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Par Mr Lamine Diédhiou, sociologue et écrivain

CANADA - Je viens de publier, aux Presses de l'Université Laval (PUL), un ouvrage intitulé «Riz, symboles et développement chez les Diolas de Basse-Casamance». Une minutieuse enquête de terrain chez ces riziculteurs acharnés qui vivent au Sud du Sénégal m'a donné l'occasion de montrer, faits à l’appui, trois choses : 1) qu'il y a une influence indiscutable des mentalités sur la dynamique des projets de développement en Afrique noire, 2) que la crise économique qui frappe les pays africains est née aussi des mentalités et 3) que c’est dans ces mentalités également qu’il faut en chercher les solutions à long terme.

Le contexte politico-historique qui continue de peser d'un poids certain sur le devenir de l'Afrique noire, l'ordre économique international inégalitaire qui bloque le développement de ce continent vache à lait du monde, la responsabilité fondamentale des élites qui gouvernent médiocrement cette «planète des naufragés», tous ces facteurs indéniables ne m'ont nulle part amené, comme on le fait très souvent en pareil cas, à minimiser les obstacles endogènes liés aux mentalités des populations «bénéficiaires» des projets.

Dans cet article, je ne reviendrai pas sur le contenu de mon livre que j'ai eu l'occasion de présenter au grand public, en différentes occasions. J'aborde plutôt la question du «Conflit casamançais» dont j'ai très peu fait mention dans mon livre mais sur l'arrière fond duquel pourtant j'ai bâti tout le corpus de mon travail. Ce conflit comporte d'ailleurs des points de similitude tellement frappants avec la «Question nationale» du Québec que les solutions mises en œuvre dans cette province canadienne, si elles sont bien connues de part et d'autre des deux solitudes, intéresseront certainement les gens qui se battent en Casamance pour faire valoir leur dignité en tant que «société distincte».

Prise en sandwich entre l'enclave anglophone de la Gambie et la république lusophone de la Guinée-Bissau voisine, la Casamance compte près de 9 % de la population sénégalaise qui avoisine maintenant les 9 millions et demi d'habitants. Plus de 60 % de la population de cette région est formée par les Diolas (à ne pas confondre avec les Dioulas), le reste étant composé des populations récemment venues du Nord du Sénégal mais, aussi et surtout, de ceux qu'on appelle les peuples des «Rivières du Sud» (Baïnounks, Mancagnes, Manjaques, Balantes, Pépéles, etc.).

Il faut rappeler à ceux qui ne le savent peut-être pas encore que, hormis les Mandingues et les Peulhs qui habitent l’extrême Est de la Casamance, les populations autochtones de la zone sud font partie d’un groupement social plus large qui a conquis, depuis des temps immémoriaux, une partie du littoral ouest africain que le géographe français Paul Pélissier a popularisé sous l'appellation de «Rivières du sud». L’une des caractéristiques fondamentales des peuples qui vivent dans cette zone amphibie est, d’une part l’anarchie de leur système politique qui affirme la liberté de l’individu et, de l’autre, l’égalitarisme économique qui rejette fondamentalement le principe de l’Homo-hierarchicus de même que les castes et les inégalités sociales qui lui sont liées.

Plus au centre, notamment chez les Diolas, la fonction royale se perpétue encore, mais les «royaumes diolas» ne sont ni plus ni moins que des ordres claniques, des structures cléricales horizontales qui se réorganisent en dehors de la société verticale et des catégories économiques. L’immense toile qu’elles forment en Casamance et au Nord de la Guinée-Bissau s’évade dans la mystique du culte et donne à ce «pays étrange» l’allure d’une «république de villages» segmentée et partagée entre les différents lignages que dirigent les chefs de familles et les personnes les plus âgées de la société.

Si de la Gambie jusqu'en Côte d'Ivoire en passant par la Guinée-Bissau voisine, la Sierra Leone et le Libéria des groupuscules ont toujours renversé des groupuscules qu'ils ont fait monter la veille sur les trônes des «États importés», cela tient au fait que le ver est fondamentalement au cœur de ces sociétés qui tolèrent assez peu la centralisation excessive du pouvoir politique que la modernité tente de leur imposer, à tout prix.

Sans doute, les peuples des «Rivières du Sud» se transforment radicalement sous l'effet des contacts extérieurs. Mais, chez eux, la tradition pèse d’un poids lourd sur la modernité à tel point que leur adhésion au modèle islamo-wolof qui domine actuellement le Sénégal se fait par le mécanisme de la «réappropriation réinterprétante» dont l'anthropologue Roger Bastide disait qu'elle permet aux peuples dominés de décoder les contenus du système nouveau avec les catégories du système ancien.

L’enjeu principal du nationalisme casamançais réside aussi dans le fait que la mise en contact des minorités ethniques casamançaises avec la majorité islamo-wolof a créé un «choc de cultures» qui ne se résorbera que par le dialogue et les échanges mutuellement avantageux. C’est là un fait qu’il importe de tenir en compte, si on veut bien comprendre les bases non économiques du conflit casamançais et la manière de traiter les problèmes qui en résultent avec des chances de succès plus grandes.

Depuis 1981 en effet, la Casamance est secouée par une rébellion sécessionniste incarnée par le Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC). Ce mouvement que dirige l'abbé Diamacoune Senghor (aucune parenté avec l'ancien président sénégalais Léopold Sédar Senghor), un prêtre issu des flancs de l'influente Église catholique locale, accuse les «immigrants nordistes» d'accaparer les meilleures terres, les meilleurs emplois, les ressources économiques de la région et d'avoir à l'égard des populations autochtones une attitude ouvertement raciste et méprisante. Mais surtout le MFDC conteste la sénégalité de la Casamance en affirmant sur toutes les tribunes que ce «pays» a été happé de force par le Sénégal, en violation non seulement de la juridiction liée au tracé des frontières coloniales mais aussi des règles internationales qui régissent le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

Rappelons qu'en Afrique de l'Ouest, le Sénégal a été la porte d'entrée du colonialisme français qui a légué à ce pays, au moment de son indépendance en 1960, de nombreuses écoles de formation, sa principale université (l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar), la plupart de ses grands hôpitaux ainsi que de nombreux infrastructures, notamment les ports, les aéroports, les bâtiments administratifs et commerciaux. Le style architectural bordelais de ces édifices disséminés dans toutes les régions où les Français ont tenu feu et lieu, connote la «francité» apparente du Sénégal et les «relations privilégiées» que ce pays entretient avec l'ancienne puissance coloniale : «quand la France éternue, dit-on souvent, le Sénégal tousse».

Dans ce dispositif général d'un Sénégal fortement internalisé aux pays qui forment le «précarré» de l'empire français en Afrique de l'Ouest, la Casamance est une externalité fort singulière. Ancienne possession portugaise longtemps rattachée à l'actuelle Guinée-Bissau, elle fut «vendue» le 12 mai 1886 à la France qui se dépêcha de la rattacher à sa colonie du «Haut Sénégal». Les modalités juridiques de ce transfert de tutelle ont toujours été la pierre angulaire du débat constitutionnel entre les indépendantistes casamançais et le gouvernement du Sénégal.

En effet, selon les indépendantistes, la Casamance a toujours joui d'un «statut spécial». La résistance tenace des Diolas à l'envahisseur colonial, poursuivent-ils, a réussi à repousser les velléités de la France de dominer ce territoire. Jusqu'à l'indépendance du Sénégal, affirment-ils enfin, ce statut n'a pas varié; ce qui fait de la Casamance un «pays à part entière». Le gouvernement du Sénégal, en ce qui le concerne, considère que la Casamance a toujours fait partie du Sénégal au même titre que les 10 autres régions du pays. L'indépendance que réclame le MFDC n'est donc ni plus ni moins qu'une violation flagrante de l'ordre constitutionnel et des principes de l'Union africaine (ex-OUA) qui a toujours affirmé l'intangibilité des frontières héritées de la colonisation.

Dialogue de sourds pourrait-on dire qui a conduit à la guerre de rébellion militaire qui mine, depuis son éclatement en 1981, le développement économique de la région la plus belle et la plus riche du Sénégal, celle précisément que Léopold Sédar Senghor avait appelé, à cause de son potentiel agricole considèrable, le «Grenier du Sénégal».

Le 30 décembre 2004, le mouvement indépendantiste a signé avec l'État du Sénégal un «accord de paix» dans un contexte de dissensions internes très profondes. Cet accord stipule clairement le dépôt des armes par les forces rebelles, la réintégration des «anciens maquisards» dans l'armée régulière sénégalaise et, surtout, l'ouverture de négociations sincères sur les revendications séculaires des indépendantistes. Depuis le 29 janvier 2005, ces négociations ont effectivement démarré dans la petite localité de Foundiougne, au centre du Sénégal. Réussira-t-on, cette fois, à mettre fin à la guerre et, surtout, à éviter que l'accord du 30 décembre ne soit pas, comme les trois accords précédents, un «accord de plus» ?

S'il est difficile, pour le moment, de répondre à cette question, on peut dire par contre que le MFDC semble plus ou moins ouvertement renoncer à la radicalité de l'indépendance. De concert avec le gouvernement du Sénégal, il préconise maintenant la reconstruction économique de la Casamance, appuyé en cela par les institutions économiques et financières internationales et de nombreux pays, dont le Canada. Ces pays bailleurs de fonds ont mis sur la table près de 62 milliards de francs CFA (plus de 88 millions d'Euros) pour refaire les routes de desserte et les pistes de production, déminer et réaménager les champs et les rizières abandonnées par les populations déplacées, relocaliser ces populations dans leurs villages respectifs, reconstruire les écoles détruites par la guerre, construire, agrandir et moderniser les hôpitaux de la place, redynamiser les entreprises tombées en faillite du fait de la guerre et en construire de nouvelles. Ces bailleurs souhaitent aussi que le gouvernement sénégalais réponde à la demande sociale des casamançais et qu'il rapatrie et réintègre les réfugiés dont beaucoup sont nés et ont grandi en territoire étranger.

Ce programme n'est-il pas trop ambitieux ? Sera-t-il d'ailleurs appliqué à la lettre ? Sa mise en œuvre suffira-t-elle à calmer l'irrédentisme séculaire des casamançais dont le niveau de dégradation des conditions de vie a atteint un seuil critique qui rend tout risque de dérapage encore plus grand aujourd'hui que par le passé ? S'il est difficile, sur ces questions aussi, de répondre de façon tranchée, un fait demeure cependant certain : si le gouvernement du Sénégal veut sortir définitivement du «bourbier casamançais», il doit s'assurer d'une part d'appliquer les principes de bonne gouvernance dans la gestion de la manne financière qui lui tombe entre les mains et, d'autre part, de respecter de façon stricte à la fois la psychologie économique particulière des populations de Casamance et leurs légitimes revendications d’avoir enfin le contrôle de leurs ressources.

Sur ces deux points, il y a de bonnes raisons de s'inquiéter des risques de dérapages liés fondamentalement à l'orientation économique prise par le gouvernement libéral de Me Abdoulaye Wade.

Depuis son accession au pouvoir en mars 2000, celui-ci poursuit, avec une intensité notoire, le programme de libéralisation économique initié par son prédécesseur, monsieur Abdou Diouf. Non seulement avec ce programme, le gouvernement est entrain de démanteler ce qui reste encore du secteur public sénégalais mais il est aussi entrain de remettre en cause les acquis sociaux des travailleurs tout en accordant, du même coup, une place prépondérante au secteur privé dans la gestion de l'économie nationale. Il y a donc fort à parier qu'une telle orientation économique va pousser l'Agence nationale pour la reconstruction de la Casamance (ANRAC) à faire une part belle au secteur privé. Or, non seulement ce secteur n'a pas toutes les compétences et toute l'expertise nécessaires pour assumer pleinement les tâches que le gouvernement veut lui confier mais, pire, il est lui-même, en partie du moins, la source du «problème casamançais».

En effet, le rapport de l'évaluation à mi-parcours du «Projet de gestion des eaux du Sud» (Proges) élaborée en 1993 par l’«Agence américain de développement international» (USAID) et l’«International ressources group Ltd» était très clair sur au moins un fait majeur : les services traditionnels du gouvernement du Sénégal avaient nettement plus de compétence et de savoir-faire que le secteur privé qui «faisait affaire» avec ce projet. Mieux encore, disaient ses auteurs, la collaboration du secteur privé dans l'aménagement des rizières de la Casamance se heurte continuellement à la sous-qualification de la main-d’œuvre et au faible niveau de développement des capacités techniques des entreprises privées locales. Ces problèmes ont eu comme conséquences directes l’arrêt fréquent des travaux de construction des ouvrages hydro-agricoles et la lenteur dans leurs délais de livraison. Ces arrêts et ces lenteurs ont sapé la base de confiance des populations à l'endroit du projet. Ce déficit de confiance a débouché sur des quiproquos contre-productifs qui ont fini par pousser les producteurs locaux à se barricader derrière les rideaux de fer de leurs traditions techniques rudimentaires, transformant du coup les experts du projet en âmes solitaires qui prêchaient dans le désert la bonne parole du développementalisme abstrait.

On se rappelle aussi le problème de l’exploitation du faux/vrai «pétrole de Diogué» et des revendications sempiternellement réaffirmées de la gestion des hôtels de la place. Les populations de Casamance avaient cru, à tort ou à raison, que ces secteurs importants de leur économie régionale étaient placés sous la responsabilité d’«étrangers» dont l’ambition inavouée était de perpétuer la domination de la zone sud par les lobbies venus de la zone nord.

On se rappelle également l’application de la Loi sur le domaine national votée depuis 1964 par le parlement sénégalais. Cette loi a effectivement conduit à des expropriations foncières qui ont alimenté la rébellion actuelle. En effet, durant les années 1980, au moins 853 hectares appartenant au village de Boucotte-Diola dans le Cap-Skiring ont été confisqués au terme de cette Loi et alloués à la Société nationale de promotion touristique qui y avait construit le Club Méditerranée. Aucune indemnité ne fut versée aux propriétaires. Les manifestations des populations locales qui avaient détruit plusieurs bâtiments de commerce à l’extérieur de l’hôtel pour protester contre ces expropriations furent réprimées avec férocité par un détachement militaire venue de la ville d'Oussouye. Aussi, le lotissement des quartiers traditionnels de Ziguinchor à la fin des années 1970 ainsi que l’aménagement de complexes hôteliers Néma-Kadior et Le Joola de même que la construction des habitations à loyer modéré dans les quartiers Boudody et à la Cité Biagui avaient entraîné, on s'en souvient, un déplacement massif de populations et des pertes considérables de parcelles de terre appartenant aux populations autochtones. Les marches de protestations que ces pertes occasionnèrent furent, elles aussi, réprimées par la police et l’armée sénégalaise sans que le gouvernement n’arrêtât la «colonisation illégale» de domaines autochtones. Celle-ci continue de plus bel aujourd’hui dans tous les villages périphériques de la ville de Ziguinchor et de Bignona où une véritable mafia foncière s’est organisée qui continue d'exproprier les populations de leurs terres en prétextant que, selon la Loi sur le domaine national, toute la terre appartient désormais à l’État.

Mais il y a encore pire en ce qui concerne l'abandon du pouvoir de l'État au secteur privé. Ce secteur a toujours été obnubilé par le profit et les intérêts alors que reconstruire une économie et un territoire dévasté par la guerre ne peut s’évaluer en termes de «profit» mais seulement en termes de «priorité nationale». Pourquoi, si on allait plus loin, la reconstruction des anciennes dictatures de l’Amérique latine détruites par des guerres sanglantes au cours des années 1970-1980, celle du Liban toujours instable, du Kosovo, de l’Afghanistan et de l’Irak actuels et à venir, ont ou auront échoué dans leur intention avouée de ramener la prospérité économique dans ces contrées lointaines ? Est-ce parce que ce sont des pays du Tiers-monde qui sont happés, exploités et toujours repoussés à la périphérie du système capitaliste mondial, comme l’affirmeraient aisément les adeptes de la «Théorie de l'inégal développement» telle qu'elle nous a été proposée par les économistes argentin Raul Prebish et égypto-sénégalais Samir Amin ? Non, la réponse nous paraît bien plus simple : parce que ces pays ont sous-traité leur développement avec les institutions économiques et financières internationales qui leur ont imposé de sous-traiter avec le secteur privé adepte, en Afrique du moins, des combines de toute sorte autour de l’argent facile.

Pourtant l'État du Sénégal ne manque pas, autour de lui, de modèles fort éloquents de reconstruction d'économies en crise auxquels il pourrait s'inspirer, pour le meilleur des mondes. Prenons, à titre d'exemple, ce qu'on appelle communément le «Modèle québécois de développement» : lorsqu’au début des années 1960, le «petit peuple» québécois, longtemps réduit au statut de «porteur d’eau» par la petite minorité anglophone a décidé de prendre son destin en main, le slogan de l'«Équipe du tonnerre» du Premier ministre libéral provincial, monsieur Jean Lesage, fut à l'époque bien simple : «Les Québécois doivent rester maîtres chez eux».

Dès leur accession au pouvoir, pour que la province ait un plein contrôle de ses ressources, les libéraux nationalisèrent les domaines stratégiques de l’économie (notamment l’hydroélectricité avec la naissance d’Hydro-Québec et de la Société de développement de la Baie James). Ils mirent en place des institutions financières nouvelles (Caisse de dépôt et de placement, Société générale de financement, Société de développement industriel, Société québécoise d'exploitation minière, etc.) pour soutenir les initiatives économiques de l'État libéral régulateur de l'économie en crise. Cet État devint lui-même non seulement ce régulateur patenté mais aussi, et surtout, un «État-entrepreneur». Il réforma en profondeur le système scolaire et universitaire dont il reprit enfin le contrôle des mains du privé et du clergé catholique local. De même, il démocratisa l’accès au système de santé et des services sociaux en les modernisant et en ouvrant leurs portes, de façon égale, à tous les «citoyens» du Québec qui en ont besoin. La fonction publique fut également réformée et revitalisée et la classe moyenne qui en émergea fut le fer de lance de la modernisation de la société québécoise nouvelle. Explosion des libertés (celle des femmes, des jeunes, des syndicats, des mouvements associatifs, etc.), affirmation de la démocratie citoyenne et des principes de bonne gouvernance, reprise économique spectaculaire, partage des richesses pour contrer la pauvreté, toutes les embâcles furent levées par un «gouvernement responsable» qui a permis à cette province de rattraper assez vite son retard économique par rapport aux provinces anglophones comme l’Ontario. Aujourd’hui, dans beaucoup de domaines (éducation, services sociaux, services de garde, etc.), le Québec constitue un modèle de référence auquel rêvent de ressembler le gouvernement fédéral et de nombreuses provinces canadiennes.

Pourquoi le gouvernement du Sénégal, libéral comme «l'Équipe du tonnerre», n'innove-t-il pas dans la manière de gérer l'économie, par exemple en sortant carrément de l'obsession ultralibérale du privé et du marché privé pour assumer, comme il se doit, les responsabilités historiques que le peuple lui a confiées au sortir des joutes électorales de mars 2000 ? La reconstruction de la Casamance ne se présente-t-elle pas à lui comme un laboratoire de développement endogène véritablement émancipatoire ? S'il est vrai que le Modèle québécois date bien des années 1960 et a évolué dans le temps, il n'en demeure pas moins vrai qu'à sa source, ses leçons transcendent le particularisme local pour s'inscrire au cœur des lois universelles du développement international. Sans que je veuille prétendre qu'il faille le plaquer noir sur blanc sous les tropiques, je pense que le Sénégal peut s'en inspirer - ne serait-ce qu'à titre d'expérience historique qui a réussi à libérer une société dominée - pour reconstruire la Casamance et demeurer, comme le disait Abdoulaye Wade au lendemain de sa victoire électorale sur Abdou Diouf, «l’organe de respiration qui sent le premier le vent du changement en Afrique».


Lamine Diédhiou, sociologue
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