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Delachaux Yves Patrick
Appointé de Gendarmerie à la Police de Genève (Suisse)
Formateur en relations interculturelles et communautaires
Romancier, auteur du livre Flic de Quartier (éd. Zoé, 2003)

L’extrait suivant du livre Flic de Quartier (Delachaux, 2003), caractérise, me semble-t-il, les préoccupations éthiques des policiers, aujourd’hui amenés à se questionner sur leurs pratiques de maintien de l’ordre, essentiellement de la tranquillité publique et de la protection des personnes et des biens, et sur le rapport qu’ils entretiennent avec les communautés migrantes, ceci dans une société en voie de complexification et dans laquelle les apports culturels des uns et des unes doivent rester une richesse, et non devenir un prétexte de heurts et de racisme… mais qu’en penser ?

« Tu passes devant les cellules aux portes grises, métalliques. Toutes occupées. Occupées par des Tammaro, Moulfi, Sebti, Kadem, Dyrmishi, Khatib, Sanchez, Nunes, Stankovic, Djordjevic, Ifili, Ruiz, Louani, Camara, Massamba, Udeh, Sow, Kaloga, Muharemovic, Smajlovic… des noms que te paraissent bien étranges. Etrangers. Il te semble parfois que l’autre est avant tout un étranger. Qu’il soit de chez toi, qu’il soit de ton clan ou de ta patrie, il reste très étrange. - Je m’en veux de toujours le juger, dis-tu parfois devant une bière blonde et des collègues qui te regardent, dubitatifs. - Juger et condamner ! ajoutes-tu, avant de porter ton verre à la bouche, et d’un seul trait, sentir le liquide. Froid
Tu regardes ces noms inscrits à la va-vite sur les portes métalliques et te dis que bien souvent l’étranger fait peur. Et que le flic de quartier a vite fait de franchir le miroir. Tu as fréquemment identifié le type à l’intérieur de la cellule comme étant un voleur, un cambrioleur, un pickpocket, ou encore un proxénète, un malfaiteur, un fraudeur ou un escroc ; mais aussi une ivrogne, une canaille, un arnaqueur. C’est aussi parfois une personne sans pièce d’identité, sans pedigree. Pour l’administration : un type sans vie, sans existence. Dans ce cas-là, tu dis qu’il est pour soi et ses proches, mais qu’il disparaît aux yeux des hommes. Il encombre. Prend de la place et fait naître la peur. Tu ajoutes que les citoyens honnêtes sont immatriculés, numérotés et ainsi identifiés. Et il y a ce sans-papier qui ne l’est pas… qu’il soit d’ici ou d’ailleurs, il encombre. Sans pays. C’est une clientèle que tu connais bien. Ce sont des hommes, ce sont des femmes et ce sont des enfants qui souffrent. Des personnes qui, de nos jours, se dissimulent dans une église et demandent asile à Dieu. Et dans le quartier, les sans-papiers, transpercés par le froid, tenaillés par la faim, à la recherche d’un gîte et d’un couvert, brisent une vitrine et attendent. Attendent leur arrestation. Ils ont soif. Ils ont faim. Aujourd’hui il pleut.
Tu cogites. Grave. Penses au travail de flic de quartier. A tes débuts. Quelques jours dans la rue, et tu as porté un regard empreint de préjugés sur la société. Tu as contrôlé ce type, étranger, contrôlé cette fille, camée, cet automobiliste, bourré. Tu étais si certain que celle-ci était immigrante illégale ou que celui-ci était une crevure. Ben voyons… la vie est si simple ! Chemin tout tracé pour le délit de faciès. Délit mortel. Tu cogites. C’est la mort de l’autre en soi, mort de soi en l’autre… Requiem des innocents ! Flic de quartier, il t’est prétendument interdit de contrôler un type en raison de sa gueule. Pourtant, tu travailles en observant les visages et les comportements, les indices, les regards fuyants et les hochements de tête, parfois la couleur de peau. Tu cogites. Te dis que les démocraties y gagneraient en valeur et en morale, en permettant aux flics de quartier d’exprimer leurs failles : doutes, peines, douleurs, angoisses… parfois violence. Tu cogites. Ne pas permettre la libre circulation de la parole, rappeler à l’ordre, museler, favorise la naissance des ombres. Bien au contraire, et en dépit des hiérarchies qui craignent la transparence, tu te dis qu’il faut enfin accueillir le verbe… des flics de quartier.
»

Lors du colloque de Villepinte (France) en octobre 1997, Des villes sûres pour des citoyens libres, Dominique Monjardet, sociologue français et conseiller technique à l’Institut des hautes études de sécurité intérieure, introduit la conférence en disant : « … on ne demande pas à la police d’être toute puissante, on lui demande d’être concernée ! »

Alors bien entendu les directions, tant politiques que hiérarchiques des polices en Europe, s’interrogent sur de nouvelles pratiques professionnelles pour assurer la sécurité sur leur territoire national, sont ainsi concernées, mais, que constatons-nous, me semble-t-il, quand il est question de parler de la police ? Eh bien que débattre des pratiques policières génère des discussions sociétales de « fond », dès qu’il s’agit de traiter des missions, des procédures, de la légitimité, des compétences et qualifications du personnel en civil ou en uniforme ; et retenons que les raisonnements formulés mettent en exergue les attaches de la société civile envers l’Etat, et, « toucher à sa police », c’est entrer au cœur du système étatique, c’est mesurer l’essence démocratique du gouvernement ; d’autant que l’organisation policière est un « gouvernement par le bas », obéissant assurément à la hiérarchie, mais libre pour les patrouilleurs et enquêteurs, d’accentuer les efforts sur telles ou telles problématiques civiles, pénales ou judiciaires, et de mettre les forces dans telles ou telles actions. Hélène L’Heuillet, maître de conférence en philosophie morale et politique à l’université de Paris-Sorbonne (Paris IV), dit à ce propos :

« Même si, comme dans toute administration, les ordres viennent d’en haut, et si donc le rapport du haut en bas est de l’ordre de l’application, dans la police, dans la mesure où sa spécificité réside dans l’urgence, l’imprévu, l’accident, la décision et le jugement viennent d’en bas. Chaque opération policière procède d’une sélection, comme le montre Monjardet en prenant l’exemple de la patrouille nocturne : pour appliquer l’ordre de maintenir la tranquillité urbaine, elle doit juger de ce qui mérite d’être appréhendé ou signalé (Monjardet, 1996, p.88-89) ; elle doit traduire et interpréter l’ordre donné. La surveillance n’est pas vision passive, mais choix d’orienter, d’attarder ou de détourner son regard. L’activité de juger étant au fondement de la pratique policière, il faut, si l’on veut y comprendre quelque chose, se représenter la part d’incertitude qui la constitue. »

Certes l’éducation, les prestations sociales, le corps médical, l’environnement et les transports, la culture et l’économie, subséquemment l’ensemble des activités du service public représentant les autorités politiques, exécutives et législatives, en démocratie l’expression citoyenne (civile), sont fréquemment sujets à la controverse, d’autant que les missions des administrations publiques démocratiques, quelles qu’elles soient, sont exécutées dans un dispositif complexe de pouvoirs, de contre-pouvoirs, de référendums, etc. Cependant, à elle seule, je constate que la police représente, par sa visibilité, une partie importante, si ce n’est la plus grande, de l’autorité et du pouvoir, multipliant les risques de dérapages et, comme il est opportun de le rappeler, travaillant en « urgence » sur des problèmes pour la plupart du temps « sociaux ».

C’est pourquoi depuis plusieurs années le Conseil de l’Europe a mis en chantier un certain nombre de dossiers de réflexions sur la politique européenne, unificatrice des différentes pratiques policières sur son espace territorial. Entre autre, en 2001 apparaît le code européen d’éthique de la police, établi par le Conseil dans une Recommandation aux Etats Membres (REC, 2001, 10) et adopté par le Comité le 19 septembre 2001 lors de la 765e réunion des Délégués des Ministres, qui définit les objectifs de la police et ses bases juridiques en Europe, l’organisation de la police et les formations des personnels de police ainsi que leurs droits, et, l’intervention policière, ainsi que les droits et libertés de la population contrôlée.

Relevons que la Recommandation souligne la nécessité de mener une lutte efficace contre la criminalité au niveau national et au plan international, en considérant que les activités de la police doivent être menées en rapport étroit avec la population (community policing / problem solving policing), et que l’efficacité du travail de police dépend du soutien de cette dernière. Elle reconnaît dans son texte que la plupart des services de police européens jouent un rôle social prépondérant, et souligne que « … le Conseil européen est convaincu que la confiance de la population dans la police, est étroitement lié à l’attitude et au comportement de cette dernière vis-à-vis de la population » (al.8), et, en particulier « …au respect de la dignité humaine et des libertés et des droits fondamentaux de la personne tels qu’ils sont consacrés notamment par la Convention européenne des Droits de l’Homme » (al.8).

Notons qu’il est rappelé aux Etats Membres que la formation des personnels de police doit « …pleinement intégrer la nécessité de combattre le racisme et la xénophobie » (IVc.30).

Proximité, racisme, xénophobie… qu’en est-il pour les policiers, qui comme je le rappelle sont premièrement (sur) exposés aux risques de dérapages, et deuxièmement qui voient leur « clientèle » constituée en majeur partie de ressortissants étrangers et d’une population fragilisée ? Ont-ils aujourd’hui les moyens de travailler en intégrant ces concepts ? car, c’est bien dans la nature inédite et à risque des interventions de la police, urgentes et sociales, que le policier développe ses capacités d’agir et de contrôler son action physique et psychique, en s’appropriant notamment, comme agent du pouvoir et détenteur de violence légitimée, les compétences professionnelles qui lui sont nécessaires pour accomplir ses missions. Mais peut - on véritablement penser que le policer est préparé et outillé pour intervenir dans des milieux culturellement différenciés ?

Aborder ces questions, c’est effleurer la philosophie d’engagement des forces des polices, et, les volontés d’outiller le personnel pour s’approprier des missions, ou au contraire les volontés de garder le personnel dans l’ignorance de l’intention, des buts ou des motifs politiques. Plus simplement, le policier doit-il intervenir sans se préoccuper de la motivation de telle ou telle décision politique, ou doit-il faire preuve de sens critique… sur ses actions et alors transformer le regard qu’il porte sur la profession, son rôle et statut ?

C’est pourquoi, mes questionnements se portent aujourd’hui de savoir si la police est un agent de socialisation ? Quels outils/partenariats sont à développer dans le rapport migrants-policiers ? Comment agir sur les premiers contacts migrants-policiers ? Information ? Formation ? Accueil ? Comment le policier négocie ses activités professionnelles prescrites avec ses activités professionnelles réelles (champ migration) ? etc.

En 1998, accompagnés de mes amis Sarah Khalfallah, fondatrice de l’association MondialContact – Cultures et citoyennetés, et Alain Devegney, sous-brigadier de gendarmerie, nous posions une première question de recherche : Quels rôles la police peut-elle tenir dans les processus d’intégration et dans un cadre d’immigration? Quels liens, quelles relations peut-on établir entre ces processus, les réalités sociales et les cadres de référence des uns et des autres?

Nous proposions une hypothèse de travail : Les membres de la société d’accueil, les façons de faire, d’agir et de vivre des personnes venant d’ailleurs peuvent paraître surprenants, voire parfois troublants. De même que la personne d’origine étrangère peut ne pas comprendre les règles sociales, civiles, économiques et politiques de la société d’accueil. Les qualités de perception et la juste compréhension des différents rôles de la police dépendent des facteurs de socialisation et d’intégration de la personne d’origine étrangère.

Sur la base de ces réflexions une action de sensibilisation aux relations interculturelles et communautaires a été mise en place. Les objectifs devaient être atteints par une approche de terrain dans le cadre d’une police de proximité et par une approche de formation qui a été destinée au personnel du Département de Justice et Police. Il était important pour nous de :

  • Etablir des liens constructifs entre le personnel concerné et les communautés étrangères.
  • Identifier les difficultés d’adaptation et d’intégration relatives au déracinement et à la migration;
  • Identifier les difficultés et les questionnements au niveau des pratiques policières en milieu pluriculturel;
  • Sensibiliser les personnes immigrées aux règles civiles de la population d’accueil;
  • Sensibiliser et former la police aux réalités et aux mutations de la société genevoise pluriculturelle, ainsi qu’à l’adaptation des pratiques à ces éalités;
  • Faire participer les communautés aux différents programmes de prévention mis en place par la police;
  • Recenser les problématiques, analyser et élaborer des stratégies d’intervention et de médiation.

En conclusion travailler l’approche migrant-policier nécessite comme nous l’avons vu, que la police se sente concernée, mais avant tout qu’elle collabore mieux avec le monde associatif et les migrants, et qu’en commun, ils prennent en compte que les difficultés rencontrées sont de l’ordre des représentations sociales portées sur l’autre, sur les approches différentes de pensées, sur les identités parfois antagonistes, et d’ailleurs des peurs de perdre ces identités, et sur la confiance qu’on peut avoir ou ne pas avoir à résoudre les conflits (et pas nécessairement que des enquêtes judiciaires), ainsi devoir faire des compromissions ; qu’ils échangent des points de vue et des savoir-faire et qu’ensembles ils acquièrent une meilleure connaissance du terrain. Ceci sans oublier, au préalable, qu’il faut absolument négocier des mandats institutionnels clairement définis par nos leaders politiques, de façon à ce que chaque acteur puisse définir sa spécificité, combattre le cloisonnement institutionnel et compter sur des coordinations qui soient dirigées par de véritables professionnels en éducation interculturelle.

Biblographie :

DELACHAUX, P. (2003). Flic de Quartier. Genève : Zoé
L’HEUILLET, H. (2001). Basse politique haute police : une approche historique et philosophique de la police. Paris : Fayard.
MONJARDET, D. (1996). Ce que fait la police. Sociologie de la force publique. Paris : Découverte.