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Réflexions sur la contribution du Président Wade sur les relations UE/Afrique 
 

Dans une tribune publiée dans la presse sénégalaise le 19 Novembre dernier et intitulée « Europe-Afrique : La coopération en panne », le président de la République du Sénégal donne un avis sur les Accords de Partenariat Economique (APE) entre l’Union Européenne et les pays africains et propose comme alternative des Accords de Partenariat pour le Développement (APD). Dans les lignes qui suivent, nous nous évertuons à donner notre point de vue sur les questions soulevées. Nous avons pris le parti de nous focaliser exclusivement sur les aspects juridiques des questions commerciales abordées. Ce faisant, nous laissons les questions purement économiques de la contribution à la compétence d’experts mieux outillés dans ce domaine. 

LE TEXTE DE ABDOULAYE WADE:

Europe-Afrique - la coopération en panne : Par Me Abdoulaye Wade, président de la République du Sénégal

La Commission européenne presse les Etats africains de signer, avant le 31 décembre, de nouveaux Accords de partenariat économique (Ape). Ce nouvel instrument de coopération multilatérale est censé prendre le relais des accords de Cotonou, qui viennent à expiration à cette date et qui, depuis sept ans, accordaient aux 46 Etats d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (les Acp) un régime dérogatoire au principe de libre-échange et des préférences commerciales unilatérales. En l’absence de signature de ces nouveaux accords, ce serait le vide entre l’Union européenne et l’Afrique. Cette perspective est doublement catastrophique. En effet, disparaîtrait, avec les accords de Cotonou, le dispositif qui sert de base à l’aide européenne. Et cette aide est encore plus vitale aujourd’hui pour l’Afrique, au moment où la hausse du prix du pétrole entraîne celle des denrées de première nécessité et déclenche partout le mécontentement populaire et la grogne des syndicats.

Il est vrai que les experts reconnaissent l’échec des accords de Cotonou et, avant eux, de ceux de Yaoundé et de Lomé, qui les ont précédés. L’objectif était d’augmenter les exportations de l’Afrique vers l’Europe et l’on a abouti au résultat exactement inverse : les exportations de l’Europe vers l’Afrique ont augmenté de 6,5 % depuis 2000, alors que les exportations africaines vers l’Europe se sont très sensiblement détériorées. Mais le système de remplacement que propose l’Union européenne (les Ape) n’est pas acceptable. Pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’Europe veut changer de partenaire : jusqu’à présent, par une sorte de parallélisme des formes, elle négociait avec l’Union africaine ; désormais, elle entend traiter, distinctement, avec chacune de nos cinq sous-régions. En somme, dès le départ, elle entend mettre en place un système de désintégration, tout en affirmant vouloir renforcer l’intégration africaine. Ensuite, les nouveaux Accords de partenariat économique prétendent démanteler les protections tarifaires et instaurer une parfaite égalité de compétition entre des économies européennes et africaines totalement asymétriques. En clair, cela revient à consacrer et accentuer un déséquilibre de fait et à livrer totalement les marchés africains aux produits européens subventionnés. Non seulement l’industrie africaine n’a pas la capacité et les structures qui lui permettraient de répondre même à une forte demande européenne, mais ce nouveau dispositif de désarmement tarifaire imposé par le libre-échange entraînerait immédiatement d’énormes pertes de recettes douanières pour nos pays : or les recettes douanières constituent entre 35 % et 70 % des budgets des Etats africains. Selon une simulation du Centre d’étude et de recherche sur le développement, entre 2008 et 2015, les pertes de recettes fiscales du Sénégal, si notre pays adopte ce système, passeraient de 38 à 115 milliards de francs Cfa. Récemment, le président du Nigeria, opposé aux Ape, m’indiquait que son pays perdrait près de 800 millions d’euros par an. En somme, on nous invite à annoncer aux populations en guise de cadeau de Nouvel An : "Chers compatriotes, nous venons de signer avec l’Europe un nouvel accord de coopération (sic) qui supprime 35 % de nos budgets. En conséquence, nous allons supprimer des écoles, des dispensaires, des hôpitaux, des projets de routes, licencier des fonctionnaires... en attendant des compensations hypothétiques !" C’est indéfendable. Au demeurant, l’allocation de sommes d’argent ne compense pas des déséquilibres structurels durables. Entre des mesures pour protéger mon économie d’une concurrence destructrice et une somme d’argent, je préfère les mesures de protection ! L’argent se dépense si vite et après ? C’est pourquoi la plupart des pays d’Afrique, à commencer par ceux de l’Afrique occidentale, rejettent ces nouveaux accords, même s’ils demandent des délais pour répondre. Je dis tout haut ce que tout le monde dit tout bas. C’est une question de survie pour nos peuples et nos économies, déjà très éprouvées par les subventions agricoles pratiquées par les pays industrialisés, à hauteur de 1 milliard de dollars/jour et qui jettent, par exemple, les 12 à 15 millions de producteurs de coton dans la misère. Alors évitons-leur le coup de massue ! Les partisans d’une alliance Europe-Afrique devraient donc envisager une alternative, portée par une vision d’avenir et non par une réaction défensive face à l’arrivée de nouveaux concurrents commerciaux asiatiques sur le continent africain. C’est dans cette perspective que je propose, pour ma part, des Accords de partenariat et de développement (Apd) qui englobent et dépassent le cadre strictement commercial. Selon les projections, l’Europe, avec ses faiblesses en termes de compétitivité et de déficit démographique, aura besoin de 20 millions d’immigrants.

De son côté, l’Afrique présente des déséquilibres structurels liés à la nature même de son économie. Toutefois, ce continent, dans son ensemble, est pacifié, à l’exception du Darfour et de la Somalie. Les meilleurs analystes pensent que le monde de demain sera dominé par un quatuor Etats-Unis - Brésil - Chine - Inde, qui exclut l’Europe. Avec l’Afrique, l’Europe pourrait faire mentir cette prévision ! De leur côté, isolés, hors de l’intégration continentale, les pays africains n’auront aucune chance. Ensemble, l’Europe et l’Afrique ont des atouts immenses pour bâtir une alliance stratégique, mettant en commun la science, la technologie, le savoir-faire, les capacités financières de l’Europe, le potentiel humain et les immenses ressources naturelles de l’Afrique. Du coup, des problèmes aigus comme l’immigration clandestine massive, simple "produit" d’économies dissymétriques, disparaîtront, car les Africains trouveront des emplois chez eux. Si l’Europe n’a plus que la camisole de force des Ape à nous proposer, on peut se demander si l’imagination et la créativité ne sont pas en panne à Bruxelles. C’est pourquoi je propose les Apd articulés autour des principes suivants : dissociation du commerce et de l’aide, qui serait co-administrée ; constitution d’un espace mixte qui permettrait des investissements budgétaires de l’Europe en Afrique dans une optique keynésienne ; accords entre régions du monde au lieu d’un accord mondial Omc, trop global et donc très réducteur ; partenariat Europe-Afrique intégrateur donc global et non parcellisé en 5 accords régionaux, parce que l’Afrique est une continuité géographique ; accords sur des produits homogènes : café, cacao, arachide, coton, pêche, produits miniers, manufacturés, etc. ; délocalisation industrielle vers l’Afrique : l’Europe ne pouvant pas concurrencer la Chine et l’Inde, pourquoi ne délocaliserait-elle pas en Afrique ses industries qui exportent vers notre continent ? ; financement des infrastructures, car si l’Europe ne veut ou ne peut pas le faire, les Chinois le feront plus vite et moins cher ! Les Accords de partenariat et de développement permettraient donc d’instaurer un développement équitable et mutuellement enrichissant. Au total, l’Europe et l’Afrique devraient se forger un destin commun en lançant les fondements d’une alliance objective sur la base de nos complémentarités. La France pourrait, avec le Sénégal, en prendre l’initiative. C’est ce message d’espoir que je compte porter au prochain sommet Europe-Afrique de Lisbonne du 6 décembre.

I. Questions générales soulevées par la proposition 

1. L’importance de conclure un accord au plus tard le 31 Décembre 2007. 

« La Commission Européenne presse les Etats africains de signer, avant le 31 Décembre 2007, de nouveaux APE. » 

Le délai du 31 décembre a été déterminé de façon objective. Il met un terme à la dérogation de Doha qui prolonge légalement le bénéfice des préférences commerciales. L’octroi de cette dérogation rétablit la compatibilité des dispositions préférentielles avec les provisions de l’article XXIV du GATT/OMC. Le problème est que l’UE a laissé perler l’interprétation de ce délai comme une date fatidique au-delà de laquelle, tout rapport commercial avec l’Afrique serait légalement proscrit et exposerait celle-ci à des difficultés économiques supplémentaires et au risque de se faire attraire au règlement des différents par d’autres pays membres de l’OMC. C’est une manœuvre politique de négociations malheureusement perçue par certains protagonistes comme l’existence d’un money time à optimiser en vue d’un accord économique salvateur. Il s’agit en réalité d’un délai passif de rémission qui coïncide au renoncement à une alternative peu crédible en l’état plutôt qu’un délai actif  articulé autour d’une obligation d’action, quelque soient les méfaits qui en découleraient. Il n’y a donc aucune obligation, ni pour l’Union Européenne, ni pour les Etats  africains de signer un Accord au 31 Décembre 2007. 

2. L’Accord de Cotonou et les préférences commerciales 

« Ce nouvel instrument de coopération multilatérale (les APE) est censé prendre le relais des accords de Cotonou qui accordaient aux pays ACP un régime dérogatoire au principe de libre échange et des préférences commerciales unilatérales.»  

La preuve de l’incompatibilité du régime de Lomé avec les accords de l’OMC était si manifeste qu’il n’a pas été difficile pour ses pourfendeurs de le démanteler à travers le système de règlement des différends de l’OMC. Elle impliquait dès lors un changement de cap et la mise en place d’un régime de coopération d’une autre génération qui devait permettre de passer de la coopération au développement au partenariat économique; de la non-réciprocité à la réciprocité intégrale. L’Accord de Cotonou, agent annoncé de ce changement de paradigme, n’a pas réellement permis de changer de cap, du moins pas dans l’immédiat. L’essentiel des dispositions jugées illégales par l’Organe de Règlement des Différends de l’OMC y sont maintenues et laissaient la question de l’incompatibilité entière. Pour ne pas mettre ce nouveau régime commercial en péril, l’UE et les Etats ACP ont dû adresser à l’OMC une demande de dérogation à l’effet de maintenir le régime de Lomé durant la période transitoire allant jusqu’au 31 décembre 2007. Par pragmatisme, l’Accord de Cotonou organise lui-même, à travers son article 36.3, les conditions et les délais de transition devant déboucher sur les futurs APE au 31 décembre 2007. Une telle prévoyance a été prise en compte par la Conférence ministérielle de l’OMC comme l’une des bases de la dérogation qui a été octroyée à Doha, en 2001. Celle-ci donne la garantie de son caractère exceptionnel, limité dans le temps et qui ne menacerait pas l’intégrité du système commercial. Ce faisant, l’OMC avait opéré un choix pragmatique. Rejeter la demande de dérogation aurait équivalu à se retrouver dans la situation manifeste de violation de son ordre juridique, comme cela avait été le cas avec les accords de Lomé dans le GATT durant de nombreuses années. 

3. A propos d’un possible vide juridique et/ou commercial en cas de non signature d’APE au 31 Décembre 2007. 

« En l’absence de signature de ces nouveaux accords, ce serait le vide entre l’UE et l’Afrique » 

La situation serait très différente selon qu’il s’agit d’un Pays Moins Avancé (PMA) comme le Sénégal (3.1), ou d’un Pays en voie de développement comme la Côte d’Ivoire (3.2).

3.1. La situation des PMA non signataires d’APE  

Elle est régie par l’article 37.9 de l’accord de Cotonou qui engage les communautés européennes à prendre des mesures en vue d’assurer à l’ensemble des PMA un accès en franchise de droits pour l’essentiel de leurs produits, sur le modèle de la dernière Convention de Lomé. Le principe de discrimination reste donc en vigueur pour eux, mais sur une base de non réciprocité et d’universalité. La disposition ne concerne pas que les PMA africains, mais tous les PMA. Cela signifie qu’il s’agit de préférences basées sur des critères économiques et validées par l’OMC à travers la reconnaissance expresse de la catégorie des PMA. Cette logique est entérinée par les communautés européennes à travers l’Initiative Tout Sauf les Armes (TSA) qui garantit aux PMA un accès en franchise de droits de douanes pour tous leurs produits, à l’exception des armes. Le problème de l’alternative aux APE pour les PMA est ainsi réglé en partie. Ceux-ci auront à faire la comparaison entre les avantages commerciaux que leur offrent les APE et ce que leur offre déjà l’Initiative TSA. Ainsi, ils restent quelque part maîtres de leur régime commercial au terme d’un choix à double tranchant. La signature d’un APE pourrait ne pas être plus avantageux d’un point de vue commercial, d’autant plus qu’elle ouvrirait davantage leur marché aux exportations européennes, mais offre la garantit d’une forme contractuelle qui protège les droits qui en découlent. En revanche, l’Initiative TSA, comme toutes préférences commerciales, reste revêtue du sceau de l’unilatéralité qui lui dénie toute prévisibilité. Cette option serait celle du Sénégal compte tenu de son statut de PMA. Dans la situation de l’Afrique de l’ouest, tous les pays seront rangés dans ce même régistre, à l’exception de la Côte d’Ivoire, du Ghana et du Nigeria qui sont dans la catégorie des pays en développement. 

3.2. Situation des pays en développement africains non signataires d’APE 

Elle est plus délicate. Au-delà du délai du 31 décembre 2007, ils retomberont dans le droit commun des préférences commerciales dont bénéficient déjà l’ensemble des pays en développement. Ce qui serait un parfait exemple d’érosion brutale des préférences découlant de l’alignement à un niveau NPF (droit commun) et de la réduction continue des droits de douane à l’OMC. Aux termes de l’article 37.6 de l’Accord de Cotonou, la Communauté étudiera toutes les alternatives possibles, pour les ACP non PMA non signataires d’APE, afin de les pourvoir d’un nouveau cadre commercial, qui soit équivalent à leur situation existante et conforme aux règles de l’OMC. La compréhension et l’interprétation de cette disposition posent problème. Tout cadre commercial équivalent à la situation courante des ACP non PMA serait fondée sur les dispositions de la Convention de Lomé IV, prolongée par la Dérogation de Doha jusqu’au 31 Décembre 2007. Mais, il se trouve que ce régime courant n’est pas en phase avec l’exigence de conformité  aux règles de l’OMC posée à l’article 37.6 de l’Accord de Cotonou. En fin de compte, le seul cadre commercial alternatif aux APE que pourrait offrir la Communauté Européenne serait son Système Général de Préférences (SGP) qui, bien que conforme aux dispositions de l’OMC à certains égards, ne permet pas aux pays africains non PMA de conserver l’existant. L’UE serait alors en faute en privilégiant l’obligation de conformité à l’OMC sans se soucier de celle de fournir une alternative au moins équivalente qui serait au niveau des préférences commerciales antérieures. Le Nigeria, le Ghana et la Côte d’Ivoire sont dans cette situation. De par le niveau de ses exportations vers l’UE, un pays comme la Côte d’Ivoire subirait un grand préjudice en perdant ses préférences commerciales. Alors que les PMA qui dépendent fortement de leurs exportations vers l’UE pourront préserver les leurs à travers le régime Tous Sauf les Armes susmentionné. Ces conséquences différenciées au niveau régional sont une menace sérieuse pour l’intégration en Afrique. La Côte d’Ivoire reste d’ailleurs tentée par un Accord individuel avec l’UE qui lui garantirait un accès préférentiel en droit de douane et sans quotas, au détriment du système tarifaire mis en place au niveau de la CEDEAO. Au niveau de l’Afrique centrale, le Gabon est dans les mêmes dispositions de conclure un accord individuel similaire. Dès lors, la velléité des PMA comme le Sénégal de ne pas signer d’APE à la fin de l’année, devrait, pour être viable, se montrer solidaire de la situation des pays en développement de la sous région et proposer des mesures d’homogénéisation de la politique commerciale régionale. 

3.2. Ma ligne de conduite suggérée : Pas d’APE moins favorables que l’OMC 

Plus généralement, la ligne de négociation des pays africains devrait être de ne jamais faire plus de concessions commerciales qu’ils en ont déjà faites à l’OMC. Si la particularité des Accords commerciaux régionaux est de permettre l’octroi de concessions dérogatoires au droit commun de l’OMC, le fait que les futurs APE auront comme cadre un ACR mixte devrait emmener à considérer les flexibilités accordées par l’OMC comme des minima standards. Si en fin de compte, les provisions des futurs APE ne confèrent aux pays ACP que les standards de la Clause de la Nation la plus favorisée (NPF) ou des dispositions qui seront en deçà, il n’y a pas d’intérêt pour les pays africains de signer un APE. Les standards NPF pour les pays en développement sont consignés dans le SGP européen dont tous les pays africains bénéficient déjà. Celui-ci serait l’alternative idéale pour les pays africains en développement, qui y trouveraient la garantie de bénéficier de préférences commerciales, sans prendre le risque d’exposer leur  économie à un régime concurrentiel intenable dont ils ne maitrisent pas les effets. Les pays africains sont en réalité intéressés par un partenariat qui laisse une place importante aux questions de développement et qui offre un minimum de garantie de protection des secteurs vitaux de leur économie. Ils ont l’ambition légitime de couver leurs industries balbutiantes et d’en faire des exportatrices de niveau important. A cet égard, un éventuel APE serait le lieu idéal de revisiter la règle de la progressivité des droits, règle au fondement colonial au demeurant. Comment pourrait on promouvoir le développement des pays africains s’il leur est subtilement interdit de transformer localement leur produit et de produire de la valeur ajoutée aux fins d’exportation ? La règle de la progressivité des droits, qui proportionne le tarif douanier à son degré de transformation est comme une sanction à toute velléité de mise en place d’industries locales performantes. Et si les capacités industrielles restent faibles, la vocation d’un APE devrait être de prévoir des modalités de coopération pour y faire face.  
 
 

II. Questions spécifiques liées à la proposition d’Accords de Partenariat pour le Développement (APD) 

1. L’Union Afrique (UA) comme entité négociatrice : OMC, APE et intégration régionale 

« APD : Partenariat Europe/Afrique intégrateur donc global et non parcellisé en cinq accords régionaux, parce que l’Afrique est une continuité géographique. » A. Wade

« APD : Accords entre régions du monde au lieu d’un Accord mondial OMC, trop global et donc très réducteur. »  

L’article XXIV du GATT/OMC est le lien juridique entre le multilatéralisme et le régionalisme commercial. Il organise les Accords commerciaux régionaux. L’acceptation d’un système universel de gouvernance commerciale est renforcée par le principe de l’engagement unique. Celui-ci prohibe les droits de réserves sur les accords commerciaux, et empêche d’envisager une relation commerciale UE/UA autrement que compatible avec l’OMC. Celle-ci génère des normes d’organisation des relations commerciales, mais les conditionne fortement au respect de ses principes directeurs dont le plus important reste l’interdiction de la non-discrimination. Il serait dès lors quasi impossible d’envisager une relation commerciale entre l’UE et l’UA, en excluant les dispositions de l’OMC. 

Toute relation commerciale UE/UA devra alors épouser les contours d’un ACR. Mais la spécificité réside dans ce qu’un tel accord serait de nature mixte en ce qu’il met ensemble une entité de pays développés et une autre de pays en développement. Or, l’article XXIV du GATT ne définit pas explicitement un régime de pondération pour les pays en développement dans le cadre des ACR mixtes. Les questions de développement ne sont expressément prises en charge que dans le commerce des services, mais pas des marchandises ou de la propriété intellectuelle. Dans ce contexte, il est difficile d’envisager des APE incluant des préférences non réciproques et tenant en compte les questions de développement, du fait d’un défaut de base légale.  

Si l’implication de l’Afrique comme entité juridique et économique homogène est si faible en matière commerciale, c’est qu’il persiste un problème de capacité résultant de la dispersion des stratégies de défense des intérêts commerciaux. Il est vrai que les velléités nationales sont fortes et s’expriment autant en termes de souveraineté politique qu’économique. Mais la volonté d’un régionalisme commercial de type continental n’irait au bout de sa logique que si la Communauté Economique Africaine (CEA), créée en 1991 sous l’égide de l’OUA, explorait les possibilités de participer au système commercial comme une entité représentative d’une politique commerciale commune africaine. L’initiative pourrait être renforcée par l’agrégation des politiques commerciales sous régionales basées sur les institutions régionales existantes. Elles pourraient être intégrées et chapeautées au plan institutionnel. Ce faisant, elle acquerrait plus de légitimité et d’efficacité que le Groupe africain à l’OMC qui s’évertue à coordonner les différentes positions émanant des pays africains. La présence d’une mission de l’UA à Genève, siège de l’OMC est à saluer. Mais ses missions actuelles ne favorisent pas une intervention de type institutionnel telle que l’exigeraient les dispositions de l’OMC. Pour cela, il lui faudrait actionner son  droit de légation active qui lui est fourni par les dispositions de la CEA qui lui donne mandat de participer, en tant que groupe, à des négociations internationales dans le cadre du GATT, de la CNUCED ou de tout autre instance de négociation internationale. Il reste étonnant que l’UA n’ait pas encore saisi cette opportunité d’une présence plus institutionnelle auprès de l’OMC.  

La même problématique est transposable à la proposition de faire de l’UA le vis-à-vis  de l’UE dans les négociations APE, à la place des sous-régions habilitées pour le moment. L’écueil reste le même, dans la dimension commerciale au moins. Pour que l’UA puisse négocier des accords commerciaux régionaux, il lui faut au préalable s’ériger en Union douanière, ce que l’Europe est déjà, ou en zone de Libre Echange. En l’état, elle n’est l’une ni l’autre, mais plutôt une superposition d’entités sous régionales qui elles, pour la plupart, remplissent ces conditions légales et institutionnelles. Ainsi donc, une négociation qui respecterait le parallélisme des formes institutionnelles ne pourrait prospérer que dans un cadre strict de coopération au développement et non commercial. La proposition a la particularité de condenser les deux aspects en un, sans vraiment tenir compte des spécificités et des exclusivités qui leur sont afférentes.  

2. Accords sur les produits homogènes 

« APD : Accords sur les produits homogènes : café, cacao, arachide, coton, pêche, produits miniers, manufacturés, etc. »  

La proposition d’accord sur des produits homogènes tels que le café, le cacao ou le coton peut être opérationnelle. Mais elle devra surmonter quelques écueils. Le premier est lié à la tendance générale des négociations à l’OMC. Dans le cas de l’Initiative sectorielle sur le coton initiée par des pays africains, ceux-ci avaient proposés que le coton soit traité en dehors des enceintes thématiques existantes et d’en faire un produit spécial. A terme et en prenant en compte la situation courante, un consensus fort des pays développés a rejeté cette optique et a décidé que le coton étant un produit agricole, il ne saurait être traité ailleurs que dans le cadre du Comité des négociations sur l’agriculture. Si depuis lors un Comité Spécial sur le coton a été mis en place, aucun résultat ne peut en sortir tant que les modalités pratiques n’auront pas été définies dans le cadre des négociations agricoles. Il serait d’ailleurs fastidieux de définir un statut spécial à des produits agricoles avant d’arriver à un accord général de principe auquel il sera dérogé par la suite. En termes clairs, l’exception ne saurait précéder la définition du principe. Cela signifie que la communauté du commerce international n’est pas dans les dispositions d’embrayer sur des accords de produits au détriment des accords globaux. Et cela est lié au second écueil énoncé, matérialisé par le démantèlement quasi systématique des protocoles sectoriels antérieurs entre l’UE et les pays africains. Comme préalablement indiqué, le protocole banane a été presque vidé de sa substance par une décision de l’OMC. Il n’y subsiste que des arrangements commerciaux marginaux fortement surveillés par l’OMC et les pays d’Amérique latine. Celui sur le sucre a été démantelé par les mêmes voies avec une plainte australienne à la base. Pour ce qui en subsistait, l’UE vient de décider, en octobre dernier, de s’en départir. Ainsi, aussi bien au niveau multilatéral que régional, la tendance n’est pas aux arrangements commerciaux sectoriels.  

Mais loin de constituer des éléments de dissuasion, ces écueils incitent à travailler sur des voies alternatives qui puissent garantir la sécurisation de nos produits homogènes sus mentionnés. Il me semble qu’en ayant recours au concept de produits sensibles largement utilisé dans le système commercial multilatéral, la proposition pourrait être encore plus opérationnelle. Il est connu que l’agriculture reste un domaine pas tout à fait libéralisé et fait encore l’objet de pratiques protectionnistes. Les pays développés invoquent l’argument de la multifonctionnalité pour continuer à se protéger ; alors qu’une grande majorité des pays en développement invoquent l’argument des considérations autres que d’ordre commercial pour extirper leur agriculture du libéralisme. En d’autres termes, le commerce ne doit pas primer sur l’agriculture. Dans les négociations sur les APE, un consensus voudrait que ce qui est communément appelé produits sensibles soient applicables à toutes les catégories de développement. Sa finalité est de répondre à un besoin d’aménagement de flexibilités pour les produits agricoles d’importance vitale pour les pays qui les invoquent. Dans le cadre des accords commerciaux régionaux, le seuil de libéralisation reste flexible et l’obligation de réciprocité n’est pas rigide. Que ce seuil soit fixé à 80 ou 90%, l’essentiel réside dans la possibilité offerte de garder hors libéralisation tous les domaines considérés comme prioritaires pour le développement suivant des indicateurs de sélection consensuels. En plus, le pourcentage de libéralisation peut consister en une moyenne pondérée des engagements des différents partenaires. Dans le cas d’un ACR mixte UE/UA, la moyenne basse est tout naturellement dévolue aux pays moins favorisés. La marge non libéralisée des échanges commerciaux est alors le réceptacle des produits sensibles à promouvoir ou à protéger. Le point commun aux produits homogènes mentionnés est qu’il s’agit de produits d’exportation auxquels il faut garantir un accès aux marchés. L’usage de la notion de produit spécial conçu dans le cadre de l’OMC n’est pas donc opératoire. Elle couvre la réalité d’une mesure défensive de protection. Or, les produits dont il est question ici portent par devers eux leur propre titre de compétitivité. Leur protection devrait de fait résider dans la promotion de leur exportation ; et pour leur conférer des flexibilités additionnelles, invoquer le concept de produits sensibles dont l’indicateur opératoire serait leur importance particulière dans la nomenclature des recettes budgétaires.   

Par des chiffres appropriés, il a été fait mention, dans la proposition, de l’impact d’une libéralisation par les APE sur les recettes douanières des pays africains. La prévision est exacte. Dans le cadre d’un accord de développement ou plus spécifiquement d’un accord commercial, il est légalement possible de faire de l’importance des recettes budgétaires une condition de son extirpation du champ de libéralisation entre les deux entités. Le fait est que l’importance spécifique d’un produit peut être déterminée non pas pour des raisons liées à son usage domestique intrinsèque et/ou de considérations liées à la sécurité alimentaire, mais pour des raisons budgétaires. Dans ce cas, la protection du produit passe par une augmentation des droits de douane appliqués au produit similaire d’importation. L’importance des recettes douanières dans la nomenclature budgétaire des pays de l’Afrique de l’ouest peut justifier la mise en place d’une telle politique commerciale. La sauvegarde de telles recettes participe de la poursuite d’objectifs comme la sécurité alimentaire et la garantie des moyens d’existence dans nos pays qui sont autant de justifications pour un traitement spécial et différencié à l’OMC. La seule réserve que je vois dans une telle approche commerciale est que quelque soit l’importance des recettes douanières dans la part de nos budgets, la mise en place d’entités industrielles locales capables de développer nos capacités d’offres commerciales ne doit pas être oubliée au profit d’une politique d’importations tous azimuts. Il y a un équilibre subtil à trouver aux fins d’une balance commerciale crédible par les moyens des droits de douane en l’occurrence. Elevés et protectionnistes au besoin, flexibles et libéraux si nécessaires. 

3. Dissociation Commerce/Aide 

« APD : Dissociation du commerce et de l’Aide, qui serait Co-administrée. » 

La dissociation des questions de commerce de celles de l’Aide est fondamentale dans le contexte actuel. Tant que les pays africains acceptaient les accords commerciaux sans se soucier de la prise en compte de leur propre intérêt, l’aide au développement opérait, pour l’occident, comme un geste de bonne conscience compensatoire. L’éveil commercial, aussi minime soit il, des pays africains dans les négociations commerciales internationales, a changé la donne. Comme il a déjà été dit, les niveaux régional et multilatéral de ces négociations sont fortement imbriqués et ne donnent plus à l’Europe la garantie de concessions commerciales automatiques. Dès lors, l’aide compensatoire est devenue un argument subtil de négociation, subrepticement brandie à chaque fois que les pays africains ont tardé à rallier les positions attendus d’eux, favorisant ainsi la prise en otage de la coopération au développement par le commerce. Cet état de fait est révélateur d’une double incohérence. D’abord, la politique commerciale européenne est, sous certains de ces aspects, contraire voire opposée à l’orientation de sa politique de développement. L’exemple des subventions en est une illustration. En octroyant des subsides plus que de raison à des produits à destination de l’Afrique, on amoindrit la compétitivité de sa production concurrentielle similaire en lui occasionnant une perte nette de revenus. C’est un préjudice commercial. Dans le même temps, des programmes d’aide à son endroit sont confectionnés via la coopération. Ils lui occasionnent des gains nets de revenus. C’est la compensation financière. Préjudice commercial et compensation financière sont les deux faces d’une même politique commerciale européenne avec un même mode opératoire : l’usage de l’argent du contribuable européen au service d’une politique de coopération tatillonne et incohérente avec l’Afrique. Ensuite, l’aide et le commerce ne répondent pas aux mêmes logiques de partenariat. L’aide est unilatérale, volontaire et situationnelle. Le commerce est plus contractuel, plus normatif et s’inscrit dans un régime systémique articulé autour des principes de l’OMC. Pour ces raisons et aussi pour des considérations d’éthique, il ne doit pas s’immiscer dans la recherche de la réduction de la pauvreté par des voies et pour des raisons autres que d’ordre commercial. Il ne serait d’ailleurs pas exagéré de faire d’une telle immixtion, qui est un élément de contrainte avéré, un facteur de trouble à l’ordre public commercial international, et justiciable devant l’OMC. Il s’y ajoute que la dissociation Aide/Commerce permet d’éviter les transferts d’agenda opérés par l’UE dans ses négociations avec l’Afrique. L’illustration la plus parfaite est l’intrusion de ce qui est communément appelé les thèmes de Singapour (Concurrence, Marchés publics, Investissement et Facilitation des échanges) dans l’agenda des APE, alors que les pays africains, à l’instar de  tous les pays en développement, avaient refusé jusqu’à son inscription à l’ordre du jour à l’OMC. C’est que le cadre multilatéral, quoiqu’imparfait, offre de meilleures garanties de protection qu’un accord bilatéral qui sera probablement l’émanation d’un rapport de forces brutales. Sans être exempt de reproches, le système de l’OMC est de ce point de vue beaucoup plus pondérant. Pour toutes ces raisons, la dissociation Aide/Commerce est un excellent postulat pour toute nouvelle relation commerciale entre l’UE et les pays africains. 

* Les points de vue exprimés dans cet article sont ceux de l’auteur et n’engagent pas ICTSD. 

El Hadji Abdourahmane DIOUF

Docteur en Droit International Economique

Directeur du Programme Afrique au Centre International pour le Commerce et le Développement Durable

Genève – Suisse

E-mail: ediouf@ictsd.ch