être heureux en Suisse, il faut oublier le racisme et accepter de se faire parfois traiter de moins que rien.» Telle est la philosophie d'Antonio, un Angolais qui vit en Suisse depuis 22 ans.

Il a tout de suite accepté de parler de ce racisme ordinaire qui se loge dans les établissements publics, les guichets ou sur son lieu de travail. «Quand j'étais chauffeur, mes collègues me disaient de sourire pour qu'ils puissent voir s'il y avait bien quelqu'un dans la cabine. Pour eux, c'était une blague mais pour moi, ça devenait usant. Autre exemple, je travaillais avec un Serbe qui ne parlait pas un mot de français. Or, c'était toujours à lui que les gens s'adressaient!»

DE CHIMISTE À CAVISTE

Le travail. Pour Antonio, c'est ce qui est le plus dur à accepter. «En Angola, j'étais chimiste. J'enseignais à l'Institut du pétrole. Même comme laborant, je n'ai jamais trouvé un poste dans cette branche en Suisse. Maintenant, après tant d'années ici à exercer d'autres boulots, c'est trop tard, je suis devenu un illétré en chimie. Une seule fois, un politicien a voulu m'aider en créant un contact avec un possible employeur. On m'a répondu que la maison n'engageait pas les gens de plus de 32 ans.»

Antonio n'a pas voulu s'entêter car il voulait avant tout trouver un travail pour faire vivre sa famille et ne plus dépendre de la Croix-Rouge. Chose faite sept mois après son arrivée en Suisse. «J'ai d'abord été peintre en bâtiment avant de passer mon permis poids lourd et de devenir chauffeur. L'entreprise qui m'employait a fait faillite. Aujourd'hui, je suis caviste.»

Et c'est chaque fois la même chose: des collègues distants, des préjugés à casser, des remarques qui font mal. «Les gens pensent que les Noirs sont tous des voleurs, qu'ils vivent grâce à leurs impôts et qu'ils vendent de la drogue. Heureusement, l'attitude change lorsqu'ils voient qu'on travaille.» Antonio ne veut pas mettre dans le même panier tous les actes et paroles. «Je crois qu'il y a aussi de la timidité, de la peur de l'autre, de la méconnaissance. Un collègue m'a une fois avoué que c'était la première fois qu'il parlait à un Noir.»

«IL FAUT RESTER CALME»

Ce n'est pas plus facile dans la vie privée. Il n'y a pas si longtemps, Antonio attendait au guichet d'une gare pour prendre un billet. «L'employé était seul à son bureau. Il m'a regardé mais ne s'est pas levé. Après dix minutes, j'ai frappé à la vitre et toujours rien. Jusqu'à ce qu'une cliente arrive. Elle a été servie immédiatement, et moi après. Dans ces cas-là, il faut rester calme. C'est comme les mauvaises blagues, il faut les prendre en rigolant, sinon c'est tous les jours la bagarre.».

Son épouse aussi a vécu des expériences difficiles, notammant dans un home pour personnes âgées où des résidentes ne voulaient pas qu'elle les touche. Quant à sa fille aînée, au début, personne ne voulait jouer avec elle. «La petite dernière avait invité un jour une copine à la maison. Elles devaient avoir 3-4 ans. Soudain, la petite a dit qu'elle n'aimait pas les Noirs. Je lui ai alors demandé: et nous? Elle a répondu que nous n'étions pas Noirs. Donc elle colportait juste quelque chose qu'elle avait entendu.»

Antonio est cependant indulgent. La Suisse n'a pas un passé multiracial, n'a pas vécu l'époque des colonisations qui ont entraîné un certain brassage. «Le contact entre les Suisses et les Africains est récent. Alors, c'est une question de temps...» MAG

Une petite fille à l'école

L'étude sur «Les Noirs en Suisse» reproduit un entretien avec une fillette de huit ans. Elle raconte comment elle est harcelée à la récréation et sur le chemin de l'école.

«Ils m'embêtent et me traitent de négresse ou de face de pain brûlé. C'est eux qui décident quand je peux jouer avec eux. Ensuite S., une fille de ma classe, dit à nouveau: aujourd'hui tu ne joues pas avec nous parce que tu es très brune. Tous ont peur de S., parce qu'elle a beaucoup de force et elle peut aussi faire très mal avec les mots.» Lorsqu'elle a raconté cette situation à la maîtresse, elle a répondu: «Nous verrons. Attendons jusqu'à demain et si ça ne s'arrange pas d'ici là, nous verrons.»

La fillette poursuit: «Une fois, on avait la gymnastique et j'avais oublié de faire une culbute et S. aussi. Alors S. a dit: qui est de mon côté et qui est du côté de la négresse? Quand j'ai entendu ça, je me suis mise en colère. Je me suis levée et j'ai dit à S: tu voudrais seulement être la meilleure, tu fais ton cinéma, tu voudrais avoir tous les amis rien que pour toi. Mais j'ai pleuré en disant ça.» Au sujet des garçons, la fillette dit qu'ils la poussent par terre pour qu'elle se fasse mal.

La fillette raconte aussi les activités proposées en classe. Sa mère se rend compte qu'elle est très affectée par des jeux du style «Qui a peur de l'homme noir», ou par des récits comme «L'histoire du mouton noir qui voulait devenir blanc». Auparavant en parfaite santé, la fillette a commencé à se plaindre de maux de tête ou d'estomac. Ses résultats ont baissé. La maman a alors décidé de louer sa maison et de déménager. (* Avec l'aimable autorisation de l'auteure Mme MAGALIE GOUMAZ, Article paru le 27 janvier, dans "La Liberté")